[a1] Page 1, ligne 7.—Les Turcs...
Luther crut voir d'abord dans les Turcs un secours que Dieu lui envoyait. «Ce sont, dit-il, les ministres de la colère divine, 1526. (Prœliari adversus Turcas, est repugnare Deo, visitanti iniquitates nostras per illos.)»—Il ne voulait point que les protestans s'armassent contre eux pour défendre les papistes, «car ceux-ci ne valent pas mieux que les Turcs.»
Il dit dans la préface qu'il mit à un livre du docteur Jonas, que les Turcs égalent les papistes, ou les surpassent plutôt, dans les choses que ceux-ci regardent comme essentielles au salut, tels que les aumônes, les jeûnes, les macérations, les pélerinages, la vie monastique, les cérémonies et les autres œuvres extérieures, et que c'est pour cette raison que les papistes ne parlent pas du culte des mahométans. Il prend occasion de ceci pour élever au-dessus de ces pratiques mahométanes ou «romanistes, la religion pure du cœur et de l'esprit, enseignée par l'Évangile.»
Ailleurs, il fait un parallèle entre le pape et le Turc, et conclut ainsi: «S'il faut combattre le Turc, il faut aussi combattre le pape.»—Cependant quand il vit les Turcs menacer sérieusement l'indépendance de l'Allemagne, il exprima plusieurs fois le désir qu'on entretînt une armée permanente sur les frontières de la Turquie, et répéta souvent que tout ce qui portait le nom de chrétien devait implorer Dieu pour le succès des armes de l'Empereur contre les infidèles.
Luther exhorta l'Électeur, dans une lettre du 29 mai 1538, à prendre part à la guerre qui se préparait contre les Turcs. Il l'engagea à oublier les querelles intestines de l'Allemagne, pour tourner ses armes contre l'ennemi commun.
Un homme digne de foi, qui avait été en ambassade chez les Turcs, dit un jour à Luther que le sultan lui avait demandé quel homme était Luther, et de quel âge, et qu'ayant appris qu'il avait environ quarante-huit ans, il disait: Je voudrais qu'il ne fût pas si âgé; il a en moi un gracieux seigneur, dites-le-lui bien. «Que Dieu me préserve de ce gracieux seigneur, s'écria Luther, en faisant le signe de la croix.» (Tischreden, p. 432, verso.)
[a2] Page 3, ligne 25.—Le Landgrave... se croyant menacé, leva une armée...
Luther, dans une lettre au chancelier Brück, dit, en parlant des préparatifs de guerre du Landgrave: «Une pareille agression de la part des nôtres, serait la plus grande honte pour l'Évangile. Ce ne serait point une révolte de paysans, mais une révolte de princes, qui préparerait à l'Allemagne les maux les plus terribles. Satan ne désire rien autant.» (mai 1528.) Il écrivit plusieurs lettres dans le même sens à l'Électeur.—Cependant il est quelquefois tenté de lâcher lui-même la bride au Landgrave. Ayant lu une lettre de Mélanchton, qui était au Colloque, il dit: «Ce que Philippe écrit, cela a des pieds et des mains, de l'autorité et de la gravité. Il dit des choses importantes en peu de mots; je conclus de sa lettre que nous avons la guerre....... Le lâche de Mayence fait tout le mal. Ils devraient nous donner une prompte réponse. Si j'étais le Landgrave, je tomberais dessus, je périrais ou je les exterminerais, puisque dans une affaire si juste, ils ne veulent pas nous donner la paix.» (Tischreden, p. 151.)
[a3] Page 26, ligne 3.—Le duc George...
Ce prince se montra de bonne heure opposé à la Réforme. Dès l'année 1525 (22 décembre), Luther avait écrit au duc pour le prier instamment de renoncer à ses persécutions contre la nouvelle doctrine. «... Je me jette à vos pieds pour vous supplier de cesser enfin vos entreprises impies. Non que je craigne le préjudice qui en pourrait résulter pour moi, car je n'ai plus qu'à perdre ce misérable corps de chair que dans tous les cas la terre va bientôt recevoir. Si je recherchais mon avantage, je ne devrais rien tant désirer que la persécution. On a vu comme elle m'a servi jusqu'ici au-delà de toute attente. Si je prenais plaisir à rendre votre Grâce malheureuse, je l'exciterais de toutes mes forces à continuer ses violences; mais c'est mon devoir de songer au salut de votre Grâce et de la supplier à genoux de cesser ses criminelles offenses envers Dieu et sa parole...»
[a4] Page 4, ligne 3.—Le docteur Pack...
«Mon cher Amsdorf, voici Otton Pack, pauvre exilé que j'offre à ta miséricorde; il sera plus en sûreté à Magdebourg que chez moi; je craindrais que le duc George ne me forçât de le remettre entre ses mains.» (29 juillet 1529.)
[a5] Page 5, ligne 1.—Le grand-maître de l'ordre Teutonique avait sécularisé la Prusse...
«Lorsque je parlai la première fois au prince Albert, comme il me consultait sur la règle de son ordre, je lui conseillai de mépriser cette règle stupide et confuse, de prendre femme et de réduire la Prusse à une forme politique, en principauté ou en duché. Philippe, partageait cette opinion, et donnait le même conseil... Cela pourrait s'exécuter aisément, si le peuple de Prusse et les grands unissaient leurs prières pour qu'il osât l'entreprendre; il aurait ainsi un motif nécessaire et puissant de faire ce qu'il désire.... C'est à toi avec Speratus, Amandus et les autres ministres, d'y amener le peuple, de l'enflammer, de l'animer pour qu'il invoque la main de Dieu, afin qu'au lieu de cette abominable principauté hermaphrodite, qui n'est ni laïque ni ecclésiastique, il désire et réclame une principauté véritable.—Je voudrais persuader la même chose à l'évêque ***; lui aussi, il cèderait à nos raisons, si le peuple le pressait de ses prières.» (4 juillet 1524.)
Il y avait six mois alors que cet évêque prêchait ouvertement la réforme. «Ainsi, écrivait Luther en avril 1525, pendant le fort de la guerre des paysans, l'Évangile court à pleine course et à pleines voiles en Prusse, où il n'était pas appelé, tandis que dans la haute et basse Allemagne, où il est venu et entré de lui-même, on le blasphème avec fureur.» (T. II, p. 649.)
[a6] Page 6, ligne 25.—Le duc George...
«Prie avec moi le Dieu de miséricorde, pour qu'il convertisse le duc George à son Évangile, ou que, s'il n'en est pas digne, il soit tiré de ce monde.» (27 mars 1526.)
Luther écrivit à l'Électeur, au sujet de ses querelles avec le duc George (31 décembre 1528): «... Je prie votre Grâce électorale de m'abandonner entièrement à la décision des juges, au cas où le duc George le demanderait, car il est de mon devoir d'exposer ma tête plutôt que de faire éprouver le moindre préjudice à votre Grâce. Jésus-Christ, je l'espère, me donnera les forces nécessaires pour résister tout seul à Satan.»
[a7] Page 7, ligne 14.—Où s'arrêtera la superbe de ce Moab...
Le duc George était, après tout, un persécuteur assez débonnaire. Ayant chassé de Leipzig quatre-vingts luthériens, il leur accorda la permission de garder leurs maisons, d'y laisser leurs femmes et leurs enfans, et même d'y venir trois fois par an au temps des foires.—Dans une autre circonstance, Luther ayant conseillé aux protestans de Leipzig de résister aux ordres de leur duc, celui-ci se contenta de prier l'électeur de Saxe d'interdire à Luther toute communication avec ses sujets. (Cochlæus, p. 230.)
[a8] Page 7, ligne 23.—Diète à Spire...
Quelque temps après cette diète, Luther écrivit la consultation suivante: «D'abord il serait bon que notre parti, à l'exclusion des zwingliens, parlât pour lui seul.
»En second lieu, qu'on écrivît à l'Empereur, et que les bienfaits du prince (l'électeur de Saxe), envers l'Église et l'État, fussent amplifiés, célébrés, etc. Il faudrait rappeler: 1o Qu'il a fait enseigner, de la manière la plus pure, le Christ et sa foi, comme on ne l'a jamais enseigné depuis mille ans; qu'il a aboli une foule d'abus et de monstruosités nuisibles à l'Église et à l'État, comme les marchés de messes, les abus des indulgences, les violences de l'excommunication, et tant d'autres choses qui leur ont paru à eux-mêmes intolérables, et dont la noblesse a exigé l'abolition à Worms.
»2o Qu'il a résisté aux séditieux, à ceux qui violaient les images et les églises.
»3o Que la dignité impériale a été par lui honorée, glorifiée, réformée, plus qu'on ne l'avait fait en plusieurs siècles.
»4o Que nous avons fait et supporté les plus grandes choses contre les partisans de Münzer, pour sauver la majesté et la paix publique.
»5o Que c'est nous, et non d'autres, qui avons réprimé les sacramentaires; que sans nous les papistes eussent été écrasés.
»6o Que nous avons de même réprimé les anabaptistes.
»7o Qu'en outre, nous avons étouffé les mauvais germes que de méchantes gens avaient répandus en divers endroits sur la sainte Trinité, sur la foi du Christ, etc. Je parle d'Érasme, d'Egranus et de leurs pareils.» (mai 1529.)
[a9] Page 7, ligne 28.—Le parti de la Réforme éclata...
Luther essaya encore de retenir les siens; le 22 mai 1529, il écrivit à l'Électeur pour le dissuader d'entrer dans aucune ligue contre l'Empereur, et l'exhorter à s'en remettre à la protection divine. Dans une lettre à Agricola, il approuva la conduite prudente de l'Électeur à l'égard de l'Empereur: «Notre prince a bien fait de reconnaître un seigneur dans une ville étrangère, et de n'avoir point cherché à être le maître, comme il aurait pu le faire. Christ a dit: Si vous êtes persécuté dans une ville, fuyez dans une autre; et encore: Sortez de cette maison. Ainsi je pense que notre prince, comme un membre qui ne peut se séparer du corps, ne devait point rompre avec César. Mais par son silence il a comme fui dans une autre ville, il est sorti de cette maison.» (30 juin 1530.)
[a10] Page 8, ligne 11.—Le Landgrave essaya de réconcilier Luther et les sacramentaires...
