XCVIII

Télégramme. – « Toulon, 3 avril 1883. – À Yves Kermadec, à bord du Primauguet. – Brest.

» Tu es nommé second-maître.

» Je t’embrasse,

» Pierre. »

C’était sa joyeuse bienvenue, sa fête d’arrivée ; car, depuis vingt-quatre heures seulement, le Primauguet, revenu de sa promenade lointaine dans le Grand-Océan, avait mouillé dans les eaux de France.

Et ces galons d’or que j’envoyais à Yves par le télégraphe, il ne les arrosa pas, comme il avait fait jadis de ses galons de laine. – Non, les temps étaient changés ; il se sauva dans le faux-pont, dans un coin où se trouvaient son sac et son armoire et qu’il considérait comme son chez lui ; vite, il descendit là, pour être tout seul à envisager cette joie qui lui arrivait, à relire ce bienheureux petit papier bleu qui lui ouvrait toute une ère nouvelle.

C’était si beau, si inattendu, après sa mauvaise conduite passée !

J’avais été à Paris demander cette faveur, intriguer beaucoup pour mon frère d’adoption, en me portant garant de sa conduite à venir. Une femme de cœur avait bien voulu employer à ma cause son influence très puissante, et alors la promotion d’Yves avait été enlevée d’assaut, bien qu’elle fût difficile.

Et Yves n’en finissait plus de regarder son bonheur sous toutes ses faces… D’abord, au lieu d’avoir à demander une permission courte, qu’on lui eût peut-être beaucoup marchandée, – avec ses galons d’or il allait partir de droit pour Toulven ; on allait l’envoyer en disponibilité pendant trois mois au moins, quatre peut-être ; il aurait tout l’été à passer là, avec sa femme et son fils, dans la petite maison qui était finie et où on l’attendait justement pour tout installer… Et puis ils allaient se trouver très riches, ce qui ne gâterait rien…

Non, jamais dans sa vie de pauvre errant, toujours à la peine, – jamais il n’avait eu une heure si belle, une joie si profonde que celle que son frère Pierre venait de lui envoyer par le télégraphe…

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