I L’EMPRISE DE LA CUIRASSE

Ainsi que je l’ai dit dans l’Introduction (chapitre III), nous possédons actuellement deux romans qui appartiennent au cycle de Pétoubastis. Le premier des deux, celui que j’ai appelé l’Emprise de la Cuirasse, est conservé dans un des manuscrits de l’Archiduc Régnier ; les fragments en étaient perdus dans une masse de débris achetés par les agents de M. Graf à Diméh, au Fayoum, vers la pointe nord-est du Birket-Kéroun. Parmi les mille documents originaires de cette localité et qui couvrent un espace d’environ trois cents ans, du IIe siècle avant au IIe siècle après J.-C., quarante-quatre morceaux de taille différente étaient épars, appartenant à un même papyrus démotique. Krall y devina du premier coup les éléments d’une composition littéraire, d’un roman historique selon les apparences, et ce lui fut un motif pressant de les étudier, toute affaire cessante. Plusieurs d’entre eux demeurèrent rebelles à la classification, mais la plupart finirent par s’assembler en trois grandes pièces, dont la première mesurait 1 m. 88 de longueur, la seconde 0 m. 79 et la troisième 0 m. 66 sur 0 m. 28 de hauteur. La première de ces pièces, qui est composée de huit morceaux, contenait les restes de huit colonnes de 32, 33, 34, 36 et 38 lignes chacune ; la seconde et la troisième comprenaient cinq et quatre colonnes plus ou moins mutilées. Les vingt-trois fragments plus petits semblaient se ranger dans cinq colonnes diverses, si bien que le volume entier devait consister à l’origine de vingt-deux colonnes au moins, comportant plus de sept cents lignes et se déployant sur une longueur d’environ six mètres. Aucun des contes connus jusqu’alors n’atteignait des dimensions pareilles, et pourtant l’œuvre demeurait incomplète : nous en possédions la seconde moitié sans lacunes trop fortes, mais une portion notable du début manquait encore. Krall, arrivé à ce point, crut que le moment était venu d’annoncer sa découverte. Il le fit à Genève, au mois de septembre 1894, dans une séance du Congrès des Orientalistes, mais trois années s’écoulèrent avant qu’un mémoire imprimé vint confirmer les espérances que sa communication verbale avait soulevées. Il le publia sous le titre de :

Ein neuer historischer Roman in Demotischer Schrift, von Jakob Krall, dans les Mitteilungen aus der Sammlung der Papyrus Erzherzog Rainer, 1897, in-4°, t. VI, p. 19-80 (avec un tirage à part de 62 pages).

Ce n’était à proprement parler qu’une analyse détaillée du texte, accompagnée de notes nombreuses où étaient reproduites les phrases qui présentaient des difficultés d’interprétation. Tel qu’il était, ce premier mémoire suffisait à nous montrer l’originalité de l’œuvre. C’était une vraie chanson de geste, la Geste de l’émou le petit, qui nous offrait une peinture vivante des mœurs de la féodalité égyptienne aux temps des invasions assyriennes, et les principaux points en furent discutés par :

G. Maspero, Un Nouveau Conte égyptien, dans le Journal des Savants, 1898, p. 649-659 et 717-731.

Cependant, en triant les fragments moindres de la collection de l’Archiduc, Krall y avait découvert beaucoup d’autres menues pièces qui avaient été détachées du manuscrit original, et qui finirent par porter à quatre-vingt-deux le nombre des petits fragments. Il se décida donc à publier les grands fragments.

J. Krall, Demotische Lesestücke, 2e partie. 1903, pl. 10-22, puis à donner une traduction, provisoire sur certains points, mais complète, de tous les fragments grands et petits.

J. Krall, Der demotische Roman aus der Zeit des Königs Petubastis, dans la Wiener Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes, 1902, in-8°, t. XVII, (tirage à part de 36 pages in-8°).

La découverte des petits morceaux n’a pas modifié sensiblement la première restauration que Krall avait donnée de l’ensemble du roman. L’ordre des trois grands fragments avait été rétabli exactement, mais les menues pièces ont dû être réparties entre neuf colonnes au lieu de cinq, et un assez grand nombre d’entre elles proviennent des premières pages ; beaucoup même sont inédites. Ce texte de Krall, le seul que nous ayons à notre disposition, a fourni à M. Révillout la matière d’une leçon d’ouverture et d’une traduction à demi publiée seulement :

E. Révillout, Le Roi Petibastît II et le roman qui porte son nom, dans la Revue Égyptologique, 1900, t. XI, p. 115-173, et 1908, t. XII, p. 8-59.

On en trouvera la transcription en caractères romains etla traduction allemande dans :

W. Spiegelberg, der Sagenkreis des Kônigs Petubastis, in-4°, Leipzig, 1910, p. 43-75.

La traduction que je donne a été faite d’après le texte même pour les parties publiées, d’après la seconde traduction de Krall pour les parties qui sont inédites. La langue de l’auteur est simple, claire, très semblable à celle du premier roman de Satni-Khâmoîs, et formée de phrases courtes en général : c’est un bon ouvrage à mettre entre les mains des débutants. On y distingue un certain mouvement et une certaine chaleur de style, une entente notable de la description et une habileté assez grande à dépeindre le caractère des héros principaux en quelques traits. Le début manque, mais on peut en reconstituer la donnée sans trop de peine. Au temps où le Pharaon Pétoubastis régnait à Tanis, le pays entier était partagé entre deux factions rivales, dont l’une avait pour chef le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes, peut-être ici la Thèbes du Delta, aujourd’hui Ibchân, avec laquelle l’auteur confond volontairement ou non la Tèbes du Saîd, et dont l’autre obéissait au roi-prêtre d’Héliopolis Ierharerôou-Inarôs, ainsi qu’à son allié Pakrourou, prince de Pisapdi, le grand chef de l’Est. Le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes n’était soutenu que par quatre nomes au centre du Delta, mais les quatre nomes les plus pesants, ainsi que le texte le dit, ceux de Tanis, de Mendès, de Taihaît, de Sébennytos ; Inarôs au contraire avait réussi à établir ses enfants ou ses parents dans la plupart des autres nomes, et de plus il possédait une sorte de talisman, une cuirasse à laquelle il tenait beaucoup, peut-être une de ces cuirasses de fer ou d’airain qui jouent un rôle dans la légende saïte et memphite de la Dodécarchie (Hérodote, II, CLII). Lorsqu’il mourut, le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes profita du trouble que le deuil avait jeté parmi les Héliopolitains pour s’emparer de la cuirasse et pour la déposer dans une de ses forteresses. Dès que le prince Pémou, l’héritier d’Inarôs, l’apprit, il dépêcha un messager au voleur pour le sommer de lui restituer le talisman. Le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes refusa, et c’est sur la scène du refus que la partie conservée du roman commence.

