VII

La lettre sur laquelle le spahi avait posé ses lèvres portait le timbre d’un village perdu des Cévennes. Elle était écrite par une pauvre vieille main tremblante et mal exercée ; les lignes chevauchaient les unes sur les autres, et les fautes ne manquaient pas.

La lettre disait :

« Mon cher fils,

« La présente est pour te donner des nouvelles de notre santé, qui, pour le moment, est assez bonne, nous en remercions le bon Dieu. Mais ton père dit qu’il se sent vieillir, et, vu que ses yeux baissent beaucoup, c’est moi, ta vieille mère, qui prends la plume pour te parler de nous ; tu m’excuseras, sachant que je ne peux pas mieux écrire.

« Mon cher fils, c’est pour te dire que nous sommes bien dans la peine depuis quelque temps. Depuis trois ans que tu es parti, rien ne nous réussit plus ; la prospérité, ainsi que la joie, nous ont quittés avec toi. L’année est dure, par rapport à la forte grêle qui est tombée dans le champ, et qui a à peu près tout perdu, sauf du côté du chemin. Notre vache est tombée malade, et nous a coûté très cher à faire soigner ; les journées de ton père manquent quelquefois, depuis qu’il est revenu au pays des hommes jeunes, qui font l’ouvrage plus vite que lui ; enfin, il a fallu faire réparer une partie du toit de chez nous, qui menaçait de tomber par suite des pluies. Je sais qu’on n’est pas bien riche au service, mais ton père dit que, si tu peux nous envoyer ce que tu nous as promis, sans te priver, ça nous sera bien utile.

« Les Méry pourraient bien nous en prêter, eux qui en ont beaucoup ; mais nous ne voudrions pas leur en demander, surtout pour ne pas avoir l’air de pauvres gens auprès d’eux. Nous voyons souvent ta cousine Jeanne Méry ; elle embellit tous les jours. C’est son grand bonheur de venir nous trouver pour parler de toi ; elle dit qu’elle ne demanderait pas mieux que d’être ta femme, mon cher Jean ; mais c’est son père qui ne veut plus qu’on parle de mariage, parce qu’il dit que nous sommes pauvres, et aussi que tu as été un peu mauvais sujet dans les temps. Je crois pourtant que, si tu gagnais les galons de maréchal des logis, et si on te voyait revenir dans le pays avec ton beau costume de militaire, il finirait peut-être par se décider tout de même. Je pourrais mourir contente si je vous voyais mariés. Vous feriez bâtir une maison près de la nôtre, qui ne serait plus assez belle pour vous. Nous faisons bien souvent des projets là-dessus, le soir, avec Peyral.

« Sans faute, mon cher fils, envoie-nous un peu d’argent, car je t’assure que nous sommes bien dans la peine ; nous n’avons pas pu nous rattraper cette année, comme je t’ai dit, par rapport à cette grêle et à la vache. Je vois que ton père s’en fait un grand tourment, même que je vois bien souvent la nuit, au lieu de dormir, qu’il y songe et se retourne bien des fois. Si tu ne peux pas nous envoyer la grosse somme, envoie-nous ce que tu pourras.

« Adieu, mon cher fils ; les gens du village s’informent beaucoup de toi, et de quand tu reviendras ; les voisins te disent un grand bonjour ; pour moi, tu sais que je n’ai plus de joie depuis que tu es parti.

« Je termine en t’embrassant, et Peyral aussi. Ta vieille mère qui t’adore,

« FRANÇOISE PEYRAL »

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