Autres sociétés mélanésiennes

Multiplier les comparaisons avec d'autres points de la Mélanésie n'est pas nécessaire. Cependant quelques détails empruntés ici et là fortifieront la conviction et prouveront que les Trobriandais et les Néo-Calédoniens n'ont pas développé de façon anormale un principe qui ne se retrouverait pas chez les peuples parents.

A l'extrémité sud de la Mélanésie, à Fiji, où nous avons identifié le potlatch, sont en vigueur d'autres institutions remarquables qui appartiennent au système du don. Il y a une saison, celle du kere-kere, pendant laquelle on ne peut rien refuser à personne  : Des dons sont échangés entre les deux familles lors du mariage , etc. De plus la monnaie de Fiji, en dents de cachalot, est exactement du même genre que celle des Trobriands. Elle porte le titre de tambua  ; elle est complétée par des pierres (mères des dents) et des ornements, sortes de « mascottes », talismans et « porte-bonheur » de la tribu. Les sentiments nourris par les Fijiens à l'égard de leurs tambua sont exactement les mêmes que ceux que nous venons de décrire : « On les traite comme des poupées ; on les sort du panier, les admire et parle de leur beauté ; on huile et polit leur mère . » Leur présentation constitue une requête ; les accepter, c'est s'engager .

Les Mélanésiens de la Nouvelle-Guinée et certains des Papous influencés par eux appellent leur monnaie du nom de tau-tau  ; elle est du même genre et l'objet des mêmes croyances que la monnaie des Trobriand . Mais il faut rapprocher ce nom aussi de tahu-tahu  qui signifie le « prêt de porcs » (Motu et Koita). Or, ce nom  nous est familier. C'est le terme même polynésien, racine du mot taonga, à Samoa et en Nouvelle-Zélande, joyaux et propriétés incorporés à la famille. Les mots eux-mêmes sont polynésiens comme les choses .

On sait que les Mélanésiens et les Papous de la NouvelleGuinée ont le potlatch .

Les beaux documents que M. Thurnwald nous transmet sur les tribus de Buin  et sur les Banaro , nous ont fourni déjà de nombreux points de comparaison. Le caractère religieux des choses échangées y est évident, en particulier, celui de la monnaie, de la façon dont elle récompense les chants, les femmes, l'amour, les services ; elle est, comme aux Trobriand, une sorte de gage. Enfin M. Thurnwald a analysé, en un cas d'espèce bien étudié  , l'un des faits qui illustrent le mieux à la fois ce que c'est que ce système de dons réciproques et ce que l'on appelle improprement le mariage par achat : celui-ci, en réalité, comprend des presta­tions en tous sens, y compris celles de la bellefamille : on renvoie la femme dont les parents n'ont pas fait des présents de retour suffisants.

En somme, tout le monde des îles, et probablement une partie du monde de l'Asie méri­dio­nale qui lui est apparenté, connaît un même système de droit et d'économie.

L'idée qu'il faut se faire de ces tribus mélanésiennes, encore plus riches et commer­çantes que les polynésiennes, est donc très différente de celle qu'on se fait d'ordinaire. Ces gens ont une économie extra-domesti­que et un système d'échange fort développé, à batte­ments plus intenses et plus précipi­tés peut-être que celui que connaissaient nos paysans ou les villages de pêcheurs de nos côtes il n'y a peut-être pas cent ans. Ils ont une vie écono­mique étendue, dépassant les frontières des îles, et des dialectes, un commerce considérable. Or ils remplacent vigoureusement, par des dons faits et rendus, le système des achats et des ventes.

Le point sur lequel ces droits, et, on le verra, le droit germanique aussi, ont buté, c'est l'incapacité où ils ont été d'abstraire et de diviser leurs concepts économiques et juridiques. Ils n'en avaient pas besoin, d'ailleurs. Dans ces sociétés : ni le clan, ni la famille ne savent ni se dissocier ni dissocier leurs actes ; ni les individus eux-mêmes, si influents et si conscients qu'ils soient, ne savent comprendre qu'il leur faut s'opposer les uns aux autres et qu'il faut qu'ils sachent dissocier leurs actes les uns des autres. Le chef se confond avec son clan et celui-ci avec lui ; les individus ne se sentent agir que d'une seule façon. M. Holmes remarque finement que les deux langages, l'un papou, l'autre mélanésien, des tribus qu'il connaît à l'embouchure de la Finke (Toaripi et Namau), n'ont qu' « un seul terme pour désigner l'achat et la vente, le prêt et l'emprunt ». Les opérations « antithétiques sont exprimées par le même mot  ». « Strictement parlant, ils ne savaient pas emprunter et prêter dans le sens où nous employons ces termes, mais il y avait toujours quelque chose de donné en forme d'honoraires pour le prêt et qui était rendu lorsque le prêt était rendu  . » Ces hommes n'ont ni l'idée de la vente, ni l'idée du prêt et cependant font des opérations juridiques et économiques qui ont même fonction.

De même, la notion de troc n'est pas plus naturelle aux Mélanésiens qu'aux Polyné­siens.

Un des meilleurs ethnographes, M. Kruyt, tout en se servant du mot vente nous décrit avec précision  cet état d'esprit parmi les habitants des Célèbes centrales. Et cependant, les Toradja sont depuis bien longtemps au contact des Malais, grands commerçants.

Ainsi une partie de l'humanité, relativement riche, travailleuse, créatrice de surplus importants, a su et sait changer des choses considérables, sous d'autres formes et pour d'autres raisons que celles que nous connaissons.

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