Au landgrave de Hesse. «Grâce et paix en Jésus-Christ. Sérénissime seigneur! j'ai reçu la lettre par laquelle votre Altesse veut bien m'engager à me rendre à Marbourg, pour conférer avec Œcolampade et les siens, au sujet de nos opinions sur le saint Sacrement. Je ne saurais cacher à votre Altesse que je mets peu d'espoir dans une pareille conférence, et que je doute qu'on en voie sortir la paix et l'union. Néanmoins il faut rendre grâce à votre Altesse, de la sollicitude qu'elle montre en cette affaire, et je suis disposé, pour ma part, à me rendre au lieu désigné, bien que je regarde cette démarche comme inutile. Je ne veux pas laisser non plus à nos adversaires la gloire de pouvoir dire qu'ils aiment plus que nous la paix et la concorde. Mais je vous prie humblement, gracieux prince et seigneur, de vouloir bien, avant que nous nous réunissions, vous informer s'ils sont disposés à céder quelque point de leurs doctrines, autrement je craindrais fort que le mal ne fît qu'empirer par cette conférence, et que le résultat ne fût précisément le contraire de ce que votre Altesse recherche si loyalement et si sérieusement. A quoi servirait-il de se réunir et de discuter, si les deux parties arrivaient avec la résolution de ne céder en quoi que ce fût?...» (23 juin 1529.)
Dans une consultation qui nous reste sur le même sujet, et que l'on attribue généralement à Luther, il exprime le désir que quelques papistes, «hommes graves et instruits,» assistent à la conférence comme témoins.
A sa femme. «Grâce et paix en Jésus-Christ. Cher seigneur Catherine! Apprenez que notre conférence amicale de Marbourg est finie, et que nous sommes d'accord en tout point, si ce n'est que nos adversaires persistent à ne voir que du pain dans l'Eucharistie, et à n'admettre qu'une présence spirituelle de Jésus-Christ. Aujourd'hui le Landgrave nous parlera encore une fois, pour tâcher de nous unir ou de nous porter du moins à nous reconnaître pour frères et membres du même corps. Il y travaille avec ardeur. Nous leur accordons la paix et la charité, mais nous ne voulons pas de ce nom de frères. Demain ou après-demain, je pense, nous partirons pour nous rendre au Voigtland, où l'Électeur nous a appelés.
»Dis à Pommer que les meilleurs argumens de Zwingli ont été: Que le corps ne peut exister sans espace, et que, par conséquent, le corps du Christ n'est pas dans le pain, et le meilleur d'Œcolampade: Que le saint Sacrement est un signe du corps du Christ. Dieu les a vraiment aveuglés; ils n'ont su que nous répondre.—Adieu. Le messager me presse. Priez pour nous. Nous sommes bien portans et vivons comme les princes. Embrasse pour moi Leinette (Madeleine) et le petit Jean. Le jour de saint François. Votre dévoué serviteur, Martin Luther.» (4 octobre 1529.)
Luther écrivit au landgrave de Hesse dans une autre lettre (20 mai 1530), au sujet de ses tentatives de conciliation: «... J'ai supporté de si grands dangers et de si longs tourmens pour ma doctrine, que certes j'ai lieu de désirer de n'avoir pas travaillé en vain. Ce n'est donc point par haine ou par orgueil que je leur résiste; il y a bien long-temps que j'aurais adopté leur doctrine, Dieu, mon Seigneur, le sait, s'ils avaient pu m'en montrer la vérité; mais les raisons qu'ils donnent sont trop faibles pour que j'y puisse engager ma conscience...»
[a11] Page 11, ligne 18.—L'Électeur amena...
Il partit de Torgaw le 3 avril, et arriva à Augsbourg le 2 mai. Sa suite se composait de cent soixante chevaux. Les théologiens qu'il avait avec lui furent Luther, Mélanchton, Jonas, Agricola, Spalatin et Osiander. Luther, excommunié et mis au ban de l'Empire, resta à Cobourg. (Ukert, t. I, p. 232.)
[a12] Page 11, ligne 19.—L'Électeur amena Luther le plus près possible d'Augsbourg.
«Je suis sur les confins de la Saxe, à moitié chemin entre Wittemberg et Augsbourg. Il y aurait eu trop de danger pour moi dans cette dernière ville.» (juin 1530.)
[a13] Page 13, ligne 22.—Les nobles seigneurs qui forment nos comices...
«Ma résidence est maintenant au milieu des nuages, dans l'empire des oiseaux. Sans parler de la foule des autres oiseaux, dont les chants confus feraient taire une tempête, il y a près d'ici un certain bois tout peuplé, de la première à la dernière branche, de corbeaux et de corneilles. Du matin au soir, et quelquefois pendant toute la nuit, il y a là une crierie si infatigable, si incessante, que je doute qu'en aucun lieu du monde tant d'oiseaux se soient jamais réunis. Pas un qui se repose un instant; bon gré mal gré, il faut les entendre, vieux et jeunes, mères et filles, glorifier à qui mieux mieux, par leurs croassemens, le nom de corbeaux. Peut-être, par ces chants si harmonieux, veulent-ils faire descendre doucement le sommeil sur mes paupières; avec la grâce de Dieu, j'en ferai cette nuit l'expérience. C'est une noble race d'oiseaux, et, comme tu le sais, fort utiles au monde. Il me semble, en les voyant, que j'ai sous les yeux toute l'armée des sophistes et des Cochleistes, réunis de toutes les parties du monde, afin que j'apprécie mieux leur sagesse et leur doux langage, et que je voie à mon aise ce qu'ils sont et ce qu'ils peuvent pour le monde de l'esprit et pour le monde de la chair. Jusqu'à ce jour, personne n'a entendu philomèle, et cependant le coucou, qui annonce et accompagne son chant, s'enorgueillit magnifiquement dans la gloire de sa voix. De la résidence des corbeaux.» (22 avril 1530.)
[a14] Page 14, ligne 23.—Luther le tançait rudement...
Quelquefois cependant il compâtit à ses douleurs. «Vous avez confessé Christ, offert la paix, obéi à César, souffert les injures, épuisé les blasphèmes. Vous n'avez point rendu le mal pour le mal; enfin vous avez dignement travaillé à la sainte œuvre de Dieu, comme il convient à des saints; réjouissez-vous donc dans le Seigneur. Assez long-temps vous avez été contristés par le monde. Regardez et levez la tête, votre rédemption approche. Je vous canoniserai comme de fidèles membres de Christ; que faut-il de plus à votre gloire?» (15 septembre 1530.)
[a15] Page 19, ligne 15.—J'aurais voulu être la victime sacrifiée par ce dernier concile, comme Jean Huss...
«Plaise à Dieu que nous soyons dignes d'être brûlés ou égorgés par lui (par le pape.) Cependant si nous ne méritons pas de rendre témoignage par notre sang, implorons du moins Dieu pour qu'il nous accorde cette grâce de témoigner par notre vie et nos paroles que Jésus-Christ est seul notre Seigneur, et que nous l'adorerons dans tous les siècles des siècles. Amen.» (T. II des œuvres latines, p. 270.)
[a16] Page 19, ligne 19.—La profession de foi des protestans...
«A la diète d'Augsbourg, le duc Guillaume de Bavière, qui était fort opposé à la doctrine évangélique, ayant dit au docteur Eck: «Peut-on renverser cette opinion par l'Écriture sainte?» «Non, dit-il, mais par les Pères.» L'évêque de Mayence se mit à dire: «Voyez! nos théologiens nous défendent joliment! Les luthériens montrent leur opinion dans l'Écriture, et nous la nôtre hors de l'Écriture.» Le même évêque disait alors: «Les luthériens ont un article auquel on ne peut contredire, quand même tous les autres ne vaudraient rien; c'est celui du mariage.» (Tischreden, p. 99.)
[a17] Page 20, ligne 10.—L'archevêque de Mayence est très porté pour la paix...
Luther, pour l'exhorter à montrer des sentimens pacifiques, lui avait écrit une lettre qui se terminait ainsi: «Je ne puis cesser de penser à la pauvre Allemagne, si malheureuse, si abandonnée, si méprisée, vendue à tant de traîtres en même temps. C'est ma chère patrie; je désirerais tant la voir heureuse!» (6 juillet 1530, de Cobourg.)
[a18] Page 21, ligne 7.—Si l'Empereur veut faire un édit, qu'il le fasse; après Worms aussi il en fit un...
Luther a conscience de sa force. «Si j'étais tué par les papistes, ma mort protégerait nos descendans, et ces bêtes féroces en seraient peut-être plus cruellement punies que je ne voudrais moi-même. Car, il y a quelqu'un qui dira un jour: Où est ton frère Abel? Et celui-là les marquera au front, et ils erreront fugitifs par toute la terre... Notre race est maintenant sous la protection du Seigneur, puisqu'il est écrit: Je ferai miséricorde jusqu'à la millième génération à ceux qui m'ont aimé. Et moi je crois à ces paroles.» (30 juin 1530.)
«Si j'étais tué dans une émeute papiste, j'emmènerais à ma suite un grand nombre d'évêques, de prêtres, de moines, si bien que tous diraient: «Le docteur Martin Luther est conduit au sépulcre avec une grande procession; certes, c'est un grand docteur, au-dessus de tous évêques, prêtres, moines; aussi faut-il qu'à son enterrement, ils aillent avec lui, étendus sur le dos.» C'est ainsi que nous ferions ensemble notre dernier voyage.» (1531. Cochlæus, p. 211. Extrait du livre de Luther intitulé: Avis aux Allemands.)
Les catholiques, lui disait-on, vous reprochent plusieurs fausses interprétations dans votre traduction de l'Écriture. Il répondit: «Ils ont encore de trop longues oreilles, et leur hihan! hihan! est trop faible pour juger une traduction du latin en allemand... Dis-leur que le docteur Martin Luther veut qu'il en soit ainsi, et qu'un papiste et un âne c'est la même chose.
Sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas.
(Passage cité par Cochlæus, 201, verso.)
[a19] Page 21, ligne 15.—Qu'ils nous rendent Léonard Keiser...
