XXVII

Un ruisseau limpide courait sur un lit de pierres sombres, entre deux murailles de roches humides et polies. Des arbres faisaient voûte au-dessus ; tout cela si frais, qu’on se serait cru partout ailleurs que dans un recoin ignoré au milieu de l’Afrique.

Partout des femmes nues, de la même nuance que ces rochers, d’un brun rouge elles-mêmes, et la tête chargée d’ambre, – étaient là qui lavaient des pagnes et se racontaient, avec animation, les combats, les événements de la nuit. – Des guerriers passaient à gué, armés de pied en cap, s’en allant en guerre.

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Jean faisait sa première promenade autour de ce village où sa destinée nouvelle venait de l’amener, pour un temps dont il ignorait la durée. Les affaires décidément s’embrouillaient, et le petit poste de Gadiangué prévoyait le moment où il fermerait ses portes pour laisser à la politique nègre le temps de s’apaiser, – comme on ferme sa fenêtre pour une averse qui passe.

Mais tout cela était mouvementé, vivant, original à l’excès. Il y avait de la verdure, des forêts, des fleurs, des montagnes et des eaux vives, une grande splendeur terrible dans la nature…

Tout cela n’était pas triste, et tout cela était inconnu.

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Dans le lointain, le bruit du tam-tam. Une musique de guerre qui se rapproche. La voici tout près, assourdissante, et les femmes qui lavaient dans le ruisseau clair, et Jean avec elles, lèvent la tête et regardent en haut, dans la trouée bleue encadrée par les roches polies.

C’est un chef allié qui passe, au-dessus d’eux, – à la manière des singes, sur des troncs d’arbres renversés, en grande pompe, musique en tête… Et les armes et les amulettes des guerriers de sa suite brillent au soleil, et tout cela défile d’un pas alerte et léger, sous l’accablante chaleur.

Il est près de midi quand Jean remonte au village, par des sentiers de verdure.

Parmi les grands arbres, les cases de Gadiangué sont groupées à l’ombre ; elles sont hautes, presque élégantes, sous leurs grands toits de chaume. Des femmes dorment à terre sur des nattes ; d’autres assises sous des vérandas bercent des petits enfants avec des chansons lentes. Et des guerriers, armés de pied en cap, se racontent leurs exploits de la veille, en essuyant leurs grands couteaux de fer…

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Non, tout cela n’est pas triste, décidément.

Cet air si chaud est d’une lourdeur terrible ; mais pourtant ce n’est plus cet accablement morne des rives du Sénégal, et la puissante sève équatoriale circule partout.

Jean regarde, et se sent vivre. Il ne regrette plus d’être venu maintenant ; son imagination n’avait rien soupçonné de pareil.

Plus tard, au pays, quand il sera de retour, il sera heureux d’avoir mis le pied dans cette région lointaine, et de s’en souvenir.

Il entrevoit ce séjour dans l’Ouankarah comme un temps de liberté à passer dans un merveilleux pays de chasse, de verdure et de forêts ; il l’accepte comme un répit à l’écrasante monotonie du temps, – à la régularité mortelle de l’exil.

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