XXVI

Jean, se traînant sous les tamaris au feuillage grêle, chercha un endroit où sa tête fût à l’ombre, et s’y installa pour mourir.

Il avait soif, une soif ardente, et de petits mouvements convulsifs commençaient à agiter sa gorge.

Souvent il avait vu mourir de ses camarades d’Afrique, et il connaissait ce signe lugubre de la fin, que le peuple appelle le hoquet de la mort.

Le sang coulait de son côté, et le sable aride buvait ce sang comme une rosée.

Pourtant il souffrait moins : à part cette soif, toujours qui le brûlait, il ne souffrait presque plus.

Il avait des visions étranges, le pauvre spahi : la chaîne des Cévennes, les sites familiers d’autrefois, et sa chaumière dans la montagne.

C’étaient surtout des paysages ombreux qu’il voyait là, beaucoup d’ombre, de mousses, de fraîcheurs et d’eaux vives, – et sa chère vieille mère qui le prenait doucement, pour le ramener par la main, comme dans son enfance.

Oh !… une caresse de sa mère !… oh ! sa mère, là, caressant son front dans ses pauvres vieilles mains tremblantes, et mettant de l’eau fraîche sur sa tête qui brûlait

Eh ! quoi, plus jamais une caresse de sa mère, plus jamais entendre sa voix !… Jamais, jamais plus !… C’était la fin de toutes choses ?… Seul, tout seul, mourir là, au soleil, dans ce désert ! Et il se soulevait à demi, ne voulant pas mourir.

………………………

– Tjean ! entre dans la ronde !

Devant lui, comme une rafale tournante, comme un vent furieux d’orage, une ronde de fantômes passa.

Du frôlement de ce tourbillon contre les graviers brûlants, des étincelles jaillissaient.

Et les danseurs diaphanes, montant en spirales rapides comme une fumée balayée par le vent, se perdirent tout en haut, dans l’embrasement de l’éther bleu.

Et Jean eut la sensation de les suivre, la sensation d’être enlevé par des ailes terribles, et il pensa que c’était la minute suprême de la mort.

Mais ce n’était qu’une crispation de ses muscles un grand spasme horrible de la douleur.

Un jet de sang rose sortit de sa bouche, une voix dit encore, en sifflant contre sa tempe :

– Tjean ! entre dans la ronde !

Et, plus calme, souffrant moins, il s’affaissa de nouveau sur son lit de sable.

………………………

Des souvenirs de son enfance revivaient maintenant en foule dans sa tête, avec une netteté étrange.

Il entendait une vieille chanson du pays, avec laquelle jadis sa mère l’endormait, tout petit enfant dans son berceau ; et puis, tout à coup, la cloche de son village sonnait bruyamment, au milieu du désert, l’Angelus du soir.

Alors, des larmes coulèrent sur ses joues bronzées ; ses prières d’autrefois lui revinrent à la mémoire, et lui, le pauvre soldat, se mit à prier avec une ferveur d’enfant ; il prit dans ses mains une médaille de la Vierge, attachée à son cou par sa mère ; il eut la force de la porter à ses lèvres, et l’embrassa avec un immense amour. Il pria de toute son âme cette Vierge des douleurs, que priait chaque soir pour lui sa mère naïve ; il était tout illuminé des illusions radieuses de ceux qui vont mourir, – et, tout haut, dans le silence écrasant de cette solitude, sa voix qui s’éteignait répétait ces mots éternels de la mort : « Au revoir, au revoir dans le ciel ! »

………………………

Il était alors près de midi. Jean souffrait de moins en moins ; le désert, sous l’intense lumière tropicale, lui apparaissait comme un grand brasier de feu blanc, dont la chaleur ne le brûlait même plus.

Pourtant sa poitrine se dilatait comme pour aspirer plus d’air, sa bouche s’ouvrait comme pour demander de l’eau.

………………………

Et puis la mâchoire inférieure tomba tout à fait, la bouche s’ouvrit toute grande pour la dernière fois, et Jean mourut assez doucement, dans un éblouissement de soleil.

………………………

Share on Twitter Share on Facebook