«Non-seulement le titre de roi, mais celui de César lui est bien mérité, puisqu'il a vaincu celui dont le pouvoir ne trouve point d'égal sur la terre. Ce n'est pas seulement un prêtre, c'est un souverain pontife et un véritable pape, celui qui a offert ainsi son corps en sacrifice à Dieu. Avec juste raison l'appelait-on Léonhard, c'est-à-dire force du lion; c'était un lion fort et intrépide.» (22 octobre 1527.)
A Hausmann. «Je pense que tu auras vu l'histoire de Gaspard Tauber, le nouveau martyr de Vienne, qui a été décapité et brûlé dans cette ville pour la parole de Dieu. Il en est arrivé autant à un libraire de Bude, en Hongrie, qu'on a brûlé au milieu de ses livres.» (12 novembre 1524.)
Il y avait à Vienne des partisans de la nouvelle doctrine. «Lorsqu'après la diète d'Augsbourg le cardinal Campeggio entra dans la ville avec le roi Ferdinand, on habilla un petit homme de bois en cardinal, on lui attacha au cou des indulgences et le sceau du pape, et on le mit sur un chien qui avait à la queue une vessie de porc pleine de pois. On fit courir ce chien à travers toutes les rues.» (Tischr., p. 251.)
[a20] Page 21, ligne 16.—Qu'ils nous rendent Keiser et tant d'autres qu'ils ont fait injustement mourir...
Si l'on en croyait Cochlæus, Luther se serait montré persécuteur à son tour. En 1532, un luthérien s'étant éloigné de ses opinions, Luther le fit enlever et conduire à Wittemberg, où il fut emprisonné; un procès fut commencé. Comme on ne trouva pas de charges suffisantes, il fallut le relâcher. Mais il fut toujours depuis sourdement persécuté par les luthériens. (Cochlæus, p. 218.)
[a21] Page 22, ligne 22.—On se prépare à combattre...
Cependant on craignait tant de part et d'autre l'issue de la lutte, que, contre toute probabilité, la paix se maintint. «J'admire ce miracle de Dieu, que tant de menaces soient allées en fumée. Tout le monde en effet croyait qu'au printemps éclaterait en Allemagne une guerre atroce.» (juin 1531.)
La crainte d'un nouveau soulèvement des paysans contribuait à entretenir les intentions pacifiques des princes. «Les paysans, écrit Luther, recommencent à s'assembler. Une soixantaine d'entre eux ont cherché à surprendre la nuit le château de Hohenstein. Tu vois que malgré la présence de l'Empereur, il faut prendre des précautions contre cette révolte; que serait-ce si les papistes commençaient la guerre?» (19 juillet 1530.)
[a22] Page 22, ligne 25.—Luther fut accusé d'avoir poussé les protestans à prendre cette attitude hostile...
Bien loin de là, il avait dès 1529 dissuadé l'Électeur d'entrer dans aucune ligue dirigée contre l'Empereur... «Nous ne saurions approuver une pareille alliance; s'il en résultait quelque malheur, peut-être même la guerre ouverte, tout retomberait sur notre conscience, et nous aimerions mieux être dix fois morts que d'avoir à nous reprocher du sang versé pour l'Évangile. Nous sommes ceux qui devons souffrir, comme dit le prophète, ceux qui ne doivent pas se venger eux-mêmes, mais tout remettre entre les mains de Dieu... Je supplie donc humblement votre Grâce électorale de ne pas se laisser abattre par ce danger. Nous allons élever nos prières à Dieu; mais nos mains doivent rester pures de sang et de crime. S'il arrivait (contre mon opinion) que l'Empereur allât jusqu'à me réclamer moi ou mes amis, nous irions, sous la protection de Dieu, comparaître devant lui, plutôt que de causer préjudice à votre Grâce électorale, comme je l'ai plusieurs fois déclaré à votre auguste frère, feu l'électeur Frédéric....» (18 novembre 1529.)
[a23] Page 22, ligne 28.—Résistance à l'Empereur...
Dans le livre des Propos de table (p. 397, verso et suiv.) Luther parle plus explicitement: «Ce n'est point pour la religion que l'on combattra. L'Empereur a pris les évêchés d'Utrecht et de Liége; il a offert au duc de Brunswick de lui laisser prendre Hildesheim. Il est affamé et altéré des biens ecclésiastiques; il les dévore. Nos princes ne le souffriront pas; ils voudront manger avec lui. Alors on en viendra à se prendre aux bonnets.» (1530.)
«J'ai souvent été interrogé par mon gracieux seigneur, sur la question de savoir ce que je ferais si un voleur de grand chemin, un meurtrier, venait m'attaquer. Je résisterais, dans l'intérêt du prince dont je suis sujet et serviteur; je puis tuer le voleur, mettre le couteau sur lui, et même ensuite recevoir les sacremens. Mais si c'est pour la parole de Dieu, et comme prédicateur, que l'on m'attaque, je dois souffrir et recommander la vengeance à Dieu. Aussi je ne prends point de couteau en chaire, mais sur la route. Les anabaptistes sont des coquins désespérés, ils ne portent aucune arme et se vantent d'une grande patience.»
(1536.) «Comme je parlais pour la paix, le landgrave de Hesse me disait: Seigneur docteur, vous conseillez très bien; mais quoi? Si nous ne suivons pas vos conseils?»
(1539.) Luther répond sur la question du droit de résistance «que, selon le droit public, le droit naturel et la raison, la résistance à l'autorité injuste est permise. Il n'y a de difficulté que dans le domaine de la théologie.
»La question n'eût pas été difficile à résoudre au temps des apôtres, car toutes les autorités étaient alors païennes et non chrétiennes. Mais maintenant que tous les princes sont chrétiens ou prétendent l'être, il est difficile de conclure, car un prince et un chrétien sont les plus proches parens.—Qu'un chrétien puisse se défendre contre l'autorité, il y a là matière à de grandes réflexions.—... Au fond, c'est au pape que j'arrache l'épée, et non à l'Empereur.»
Il résume ainsi lui-même les argumens qu'il eût pu adresser aux Allemands, s'il eût fait une exhortation à la résistance:
«1. L'Empereur n'a ni droit ni puissance pour ordonner cela; c'est chose certaine, s'il l'ordonne, on ne doit point lui obéir. 2. Ce n'est pas moi qui excite le trouble, je l'empêche et je m'y oppose. Qu'ils voient s'ils n'en sont pas les auteurs, lorsqu'ils ordonnent ce qui est contre Dieu. 3. Ne badinez pas tant. Si vous faites boire le fou (narren Luprian), prenez garde qu'il ne vous crache au visage. Il est, d'ailleurs, assez altéré, et ne demande pas mieux que de boire son soûl. 4. Eh bien! vous voulez combattre; courbez vos têtes pour recevoir la bénédiction. Ayez bon succès! Dieu vous donne joyeuse victoire! Moi, docteur Martin Luther, votre apôtre, je vous ai parlé, je vous ai avertis, comme c'était mon devoir!»
Il dit encore ailleurs: «Vous méprisez ma doctrine. Vous voulez prendre le Luther dans ses paroles, comme faisaient les Pharisiens au Christ. Mais si je voulais (je ne le veux point), j'aurais une glose pour vous embarrasser; je dirais que cette résistance n'est point contre l'Empereur, mais contre Dieu. D'un autre côté: qu'un politique, un citoyen, un sujet, n'est pas un chrétien, que ce n'a pas été la pensée de Christ de détruire les droits, la police et le gouvernement du monde. Rends à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César. N'obéis point dans ce qui est contre Dieu et sa parole.
»Je condamne la révolte au péril de mon corps, de ma vie, de mon honneur et de mes biens. Je voudrais bien vous arrêter et vous retenir. Si vous commencez, je me tairai et périrai avec vous. Vous irez en enfer au nom de tous les diables, et moi au ciel au nom du Christ. Ils veulent abuser de notre doctrine, mais ils verront du moins qu'elle n'est point erronée en soi.
»... Tuer un tyran n'est pas chose permise à l'homme qui n'est dans aucune fonction publique, car le cinquième commandement dit: Tu ne dois pas tuer. Mais si je surprends un homme près de ma femme ou de ma fille, quoiqu'il ne soit point un tyran, je pourrai fort bien le tuer. Item, s'il prend par force à celui-ci sa femme, à l'autre sa fille, au troisième ses terres et ses biens, que les bourgeois et sujets s'assemblent, ne sachant plus comment supporter sa violence et sa tyrannie, ils pourront le tuer, comme tout autre meurtrier ou voleur de grand chemin.» (Tischr., p. 397, verso, sqq.)
»Le bon et vraiment noble seigneur Gaspard de Kokritz m'a demandé, mon cher Jean, que je t'écrivisse mon jugement sur le cas où César voudrait faire la guerre à nos princes, au sujet de l'Évangile. Serait-il alors permis aux nôtres de résister et de se défendre? J'avais déjà écrit mon opinion sur ce sujet, du vivant du duc Jean. Aujourd'hui il est un peu tard pour me demander mon avis, puisqu'il a été décidé parmi les princes qu'ils peuvent et veulent résister et se défendre, et qu'on ne s'en tiendra pas à mon dire... Ne fortifie pas le bras des impies contre nos princes; laisse le champ libre à la colère et au jugement de Dieu; ils l'ont cherché jusqu'à ce jour avec fureur, avec rire et avec joie. Cependant intimide les nôtres par cet exemple, que les Machabées ne suivirent pas ceux qui voulaient se défendre contre Antiochus, mais que dans la simplicité de leur cœur ils se laissèrent plutôt tuer.» (8 février 1539.)
Dans son livre De seculari potestate, dédié au duc de Saxe, il dit: «En Misnie, en Bavière et en d'autres lieux, les tyrans ont promulgué un édit pour qu'on ait à livrer partout aux magistrats les Nouveaux Testamens. Si les sujets obéissent à l'édit, ce n'est pas un livre, qu'ils remettent au péril de leur salut, c'est Christ lui-même qu'ils livrent aux mains d'Hérode. Cependant, si on veut les enlever par la violence, il faut le souffrir; on ne doit point résister à la témérité.—Les princes sont du monde, et le monde est ennemi de Dieu.»
«On ne doit pas obéir à César s'il veut faire la guerre à notre parti. Le Turc n'attaque pas son Alcoran, l'Empereur ne doit pas davantage attaquer son Évangile.» (Cochlæus, p. 210.)
