XXXII

Rien de changé dans Saint-Louis. Même tranquillité dans leur quartier. Les marabouts privés qui habitaient leur toit claquaient du bec en se pâmant au soleil, avec le même son de bois sec, d’engrenage de moulin à vent.

Les négresses pilaient toujours leur éternel kousskouss. Partout mêmes bruits familiers, même silence monotone, – même calme de la nature accablée.

Mais Jean était de plus en plus fatigué de toutes ces choses.

De jour en jour aussi, il se détachait de Fatou ; il était absolument dégoûté de sa maîtresse noire.

Elle était devenue plus exigeante et plus mauvaise aussi, Fatou-gaye, – depuis surtout qu’elle avait eu conscience de son empire sur l’esprit de Jean, – depuis qu’il était resté à cause d’elle.

Il y avait fréquemment des scènes entre eux ; elle l’exaspérait quelquefois, à force de perversité et de malice. Alors il avait commencé à frapper à coups de cravache, pas bien fort au début, puis plus durement par la suite. Sur le dos nu de Fatou, les coups laissaient quelquefois des marques, comme des hachures, – noir sur noir. – Après il le regrettait, il en avait honte.

Un jour, en rentrant au logis, il avait vu de loin un khassonké, une espèce de grand gorille noir, déguerpir prestement par la fenêtre. – Il n’avait même rien dit cette fois-là ; cela lui était égal, après tout, ce qu’elle pouvait faire…

C’était absolument fini des sentiments de pitié, ou peut-être de tendresse qu’il avait pu avoir un moment pour elle ; il en avait assez ; il en était lassé, écœuré. Par inertie seulement, il la gardait encore.

La dernière année était entamée ; tout cela sentait la fin, le départ. Il commençait à compter par mois !

Le sommeil l’avait fui, comme cela arrive à la longue, dans ces pays énervants. – Il passait des heures de nuit, accoudé à sa fenêtre, – respirant avec volupté les fraîcheurs de son dernier hiver, – et surtout rêvant du retour.

La lune, en achevant sa course tranquille sur le désert, le trouvait généralement là, à sa fenêtre. Il aimait ces belles nuits des pays chauds, ces clartés roses sur le sable, ces traînées argentées sur l’eau morne du fleuve, – chaque nuit, le vent lui apportait, des plaines de Sorr, le cri lointain des chacals – et même ce cri lugubre lui était devenu un bruit familier.

Et quand il songeait que bientôt il allait quitter tout cela pour toujours, – voilà maintenant que cette pensée jetait comme une tristesse vague sur la joie de revenir.

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