VI

Il y avait dans le sud de Saint-Louis de vieilles maisons de brique, d’un aspect arabe, qui s’éclairaient le soir et jetaient encore sur les sables des traînées de lumière rouge, aux heures où tout dormait dans la ville morte. Il sortait de là d’étranges odeurs de nègre et d’alcool, le tout mélangé et développé par la chaleur torride ; il en sortait aussi la nuit des bruits d’enfer. Là, les spahis régnaient en maîtres ; là, les pauvres guerriers en veste rouge allaient faire tapage et s’étourdir ; absorber, par besoin ou par bravade, d’invraisemblables quantités d’alcool, user comme à plaisir la puissante sève de leur vie.

L’ignoble prostitution mulâtre les attendait dans ces bouges, et il se passait là d’extravagantes bacchanales, enfiévrées par l’absinthe et par le climat d’Afrique.

Mais Jean évitait avec horreur ces lieux de plaisir. Il était très sage et mettait de côté ses petites épargnes de soldat, les réservant déjà pour l’instant bienheureux du retour.

Il était très sage, et cependant ses camarades ne le raillaient point.

Le beau Muller, grand garçon alsacien qui faisait école au quartier des spahis, en raison de son passé de duels et d’aventures, le beau Muller l’avait pris en haute estime, et tout le monde était toujours du même avis que Fritz Muller. Mais le véritable ami de Jean, c’était Nyaor-fall, le spahi noir, un géant africain de la magnifique race Fouta-Diallonké : singulière figure impassible, avec un fin profil arabe et un sourire mystique à demeure sur ses lèvres minces : une belle statue de marbre noir.

Celui-là était l’ami de Jean ; il l’emmenait chez lui, dans son logis indigène de Guet-n’dar ; il le faisait asseoir entre ses femmes sur une natte blanche et lui offrait l’hospitalité nègre le kousskouss et les gourous.

Share on Twitter Share on Facebook