[a24] Page 22, ligne 30.—Voici mon avis...
L'Électeur avait demandé à Luther s'il serait permis de résister à l'Empereur les armes à la main. Luther répondit négativement, en ajoutant seulement: «Si cependant l'Empereur, non content d'être le maître des états des princes, allait jusqu'à exiger d'eux de persécuter, de mettre à mort, ou de chasser leurs sujets pour la cause de l'Évangile, les princes convaincus que ce serait agir contre la volonté de Dieu, devront lui refuser l'obéissance; autrement ils violeraient leur foi et se rendraient complices du crime. Il suffit qu'ils laissent faire l'Empereur, qui aura à en rendre compte, et qu'ils ne défendent pas leurs sujets contre lui.» Plus loin il dit, en parlant de la guerre civile: «Quel carnage et quelles lamentations couvriraient alors la terre allemande! Un prince devrait mieux aimer perdre trois fois ses états, ou mourir trois fois, que d'être la cause de si horribles bouleversemens, ou seulement d'y consentir. Quelle conscience pourrait le supporter! Le diable verrait cela avec plaisir; Dieu veuille nous en préserver à jamais!» (6 mars 1530.)
[a25] Page 26, ligne 8.—Que l'on m'accuse ou non d'être trop violent...
L'Électeur avait réprimandé Luther au sujet de deux écrits (Avertissement à ses chers Allemands, et Gloses sur le prétendu édit impérial) qu'il trouvait trop violens. Luther lui répondit (16 avril 1531) qu'il n'avait fait que repousser les attaques plus violentes encore de ses ennemis, et qu'il serait injuste de lui imposer silence lorsqu'on laissait tout dire à ses adversaires... «Il m'a été impossible de me taire plus long-temps dans cette affaire qui me concerne plus que tout autre. Si je gardais le silence devant une telle condamnation publique de ma doctrine, ne serait-ce pas l'abandonner, la renier? Plutôt que de le souffrir, je braverais la colère de tous les diables, celle du monde entier, sans parler de celle des conseillers impériaux.—On dit que mes deux écrits sont tranchans et bien affilés; l'on a raison: je ne les ai pas non plus faits pour être doux; le seul regret que j'aie c'est qu'ils ne soient pas plus tranchans encore. Si l'on considère la violence de mes adversaires, l'on sera forcé d'avouer que j'ai été trop bénin... Tout le monde crie contre nous; l'on vocifère les calomnies les plus odieuses; et moi, pauvre homme, j'élève la voix à mon tour, et voilà que personne n'aura crié que Luther... En somme, tout ce que nous disons et faisons est injuste, quand même nous ressusciterions les morts; tout ce qu'ils font, eux, est juste, quand même ils noieraient l'Allemagne dans les larmes et dans le sang.»
[a26] Page 26, ligne 16.—Eh bien! puisqu'ils sont incorrigibles..... je romps avec eux. ...
«Toujours jusqu'à présent (1534), particulièrement à la diète d'Augsbourg, nous avons humblement offert au pape et aux évêques de recevoir d'eux la consécration et l'autorité spirituelle, et de les aider à conserver ce droit; ils nous ont toujours repoussés. Et s'il arrive un jour, pour la consécration sacerdotale, ce qui est arrivé pour les indulgences, à qui sera la faute. J'ai offert aussi de me taire sur les indulgences si l'on voulait se taire sur ce que j'avais écrit; ils n'ont pas voulu, et aujourd'hui il n'y a plus assez de mépris par tout le monde pour les indulgences; indulgences, lettres papales, sceaux brisés gisent à terre. Ainsi disparaîtra le pouvoir de consacrer et le chrême et les tonsures, de sorte qu'on ne reconnaîtra plus où est l'évêque, où est le prêtre.» (Cochlæus, p. 245, extrait du De angulari missâ, Luth., op. lat., VII, p. 220.)
[a27] Page 28, ligne 3.—Anabaptistes.
Il y avait déjà long-temps qu'ils remuaient en Allemagne. «Nous avons ici une nouvelle espèce de prophètes, venus d'Anvers, qui prétendent que l'Esprit saint n'est autre chose que le génie et la raison naturelle. (27 mars 1525.)
»Il n'y a rien de nouveau, sinon que l'on dit que les anabaptistes augmentent et se répandent de tous côtés. (28 décembre 1527.)
»La nouvelle secte des anabaptistes fait d'étonnans progrès; ce sont des gens qui mènent une vie d'excellente apparence, et qui meurent avec grande audace par l'eau ou par le feu. (31 décembre 1527.)
»Il y a beaucoup de troubles en Bavière.... il ne me semble pas à propos que tu les livres aux magistrats; ils se livreront eux-mêmes, et alors le conseil les bannira de la ville. Je vois partout la tradition de Münzer, sur la perdition future des impies et le règne des justes sur la terre. C'est ce que prophétise Cellarius dans un livre qu'il vient de publier; cet esprit est un esprit de révolte. (27 janvier 1528.)»
Le 12 mai 1528 il écrit à Link: «Tu as vu, je pense, mon Antischwermerum et ma dissertation sur la bigamie des évêques. Le courage des anabaptistes mourans, ressemble à celui des donatistes dont parle Augustin, ou à la fureur des juifs dans Jérusalem dévastée. Les saints martyrs, comme notre Léonard Keiser, meurent avec crainte, humilité, et en priant pour leurs bourreaux; l'opiniâtreté de ceux-ci au contraire, lorsqu'ils vont à la mort, semble augmenter avec l'indignation de leurs ennemis.»
[a28] Page 51, ligne 2.—Exécution...
Extrait d'un ancien livre de chant des anabaptistes. «Les paroles d'Algérius sont des miracles: «Ici, dit-il, les autres gémissent et pleurent, et moi j'y ressens de la joie. Dans ma prison, l'armée du ciel m'apparaît; je ne sais combien de martyrs habitent avec moi tous les jours. Dans la joie, dans les délices, dans l'extase de la grâce, je vois le Seigneur sur son trône.»
»Mais ta patrie, lui disaient-ils, tes amis, tes parens, ta profession, peux-tu les quitter volontiers? Il dit aux envoyés: «Nul homme ne me bannit de ma patrie; elle est aux pieds du trône céleste, là où mes ennemis deviendront mes amis pour chanter le même cantique.
»Médecins, artistes, ouvriers, ne peuvent ici-bas réussir; qui ne reconnaît la force de Dieu, n'a qu'une force aveugle.» Les juges furieux le menacèrent du feu. «Dans la puissance des flammes, dit Algérius, vous reconnaîtrez la mienne.» (Wunderhorn, t. I.)
[a29] Page 55.—Fin du chapitre...
Les passages suivans de Ruchat (Réformation de la Suisse), font bien connaître le bizarre enthousiasme des anabaptistes. «L'an 1529, neuf anabaptistes furent saisis à Bâle, et mis en prison. On les fit venir devant le sénat, et on appela aussi les ministres pour conférer avec eux. D'abord Œcolampade leur expliqua en deux mots le symbole des apôtres et celui de saint Athanase, et leur représenta que c'était là la véritable et indubitable foi chrétienne, que Jésus-Christ et ses apôtres avaient prêchée. Ensuite le bourgmeistre, Adelbert Meyer, dit aux anabaptistes, qu'ils venaient d'entendre une bonne explication de la foi chrétienne, et que, «puisqu'ils se plaignaient des ministres, ils devaient présentement parler à cœur ouvert et exposer hardiment ce qui leur faisait de la peine.» Mais il n'y en eut pas un seul qui lui répondît un mot, ils se contentèrent de se regarder les uns les autres. Alors le premier huissier de la chambre dit à l'un d'eux, qui était tourneur de sa profession: «D'où vient que tu ne parles pas présentement, après avoir tant jasé ailleurs, dans la rue, dans les boutiques, et dans la prison?» Comme ils gardaient encore le silence, Marc Hedelin, chef des tribus, s'adressa au principal de ces gens-là, et lui dit: «Que réponds-tu, frère, à ce qui t'a été proposé?» L'anabaptiste lui répondit: «Je ne vous reconnais point pour frère.» «Comment?» lui dit ce seigneur. «Parce, dit l'autre, que vous n'êtes point chrétien. Amendez-vous premièrement, corrigez-vous, et quittez la magistrature.» «En quoi penses-tu donc, lui dit Hedelin, que je pèche tant?» «Vous le savez bien,» lui répondit l'anabaptiste.
»Le bourgmeistre prit la parole, lui ordonna de répondre avec modestie et avec douceur, et le pressa vivement de parler sur la question dont il s'agissait. Sur quoi il répondit: «Qu'il ne croyait pas qu'un chrétien pût être dans une magistrature mondaine, parce que celui qui combat avec l'épée, périra par l'épée: Que le baptême des enfans est du diable, et une invention du pape; on doit baptiser les adultes, et non les petits enfans, selon l'ordre de Jésus-Christ.»
»Œcolampade entreprit de le réfuter, avec toute la douceur possible, et de lui faire voir, que les passages qu'il avait cités, avaient un autre sens, comme tous les anciens docteurs en faisaient foi. «Mes chers amis, dit-il, vous n'entendez pas l'Écriture sainte et vous la maniez fort grossièrement.» Et comme il allait leur montrer le véritable sens de ces passages, l'un d'entre eux, qui était meunier, l'interrompit, le traitant de séducteur, qui caquetait beaucoup, et dit: «Que ce qu'il avait là allégué contre eux, ne faisait rien au sujet. Qu'ils avaient entre les mains la pure et propre parole de Dieu, et qu'ils voulaient s'y attacher toute leur vie, que le Saint-Esprit parlait maintenant par lui. Il s'excusait en même temps de ne pas parler éloquemment, disant qu'il n'avait pas étudié, qu'il n'avait été dans aucune université, et que dès sa jeunesse il avait haï la sagesse humaine, qui est pleine de tromperies. Qu'il connaissait bien la ruse des scribes, qui cherchaient perpétuellement à offusquer les yeux des simples.» Après quoi il se mit à crier et à pleurer, disant: «Qu'après avoir ouï la parole de Dieu, il avait renoncé à sa vie déréglée; et que maintenant que par le baptême il avait reçu le pardon de ses péchés, il était persécuté de chacun, au lieu que dans le temps qu'il était plongé dans toutes sortes de vices, personne ne l'avait châtié, ni mis en prison, comme on faisait présentement. Qu'on l'avait enfermé dans la tour, comme un meurtrier; quel était donc son crime? etc. La conférence ayant duré jusqu'à l'heure du dîner, le sénat se leva.
