CHAPITRE IV

Rosine aussi vivait alors loin de moi. Vous apprendrez sans doute avec quelque intérêt, ma chère Marie, qu'à l'âge de quinze ans elle était encore le plus aimable des animaux, et que la même supériorité d'intelligence qui la distinguait jadis de toute son espèce lui servit également à supporter le poids de la vieillesse. J'aurais désiré ne m'en point séparer ; mais lorsqu'il s'agit du sort de ses amis, ne doit-on consulter que son plaisir ou son intérêt ? L'intérêt de Rosine était de quitter la vie ambulante qu'elle menait avec moi, et de goûter enfin dans ses vieux jours un repos que son maître n'espérait plus. Son grand âge m'obligeait à la faire porter. Je crus devoir lui accorder ses invalides. Une religieuse bienfaisante se chargea de la soigner le reste de ses jours ; et je sais que dans cette retraite elle a joui de tous les avantages que ses bonnes qualités, son âge et sa réputation lui avaient si justement mérités.

Et puisque telle est la nature des hommes que le bonheur semble n'être pas fait pour eux, puisque l'ami offense son ami sans le vouloir, et que les amants eux-mêmes ne peuvent vivre sans se quereller ; enfin, puisque, depuis Lycurgue jusqu'à nos jours, tous les législateurs ont échoué dans leurs efforts pour rendre les hommes heureux, j'aurai du moins la consolation d'avoir fait le bonheur d'un chien.

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