J’ai suivi le texte d’aussi près qu’il m’a été possible le faire dans l’état de mutilation où le manuscrit nous est parvenu : quand la restitution des mots ou des membres de phrase perdus venait naturelle, je n’ai pas hésité à l’accepter, mais très souvent, lorsque les lacunes étaient fortes, j’ai résumé en deux ou trois phrases la matière de plusieurs lignes. C’est donc moins une traduction littérale qu’une adaptation, et le lecteur trouvera dans bien des endroits le sens général plutôt que la lettre même du récit égyptien : je n’ai pu faire davantage pour le moment.

*

* *

« Je ne suis pas le premier qui vient à lui à ce sujet. C’est lui qui l’a emportée dans la forteresse de Zaouîphrê, sa ville, tout d’abord, après qu’il eût pris l’armure de leurs mains et qu’il l’eût transportée hors, de leurs maisons sans que nulle personne au monde s’en a aperçût. Il l’a donc prise en sa propre ville, que je lui ai donnée dans le district, près du surintendant des troupeaux de Sakhmi ». Toutes les paroles que son jeune serviteur avait dites devant lui, il les répéta devant Pharaon, et il employa deux jours à les raconter devant Pétoubastis, sans que parole au monde y manquât. Pémou lui dit : « Malheur du cœur soit pour Zaouîphrê ! Cette cuirasse ne l’as-tu pas emportée chez toi ? N’as-tu pas allongé la main vers la cuirasse du prince Inarôs, afin de l’emporter à Zaouiphrê, ta ville, et ne l’y as-tu pas cachée afin de ne plus la remettre en sa place première ? « As-tu pas agi de la sorte à cause de ta confiance en ta force, ou bien à cause que ta famille est versée dans la leçon du soldat ? » Le grand seigneur d’Amon dans Thèbes lui dit : « Par Horus ! Je ne te rendrai pas la cuirasse sans combat. Ma famille ne connaît-elle pas la leçon du soldat ? » Ils s’éloignèrent pour préparer la guerre, chacun de son côté, puis Pémou le petit s’embarqua sur son yacht et, ayant navigué sur le fleuve pendant la nuit, il arriva à Tanis afin de notifier au roi ce que le Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes avait fait.

Pharaon Pétoubastis les fit mander devant lui, le prince de l’Est, Pakrour, et Pémou le petit, disant : « Qu’ils se prosternent sur le ventre en notre présence, et qu’ils se traînent ainsi devant nous ». Les sergents et les huissiers et les maîtres des cérémonies dirent : « Qu’ils viennent au pavillon d’audience » Le prince de l’Est, Pakrour, dit : « Est-ce bien beau ce qu’a fait le grand seigneur d’Amon de Thèbes de couvrir d’injures le prince Inarôs, tandis que celui-ci avait la face tournée vers ses serviteurs ? » Après que Pharaon eût entendu sa voix, Pharaon dit : « Chefs de l’Est, Pakrour et Pémou le petit, ne vous troublez pas en vos cœurs, à cause des paroles qu’il a proférées. Par la vie d’Amonrâ, le seigneur de Diospolis, le roi des dieux, le grand dieu de Tanis, je te le répète, je ferai donner au prince Inarôs une sépulture grande et belle ». L’instant que Pémou entendit ces paroles, il dit : « Pharaon, mon grand maître, les paroles que tu as prononcées sont comme du baume pour les gens de Mendès, qui échapperaient à ma vengeance ! Par Atoumou, le maître d’Héliopolis, par Râ-Horus Khoproui-Marouîti, le dieu grand, mon dieu, qu’il rassemble les hommes d’Égypte qui dépendent de lui, et je lui rendrai le coup qu’il m’a porté ! » Pharaon dit : « Mon fils Pémou, ne quitte pas les voies de la sagesse, si bien que des désastres se produisent de mon temps en Égypte ! » Pénien inclina la tête et sa face s’attrista. Le roi dit : « Ô scribe, que l’on envoie des messagers dans tous les nomes de l’Égypte, depuis Éléphantine jusqu’à Souânou, afin de dire aux princes des nomes : « Amenez votre lecteur, et vos taricheutes de la maison divine, vos bandelettes funéraires, vos parfums à la ville de Busiris-Mendès, afin que l’on fasse ce qui est prescrit pour Hapis, pour Mnévis, pour Pharaon le roi des dieux, célébrant tous les rites en l’honneur du prince Inarôs, selon ce que Sa Majesté a commandé. » Et, quand les temps furent accomplis, les pays du Sud s’empressèrent, les pays du Nord se hâtèrent, l’Ouest et l’Est accoururent, et tous ils se rendirent à Busiris-Mendès. Alors le grand chef de l’Est, Pakrour, dit : « Mon fils Pémou, vois les gens des nomes de l’Est, qu’ils préparent leurs bandelettes funéraires, leurs parfums, leurs taricheutes de la maison divine, leurs chefs-magiciens et leurs aides qui viennent au laboratoire ; qu’ils se rendent à Busiris, qu’ils introduisent le corps du défunt roi Inarôs dans la salle de l’embaumement, qu’ils l’embaument et l’ensevelissent de l’ensevelissement le plus considérable et le plus beau, tel que celui qu’on fait pour Hapis et pour Pharaon le roi des dieux ! Qu’on le traite ainsi, puis qu’on le dépose dans sa tombe sur le parvis de Busiris-Mendès ! » Après quoi, Pharaon renvoya l’ost d’Égypte dans ses nomes et dans ses villes.

Alors Pémou dit au grand prince de l’Est, Pakrour :

