Une petite négresse très comique, à laquelle Jean ne prenait pas garde, habitait la maison de Cora en qualité de captive. Cette petite fille était Fatou-gaye.
Elle avait été tout dernièrement amenée à Saint-Louis et vendue comme esclave par des Maures Douaïch, qui l’avaient capturée, dans une de leurs razzias, au pays des Khassonkés.
Sa haute malice et son indépendance farouche lui avaient fait assigner un emploi très effacé dans la domesticité de la maison. On la considérait comme une petite peste, bouche inutile et acquisition déplorable.
N’ayant pas encore tout à fait l’âge nubile auquel les négresses de Saint-Louis jugent convenable de se vêtir, elle allait généralement toute nue, avec un chapelet de grigris au cou, et quelques grains de verroterie autour des reins. Sa tête était rasée avec le plus grand soin, sauf cinq toutes petites mèches, cordées et gommées, cinq petites queues raides, plantées à intervalles réguliers depuis le front jusqu’au bas de la nuque. Chacune de ces mèches se terminait par une perle de corail, à part celle du milieu, qui supportait un objet plus précieux : c’était un sequin d’or fort ancien qui avait dû jadis arriver d’Algérie par caravane et dont les pérégrinations à travers le Soudan avaient été sans doute très longues et très compliquées.
Sans cette coiffure saugrenue, on eût été frappé de la régularité des traits de Fatou-gaye. Le type khassonké dans toute sa pureté : une fine petite figure grecque, avec une peau lisse et noire comme de l’onyx poli, des dents d’une blancheur éclatante, une extrême mobilité dans les yeux, deux larges prunelles de jais sans cesse en mouvement, roulant de droite et de gauche sur un fond d’une blancheur bleuâtre, entre deux paupières noires.
Quand Jean sortait de chez sa maîtresse, il rencontrait souvent cette petite créature.
Dès qu’elle l’apercevait, elle s’enroulait dans un pagne bleu – son vêtement de luxe, – et s’avançait en souriant ; avec cette petite voix grêle et flûtée des négresses, en prenant des intonations douces et câlines, en penchant la tête, en faisant des minauderies de ouistiti amoureux, elle disait
–May man coper, souma toubab (Donne-moi cuivre, mon blanc). Traduisez : « Donne-moi un sou, donne-moi cuivre, mon blanc. »
C’était le refrain de toutes les petites filles de Saint-Louis ; Jean y était habitué.
Quand il était de bonne humeur et qu’il avait un sou dans sa poche, il le donnait à Fatou-gaye.
Là n’était pas le singulier de l’aventure ; ce qui n’était pas ordinaire, c’est que Fatou-gaye, au lieu de s’acheter un morceau de sucre, comme les autres eussent pu le faire, allait se cacher dans un coin, et se mettait à coudre très soigneusement, dans les sachets de ses amulettes, les sous qui lui venaient du spahi.