»Après dîner, le sénat s'étant rassemblé, les ministres entrèrent en conférence avec les anabaptistes, au sujet de la magistrature. Et comme l'un d'eux eut donné des réponses assez satisfaisantes sur les questions qu'on lui avait proposées, cela fit chagrin aux autres, de ce qu'il n'était pas ferme dans leur doctrine. C'est pourquoi ils l'interrompirent. «Laisse-nous parler, lui dirent-ils, nous qui entendons mieux l'Écriture; nous pourrons mieux répondre sur ces articles, que toi, qui es encore un novice, et qui n'es pas capable de défendre notre foi contre les renards.» Alors le tourneur entrant en dispute, soutint que saint Paul (Rom. XIII) parlant des puissances supérieures, n'entend point les magistrats, mais les supérieurs ecclésiastiques. Œcolampade lui nia cela, et lui demanda en quel endroit de la Bible il le trouvait, et comment il le prouverait? L'autre lui dit: «Feuilletez aussi tout l'Ancien et le Nouveau Testament, et vous y trouverez que vous devez recevoir une pension; vous avez meilleur temps que moi, qui suis obligé de me nourrir du travail de mes mains, pour n'être à charge à personne.» Cette saillie fit un peu rire les assistans. Œcolampade leur dit: «Messieurs, il n'est pas temps maintenant de rire: si je reçois de l'Église mon entretien et ma nourriture, je puis prouver par l'Écriture, que cela est raisonnable: ainsi ce sont là des discours séditieux. Priez plutôt pour la gloire du Seigneur, afin que Dieu amollisse leurs cœurs endurcis et les éclaire.»
«Après plusieurs autres discours, comme le temps de se lever approchait, il y en eut un, qui n'avait rien dit de tout le jour, qui se mit à hurler et à pleurer. «Le dernier jour est à la porte, disait-il, amendez-vous, la cognée est déjà mise à l'arbre; ne noircissez donc pas notre doctrine sur le baptême. Je vous en prie, pour l'amour de Jésus-Christ, ne persécutez pas les gens de bien. Certainement le juste juge viendra bientôt, et fera périr tous les méchans.»
«Le bourgmeistre l'interrompit pour lui dire qu'on n'avait pas besoin de cette lamentation; qu'il devait raisonner sur les articles dont il était question. Il voulut continuer sur le même ton, mais on ne le lui permit pas. Enfin le bourgmeistre justifia la conduite du sénat, à l'égard des anabaptistes: il représenta qu'on les avait arrêtés, non pas à cause de l'Évangile, ni à cause de leur bonne conduite, mais à cause de leurs déréglemens, de leur parjure et de leur sédition. Que l'un d'eux avait commis un meurtre; un autre avait enseigné qu'on ne doit point payer les dîmes: un troisième avait excité des troubles, etc. Que c'était pour ces crimes qu'on les avait saisis, jusqu'à ce qu'on eût décidé quel traitement on leur ferait, etc.
»Dans ce moment, l'un d'entre eux se mit à crier: «Mes frères, ne résistez point au méchant. Quand même l'ennemi serait devant votre porte, ne la fermez pas. Laissez-les venir, ils ne peuvent rien faire contre nous, sans la volonté du Père, puisque nos cheveux sont comptés. Je dis bien plus: il ne faut pas même résister à un brigand dans un bois. Ne croyez-vous pas que Dieu ait soin de vous?» On lui imposa silence. (Ruchat, Réforme suisse, II, p. 498.)
Autre dispute.—«Le ministre zwinglien leur parla amiablement et avec douceur, leur remontrant que, s'ils enseignaient la vérité, ils avaient tort de se séparer de l'Église, et de prêcher dans les bois, et dans d'autres lieux écartés. Ensuite il leur exposa en peu de mots la doctrine de l'Église. Un des anabaptistes l'interrompit, pour lui dire: «Nous avons reçu le Saint-Esprit par le baptême, nous n'avons pas besoin d'instruction.» Un des seigneurs députés leur dit: «Nous avons ordre de vous dire, qu'on veut bien vous laisser aller sans autre châtiment, pourvu que vous quittiez le pays et que vous promettiez de n'y plus revenir, à moins que vous ne vous amendiez.» L'un des anabaptistes lui répondit: «Quel ordre est-ce-là? le magistrat n'est point maître de la terre pour nous ordonner de sortir ou d'aller ailleurs. Dieu a dit: Habite le pays. Je veux obéir à ce commandement, et demeurer dans le pays où je suis né, où j'ai été élevé, et personne n'a le droit de s'y opposer.» Mais on lui fit bientôt éprouver le contraire. (Ruchat, t. III, p. 102.)
«On vit à Bâle un anabaptiste nommé Conrad in Gassen, qui proférait des blasphèmes étranges, par exemple: «Que Jésus-Christ n'était point notre Rédempteur; qu'il n'était point Dieu, et qu'il n'était point né d'une Vierge.» Il ne faisait aucun cas de la prière, et comme on lui représentait que Jésus-Christ avait prié sur la montagne des Oliviers, il répondait avec une brutale insolence: «Qui est-ce qui l'a ouï?» Comme il était incorrigible, il fut condamné à avoir la tête tranchée.—Cet impie fanatique me fait souvenir d'un autre de nos jours, qui a séduit certaines personnes de notre voisinage, il y a quelques années, en leur persuadant qu'il ne fallait user ni de pain ni de vin. Et comme on lui objectait un jour à Genève, que le premier miracle de Jésus-Christ avait été de changer l'eau en vin, il répondit: «Que Jésus-Christ était encore jeune dans ce temps-là, et que c'était une petite faute qu'il fallait lui pardonner.» (Ruchat, Réforme suisse, t. III, p. 104.)
La Réforme, née dans la Saxe, avait promptement gagné les bords du Rhin, et était allée, remontant le fleuve, s'associer dans la Suisse au rationalisme vaudois; elle osa même passer dans la catholique Italie. Mélanchton, qui entretenait correspondance habituelle avec Bembo et Sadolet, tous deux secrétaires apostoliques, fut d'abord beaucoup plus connu que Luther des érudits italiens. C'est à lui qu'on rapportait la gloire des premières attaques contre Rome. Mais la réputation de Luther grandissant avec l'importance de sa réforme, il apparut bientôt aux Italiens comme le chef du parti protestant. C'est à ce titre qu'Altieri lui écrit en 1542 au nom des églises protestantes du nord-est de l'Italie:
«Au très excellent et très intègre docteur et maître dans les saintes Écritures, le seigneur Martin Luther, notre chef (princeps) et notre frère en Christ, les frères de l'église de Venise, Vicence et Trévise.
»Nous avouons humblement notre faute et notre ingratitude, pour avoir tardé si long-temps à reconnaître ce que nous te devions à toi qui nous as ouvert la voie du salut... Nous sommes exposés à toute la rage de l'Antichrist, et sa cruauté augmente de jour en jour contre les élus de Dieu... Errans, dispersés, nous attendons que vienne le fort du Seigneur... Vous que Dieu a placé à la garde de son troupeau, jusqu'à sa venue, veillez, nous vous en supplions, chassez les loups qui nous dévorent... Sollicitez les sérénissimes princes de l'Allemagne qui suivent l'Évangile, d'écrire pour nous au sénat de Venise, afin de modérer et de suspendre les mesures violentes que l'on prend contre le troupeau du Seigneur, à la suggestion des ministres du pape.... Vous savez quel accroissement ont pris ici vos églises; combien est large la porte ouverte à l'Évangile... travaillez donc encore pour la cause commune.» (Seckendorf, lib. III, p. 401.)
Charles-Quint contribua lui-même à répandre dans la péninsule le nom et les doctrines de Luther, en appelant sans cesse dans cette contrée de nouvelles bandes de landsknechts, parmi lesquels se trouvaient beaucoup de protestans. On sait que George Frundsberg, le chef des troupes allemandes du connétable de Bourbon, jurait d'étrangler le pape avec la chaîne d'or qu'il portait au cou.—L'auteur d'une histoire luthérienne rapporte qu'un de ces Allemands se vantait de manger bientôt un morceau du pape (ut ex corpore papæ frustum devoret). Il ajoute qu'après la prise de Rome plusieurs hommes d'armes changèrent une chapelle en écurie, et firent des bulles du pape une litière pour leurs chevaux, puis, se revêtant d'habits sacerdotaux, ils proclamèrent pape un landsknecht qui, dans son consistoire, déclara faire abandon de la papauté à Luther. (Cochlæus, p. 156).—Luther fut même solennellement proclamé. «Un certain nombre de soldats allemands s'assemblèrent un jour dans les rues de Rome, montés sur des chevaux et des mules. Un d'eux, nommé Grunwald, remarquable par sa taille, s'habilla comme le pape, se mit sur la tête une triple couronne, et monta sur une mule richement caparaçonnée; d'autres s'étaient habillés en cardinaux, avec une mitre sur la tête, et vêtus d'écarlate ou de blanc, suivant les personnages qu'ils représentaient. Ils se mirent ainsi en marche au bruit des tambours et des fifres, entourés d'une foule innombrable, et avec toute la pompe usitée dans les processions pontificales. Lorsqu'ils passaient devant quelques maisons où se trouvait un cardinal, Grunwald bénissait le peuple. Il descendit ensuite de sa mule, et les soldats, le plaçant sur un siége, le portèrent sur leurs épaules. Arrivé au château Saint-Ange, il prend alors une large coupe et boit à la santé de Clément, et ceux qui l'environnent suivent son exemple. Il prête ensuite serment à ses cardinaux, et ajoute qu'il les engage à rendre hommage à l'Empereur comme à leur légitime et unique souverain; il leur fait promettre qu'ils ne troubleront plus la paix de l'Empire par leurs intrigues, mais que, suivant les préceptes de l'Écriture et l'exemple de Jésus-Christ et des apôtres, ils demeureront soumis au pouvoir civil. Après une harangue dans laquelle il récapitula les guerres, les parricides et les sacriléges des papes, le prétendu pontife promit solennellement de transférer, par voie de testament, son autorité et sa puissance à Martin Luther. Lui seul, disait-il, pouvait abolir tous ces abus et réparer la barque de saint Pierre, de sorte qu'elle ne fût plus le jouet des vents et des flots. Élevant alors la voix, il dit aux assistans: «Que tous ceux qui sont de cet avis, le fassent connaître en levant la main.» Aussitôt la multitude des soldats leva la main en s'écriant: «Vive le pape Luther!» Toute cette scène se passait sous les yeux de Clément VII. (Macree, Réf. en Italie, p. 66-7.)