« Mon père, puis-je donc retourner à Héliopolis, mon nome, et y célébrer une fête, tandis que la cuirasse de mon père Inarôs reste dans l’île de Mendès, à Zaouîphré ? » Le grand prince de l’Est, Pakrour, dit : « Ce furent de grandes paroles, ô Soupdîti, dieu de l’Est, les tiennes quand tu dis : « Tu vas contre la volonté de mon prophète Inarôs, si tu peux rentrer à Héliopolis sans que nous y rapportions la cuirasse avec nous ». Les deux seigneurs s’embarquèrent sur un yacht, ils voyagèrent jusqu’à ce qu’ils arrivassent à Tanis, ils coururent au pavillon d’audience devant le roi. L’heure que le roi aperçut les princes de l’Est, Pakrour et Pémou, et leur ost, son cœur en fut troublé, et il leur dit : « Qu’est-ce là, mes seigneurs ? Ne vous ai-je donc pas envoyés vers vos nomes, vers vos cités et vers vos nobles hommes, pour qu’ils célébrassent en l’honneur de mon prophète Inarôs des funérailles grandes et belles ? Qu’est-ce donc que cette conduite fâcheuse de votre part ? » Le grand chef de l’Est, Pakrour dit : « Mon seigneur grand, pouvons-nous donc retourner à Héliopolis sans rapporter avec nous, dans nos nomes et dans nos cités, la cuirasse du prince Inarôs, ce qui est une honte pour nous dans toute l’Égypte ? Pouvons-nous célébrer pour lui les fêtes des funérailles tant que sa cuirasse est dans la forteresse de Zaouîphré, et que nous ne l’avons pas rapportée à sa place première dans Héliopolis ? » Pharaon dit : « Ô scribe, porte le message de mon ordre à la forteresse de Zaouîphré, au grand seigneur d’Amon dans Thèbes, disant : « Ne tarde pas de venir à Tanis pour certaine chose que je désire que tu fasses ? » Le scribe ferma la lettre, il la scella, il la remit aux mains d’un homme de couleur. Celui-ci ne tarda pas d’aller à Zaouîphré ; il mit la dépêche aux mains du grand seigneur d’Amon dans Thèbes, qui la lut et qui ne tarda pas de se rendre à Tanis, à l’endroit où Pharaon était. Pharaon dit : « Grand seigneur d’Amon dans Thèbes, vois, la cuirasse de l’Osiris, le roi Inarôs, qu’elle soit renvoyée à sa place première, qu’elle soit rapportée à Héliopolis, dans la maison de Pémou, aux lieux où tu l’as prise ». L’instant que le grand seigneur d’Amon dans Thèbes l’entendit, il baissa la tête et son visage s’assombrit : Pharaon l’interpella trois fois mais il ne répondit mot.

Alors Pémou s’avança en face de Pharaon et il dit : « Nègre, Éthiopien, mangeur de gomme, est-ce ton dessein par confiance en ta force de te battre avec moi devant Pharaon ? » Lorsque l’armée d’Égypte entendit ces paroles, elle dit : « Le grand seigneur d’Amon dans Thèbes désire la guerre ! » Pémou dit : « Par Atoumou, le seigneur d’Héliopolis, le dieu grand, mon dieu, n’était l’ordre donné et le respect dû au roi qui te protège, je t’infligerais sur l’heure la mauvaise couleur ! ». Le grand seigneur d’Amon dans Thèbes dit : « Par la vie de Mendès, le dieu grand, la lutte qui éclatera dans le nome, la guerre qui éclatera dans la cité, soulèvera clan contre clan, fera marcher homme contre homme, au sujet de la cuirasse, avant qu’on l’arrache de la forteresse de Zaouîphré ». Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit devant Pharaon : « Est-ce bien beau ce que le grand seigneur d’Amon dans Thèbes a fait et les paroles qu’il a prononcées : Pharaon verra qui de nous est le plus fort ? » Je ferai retomber sur le grand seigneur d’Amon dans Thèbes et sur le nome de Mendès la honte de leurs actes et de leurs paroles, celles qu’ils ont prononcées parlant de guerres civiles : je les rassasierai de guerre, et je m’évertuerai à ce que la bataille et la guerre ne surgissent pas en Égypte aux jours de Pharaon. Mais si on m’y autorise, je montrerai à Pharaon la guerre entre gens de deux écussons. Tu seras alors témoin de ce qui arrivera ! Tu verras la montagne tressauter jusqu’au ciel qui s’étend au-dessus de la terre et celle-ci trembler ; tu verras les taureaux de Pisapdi, les lions de Métélis et leur façon de combattre, le fer se tremper après que nous l’aurons chauffé dans le sang. » Pharaon dit : « Non, ô notre père, grand chef de l’Est, Pakrour, prends patience et ne t’inquiète pas non plus. Et maintenant allez chacun à vos nomes et à vos villes, et je ferai prendre la cuirasse du défunt roi Inarôs et la rapporter en Héliopolis à l’endroit d’où elle fut enlevée, la joie devant elle, l’amour derrière elle. Si tu doutais de cela une grande guerre éclatera : donc fais qu’il n’y ait aucune guerre chez nous. Si cela vous plaît, accordez-moi cinq jours, et, par la vie d’Amonrâ, le maître, le roi des dieux, mon grand dieu, après que vous serez rentrés dans vos nomes et dans vos cités, je ferai rapporter la cuirasse à sa place première ». Pharaon se tut, il se leva, il s’avança, et Pémou le petit alla devant Pharaon et dit : « Mon grand Seigneur, par Atoumou le dieu grand, si l’on me donne la cuirasse et que je la prenne à Héliopolis, sans l’avoir enlevée de force, alors, les lances reposeront en Égypte, à cause de cela. Mais quand même l’armée du pays Entier retournerait dans ses foyers, je marcherais au nom de mon prophète Inarôs et je rapporterais sa cuirasse à Héliopolis ».

Le grand seigneur d’Amon dans Thèbes dit : « Pharaon, notre maître grand, puisses-tu parvenir à la longue vie de Ra, puisse Pharaon ordonner au scribe de porter ma voix dans mes nomes et dans mes villes, à mes frères, à mes compagnons, à mes charriers, qui sont de mon clan, afin qu’ils m’entendent ». Pharaon dit : « Allons, qu’on m’amène un scribe ». Quand il fut venu, d’ordre de Pharaon, il écrivit aux gens du nome de Mendès, ainsi qu’à Takhôs, le chef des milices du nome et à Phramoonî, le fils d’Ankhhorou, disant : « Faites vos préparatifs vous et vos gens. Qu’il leur soit donné des provisions, des vêtements, de l’argent de la maison du roi et qu’ils reçoivent leurs ordres de départ ; et qui n’a point d’armes et de fourniment qu’on les leur donne de l’argent de mon trésor, puis qu’ils viennent avec moi à l’étang de la Gazelle, qui sera le lieu d’abordage des princes, des archontes, des chefs de milices en vue de la lutte de ville contre ville, nome contre nome, clan contre clan, qui va s’engager. De plus qu’on envoie aux maisons d’Ankhhorou, fils de Harbîsa, le prince du canton de Palakhîtit. Qu’on envoie également aux maisons de Teniponi le fils d’Ouzakaou, le prince de… ». Alors les princes de Tanis, ceux de Mendès, ceux de Tahaît, ceux de Sébennytos, envoyèrent chercher leurs armées, et Ankhhorou, le fils de Pharaon, envoya à ses villes et à ses frères, les enfants de Pharaon, et ils se rangèrent devant le pavillon de Pharaon, chacun selon ses nomes et de ses villes. Ainsi fut fait. L’heure que Pémou le petit entendit le nom des princes et des armées des nomes et des villes auxquelles le grand seigneur d’Amon dans Thèbes avait envoyé, il pleura comme un petit enfant. Le grand chef de l’Est, Pakrour, le regarda et il vit que sa face était trouble et qu’il était triste en son cœur, et il dit : « Mon fils, chef des milices, Pémou le petit, ne te trouble pas ! Quand ils entendront ce qui arrive, tes alliés à toi te rejoindront eux aussi ». Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit à Pharaon : « Fais venir Sounisi, le fils d’Ouazhor, le scribe, afin qu’il écrive un ordre à nos nomes et à nos villes, à nos frères, à nos hommes ». Pharaon dit : « Scribe, fais tout ce qui te sera commandé ! » Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit : « Scribe ! » Celui-ci lui dit : « À tes ordres, mon grand maître ! » Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit : « Fais une dépêche pour Harouî, fils de Pétékhonsou, le greffier des quartiers de ma ville et des affaires des gens qui y habitent, disant : « Fais tes préparatifs avec l’ost du nome de l’Est. Qu’il leur soit donné des provisions, des vêtements, et à celui qui n’a point d’armes et de fourniment qu’on les lui donne de mon trésor, et qu’ils partent en campagne, mais qu’ils s’abstiennent de tout acte de violence jusqu’à ce que je mouille au Lac de la Gazelle pour la lutte qui va s’engager de nome à nome et de clan à clan, au sujet de Pémou le petit, le fils d’Inarôs, et de la cuirasse du prophète, le défunt prince Inarôs, car Pémou le petit va se battre avec le grand seigneur d’Amon dans Thèbes, à propos de la cuirasse d’Inarôs que celui-ci a emportée dans la forteresse de Zaouîphrê, laquelle est dans l’île du nome de Mendès ! »

