Chaque soir, à Saint-Louis, c’était le train de vie monotone des petites villes coloniales. La belle saison ramenait un peu d’animation dans ces rues de nécropole ; après le coucher du soleil, quelques femmes que la fièvre avait épargnées promenaient des toilettes européennes sur la place du Gouvernement ou dans l’allée des palmiers jaunes de Guet-n’dar ; cela jetait une impression d’Europe dans ce pays d’exil.
Sur cette grande place du Gouvernement, bordée de symétriques constructions blanches, on eût pu se croire dans quelque ville européenne du Midi, à part cet immense horizon de sable, cette platitude infinie, qui dessinait au loin sa ligne implacable.
Les rares promeneurs se connaissaient et se dévisageaient entre eux. Jean regardait ce monde, et ce monde aussi le regardait. Ce beau spahi qui se promenait seul, avec un air si grave et si sévère, intriguait les gens de Saint-Louis, qui supposaient dans sa vie quelque aventure de roman.
Une femme surtout regardait Jean, une femme qui était plus élégante que les autres et plus jolie.
C’était une mulâtresse, disait-on, mais si blanche, si blanche, qu’on eût dit une Parisienne.
Blanche et pâle, d’une pâleur espagnole, avec des cheveux d’un blond roux, – le blond des mulâtres, – et de grands yeux cerclés de bleu, qui se fermaient à demi, qui tournaient lentement, avec une langueur créole.
C’était la femme d’un riche traitant du fleuve. Mais, à Saint-Louis, on la désignait par son prénom, comme une fille de couleur, on l’appelait dédaigneusement Cora.
Elle revenait de Paris, les autres femmes pouvaient le voir à ses toilettes. Jean, lui n’était pas encore capable de définir cela, mais il s’apercevait bien que ses robes traînantes, même lorsqu’elles étaient simples, avaient quelque chose de particulier, une grâce que les autres n’avaient pas.
Il voyait surtout qu’elle était très belle, et, comme elle l’enveloppait toujours de son regard, il éprouvait une espèce de frisson quand il la rencontrait.
– Elle t’aime, Peyral, avait déclaré le beau Muller, avec son air entendu d’homme à bonnes fortunes et de coureur d’aventures.