CHAPITRE X

Tel fut le sort de ma colombe artificielle. Tandis que le génie de la mécanique la destinait à suivre l'aigle dans les cieux, le destin lui donna les inclinaisons d'une taupe.

Je me promenais tristement et découragé, comme on l'est toujours après une grande espérance déçue, lorsque, levant les yeux, j'aperçus un vol de grues qui passait sur ma tête. Je m'arrêtai pour les examiner. Elles s'avançaient en ordre triangulaire, comme la colonne anglaise à la bataille de Fontenoy. Je les voyais traverser le ciel de nuage en nuage.

« Ah ! quelles volent bien, disais-je tout bas ; avec quelle assurance elles semblent glisser sur l'invisible sentier qu'elles parcourent ! »

L'avouerai-je ? hélas ! qu'on me le pardonne ! l'horrible sentiment de l'envie est une fois, une seule fois entré dans mon cœur, et c'était pour des grues. Je les poursuivais de mes regards jaloux jusqu'aux bornes de l'horizon. Longtemps immobile au milieu de la foule qui se promenait, j'observais le mouvement rapide des hirondelles, et je m'étonnais de les voir suspendues dans les airs, comme si je n'avais jamais vu ce phénomène. Le sentiment d'une admiration profonde, inconnue pour moi jusqu'alors, éclairait mon âme. Je croyais voir la nature pour la première fois. J'entendais avec surprise le bourdonnement des mouches, le chant des oiseaux, et ce bruit mystérieux et confus de la création vivante qui célèbre involontairement son auteur. Concert ineffable, auquel l'homme seul a le privilège sublime de pouvoir joindre des accents de reconnaissance !

« Quel est l'auteur de ce brillant mécanisme ? m'écriais-je dans le transport qui m'animait. Quel est celui qui, ouvrant sa main créatrice, laissa échapper la première hirondelle dans les airs ? – celui qui donna l'ordre à ces arbres de sortir de la terre et d'élever leurs rameaux vers le ciel ? – Et toi, qui t'avances majestueusement sous leur ombre, créature ravissante, dont les traits commandent le respect et l'amour, qui t'a placée sur la surface de la terre pour l'embellir ? Quelle est la pensée qui dessina tes formes divines, qui fut assez puissante pour créer le regard et le sourire de l'innocente beauté ! … Et moi-même, qui sens palpiter mon cœur… quel est le but de mon existence ? – Que suis-je, et d'où viens-je, moi l'auteur de la colombe artificielle centripète ?… »

A peine eus-je prononcé ce mot barbare que, revenant tout coup à moi comme un homme endormi sur lequel on jetterait un seau d'eau, je m'aperçus que plusieurs personnes m'avaient entouré pour m'examiner, tandis que mon enthousiasme me faisait parler seul. Je vis alors la belle Georgine qui me devançait de quelques pas. La moitié de sa joue gauche, chargée de rouge, que j'entrevoyais à travers les boucles de sa perruque blonde, acheva de me remettre au courant des affaires de ce monde, dont je venais de faire une petite absence.

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