XLIX

Le soir, après souper, nous fîmes une promenade beaucoup plus calme que celle du jour, Anne, Yves et moi.

Et, à neuf heures, nous étions assis au bord d’un grand chemin qui traversait les bois.

Ce n’était pas encore la nuit, tant sont longues en Bretagne les soirées du beau mois de juin ; mais nous commencions tout de même à causer des fantômes et des morts.

Anne disait :

« L’hiver, quand les loups viennent, nous les entendons de chez nous ; mais quelquefois les revenants aussi, monsieur, se mettent à crier comme eux. »

Ce soir-là, on entendait seulement passer les hannetons et les cerfs-volants qui traversaient l’air tiède en décrivant des courbes, avec de petits bourdonnements d’été. Et puis, dans le lointain du bois : hou !… Hou !… Un appel triste, chanté tout doucement d’une voix de hibou.

Et Yves disait :

« Écoutez, frère, les perruches de France qui chantent » (c’était un souvenir de sa perruche de la Sibylle).

Les graminées légères, avec leurs fleurs de poussière grise, étendaient sur la terre une couche très haute, à peine palpable, où on enfonçait ; et les dernières phalènes, qui avaient fini de courir, plongeaient les unes après les autres dans ces épaisseurs d’herbes, pour prendre leur poste de sommeil le long des tiges.

Et l’obscurité venait, lente et calme, avec un air de mystère.

… Passa un jeune gars breton qui portait un bissac sur l’épaule, et s’en revenait gris du pardon de Lannildu, la plume de paon au chapeau. (Je ne sais pas bien ce que vient faire ceci dans l’histoire d’Yves : je raconte au hasard des choses qui sont restées dans ma mémoire). Il s’arrêta pour nous faire un discours. Après quoi, en manière de péroraison, et montrant son bissac :

« Tenez, dit-il, j’ai deux chats là-dedans. » (Cela n’avait aucun rapport avec ce qu’il venait de nous dire).

Il posa son fardeau par terre et jeta son grand chapeau dessus. Alors ce bissac se mit à jurer, avec de grosses voix de matous en colère, et à circuler par soubresauts sur le chemin.

Quand nous fûmes bien convaincus que c’étaient des chats, il remit le tout sur son épaule, salua, et continua sa route.

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