XCVII

Décembre 1882.

… Je passais sur les quais de Bordeaux. Quelqu’un de fort bien mis vint à moi, le chapeau bas et la main tendue : Barrada ! – Barrada transformé, ayant coupé sa barbe noire, et quitté ses trente et un ans, sans doute en même temps que ses cols bleus ; les joues soigneusement rasées, la moustache naissante, l’air d’un jeune amoureux de vingt ans.

Toujours aussi parfaitement beau et noble de lignes mais la figure meilleure et plus douce, comme éclaircie par une joie profonde.

Il venait d’épouser enfin sa petite fiancée d’Espagne ; l’or de sa ceinture avait monté leur ménage, et il s’était fait arrimeur de navires, un métier très lucratif, paraît-il, où il utilisait à merveille sa grande force et son instinct du débrouillage. Il fallut lui promettre par serment qu’au retour du Primauguet, je passerais par Bordeaux avec Yves pour venir le voir.

Il était heureux, celui-là !

Et la fin de ce rouleur de mer me donnait à réfléchir. Je me demandais si mon pauvre Yves, qui, avec un cœur aussi bon, avait assurément beaucoup moins forfait aux lois honnêtes, ne pouvait pas, lui aussi, finir un jour par un peu de bonheur…

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