XV

Il vit alors que sa tête était abritée sous un tendelet d’étoffe bleue, que maintenaient une série de petits bâtons piqués dans le sable, – le tout projetant sur lui, avec des contours bizarres, une ombre nette et cendrée…

Il lui sembla que les dessins de ce pagne bleu lui étaient déjà connus. – Il tourna la tête, et aperçut derrière lui Fatou-gaye assise, roulant ses prunelles mobiles.

C’était elle qui l’avait suivi, et qui avait tendu sur lui son pagne de luxe.

Sans cet abri, certainement, il eût pris une insolation mortelle, à dormir sur ce sable…

C’était elle qui, depuis plusieurs heures, était là accroupie, en extase, – baisant tout doucement les paupières de Jean quand personne ne passait ; – craignant de l’éveiller, de le faire partir et de ne plus l’avoir pour elle toute seule ; – tremblant aussi, par instant, que Jean ne fût mort, – et heureuse, peut-être, s’il l’eût été ; – car, alors, elle l’aurait traîné loin, bien loin, et serait restée là tout le temps, jusqu’à mourir près de lui, – en le tenant bien, pour qu’on ne les séparait plus…

– C’est moi, dit-elle, mon blanc, j’ai fait cela parce que je connais que le soleil de Saint-Louis n’est pas bon pour les toubabs de France… – Je le savais bien, continua la petite créature, dans un jargon impayable, avec un sérieux tragique, – qu’il y avait un autre toubab qui venait la voir… Je ne m’étais pas couchée cette nuit pour entendre. J’étais cachée dans l’escalier sous les calebasses. Quand tu es tombé à la porte, je t’ai vu. – Tout le temps je t’ai gardé. – Et puis, quand tu es levé, je t’ai suivi…

Jean leva sur elles ses grands yeux étonnés, pleins de douceur et de reconnaissance. – Il était touché jusqu’au fond du cœur.

– Ne le dis pas, petite… Rentre vite à présent, et ne le dit pas, que je suis venu me coucher sur la plage. – Retourne chez ta maîtresse tout de suite, petite Fatou ; moi aussi, je vais m’en retourner dans la maison des spahis…

Et il la caressait, la flattait tout doucement de la main, – absolument comme s’il prenait pour gratter la nuque du gros matou câlin qui, à la caserne, venait la nuit se pelotonner sur son lit de soldat…

Elle, frissonnant sous la caresse innocent de Jean, la tête baissée, les yeux à demi fermés, la gorge pâmée, ramassa son pagne de luxe, le plia avec soin, et s’en alla toute tremblante de plaisir.

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