Les ouvrages de Zwingli étant écrits en langue latine, circulaient plus facilement en Italie que ceux des réformateurs du nord de l'Allemagne, qui n'écrivaient point toujours dans la langue savante et universelle. Cette circonstance est sans doute une des causes du caractère que prit la réforme italienne, particulièrement dans l'académie de Vicence, où naquit le socinianisme. Cependant les livres de Luther passèrent de bonne heure les Alpes. Le 14 février 1519, le premier magistrat lui écrit: «Blaise Salmonius, libraire de Leipzig, m'a présenté quelques-uns de vos traités; comme ils ont eu l'approbation des savans, je les ai livrés à l'impression, et j'en ai envoyé six cents exemplaires en France et en Espagne. Ils se vendent à Paris, et mes amis m'assurent que même, dans la Sorbonne, il y a des gens qui les lisent et les approuvent. Des savans de ce pays désiraient aussi depuis long-temps voir traiter la théologie avec indépendance. Calvi, libraire de Pavie, s'est chargé de faire passer une grande partie de l'édition en Italie. Il nous promet même un envoi de toutes les épigrammes composées en votre honneur par les savans de son pays. Telle est la faveur que votre courage et votre habileté ont attirée sur vous et sur la cause de Christ.»
Le 19 septembre 1520, Burchard Schenk écrit de Venise à Spalatin: «J'ai lu ce que vous me mandez du seigneur Martin Luther; il y a déjà long-temps que sa réputation est arrivée jusqu'à nous, mais on dit par la ville qu'il se garde du pape! Il y a deux mois, dix de ses livres furent apportés dans notre ville, et aussitôt vendus... Que Dieu le conduise dans la voie de la vérité et de la charité.» (Seckendorf, p. 115.)
Quelques ouvrages de Luther pénétrèrent même dans Rome, et jusque dans le Vatican, sous la sauve-garde de quelque pieux personnage dont le nom remplaçait en tête du livre celui de l'auteur hérétique. C'est ainsi que plusieurs cardinaux eurent à se repentir d'avoir loué hautement le Commentaire sur l'Épître aux Romains, et le Traité sur la justification d'un certain cardinal Fregoso, qui n'était autre que Luther. Il en advint de même pour les Lieux communs de Mélanchton. (Maccree, Réforme italienne, p. 39.)
«Je m'occupe, dit Bucer dans une lettre à Zwingli, d'une interprétation des psaumes. Les instances de nos frères de la France et de l'Allemagne intérieure, me décident à les publier sous un nom étranger, afin que les libraires puissent les vendre. Car c'est un crime capital d'introduire dans ces deux pays des livres qui portent nos noms. Je me donnerai donc pour un Français, et je ferai paraître mon livre sous le nom d'Aretius Felinus.»—Il dédia ce livre au Dauphin. (Lugduni iii idus julii anno MDXXIX.)
[a30] Page 56, ligne 5.—Les catholiques et les protestans réunis un instant contre les anabaptistes...
Pour repousser les reproches des catholiques qui attribuaient aux prédicateurs protestans la révolte des anabaptistes, les Réformés de toutes les sectes cherchèrent encore une fois à se réunir. Une conférence eut lieu à Wittemberg (1536). Bucer, Capiton et plusieurs autres s'y rendirent au mois de mai, pour conférer avec les théologiens saxons. La conférence dura du 22 au 25, jour où fut signée la Formule de concorde rédigée par Mélanchton. Le 28, Luther et Bucer prêchèrent à Wittemberg, et proclamèrent l'union qui venait de se conclure entre les deux partis. (Ukert, I, 307.)
Avant de signer la formule de concorde, Luther voulut qu'elle fût approuvée explicitement par les réformés de la Suisse, «de peur, dit-il, que par des réticences, cette Concorde ne donne lieu dans la suite à des discordes encore plus fâcheuses.» (janvier 1535.) Cette approbation fut donnée. «Les Suisses, écrit-il au duc Albert de Prusse, les Suisses, qui jusqu'ici n'étaient pas d'accord avec nous sur la question du saint Sacrement, sont en bon chemin; Dieu veuille ne pas nous abandonner! Bâle, Strasbourg, Augsbourg, Berne et plusieurs autres villes, se sont rangées de notre côté. Nous les recevons comme frères, et nous espérons que Dieu finira le scandale, non pas à cause de nous, car nous ne l'avons pas mérité, mais pour glorifier son nom et faire dépit à cet abominable pape. La nouvelle a beaucoup effrayé ceux de Rome. Ils sont dans la terreur et n'osent assembler un concile.» (6 mai 1538.)
Dans le même temps, des négociations étaient entamées avec Henri, duc de Brunswick, pour le rattacher aux doctrines luthériennes, mais elles restèrent sans résultat.—Le 23 octobre 1539, Luther écrivit à l'Électeur pour lui annoncer que les négociations avec les envoyés du roi d'Angleterre étaient également infructueuses. La lettre est signée de Luther, de Mélanchton, et de plusieurs autres théologiens de Wittemberg.
[a31] Page 57, ligne 25.—Les armes seules pouvaient décider...
«Le docteur Jean Pommer m'a dit une fois qu'à Lubeck, dans la maison de ville, on avait trouvé dans une vieille chronique, une prophétie d'après laquelle en l'an 1550, il s'élèverait dans l'Allemagne un grand tumulte à cause de la religion; et que, lorsque l'Empereur s'en serait mêlé, il perdrait tout ce qu'il avait. Mais je ne crois point que l'Empereur commence la guerre pour la cause du pape; la guerre coûte trop d'argent.»
L'éditeur Aurifaber ajoute que Charles-Quint, dans sa retraite de Saint-Just, avait fait tendre les murs d'une vingtaine de tapisseries qui représentaient les principales actions de son règne; qu'il aimait à se promener en les regardant, et que, lorsqu'il s'arrêtait devant celle qui représentait la prise de l'électeur de Saxe à Muhlberg, il soupirait et disait: «Si je l'eusse laissé tel qu'il était, je serais resté tel que j'étais.» (Tischred., p. 6.)—Ce mot que l'éditeur a l'air de ne pas comprendre, peut-être à dessein, est fort raisonnable; car rien ne fut plus funeste à Charles-Quint que d'avoir donné l'électorat au jeune Maurice.
[a32] Page 58, ligne 7.—Ratisbonne...
«Je veux devancer tes lettres et te prédire ce qui se passe à Ratisbonne même. Tu as été appelé par l'Empereur, il t'a dit de songer aux conditions de la paix. Toi, tu lui as répondu en latin, tu as fait tout ce que tu as pu, mais tu es resté au-dessous d'un si grand sujet. Eck, selon son habitude, a vociféré: «Très gracieux Empereur, je prétends prouver que nous avons raison et que le pape est la tête de l'Église.» Voilà votre histoire.» (25 juin 1541.)
[a33] Page 59, ligne 3.—Notre prince... accourut avec Pontanus et tous deux arrangèrent la réponse à leur façon...
La cour cherchait à exercer une sorte de contrôle, de haute surveillance sur les ouvrages même de Luther. En 1531, il avait écrit un livre intitulé: Contre l'hypocrite de Dresde, sans en avoir fait part à l'Électeur; il lui fallut s'en excuser auprès du chancelier Brück.
«... Si mes petits ouvrages, dit-il, étaient envoyés à la cour, avant de paraître, ils y rencontreraient tant de critiques et de censures qu'ils ne paraîtraient jamais, et, s'ils paraissaient, nos ennemis soupçonneraient chaque fois une foule de gens d'y avoir pris part. De cette manière, l'on sait et l'on voit qu'ils sont tout uniment de Luther; et c'est à lui seul de s'en justifier.»
Dans une autre circonstance plus sérieuse, il eut encore à lutter contre l'intervention de la cour. Albert, archevêque de Mayence, avait fait mettre à mort l'un de ses officiers, nommé Schanz, contrairement aux lois, et à en croire la voix publique, par haine personnelle. Luther lui adressa à cette occasion deux lettres pleines d'indignation. Il commençait ainsi la première (31 juillet 1535): «Je ne vous écris plus, cardinal, dans l'espoir de changer votre cœur profondément perverti. C'est une pensée à laquelle j'ai renoncé. Je vous écris pour satisfaire à ma conscience devant Dieu et les hommes, et ne pas approuver, par mon silence, l'acte horrible que vous venez de commettre.» Dans ce qui suit, il l'appelle cardinal d'enfer, et le menace du bourreau éternel qui viendra lui demander compte du sang versé. Dans la seconde lettre (mars 1536), il dit: «L'écrit ci-joint vous fera voir que le sang de Schanz ne se tait pas en Allemagne comme dans les appartemens de votre Grâce électorale, au milieu de vos courtisans. Abel vit en Dieu et son sang crie contre les meurtriers!... J'ai reconnu par la lettre de votre Grâce à Antoine Schanz que vous allez jusqu'à accuser sa famille d'être cause de sa mort. J'ai vu et entendu raconter mainte scélératesse de cardinal, mais je n'aurais jamais cru que vous fussiez une si cruelle et impudente vipère pour railler encore les malheureux, après cette abominable, cette infernale action!... J'ai recueilli les derniers cris de Schanz, au moment de sa détresse, ses dernières protestations contre la violence, lorsque votre Sainteté lui fit arracher les dents pour tirer de lui un faux aveu; je publierai ces paroles, et Dieu aidant, votre Sainteté dansera une danse qu'elle n'a jamais dansée!... Si Caïn sait dire: Suis-je fait pour garder mon frère? Dieu sait aussi lui répondre: Sois maudit sur la terre... Je vous recommande à Dieu, dit-il à la fin de la lettre, si toutefois le chapeau de sang (le chapeau rouge de cardinal) vous laisse désirer de lui être recommandé.»
