Il y avait plusieurs jours que Jean n’avait pas ouvert sa boîte aux choses précieuses, et pas vu sa vieille montre.
Il était au quartier, occupé à son service, – quand tout à coup il y songea avec un sentiment d’inquiétude.
Il rentra chez lui en marchant plus vite que de coutume, et, en arrivant, il ouvrit sa boîte.
Il sentit un coup au cœur ; il ne voyait plus la montre !… Il déplaça fiévreusement les objets… Non, elle n’y était plus !…
Fatou chantonnait d’un air indifférent, en le regardant de coin. Elle enfilait des verroteries, combinant des effets de tons pour ses colliers ; grands préparatifs pour les fêtes du lendemain, les bamboulas de la Tabaski auxquelles il fallait paraître belle et parée,
– C’est toi qui l’as changée de place ? Dis, vite, Fatou… Je te l’avais défendu, d’y toucher ! Où l’as-tu mise ?…
– Ram !… (Je ne sais pas !) répondit Fatou avec indifférence.
Une sueur froide commençait à perler au front de Jean, égaré d’anxiété et de colère. Il prit Fatou, la secouant rudement par le bras :
– Où l’as-tu mise ?… Allons, dis vite ?
– Ram !…
Alors tout à coup une lueur lui vint. Il venait d’apercevoir un pagne neuf, à zigzags bleus et roses, plié soigneusement, caché dans un coin, préparé pour la fête du lendemain !…
Il comprit, saisit le pagne, le déplia, et, le lançant par terre
– Tu l’as vendue, cria-t-il, la montre ! Allons vite, Fatou, dis la vérité !…
Il la jeta à genoux sur le plancher, dans une rage folle, et prit sa cravache.
Elle savait bien, Fatou, qu’elle avait touché là un fétiche précieux, et que ce serait grave.
– Mais elle avait l’audace de l’impunité : elle en avait déjà tant fait, et Jean avait tant pardonné.
Pourtant, jamais encore elle n’avait vu Jean comme cela ; elle poussa un cri, elle eut peur ; – elle se mit à embrasser ses pieds :
– Pardon, Tjean !… Pardon !…
………………………
Jean ne sentait pas sa force dans ces moments de fureur. Il avait de ces violences un peu sauvages des enfants qui ont grandi dans les bois. Il frappait rudement sur le dos nu de Fatou, marquant des raies d’où jaillissait le sang, et sa rage s’excitait en frappant…
Et puis il eut honte de ce qu’il avait fait, et, jetant sa cravache à terre, il se laissa tomber sur son tara…