« Fais une autre dépêche pour le nome de l’Est, pour la ville de Pisapdi, pour le chef des soldats, Pétékhonsou, disant : « Fais tes préparatifs ainsi que ton ost, tes chevaux, ton bétail, ton yacht, et les hommes de l’Est qui doivent te suivre tous, et ce, au sujet de la cuirasse du prophète, le défunt prince Inarôs, que le grand seigneur d’Amon dans Thèbes a emportée dans la forteresse de Zaouîphré. Je te rejoindrai au lac de la Gazelle, à cause de la querelle qui vient d’éclater ».

« Fais une autre dépêche pour Phrâmoonî, le fils de Zinoufi, le prince de Pimankhi, dans les termes indiqués ci-dessus.

« Fais une autre dépêche pour le prince Mînnemêî, le fils d’Inarôs, d’Éléphantine, ainsi que pour ses trente-trois hommes d’armes, ses écuyers, ses chapelains, ses mercenaires éthiopiens, ses fantassins, ses chevaux, son bétail.

« Fais une autre dépêche à Pémou, le fils d’Inarôs le petit, au poing fort, disant : Fais tes préparatifs ainsi que ton ost, tes hommes d’armes, tes sept chapelains », dans les termes indiqués ci-dessus.

« Fais une autre dépêche à Busiris, pour Bakloulou, le fils d’Inarôs, disant : « Fais tes préparatifs avec ton ost » dans les termes indiqués ci-dessus.

« Fais une autre dépêche à l’île d’Héracléopolis, à Ankhhorou le manchot, disant : « Fais tes préparatifs avec ton ost ainsi que tes hommes d’armes », et fais un autre ordre pour Mendès, le fils de Pétékhonsou et pour ses chapelains, dans les termes indiqués ci-dessus.

« Fais une autre dépêche à Athribis pour Soukhôtês, le fils de Zinoufi, disant : « Fais tes préparatifs ainsi que ton ost et tes hommes d’armes ».

« Fais une autre dépêche à Ouilouhni, le fils d’Ankhhorou, le prince de la forteresse de Méitoum, disant « Fais tes préparatifs ainsi que ton ost, tes mercenaires, tes chevaux, ton bétail ! »

« Fais enfin une autre dépêche au grand chef de l’Est, Pakrour, à ses nomes et à ses villes, disant : « Faites vos préparatifs pour le lac de la Gazelle ! »

Or, après cela, le grand chef de l’Est, Pakrour, dit « Mon fils Pémou, écoute les paroles que le scribe a dites pour toi dans tes dépêches à tes nomes et à tes villes. Va-t’en vite, préviens le grand seigneur d’Amon dans Thèbes et sois le premier en force sur les lieux, à la tête de tes frères qui sont de ton clan, si bien qu’ils t’y trouvent tout rendu, car, s’ils ne t’y trouvaient pas, ils retourneraient à leurs nomes et à leurs villes. Moi-même je m’en irai à Pisapdi et j’encouragerai l’ost afin qu’il ne faiblisse pas, et je le ferai aller à l’endroit où tu seras ». Pémou le petit dit : « Mon cœur est content de ce que tu as dit ». Après cela, les hauts personnages se rendirent à leurs nomes et à leurs villes. Pémou le petit partit, il monta sur une galée neuve qui était fournie de toute sorte de bonnes choses : sa galée descendit le courant, et, après un certain temps, Pémou arriva au lac de la Gazelle, et on lui indiqua une place pour s’y installer en son privé.

Or, tandis que tout cela s’accomplissait, on vint l’annoncer devant le chef des milices, le grand seigneur d’Amon dans Thèbes, disant : « Pémou le petit vient d’aborder au lac de la Gazelle ; il s’y est établi en son privé et il est là seul avec Zinoufi, son jeune écuyer. Fais donc tes préparatifs ainsi que ton ost, et que celui-ci se hâte de s’armer. Que les gens de Tanis, de Mendès, de Tahait et de Sébennytos partent avec toi, et qu’ils se concertent bien avec toi afin de livrer bataille à Pémou le petit. Car celui-ci t’a précédé, et ils ne sont là que deux faibles. Les nomes et les villes qui sont avec toi, ordonne-leur de se rendre au champ de bataille, et de l’attaquer au Sud, au Nord, à l’Est, à l’Ouest ; ils ne cesseront point les attaques qu’ils n’aient détruit sa vie. Quand ses frères viendront et qu’ils sauront sa mort tragique, leur cœur en sera brisé en eux et leur force en sera amoindrie ; ils retourneront à leurs villes et à leurs nomes, sans que rien ne retienne leurs pieds, et la cuirasse d’Inarôs ne sortira jamais de tes maisons ». Il dit « Par la vie de Mendès, le dieu grand ! C’est bien à cette intention que j’ai convoqué Mendès et les quatre nomes qui sont avec moi ! Qu’on m’arme une galée ! » On la lui arma à l’instant, et le grand seigneur d’Amon dans Thèbes s’embarqua avec son ost et ses hommes d’armes. Or il arriva que l’ost et les hommes d’armes de sa ville étaient prêts et ils partirent avec les bandes de l’ost des quatre nomes. En peu de temps le grand seigneur d’Amon dans Thèbes parvint au lac de la Gazelle ; il s’informa aussitôt, et il apprit que Pémou le petit y était venu avant lui.

