XXVI

Éveillé le premier, après une heure à peine de sommeil, Jean, en ouvrant les yeux, vit les blancheurs du jour qui commençaient à filtrer dans une case de planches, éclairant des jeunes hommes à moitié nus qui reposaient à terre, la tête sur leurs vestes rouges des Bretons, des Alsaciens, des Picards, – presque tous des têtes blondes du Nord, – et Jean avait en ce moment, au réveil, une sorte de conception illuminée, de vue d’ensemble triste et mystérieuse, de toutes ces destinées d’exilés, follement dépensées, et guettées par la mort.

Et puis, tout près de lui, une forme gracieuse de femme, deux bras noirs cerclés d’argent qui s’arrondissaient vers lui comme pour l’enlacer. Alors, peu à peu, il se rappela qu’il était arrivé la nuit dans un village de la Guinée, perdu au milieu d’immenses régions sauvages, qu’il était là plus loin que jamais de la patrie, dans un lieu où les lettres même n’arrivaient plus.

Sans bruit, pour ne pas troubler Fatou et les spahis qui dormaient encore, il s’approcha de la fenêtre ouverte, et regarda ce pays inconnu.

Il dominait un précipice de cent mètres de haut. Cette case où il était semblait suspendue au-dessus, dans l’air. A ses pieds, un paysage de l’intérieur, à l’aube matinale, à peine éclairé encore de lueurs pâles.

Des collines abruptes, sur lesquelles étaient massées des verdures qu’il n’avait jamais vues.

En bas, tout au fond, le fleuve qui l’avait amené, se traînant en long ruban argenté sur la vase, à demi voilé par un blanc nuage de vapeurs matinales, – les caïmans posés sur les berges paraissant de petits lézards, vus de si haut ; – une senteur inconnue dans l’air.

Les rameurs exténués dormaient là, en dessous, à la place où ils étaient restés la veille, couchés dans leur canot, sur leurs rames.

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