CHAPITRE IX

Je le laissai sortir sans vouloir approfondir jusqu'à quel point son observation était fondée, et je m'assis à mon bureau pour prendre note de ces événements, comme je fais toujours ; mais à peine eus-je ouvert un tiroir dans lequel j'espérais trouver du papier, que je le refermai brusquement, troublé par un des sentiments les plus désagréables que l'on puisse éprouver, celui de l'amour-propre humilié. L'espèce de surprise dont je fus saisi dans cette occasion ressemble à celle qu'éprouve un voyageur altéré lorsque, approchant ses lèvres d'une fontaine limpide, il aperçoit au fond de l'eau une grenouille qui le regarde. Ce n'était cependant autre chose que les ressorts et la carcasse d'une colombe artificielle qu'à l'exemple d'Archytas je m'étais proposé jadis de faire voler dans les airs. J'avais travaillé sans relâche a sa construction pendant plus de trois mois. Le jour de l'essai venu, je la plaçai sur le bord d'une table, après avoir soigneusement fermé la porte, afin de tenir la découverte secrète et de causer une aimable surprise à mes amis. Un fil tenait le mécanisme immobile. Qui pourrait imaginer les palpitations de mon cœur et les angoisses de mon amour-propre lorsque j'approchai les ciseaux pour couper le lien fatal ? … Zest ! … le ressort de la colombe part et se développe avec bruit. Je lève les yeux pour la voir passer ; mais, après avoir fait quelques tours sur elle-même, elle tombe et va se cacher sous la table. Rosine, qui dormait là, s'éloigna tristement. Rosine, qui ne vit jamais ni poulet, ni pigeon, ni le plus petit oiseau sans les attaquer et les poursuivre, ne daigna pas même regarder ma colombe qui se débattait sur le plancher… Ce fut le coup de grâce pour mon amour-propre. J'allai prendre l'air sur les remparts.

Share on Twitter Share on Facebook