L'électeur de Saxe et le duc Albert de Prusse, parens du cardinal, trouvèrent trop violent l'écrit dont Luther parlait dans cette lettre. Ils lui firent dire qu'il attaquait l'honneur de la famille dans la personne de l'archevêque, et lui commandèrent d'user de ménagemens. Luther n'en publia pas moins son écrit quelque temps après.
[a34] Page 59, ligne 18.—Ils regardent toute cette affaire comme une comédie...
Dès le commencement des conférences, Luther avait prévu qu'elles ne mèneraient à rien. Il se défiait même de la fermeté de Bucer et du landgrave de Hesse. Il dit dans une lettre au chancelier Brück: «Je crains que le Landgrave ne se laisse entraîner trop loin par les papistes, et qu'il ne veuille nous entraîner avec lui. Mais il nous a déjà suffisamment tiraillés et je ne me laisserai plus mener par lui. Je reprendrais plutôt tout le fardeau sur mes épaules, et je marcherais seul, à mes risques et périls, comme dans le commencement. Nous savons que c'est la cause de Dieu; c'est lui qui nous a suscités, qui nous a conduits jusqu'ici, il saura bien faire triompher sa cause. Ceux qui ne voudront pas nous suivre, n'ont qu'à rester en arrière. Ni l'Empereur, ni le Turc, ni tous les Démons ensemble, ne pourront rien contre cette cause, quoi qu'il en puisse advenir de nous et de ce corps mortel.—Je m'indigne qu'ils traitent ces affaires comme des affaires mondaines, des affaires d'Empereur, de Turcs, de princes, dans lesquelles on puisse transiger à volonté, avancer ou reculer. C'est une cause dans laquelle Dieu et Satan combattent avec tous leurs anges. Ceux qui ne le croient pas, ne peuvent pas la défendre.» (avril 1541.)
[a35] Page 59, ligne 24.—Je suis indigné qu'on se joue ainsi de si grandes choses...
«Je vais à Haguenau; je verrai de près ce formidable Syrien, ce Behemoth dont se rit, au psaume II, l'habitant du ciel... Mais ils ne comprendront point ce rire, jusqu'au moment où finira ce chant funèbre: Vous périrez dans la route, quand se lèvera sa colère, parce qu'ils ont refusé un baiser au Fils (peribitis in viâ, cum exarserit ira ejus, quia Filium nolunt osculari).—Amen, amen, que cela arrive. Ils l'ont mérité, ils l'ont voulu.» (2 juillet 1540.)
[a36] Page 64, ligne 15.—Fait à Wittemberg...
On trouve dans les Propos de table, p. 320:
«Le mariage secret des princes et des grands seigneurs est un vrai mariage, devant Dieu; il n'est pas sans analogie avec le concubinat des patriarches.» (Ceci expliquerait la consultation en faveur du Landgrave.)
[a37] Page 65, ligne 19.—Depuis cette époque, les lettres de Luther, comme celles de Mélanchton, sont pleines de dégoût et de tristesse.
«L'ingratitude des hommes, c'est le cachet d'une bonne œuvre; si nos efforts plaisaient au monde, à coup sûr ils ne seraient point agréables à Dieu.» (6 août 1539.)
«La tristesse et la mélancolie viennent de Satan; c'est pour moi une chose sûre. Dieu n'afflige, ni n'effraie, ni ne tue; il est le Dieu des vivans. Il a envoyé son fils unique, pour que nous vivions par lui, pour qu'il surmonte la mort. C'est pourquoi l'Écriture dit: Soyez contens et joyeux, etc.» (Tischreden, p. 205, verso.)
Sur la tristesse.—«Vous ne pouvez empêcher, disait un sage, que les oiseaux ne volent au-dessus de votre tête; mais vous empêcherez qu'ils ne fassent leurs nids dans vos cheveux.» (19 juin 1530.)
Jean de Stockhausen avait demandé à Luther des remèdes contre les tentations spirituelles et la mélancolie. Luther lui conseilla dans une lettre d'éviter la solitude et de fortifier sa volonté par une vie active, laborieuse. Il lui recommanda, outre la prière, la lecture du livre de Gerson: De cogitationibus blasphemiæ. (27 novembre 1532.)
Il donna des conseils semblables au jeune prince Joachim d'Anhalt, «La gaîté, dit-il, et le bon courage (en tout bien et tout honneur) sont la meilleure médecine des jeunes gens, disons mieux, de tous les hommes. Moi-même qui ai passé ma vie dans la tristesse et les pensées sombres, j'accepte aujourd'hui la joie partout où elle se présente, je la recherche même. La joie criminelle vient de Satan, il est vrai, mais la joie qu'on trouve dans le commerce d'hommes honnêtes et pieux, celle-là plaît au Seigneur..... Montez à cheval, allez à la chasse avec vos amis, amusez-vous avec eux. La solitude et la mélancolie sont un poison; c'est la mort des hommes, et surtout des hommes jeunes.» (26 juin 1534.)
Mélanchton raconta un jour à la table de Luther la fable suivante: «Un paysan traversant une forêt, rencontra une caverne où se trouvait un serpent. Une grande pierre roulée devant, empêchait l'animal d'en sortir. Il supplia le paysan d'enlever la pierre, lui promettant la plus belle récompense. Le paysan se laissa tenter, délivra le serpent, et lui demanda le prix de sa peine. A quoi le serpent répondit qu'il allait lui donner la récompense que le monde donne à ses bienfaiteurs, qu'il allait le tuer. Tout ce que le paysan put obtenir par ses supplications, fut qu'ils remettraient leur différend au jugement du premier animal qu'ils rencontreraient. Ce fut d'abord un vieux cheval qui n'avait plus que la peau et les os. Pour toute réponse, il dit: «J'ai consumé tout ce que j'avais de force au service de l'homme; pour récompense, il va me tuer, m'écorcher.» Ils rencontrèrent ensuite un vieux chien que son maître venait de rouer de coups; ce nouvel arbitre donna même décision. Le serpent voulait alors tuer son bienfaiteur. Celui-ci obtint qu'ils prendraient un nouveau juge, et que la sentence de ce dernier serait décisive. Après avoir marché quelques pas, ils virent venir à eux un renard. Dès que le paysan l'aperçut, il invoqua son secours, et lui promit tous ses poulets, s'il rendait une décision favorable. Le renard ayant entendu les parties, dit qu'avant de prononcer, il fallait remettre toutes choses dans leur premier état; que le serpent devait retourner dans la caverne pour entendre le jugement. Le serpent consentit, et, dès qu'il y fut, le paysan boucha le trou de son mieux. Le renard vint la nuit suivante prendre les poulets qui lui étaient promis; mais la femme et les valets du paysan le tuèrent.» Mélanchton ayant fini ce conte, le docteur dit: «Voilà bien l'image de ce qu'on voit dans le monde. Celui que vous avez sauvé de la potence vous fait pendre. Si je n'avais d'autre exemple, je n'aurais qu'à penser à Jésus-Christ qui, après avoir racheté le monde entier du péché, de la mort, du diable et de l'enfer, fut crucifié par les siens mêmes.» (Tischreden, p. 56.)
Les plaisanteries, les jeux de mots qui se rencontrent si souvent dans les lettres des années précédentes, ont disparu dans celles-ci; la correspondance de Luther devient triste; c'est à peine si on le voit sourire une seule fois; le récit grotesque d'une expédition militaire de quelques bourgeois contre des brigands, peut tout au plus le dérider: «Voici encore une nouvelle victoire de Kohlhase (fameux brigand dont la vie est racontée dans un curieux roman historique); il a pris et enlevé un riche meunier. Sitôt que nous avons su la chose, nous nous sommes courageusement précipités à travers les campagnes, pas trop loin cependant de nos murailles, et comme il convient à des saints Christophes en peinture ou à des saints Georges de bois, nous avons effrayé les nuées de quelques coups de fusil... Nous avons fait transporter dans la ville nos bois, nos arbres, de peur que, la nuit, Kohlhase n'en fasse un pont pour passer nos petits fossés. Nous sommes tous des Hectors et des Achilles, ne craignant personne, bien que nous soyons seuls et sans ennemis.»
[a38] Page 67, ligne 25.—Poison...
En 1541, un bourgeois de Wittemberg, nommé Clémann Schober, suivit Luther l'arquebuse à la main, dans l'intention probable de le tuer. Il fut arrêté et puni. (Ukert I, 323.)
[a39] Page 71, ligne 4.—Famille...
A Marc Cordel. «Comme nous en sommes convenus, mon cher Marc, je t'envoie mon fils Jean, afin que tu l'emploies à exercer des enfans dans la grammaire et la musique, et en même temps, pour que tu surveilles et corriges ses mœurs... Si tes soins prospèrent pour ce fils, tu en auras, de mon vivant, deux autres... Je suis en travail de théologiens, mais je veux enfanter aussi des grammairiens et des musiciens.» (26 août 1542.)
Le docteur Jonas avait dit un jour que la malédiction de Dieu sur les enfans désobéissans, s'était accomplie dans la famille de Luther; le jeune homme dont il parlait était toujours malade et souffrant. Le docteur Luther ajouta «C'est la punition due à sa désobéissance. Il m'a presque tué une fois, et, depuis ce temps, j'ai perdu toutes les forces de mon corps. Grâce à lui, j'ai compris le passage où saint Paul parle des enfans qui tuent leurs parens, non par l'épée, mais par la désobéissance. Ils ne vivent guère, et n'ont pas de bonheur... O mon Dieu! que le monde est impie, et dans quels temps nous vivons! Ce sont les temps dont Jésus-Christ a dit: «Quand le fils de l'homme viendra, croyez-vous qu'il trouvera de la foi et de la charité?» Heureux ceux qui meurent avant de voir des temps pareils.» (Tischreden, p. 48.)
[a40] Page 71, ligne 4.—La femme...
«La femme est le plus précieux des trésors. Elle est pleine de grâces et de vertus; elle garde la foi.»
—«Le premier amour est violent, il nous enivre et nous enlève la raison. L'ivresse passée, les âmes pieuses conservent l'amour honnête; les impies n'en conservent rien.»
