Une nuit de février, Jean eut un soupçon.
Cora l’avait prié de se retirer à minuit, – et, au moment de partir, il avait cru entendre marcher dans une chambre voisine, comme s’il y eût là quelqu’un qui attendait
A minuit, il s’en alla, – et puis il revint à pas de loup, marchant sans bruit dans le sable. Il escalada un mur, un balcon, – et regarda dans la chambre de Cora, par la porte entrebâillée de la terrasse…
………………………
Quelqu’un avait pris sa place auprès de sa maîtresse : un tout jeune homme, en costume d’officier de marine. Il était là comme chez lui, à demi couché dans un fauteuil, avec un air d’aisance et de dédain
Elle était debout, et ils causaient…
D’abord, il semblait à Jean qu’ils parlaient une langue inconnue… C’étaient des mots français pourtant, mais il ne comprenait pas… Ces courtes phrases qu’il envoyaient du bout des lèvres lui faisaient l’effet d’énigmes moqueuses, n’ayant pas de sens à sa portée… Cora aussi n’était plus la même, son expression avait changé ; une espèce de sourire passait sur ses lèvres, – un sourire comme il se rappelait en avoir vu à une grande fille dans un mauvais lieu…
………………………
Et Jean tremblait… Il lui semblait que tout son sang descendait et refluait au cœur ; dans sa tête, il entendait un bourdonnement, comme le bruit de la mer ; ses yeux devenaient troubles…
Il avait honte d’être là ; il voulait rester pourtant, – et comprendre…
Il entendit son nom prononcé ; – on parlait de lui… Il se rapprocha, appuyé au mur, et saisit des mots plus distincts :
– Vous avez tort, Cora, disait le jeune homme d’une voix très tranquille, avec un sourire à souffleter. – D’abord il est très beau, ce garçon, – et puis il vous aime, lui…
– C’est vrai, mais j’en voulais deux. – Je vous ai choisi parce que vous vous appelez Jean comme lui ; – sans cela, j’aurais été capable de me tromper de nom en lui parlant : je suis très distraite…
………………………
Et puis elle s’approcha du nouveau Jean.
Elle avait changé encore de ton et de visage ; avec toutes les câlineries traînantes, grasseyantes de l’accent créole, elle lui dit tout bas des mots d’enfant, et lui tendit ses lèvres, encore chaudes des baisers du spahi…
………………………
Mais lui avait vu la figure pâle de Jean Peyral, qui les regardait par la porte entr’ouverte, et, pour toute réponse, il le montra de la main à Cora…
Le spahi était là, immobile, pétrifié, fixant sur eux ses grands yeux hagards…
Et, quand il se vit regardé à son tour, il recula simplement dans l’ombre… Brusquement, Cora s’était avancée vers lui, – avec une expression hideuse de bête qu’on a dérangée dans ses amours ; – cette femme lui faisait peur… Elle était presque à le toucher… Elle ferma sa porte avec un geste de rage, poussa un verrou derrière, – et tout fut dit…
La mulâtresse, petite-fille d’esclave, venait de reparaître là avec son cynisme atroce, sous la femme élégante aux manières douces ; elle n’avait eu ni remords, ni peur, ni pitié…
La femme de couleur et son amant entendirent comme le bruit d’un corps s’affaissant lourdement sur la terre, un grand bruit sinistre dans ce silence de la nuit ; – et puis, plus tard, vers le matin, un sanglot derrière cette porte, – et comme un frôlement de mains qui cherchent dans l’obscurité
Le spahi s’était relevé, et s’en allait à tâtons dans la nuit…
………………………