III COMMENT SATNI-KHÂMOÎS TRIOMPHA DES ASSYRIENS

Il y a longtemps qu’on a reconnu le caractère romanesque du récit qu’Hérodote nous a conservé, au livre deuxième et au chapitre CXLI de ses histoires, sur le compte du prêtre de Vulcain Séthon, qui triompha des Assyriens et de leur roi Sennachérib. On convenait volontiers que c’était une version égyptienne des faits racontés dans la Bible aux Livres des Rois (II, XIX, 35-36), mais on ne savait qui était le Séthon au compte de qui l’imagination populaire avait inscrit ce miracle. Le roi Zêt, que l’Africain ajoute aux listes de Manéthon vers la fin de la XXIIIe Dynastie, n’est peut-être qu’un doublet un peu défiguré du Séthon d’Hérodote, et les monuments de l’époque assyrienne ou éthiopienne ne nous ont rendu jusqu’à présent aucun nom de souverain qui puisse correspondre exactement au nom grec.

Krall, le premier, rapprocha Séthon du Satni, fils de Ramsès II, qui est le héros des deux contes précédents (Ein neuer historicher Roman, dans les Mitteilungen aus den Sammlungen der papyrus des Erzherzogs Reiner, t. VI, p. 1, note 3), mais il le fit en passant, sans insister, et son opinion trouva peu de créance, auprès des égyptologues. Elle fut reprise et développée tout au long par Griffith, dans la préface de son édition des deux contes (Stories of the High-Priests of Memphis, p. 1-12), et, après avoir examiné de près la question, il me paraît difficile de ne pas admettre au moins provisoirement qu’elle est très vraisemblable. Hérodote nous aurait transmis de la sorte le thème principal d’un des contes relatifs à Satni-Khâmoîs, le plus ancien de ceux qui nous sont parvenus. Satni n’a pas occasion d’y exercer les pouvoirs surnaturels dont la tradition postérieure l’arme surabondamment : c’est sa piété qui lui assure la victoire. Le conte n’appartient donc pas au cycle magique. Il rentre dans un ensemble de récits destinés à justifier l’opposition que la classe sacerdotale faisait à la classe militaire depuis la chute des Ramessides, et à montrer la supériorité du gouvernement théocratique sur les autres gouvernements. L’aristocratie féodale a beau y refuser son aide au prêtre-roi : la protection du dieu suffit pour assurer à une armée de petits bourgeois ou d’artisans dévots la victoire sur une armée de métier, et c’est elle seule qui délivre l’Égypte de l’invasion.

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Après Anysis, régna le prêtre d’Hépæstos qui a nom Séthon. Il traita avec mépris les hommes d’armes égyptiens, pensant n’avoir jamais besoin d’eux ; il leur infligea divers outrages, et, entre autres, il leur enleva les fiefs composés de douze aroures de terre que les rois antérieurs avaient constitués à chacun d’eux.

Or, par la suite, Sanacharibos, le roi des Arabes et des Assyriens, conduisit une grande armée contre l’Égypte ; mais alors les hommes d’armes égyptiens refusèrent de marcher et le prêtre, réduit à l’impuissance, entra dans le temple et se répandit en plaintes devant la statue à l’idée des malheurs qui le menaçaient. Tandis qu’il se lamentait, le sommeil le surprit ; il lui sembla que le dieu, lui apparaissant, l’exhortait à prendre courage et l’assurait que rien ne lui arriverait de fâcheux dans sa campagne contre l’armée des Arabes, car lui-même il lui enverrait du secours.

Confiant en son rêve, il rassembla ceux des Égyptiens qui consentirent à le suivre, et il alla camper à Péluse, car c’est par là qu’on pénètre en Égypte : aucun des hommes d’armes ne le suivit, mais seulement des marchands, des artisans, des gens de la rue. Lors donc que les ennemis se présentèrent pour assiéger la ville, des rats campagnols se répandirent de nuit dans leur camp et leur rongèrent tous les carquois, puis tous les arcs, jusqu’aux attaches des boucliers, si bien que le lendemain ils durent s’enfuir désarmés et qu’il en périt beaucoup.

Et maintenant l’image en pierre de ce roi est debout dans le temple d’Héphæstos. Elle tient un rat à la main, et elle dit dans l’inscription qui est tracée sur elle : « Quiconque me regarde, qu’il respecte le dieu ! »

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