I Prestation totale, biens utérins contre biens masculins

(SAMOA)

Dans ces recherches sur l'extension du système des dons contractuels, il a semblé longtemps qu'il n'y avait pas de potlatch proprement dit en Polynésie. Les sociétés polyné­siennes où les institutions s'en rapprochaient le plus ne semblaient pas dépasser le système des « prestations totales », des contrats perpétuels entre clans mettant en commun leurs femmes, leurs hommes, leurs enfants, leurs rites, etc. Les faits que nous avons étudiés alors, en particulier à Samoa, le remarquable usage des échanges de nattes blasonnées entre chefs lors du mariage, ne nous paraissaient pas au-dessus de ce niveau . L'élément de rivalité, celui de destruction, de combat, paraissaient manquer, tandis qu'il ne manque pas en Mélanésie. Enfin il y avait trop peu de faits. Nous serions moins critique maintenant.

D'abord ce système de cadeaux contractuels à Samoa s'étend bien au-delà du mariage ; ils accompagnent les événements suivants : naissance d'enfant , circoncision , maladie , puberté de la fille , rites funéraires , commerce . Ensuite deux éléments essentiels du potlatch proprement dit sont nettement attestés : celui de l'honneur, du prestige, du « mana » que confère la richesse , et celui de l'obligation absolue de rendre ces dons sous peine de perdre ce « mana », cette autorité, ce talisman et cette source de richesse qu'est l'autorité elle-même .

D'une part, Turner nous le dit : « Après les fêtes de la naissance, après avoir reçu et rendu les oloa et les tonga - autrement dit les biens masculins et les biens féminins - le mari et la femme n'en sortaient pas plus riches qu'avant. Mais ils avaient la satisfaction d'avoir vu ce qu'ils considéraient comme un grand honneur : des masses de propriétés rassemblées à l'occasion de la naissance de leur fils . » D'autre part, ces dons peuvent être obligatoires, permanents, sans autre contre-prestation que l'état de droit qui les entraîne. Ainsi, l'enfant, que la sœur, et par conséquent le beau-frère, oncle utérin, reçoivent pour l'élever de leur frère et beau-frère, est lui-même appelé un tonga, un bien utérin . Or, il est « le canal par lequel les biens de nature indigène , les tonga, continuent à couler de la famille de l'enfant vers cette famille. D'autre part, l'enfant est le moyen pour ses parents d'obtenir des biens de nature étrangère (oloa) des parents qui l'ont adopté, et cela tout le temps que l'enfant vit ». « ... Ce sacrifice [des liens naturels crée une] facilité systématique de trafic entre propriétés indigènes et étrangères. » En somme, l'enfant, bien utérin, est le moyen par lequel les biens de la famille utérine s'échangent contre ceux de la famille masculine. Et il suffit de constater que, vivant chez son oncle utérin, il a évidemment un droit d'y vivre, et par conséquent un droit général sur ses propriétés, pour que ce système de « fosterage » apparaisse comme fort voisin du droit général reconnu au neveu utérin sur les propriétés de son oncle en pays mélanésien . Il ne manque que le thème de la rivalité, du combat, de la destruction, pour qu'il y ait potlatch.

Mais remarquons les deux termes : oloa, tonga ; ou plutôt retenons le deuxième. Ils désignent l'un des parapharnalia permanents, en particulier les nattes de mariage , dont héritent les filles issues du dit mariage, les décorations, les talismans, qui entrent par la femme dans la famille nouvellement fondée, à charge de retour  ; ce sont en somme des sortes d'immeubles par destination. Les oloa  désignent en somme des objets, instruments pour la plupart, qui sont spécifiquement ceux du mari ; ce sont essentiellement des meubles. Aussi applique-t-on ce terme maintenant aux choses provenant des blancs . C'est évidem­ment une extension récente de sens. Et nous pouvons négliger cette traduction de Turner : « Oloa-foreign » ; « tonga-native ». Elle est inexacte et insuffisante sinon sans intérêt, car elle prouve que certaines propriétés appelées tonga sont plus attachées au sol , au clan, à la famille et à la personne que certaines autres appelées oloa.

Mais si nous étendons notre champ d'observation, la notion de tonga prend tout de suite une autre ampleur. Elle connote en maori, en tahitien, en tongan et mangarevan, tout ce qui est propriété proprement dite, tout ce qui fait riche, puissant, influent, tout ce qui peut être échangé, objet de compensation . Ce sont exclusivement les trésors, les talismans, les blasons, les nattes et idoles sacrées, quelquefois même les traditions, cultes et rituels magi­ques. Ici nous rejoignons cette notion de propriété-talisman dont nous sommes sûr qu'elle est générale dans tout le monde malayo-polynésien et même pacifique entier .

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