Quand le grand seigneur d’Amon dans Thèbes eut amené les siens au lieu où Pémou se trouvait au lac de la Gazelle, il dit : « Battons-nous en duel une heure durant, jusqu’à ce que l’un de nous deux ait vaincu l’autre. » L’heure que Pémou le petit entendit ces paroles, son cœur se troubla sur le champ, et il pensa : « Je m’étais dit qu’il n’y aurait pas de bataille avant que mes frères m’eussent rejoint, car ma défaite découragerait l’ost des nomes de l’Égypte lorsqu’il arriverait ici ». Toutefois la réponse de Pémou fut : « Je suis prêt au combat ! » Zinoufi, son jeune écuyer, se mit à pleurer et dit : « Te protège mon Dieu, que ton bras soit heureux, et puisse Dieu t’être pitoyable ! Tu sais bien qu’un seul au milieu d’une multitude est en mauvaise posture et qu’un nome est perdu s’il est seul. Dois-je te nommer les bandes qui sont ici avec le grand seigneur d’Amon thébain, celles de Tanis, celles de Mendès, celles de Tahaît, celles de Sébennytos, ainsi que les hauts personnages qui sont avec lui ? Vois, tu entres en lice contre lui, sans qu’un seul de notre clan soit avec toi. Hélas, s’il s’attaque à toi, sans que nul de tes hommes d’armes soit auprès de toi ! Par Atoumou, toute une armée s’approche pour toi du champ de bataille et elle te sauvera la vie, une grande vie : ne la jette pas à la destruction par témérité ! » Pémou dit : « Mon frère Zinoufi, tous les mots que tu as dits, je les ai pensés moi-même. Mais puisque les choses sont telles qu’il ne peut plus ne pas y avoir de bataille jusqu’à ce que mes frères m’aient rejoint, j’abattrai les gens de Mendès, j’humilierai Tanis, Tahaît et Sébennytos qui ne me comptent point parmi les vaillants. Puisqu’il en est ainsi, mon frère Zinoufi, aie bon courage et qu’on m’apporte l’armure d’un hoplite ! » On la lui apporta sur le champ et on l’étendit devant lui sur une natte de roseaux frais. Pémou allongea sa main et il saisit une chemise faite de byssus multicolore, et sur le devant de laquelle étaient brodées des figures en argent, tandis que douze palmes d’argent et d’or décoraient le dos. Il allongea ensuite sa main vers une seconde chemise en toile de Byblos et en byssus de la ville de Panamhou, brochée d’or, et il l’endossa. Il allongea ensuite sa main vers une cotte teinte, longue de trois coudées et demie de laine fine, dont la doublure était en byssus de Zalchel, et il l’endossa. Il allongea ensuite sa main vers son corselet de cuivre, qui était décoré d’épis d’or et de quatre figures mâles et de quatre figures féminines représentant les dieux du combat, et il l’endossa. Il allongea sa main vers une grève d’or fondu et il l’emboîta à sa jambe, puis il saisit de sa main la seconde grève d’or et il l’emboîta à sa jambe. Il attacha ensuite les courroies, puis il posa son casque sur la tête et il se rendit à l’endroit où était le grand seigneur d’Amon dans Thèbes.

Celui-ci dit à son écuyer : « Par Mendès, mon jeune écuyer, apporte-moi mon armure ! » On la lui apporta sur le champ, il l’endossa, et il ne tarda pas aller à l’endroit où devait avoir lieu la bataille. Il dit à Pémou « Si tu es prêt, battons-nous l’un contre l’autre ! » Pémou accepta et la bataille s’engagea, mais bientôt le grand seigneur d’Amon dans Thèbes eut l’avantage. Quand Pémou s’en aperçut, son cœur en fut troublé. Il fit un signe avec la main et il dit à Zinoufi, son jeune écuyer « N’hésite pas à courir au port, afin de voir si nos amis et nos compagnons n’arrivent pas avec leur ost ». Zinoufi se mit en branle, et il n’hésita pas à courir au port ; il attendit une heure, il observa pendant un temps du haut de la berge. Enfin il leva son visage et il aperçut un yacht peint en noir avec un bordage blanc, tout garni de gabiers et de rameurs, tout chargé de gens d’armes, et il reconnut qu’il y avait des boucliers d’or sur les bordages, qu’il y avait un haut éperon d’or à la proue, qu’il y avait une image d’or à sa poupe, et que des escouades de matelots manœuvraient aux agrès ; derrière lui suivaient deux galères ; cinq cents flûtes, quarante baris et soixante petits bateaux avec leurs rameurs, si bien que le fleuve était trop étroit pour ce qu’il y avait de vaisseaux, et la berge était trop étroite pour la cavalerie, pour les chariots, pour les machines de guerre, pour les fantassins. Un chef était debout dans le yacht. Zinoufi appela à voix haute et il cria bien fort, disant : « Ô vous gens de la flotte blanche, gens de la flotte verte, gens de la flotte bariolée, qui de vos bateaux aidera la race de Pémou le petit, le fils d’Inarôs ? Accourez vers lui à la lice, car il est seul dans la bataille. Il n’y a ni calasiris, ni piétons, ni cavaliers, ni chars avec lui contre le grand seigneur d’Amon dans Thèbes. Les gens de Tanis, ceux de Mendès, ceux de Tahaît, ceux de Sébennytos, ils aident le grand seigneur d’Amon dans Thèbes, leur dieu, qui réside dans la forteresse de Zaouîphrê. Ses frères, ses alliés, ses gens d’armes le soutiennent tous ». Sur l’heure que les gens du yacht l’entendirent, un calasiris se leva sur la proue disant : « Malheur terrible, celui que nous annoncent tes lèvres, en nous révèlant que Pémou et son clan se battent contre le grand seigneur d’Amon dans Thèbes ». Zinoufi revint pour porter la nouvelle. Il tourna ses pas vers l’endroit où était Pémou, et il le trouva engagé contre le grand Seigneur d’Amon dans Thèbes : son cheval avait été tué et gisait à terre. Zinouli s’écria : « Combats, mon dieu Pémou, tes frères, les enfants d’Inarôs, ils accourent vers toi ! »

