XCIII

Sur ce Primauguet, mon cher Yves était sans reproche, comme il nous l’avait promis. Les officiers le traitaient avec des égards un peu particuliers à cause de sa tenue, de sa manière d’être, qui n’étaient déjà plus celles de tous les autres. Et il restait, malgré tout, au premier rang de cette rude bande dont le maître d’équipage disait avec orgueil :

« Ça, c’est moitié requin ; ça n’a pas peur. »

Il avait repris son habitude d’autrefois d’arriver le soir, à petits pas de chat, dans ma chambre, aux heures où je la lui abandonnais. Il s’installait à lire mes livres ou mes papiers, sachant bien qu’il avait permission de tout regarder ; il apprenait à comprendre les cartes marines, s’amusait à y marquer des points et à y mesurer des distances. Très souvent, il écrivait à sa femme, et il arrivait que ses petites lettres, interrompues par la manœuvre, restaient à courir parmi les miennes. J’en trouvai une un jour qui était destinée sans doute à partir sous double enveloppe, et sur laquelle il avait mis cette adresse drôle :

À Madame Marie Kermadec,

Chez ses parents, à Trémeulé en Toulven, pays de Bretagne,

commune des loups, paroisse des écureuils, à droite,

sous le plus gros chêne.

On avait peine à se représenter ce grand Yves écrivant de ces choses de petit enfant.

C’était sa première longue absence depuis son mariage. De loin, il se mettait à songer beaucoup à cette jeune femme qui avait déjà tant souffert par lui, et qui l’avait tant aimé ; maintenant elle lui apparaissait, au fond de ce lointain, sous un aspect nouveau.

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