On effraie les Français de la restitution des biens nationaux ; on accuse le Roi de n’avoir osé toucher, dans sa déclaration, à cet article délicat. On pourrait dire à une très-grande partie de la nation : Que vous importe ? et ce ne seroit peut-être pas tant mal répondre. Mais, pour n’avoir pas l’air d’éviter les difficultés, il vaut mieux observer que, l’intérêt visible de la France en général, à l’égard des biens nationaux, et même l’intérêt bien entendu des acquéreurs, de ces biens, en particulier, s’accorde avec le rétablissement de la monarchie. Le brigandage exercé à l’égard de ces biens frappe la conscience la plus insensible. Personne ne croit à la légitimité de ces acquisitions ; et celui même qui déclame le plus éloquemment sur ce sujet, dans le sens de la législation actuelle, s’empresse de revendre pour assurer son gain. On n’ose pas jouir pleinement ; et plus les esprits se refroidiront, moins on osera dépenser sur ces fonds, Les bâtimens dépériront, et l’on n’osera de long-temps en élever de nouveaux : les avarices seront foibles ; le capital de la France dépérira considérablement. Il y a déjà beaucoup de mal dans ce genre, et ceux qui ont pu réfléchir sur les abus des décrets, doivent comprendre ce que c’est qu’un décret jeté sur le tiers peut-être du plus puissant royaume de l’Europe.
Très-souvent, dans le sein du corps législatif, on a tracé des tableaux frappans de l’état déplorable de ces biens. Le mal ira toujours en augmentant, jusqu’à ce que la conscience publique n’ait plus de doute sur la solidité de ces acquisitions ; mais quel œil peut apercevoir cette époque ?
À ne considérer que les possesseurs, le premier danger pour eux vient du gouvernement. Qu’on ne s’y trompe pas, il ne lui est point égal de prendre ici ou là : le plus injuste qu’on puisse imaginer, ne demandera pas mieux que de remplir ses coffres en se faisant le moins d’ennemis possible. Or, on sait à quelles conditions les acheteurs ont acquis : on sait de quelles manœuvres infâmes, de quel agio scandaleux ces biens ont été l’objet. Le vice primitif et continué de l’acquisition est indélébile à tous les yeux ; ainsi le gouvernement français ne peut ignorer qu’en pressurant ces acquéreurs, il aura l’opinion publique pour lui, et qu’il ne sera injuste que pour eux ; d’ailleurs, dans les gouvernemens populaires, même légitimes, l’injustice n’a point de pudeur ; on peut juger de ce qu’elle sera en France, où le gouvernement, variable comme les personnes, et manquant d’identité, ne croit jamais revenir sur son propre ouvrage en renversant ce qui est fait.
Il tombera donc sur les biens nationaux dès qu’il le pourra. Fort de la conscience, et (ce qu’il ne faut pas oublier) de la jalousie de tous ceux qui n’en possèdent pas, il tourmentera les possesseurs, ou par de nouvelles ventes modifiées d’une certaine manière, ou par des appels généraux en supplément de prix, ou par des impôts extraordinaires ; en un mot, ils ne seront jamais tranquilles.
Mais tout est stable sous un gouvernement stable ; en sorte qu’il importe même aux acquéreurs des biens nationaux que la monarchie soit rétablie, pour savoir à quoi s’en tenir. C’est bien mal-à-propos qu’on a reproché au Roi de n’avoir pas parlé clair sur ce point dans sa déclaration : il ne pouvoit le faire sans une extrême imprudence. Une loi sur ce point, ne sera peut-être pas, quand il en sera temps, le tour de force de la législation.
Mais il faut se rappeler ici ce que j’ai dit dans le chapitre précédent ; les convenances de telle ou telle classe d’individus n’arrêteront point la contre-révolution. Tout ce que je prétends prouver, c’est qu’il leur importe que le petit nombre d’hommes qui peut influer sur ce grand événement, n’attende pas que les abus accumulés de l’anarchie le rendent inévitable, et l’amènent brusquement ; car plus le Roi sera nécessaire, et plus le sort de tous ceux qui ont gagné à la révolution doit être dur.