Lorsque le grand seigneur d’Amon dans Thèbes, vit que Zinoufi revenait, il commanda aux gens de Tanis, à ceux de Mendès, à ceux de Tahaît, à ceux de Sébennytos, de redoubler d’efforts contre Pémou. Zinoufi, le jeune écuyer, trouva Pémou le cœur troublé, le visage inondé de larmes, à cause de son cheval, disant : « T’ont-ils donc tuée, ma bonne bête ? » Quand il entendit Zinoufi, il releva son visage et il aperçut un yacht garni de gabiers et de rameurs, chargé de gens d’armes et de matelots qui chantaient au vent et qui accouraient à la bataille. Il cria d’une voix haute à son petit écuyer Zinoufi : « Frère, qui sont ces gens-là ? » – « C’est le clan d’Inarôs, qui accourt à l’aide de Pémou le petit, le fils d’Inarôs ». Pétékhonsou, le frère de Pémou, qui était à leur tête, défia Ankhhorou, le fils de Pharaon : lors, la mêlée générale fut suspendue d’un commun accord et ils s’armèrent pour un combat singulier. Lors un messager ne tarda pas d’aller au lieu où le Pharaon Pétoubastis était pour lui raconter ce qui s’était passé entre Pétékhonsou et Ankhhorou, l’enfant du roi. Lorsque Sa Majesté l’apprit, elle devint furieuse : « Qu’est-ce que cette mauvaise action ? voici-t-il pas que malgré mes ordres, Aukhhorou, l’enfant du Pharaon, se bat avec le taureau dangereux des gens de l’Est ! Par Amonrâ, le roi des dieux, mon dieu grand, malheur à l’ost de Pisapdi ! Honte aux gens d’Athribis, à Post du nome de Mendès, qui écrasent les bandes de Sébennytos en lutte à propos du clan des hauts personnages, princes, fils du prophète Inarôs ! La bannière du prince Inarôs est abaissée jusqu’à ce que leurs alliés arrivent. Qu’on se prépare pour la lice, pour le cercle du champ clos. On a répété des mensonges au prince Pétékhonsou, pour qu’il ne joute pas avec Ankhhorou, l’infant royal, mon fils, et qu’il ne lève pas son fanion avant que toutes les bandes n’aient débarqué et qu’on ait érigé les étendards devant Pharaon pour le cercle du champ clos ». L’ost des deux sceptres et les gens des deux boucliers se mirent donc en chemin. Quand Pharaon arriva à l’endroit où Pétékhonsou était, il aperçut les pages de Pétékhonsou et Pétékhonsou lui-même qui endossait une cuirasse de fer solide. Pharaon s’avança et dit : « N’aie pas le mauvais œil mon enfant, chef des milices, Pétékhonsou ; n’engage pas la guerre, ne combats pas jusqu’à ce que tes frères soient arrivés, ne lève pas ta bannière jusqu’à ce que ton clan soit venu ! » Pétékhonsou vit que le Pharaon Pétoubastis se posait la couronne sur la tête : Pétékhonsou le loua et lui adressa la prière usuelle, et il n’engagea pas la bataille ce jour-là. Pharaon fit inscrire sur une stèle de pierre un rescrit en l’honneur du prince Pétékhonsou.

Or, tandis que tout cela arrivait, le yacht du grand chef de l’Est, Pakrour, aborda au lac de la Gazelle, et les transports de Pétékhonsou et des gens d’Athribis poussèrent plus au Nord : on assigna un appontement à leurs transports et on attribua un appontement aux transports d’Ankhhorou le fils de Panemka. On attribua un appontement aux transports des gens d’Héliopolis et aux transports des gens de Sais. On attribua un appontement aux transports de Mînnémêî le prince d’Éléphantine. On attribua un appontement aux transports de Phrâmoonî, le fils de Zinouti, et à l’ost de Pimankhi. On attribua un appontement à Pebrekhaf, le fils d’Inarôs, et à l’ost du nome de Sais. On attribua un appontement au yacht du chef Bakloulou, le fils d’Inarôs, et à l’ost du nome de Busiris. On attribua un appontement au yacht d’Ouilouhni, le fils d’Ankhhorou, et à l’ost de Méitoum. On attribua un appontement à Ouohsounefgamoul, fils d’Inarôs. On attribua un appontement au yacht de Pémou le petit, au poing vigoureux, et aux autres fils du prince d’Inarôs, ainsi qu’aux frères du chef des soldats Pétékhonsou, et à ceux du clan du prophète Inarôs. Qui voit l’étang et ses oiseaux, le fleuve et ses poissons, il voit le lac de la Gazelle avec la faction d’Inarôs. Ils mugissaient à la façon des taureaux, ils étaient imbus de force comme des lions, ils faisaient rage ainsi que des lionnes. On vint donc l’annoncer à Pharaon disant : « Les deux factions sont arrivées ; elles semblent des lions pour leurs cuirasses et des taureaux pour leurs armes ». On dressa alors une estrade élevée pour le roi Pétoubastis, et on dressa une autre estrade pour le grand chef de l’Est, Pakrour, en face de celle-là. On dressa une estrade pour Takhôs, le fils d’Ankhhorou, et on en dressa une autre pour Pétékhonsou en face de celle-là. On dressa une estrade pour Ouilouhni, le commandant des soldats de Méitoum, et on en dressa une autre pour le fils royal Anoukhhorou, le fils de Pharaon Pétoubastis, en face de celle-là. On dressa une estrade pour Psintalês, le fils de Zaouîrânamhaî, le prince du grand cercle de Hanoufi, et on en dressa une autre pour Phrâmoonî, le fils de Zinoufi, le prince de Pimankhi, en face de celle-là. On dressa une estrade pour Ankhhorou, le fils de Harbîsa, le prince du canton de Pilakhîti, et on en dressa une autre pour Pétékhonsou de Mendès en face de celle-là. On dressa une estrade pour Ankhhophis, le fils de Phrâmoonî, le prince de Pzoéis, et on en dressa une autre pour Soukhôtès, le fils de Tafnakhti d’Athribis, en face de celle-là. L’ost des quatre nomes était rangé derrière le grand Seigneur d’Amon dans Thèbes, et l’est du nome d’Héliopolis derrière Pémou le petit.

Alors Pharaon dit : « Ô grand chef de l’Est, Pakrour, je vois qu’il n’y a personne qui puisse empêcher les deux boucliers de se choquer, nome contre nome et chaque ville contre sa voisine ». Le grand chef de l’Est sortit revêtu d’une cotte lamée de bon fer et de bronze coulé, ceint d’une épée de combat en bon fer coulé, et de son poignard à la mode des gens de l’Est, coulé en une seule pièce de sa poignée à sa pointe affilée. Il saisit une lance en bois d’Arabie pour un tiers, en or pour un autre tiers, et dont un tiers était de fer, et il prit à la main un bouclier d’or. Le grand chef de l’Est, Pakrour, se tint au milieu des bandes de l’Égypte, entre les deux sceptres et les deux boucliers, et il interpella à haute voix ses chèvetaines, disant : « Sus, toi, chef des milices, Grand seigneur d’Amon dans Thèbes ! C’est à toi qu’il appartient de combattre Pémou, le chef des soldats, le petit, le fils d’Inarôs, avec qui marchent les sept gens d’armes qui étaient dans le camp du fils divin, du prince Inarôs et vous, gens du nome d’Héliopolis placez-vous en face des bandes nombreuses du nome de Mendès. Sus toi, chef des soldats, Pétékhonsou ! C’est à toi qu’il appartient de combattre Ankhhorou, l’infant royal, le fils de Pharaon. Pétoubastis Sus, vous Psittouêris, fils de Pakrour, Phrâmoonî, fils d’Ankhhorou, Pétékhonsou, fils de Bocchoris, et toi, sus, ost de Pisapdi. C’est à vous qu’il appartient de combattre l’ost du nome de Sébennytos. Sus, vous, Phrâmoonî, fils de Zinoufi, et ost de Pimankhî ! C’est à vous qu’il appartient de combattre l’ost du nome de Tanis. Sus toi, Soukhôtés, le fils de Zinoufi, le chef de l’ost du nome d’Athribis ! C’est à toi qu’il appartient de combattre, ainsi qu’à Ankhhorou, le fils de Hârbisa, le prince de Tiôme, le chef des troupeaux de Sakhmi ! » Il les appareilla homme contre homme, et grande était leur prouesse, grande leur ardeur meurtrière !

Or, après cela, il arriva que le grand chef de l’Est, Pakrour, se détourna au milieu de la mêlée, et qu’il aperçut un calasiris de haute taille et de belle mine, qui se tenait debout sur le brancard d’un chariot neuf et bien décoré. Il était couvert de son armure et de toutes ses armes, et il avait quarante gens d’armes avec lui, fermes et droits sur leurs quarante chevaux, et quatre mille fantassins marchaient à sa suite, armés de pied en cap, et quatre mille autres soldats étaient derrière lui bien équipés. Il leva la main devant le grand chef de l’Est, Pakrour, disant : « Sois-moi favorable, ô Baal, grand dieu, mon Dieu ! Qu’as-tu donc que tu ne m’as pas donné une place au combat, afin de me ranger parmi mes frères, les fils du prince Inarôs, mon père. » Le prince de l’Est, Pakrour, lui dit : « Lequel es-tu des hommes de notre clan ? » Le calasiris lui dit : « En vérité, mon père, prince de l’Est, Pakrour, je suis Montoubaal, le fils d’Inarôs, qui avait été envoyé contre le pays de Khoîris. Par ta prouesse, mon père, prince de l’Est, Pakrour, j’étais énervé et je ne pouvais dormir dans ma chambre, quand je songeai un songe. Une chanteuse des paroles divines se tenait près de moi et me disait : « Montoubaal, fils d’Inarôs, mon fils, cours autant que tu peux courir ! Ne tarde pas plus longtemps, mais monte en Égypte, car j’irai avec toi au lac de la Gazelle, à cause de la bataille et de la guerre que mènent l’ost de Mendès et le clan de Harnakhouîti, le fils de Smendès, contre tes frères et contre ton clan, à cause de la cuirasse qu’on a emportée dans la forteresse de Zaouîphrê. » Ô mon père, prince de l’Est, Pakrour, qu’on m’assigne une place dans la lice ; car si on ne me la donne, que deviendrai-je, mon père, prince de l’Est, Pakrour ? » Le prince de l’Est, Pakrour, lui dit : « Salut à toi, salut à toi, Montoubaal ! Tu arrives avec tes bandes lorsque tout est déjà disposé ; toutefois, puisque tu me demandes un ordre, voici l’ordre que je te donne. Reste sur ton yacht et n’envoie aucun de tes gens à la bataille, car je ne te donnerai pas le signal du combat avant que les bandes des nomes n’attaquent nos vaisseaux : alors, ne les laisse pas faire rage sur le fleuve ! » Montoubaal lui dit : « Ô mon père, prince de l’Est, Pakrour, je resterai sur mon yacht ! » Pakrour lui montra le poste où il devait se placer et il monta sur son estrade pour suivre les péripéties de la bataille.

Les deux factions se battirent donc depuis la quatrième heure du matin jusqu’à la neuvième heure du soir, sans que les gens d’armes cessassent de frapper l’un sur l’autre. Enfin Ankhhorou, fils de Harbisa, le prince de Tiômé, se leva pour délivrer un autre héros des bandes de Sébennytos et ils coururent vers le fleuve. Or, Montoubaal était au fleuve sur son yacht ; il entendit la forte plainte qui s’élevait de l’ost et le hennissement des chevaux, et on lui dit : « C’est l’ost du nome de Sébennytos qui fuit devant tes frères ». Il dit : « Sois avec moi, ô Baal, le Dieu grand, mon dieu ! Voici, il est déjà la neuvième heure et mon cœur est ému, pour ce que je n’ai pris part à la bataille et à la guerre ! » Il endossa sa cotte et il saisit ses armes de guerre, et il s’élança à l’encontre de l’ost du nome de Sébennytos, des bandes de Mendès et de la forteresse de Zaouîphrê, de Tahaît, des forces du Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes. Il répandit la défaite et le carnage parmi eux, telle Sokhît en son heure de fureur, lorsque sa colère s’enflamme dans les herbes sèches. L’ost se dispersa devant lui, et l’on répandit la défaite sous leurs yeux, le carnage parmi elles ; on ne se lassa pas de semer la mort au milieu d’elles. On le rapporta à Pharaon Pétoubastis et il ouvrit la bouche pour un grand cri, il se jeta à bas de son estrade élevée. Pharaon dit : « Grand chef de l’Est, Pakrour, rends-toi parmi les soldats. On m’a rapporté que Montoubaal, le fils d’Inarôs, répand la défaite et le carnage parmi l’ost des quatre nomes. Qu’il cesse d’anéantir mon ost ! » Le grand chef de l’Est dit : « Plaise Pharaon se rendre avec moi à l’endroit où Montoubaal est ; je ferai qu’il cesse d’égorger l’ost de l’Égypte ! » Pakrour endossa sa cotte, il monta dans une litière avec Pharaon Pétoubastis. Ils rencontrèrent Montoubaal, le fils d’Inarôs, sur le champ de bataille, et le grand chef de l’Est, Pakrour, dit : « Mon fils Montoubaal, retire-toi de la lice du combat. Est-ce beau de répandre la défaite et la ruine parmi tes frères, l’ost d’Égypte ? » Montoubaal dit : « Est-ce beau ce que ces gens-là ont fait d’emporter la cuirasse de mon père Inarôs dans la forteresse de Zaouiphrê, par ruse, sans que tu aies fait tout ce qu’il fallait pour qu’ils nous la rendissent ? » Le roi dit : « Retiens ta main, ô mon fils Montoubaal, et sur l’heure ce que tu as demandé se produira. Je ferai rapporter la cuirasse à Héliopolis au lieu où elle se trouvait auparavant, et la joie marchera devant elle, la jubilation derrière elle ! » Montoubaal fit sonner le clairon dans son armée. On se retira hors de la lice et ce fut comme si personne ne s’était battu.

Ils revinrent donc, Pharaon et Pakrour, avec Montoubaal, à la bataille, à l’endroit où Pémou était, et ils le trouvèrent engagé avec le Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes. Pémou avait renversé à demi son adversaire sous son bouclier de joncs tressés : il lança un coup de pied, il fit tomber le bouclier à terre et il leva sa main et son épée comme pour tuer. Montoubaal dit : « Non, mon frère Pémou, ne pousse pas ta main jusqu’au point de te venger de ces gens-là, car l’homme n’est pas, comme un roseau qui, lorsqu’on le coupe, il repousse. Puisque Pakrour, mon père, et Pharaon Pétoubastis ont commandé qu’il n’y ait pas la guerre, qu’on fasse tout ce que Pharaon a dit au sujet de la cuirasse, pour la rapporter à sa place première, et que le Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes s’en aille, et qu’il rentre à sa maison. » Ils se séparèrent donc l’un de l’autre, mais il arriva ensuite que le chef des troupes, Pétékhonsou, engagea Ankhhorou, l’infant royal, et qu’il lui poussa une botte par manière de plaisanterie. Pétékhonsou sauta derrière lui d’un bond et il administra à Ankhhorou, l’infant royal, une botte plus dure que la pierre, plus brûlante que le feu, plus légère qu’un souffle d’haleine, plus rapide que le vent. Ankhhorou n’en put saisir ni l’exécution, ni la parade : et Pétékhonsou le tint, renversé à demi devant lui, sous son bouclier de joncs tressés ; Pétékhonsou le jeta à terre, il leva son bras, il brandit sa harpé, et une plainte forte ainsi qu’une lamentation profonde s’élevèrent parmi l’armée de l’Égypte, au sujet d’Ankhhoron, l’infant royal. La nouvelle n’en demeura pas cachée à l’endroit où était Pharaon, à savoir : « Pétékhonsou a renversé Ankhhorou, ton fils, à terre, et il lève son bras et sa harpé sur lui pour l’anéantir ». Le roi Pharaon en conçut une grande angoisse. Il dit : « Sois-moi pitoyable, Amonrâ, seigneur roi de Diospolis, le dieu grand, mon dieu ! J’ai agi de mon mieux pour empêcher qu’il y eût bataille et guerre, mais on ne m’a pas écouté ! » Lorsqu’il eut dit ces choses, il se hâta et il saisit le bras de Pétékhonsou. Le roi dit : « Mon fils Pétékhonsou, conserve-lui la vie, détourne ton bras de mon fils, de peur, si tu le tuais, que ne vînt l’heure de mes représailles. Votre vengeance, vous l’avez prise, et vous avez vaincu dans votre guerre, et votre bras est fort par toute l’Égypte ! » Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit « Détourne ton bras d’Ankhhorou, à cause de Pharaon, son père, car il est la vie de celui-ci. » Il se sépara donc d’Ankhhorou, l’infant royal. Pharaon dit : « Par Amonrâ, le roi de Diospolis, le dieu grand, mon Dieu, c’en est fait de l’ost du nome de Mendès, et le Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes est à terre, et Pétékhonsou l’a vaincu, ainsi que l’ost des quatre nomes a qui étaient les plus pesants de l’Égypte ; il n’y a plus qu’à faire cesser le carnage. »

Or, tandis qu’il en arrivait ainsi, Minnemêî s’avança sur le fleuve avec ses quarante sergents d’armes, ses neuf mille Éthiopiens de Méroé, avec ses écuyers de Syène ; avec ses chapelains, avec ses chiens de Khazirou, et les gens d’armes du nome de Thèbes marchaient derrière lui, et le fleuve était trop étroit pour les gens des yachts et la berge trop étroite pour la cavalerie. Quand il arriva au lac de la Gazelle, on assigna un appontement au taureau des milices, Minnemêî, le fils d’Inarôs, le prince de ceux d’Éléphantine, auprès du yacht de Takhôs, le chef des soldats du nome de Mendès, et près de sa galère de combat, et il arriva que la cuirasse du prince Inarôs se trouvait sur cette galère. Minnemêî s’écria : « Par Khnoumou, le seigneur d’Éléphantine, le dieu grand, mon Dieu ! Voici donc ce pourquoi je t’ai invoqué, de voir la cuirasse de mon, père, l’Osiris Inarôs, afin que je devienne l’instrument de sa reprise ! » Mînnemêî endossa sa cotte et ses armes de guerre et l’ost qui était avec lui le suivit. Il alla à la galère de Takhôs, le fils d’Ankhhorou, et il rencontra neuf mille gens d’armes qui gardaient la cuirasse de l’Osiris Inarôs. Mînnemêî se précipita au milieu d’eux. Celui qui se tenait là, prêt au combat, sa place de bataille lui devint un lieu de sommeil ; celui qui se tenait là, prêt à la lutte, il accueillit la lutte à son poste, et celui qui aimait le carnage, il en eut son saoul, car Mînnemêî répandit la défaite et le carnage parmi eux. Ensuite, il installa des sergents d’armes, à bord de la galère de Takhôs, fils d’Ankhhorou, pour empêcher qu’homme au monde y montât. Takhôs résista de son mieux, mais il plia enfin, et Mînnemêî le poursuivit avec ses Éthiopiens et ses chiens de Khazirou. Les enfants d’Inarôs se précipitèrent avec lui et ils saisirent la cuirasse.

Après cela, ils apportèrent à Héliopolis la cuirasse de l’Osiris du prince Inarôs et ils la déposèrent à l’endroit où elle était auparavant. Et les enfants, du prince Inarôs se réjouirent grandement, ainsi que l’ost du nome d’Héliopolis, et ils allèrent devant le roi et ils dirent : « Notre grand maître, saisis le calame et écris l’histoire de la grande guerre qui fut en Égypte au sujet de la cuirasse de l’Osiris, le prince Inarôs, ainsi que les combats que mena Pémou le petit pour la reconquérir, ce qu’il fit en Égypte, avec les princes et l’ost qui sont dans les nomes et dans les villes, puis fais-la graver sur une stèle de pierre que tu érigeras dans le temple d’Héliopolis ». Et le roi Pétoubastis fit ce qu’ils avaient dit.

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