—«Mon doux Seigneur! si c'est ta volonté sainte que je vive sans femme, soutiens-moi contre les tentations; sinon, veuille m'accorder une bonne et pieuse jeune fille, avec laquelle je passe doucement ma vie, que j'aime et dont je sois aimé en retour.» (Tischreden, p. 329-31.)
[a41] Page 71, ligne 8.—Asseyons-nous à sa table...
Il y était toujours entouré de ses enfans et de ses amis, Mélanchton, Jonas, Aurifaber, etc., qui l'avaient soutenu dans ses travaux. Une place à cette table était chose enviée.—«J'aurais volontiers, écrit-il à Gaspard Muller, reçu Kégel au nombre de mes pensionnaires, pour différentes raisons; mais le jeune Porse de Jéna allant bientôt revenir, la table sera pleine, et je ne puis pourtant congédier mes anciens et fidèles compagnons. Si cependant il se trouve plus tard une place vacante, comme cela pourrait arriver après Pâques, je ferai avec plaisir ce que vous désirez, à moins que le seigneur Catherine, ce que je ne pense pas, ne veuille nous refuser sa grâce.» (19 janvier 1536.) Dominus Ketha, c'était le nom qu'il donnait souvent à sa femme. Il commence ainsi une lettre qu'il lui écrit le 26 juillet 1540: «A la riche et noble dame de Zeilsdorf[7], madame la doctoresse Catherine Luther, domiciliée à Wittemberg, quelquefois se promenant à Zeilsdorf, ma bien-aimée épouse.»
[a42] Page 77, ligne 8.—Mariage...
«Le mariage, que l'autorité approuve et qui n'est point contre la parole de Dieu, est un bon mariage, quel que soit le degré de parenté.» (Tischreden, page 321.)
Il blâmait fort les juristes qui, «contre leur propre conscience, contre le droit naturel, divin et impérial, maintenaient comme valables les promesses secrètes de mariage. On doit laisser chacun s'arranger avec sa conscience. On ne peut forcer personne à l'amour.
«Les dots, présens de lendemain, biens, héritages, etc., ne regardent que l'autorité. Je veux les lui renvoyer, afin qu'elle en charge ses gens, ou qu'elle décide elle-même. Nous sommes pasteurs des consciences, non des corps ou des biens.» (Tischreden, p. 315)
Consulté dans un cas d'adultère, il dit: «On doit les citer et ensuite les séparer. De tels cas regardent proprement l'autorité, car le mariage est une chose temporelle. Il n'intéresse l'Église qu'en ce qui touche la conscience.» (Tischreden, p. 322.)
L'an 1539, 1er février, il disait: «Quoique les affaires relatives aux mariages nous obligent tous les jours d'étudier, de lire, de prêcher, d'écrire et de prier, je me réjouis que les consistoires soient établis, surtout pour ce genre d'affaires... On trouve beaucoup de parens, particulièrement des beaux-pères qui, sans raison, défendent le mariage à leurs enfans. L'autorité et les pasteurs doivent y voir, et favoriser les mariages, même contre la volonté des parens, selon les diverses occurrences... Les enfans doivent citer à leurs parens l'exemple de Samson. Nous ne sommes plus au temps de la papauté, où l'on suivait la loi contre l'équité.» (Tischreden, p. 322.)
[a43] Page 81, ligne 12.—Ma femme et mes petits enfans...
Durant la diète d'Augsbourg, il écrivit à son fils Jean: «Grâce et paix à toi, en Jésus-Christ, mon cher petit enfant. Je vois avec plaisir que tu apprends bien et que tu pries sans distraction. Continue, mon enfant, et, quand je reviendrai à la maison, je te rapporterai quelque belle chose.
»Je sais un beau et riant jardin, tout plein d'enfans en robes d'or, qui vont jouant sous les arbres avec de belles pommes, des poires, des cerises, des noisettes et des prunes; ils chantent, ils sautent, et sont tout joyeux; ils ont aussi de jolis petits chevaux avec des brides d'or et des selles d'argent. En passant devant ce jardin, je demandais à l'homme à qui il appartient, quels étaient ces enfans? Il me répondit: «Ce sont ceux qui aiment à prier, à apprendre, et qui sont pieux.» Je lui dis alors: «Cher ami, j'ai aussi un enfant, c'est le petit Jean Luther; ne pourrait-il pas aussi venir dans ce jardin manger de ces belles pommes et de ces belles poires, monter sur ces jolis petits chevaux, et jouer avec les autres enfans?» L'homme me répondit: «S'il est bien sage, s'il prie et apprend volontiers, il pourra aussi venir, le petit Philippe et le petit Jacques avec lui; ils trouveront ici des fifres, des timbales et autres beaux instrumens pour faire de la musique; ils danseront et tireront avec de petites arbalètes.» En parlant ainsi, l'homme me montra, au milieu du jardin, une belle prairie pour danser, où l'on voyait suspendus les fifres, les timbales, et les petites arbalètes. Mais il était encore matin, les enfans n'avaient pas dîné, et je ne pouvais attendre que la danse commençât. Je dis alors à l'homme: «Cher seigneur, je vais vite écrire à mon cher petit Jean, afin qu'il soit bien sage, qu'il prie et qu'il apprenne, pour venir aussi dans ce jardin; mais il a une tante Madeleine qu'il aime beaucoup, pourra-t-il l'amener avec lui?» L'homme me répondit: «Oui, ils pourront venir ensemble, faites-le-lui savoir.» Sois donc bien sage, mon cher enfant; dis à Philippe et à Jacques de l'être aussi, et vous viendrez tous ensemble jouer dans ce beau jardin.—Je te recommande à la protection de Dieu. Salue de ma part la tante Madeleine, et donne-lui un baiser pour moi. Ton père qui te chérit. Martin Luther.» (19 juin 1530.)
[a44] Page 84.—Fin du chapitre...
«Dieu sait tous les métiers mieux que personne. Comme tailleur, il fait au cerf une robe qui lui sert neuf cents ans sans se déchirer. Comme cordonnier, il lui donne une chaussure qui dure encore plus long-temps que lui. Et ne s'entend-il pas à la cuisine, lui qui par le feu du soleil fait tout cuire et tout mûrir. Si notre Seigneur vendait les biens qu'il donne, il en ferait passablement d'argent; mais parce qu'il les donne gratis, on n'en tient pas compte.» (Tischr., p. 27.)
Ce passage bizarre et un assez grand nombre d'autres, nous montrent dans Luther le modèle probable d'Abraham de Sancta Clara. Au dix-septième siècle, on n'imitait plus que les défauts de Luther.
[a45] Page 87, ligne 15.—Le décalogue...
«Me voilà devenu disciple du décalogue. Je commence à comprendre que le décalogue est la dialectique de l'Évangile, et l'Évangile la rhétorique du décalogue; Christ a tout ce qui est de Moïse, mais Moïse n'a pas tout ce qui est de Christ.» (20 juin 1530.)
[a46] Page 88, ligne 9.—Il y aura un nouveau ciel, une nouvelle terre...
«Le grincement de dents dont parle l'Évangile, c'est la dernière peine qui suivra une mauvaise conscience, la désolante certitude d'être à jamais séparé de Dieu.» (Tischr., p. 366.) Ainsi Luther semble avoir une idée plus spirituelle de l'enfer que du paradis.
[a47] Page 89, ligne 10.—Autrefois on faisait des pélerinages...
A Jean de Sternberg, en lui dédiant la traduction du psaume CXVII: «... Si je vous ai nommé en tête de ce petit travail, ce n'a pas seulement été pour attirer l'attention des gens qui méprisent tout art et tout savoir, mais aussi pour témoigner qu'il y a encore des gens pieux parmi la noblesse. La plupart des nobles sont aujourd'hui si insolens et si dépravés, qu'ils excitent la colère du pauvre homme... S'ils voulaient être respectés, ils devraient avant tout respecter eux-mêmes Dieu et sa parole. Qu'ils continuent de vivre ainsi dans l'orgueil, dans l'insolence, dans le mépris de toute vertu, et ils ne seront bientôt plus que des paysans; ils le sont déjà, quoiqu'ils portent encore le nom de nobles et le chapeau à plumes... Ils devraient cependant se souvenir de Münzer...
»... Je souhaite que ce petit livre, et d'autres qui lui ressemblent, touchent votre cœur, et que vous y fassiez un pélerinage plus utile au salut, que celui que vous avez fait autrefois à Jérusalem. Non que je méprise ces pélerinages; j'en ferais moi-même bien volontiers, si je pouvais, et j'aime toujours à en entendre parler; mais je veux dire que nous ne les faisions pas dans un bon esprit. Quand j'allai à Rome, je courus comme un fou à travers toutes les églises, tous les couvens; je crus tout ce que les imposteurs y avaient jamais inventé. J'y dis une dizaine de messes, et je regrettais presque que mon père et ma mère fussent encore en vie. J'aurais tant aimé à les tirer du purgatoire par ces messes et autres bonnes œuvres! On dit à Rome ce proverbe: Heureuse la mère dont le fils dit la messe la veille de la Saint-Jean! Que j'aurais été aise de sauver ma mère!
»Nous faisions ainsi, ne sachant pas mieux; le pape tolère ces mensonges. Aujourd'hui, Dieu merci, nous avons les évangiles, les psaumes, et autres paroles de Dieu; nous pouvons y faire des pélerinages plus utiles, y visiter et contempler la véritable terre promise, la vraie Jérusalem, le vrai paradis. Nous n'y marchons pas sur les tombeaux des saints et sur leurs dépouilles mortelles, mais dans leurs cœurs, dans leurs pensées et leur esprit...» (Cobourg, 29 août 1530.)
[a48] Page 89, ligne 13.—Pour visiter les saints.
«Les saints ont souvent péché, souvent erré. Quelle fureur de nous donner toujours leurs actes et leurs paroles pour des règles infaillibles! Qu'ils sachent, ces sophistes insensés, ces pontifes ignares, ces prêtres impies, ces moines sacriléges, et le pape avec toute sa sequelle.... que nous n'avons pas été baptisés au nom d'Augustin, de Bernard, de Grégoire, au nom de Pierre ni de Paul, au nom de la bienfaisante faculté théologique de la Sodome (Sorbonne) de Paris, de la Gomorrhe de Louvain, mais au nom du seul Jésus-Christ notre maître.» (De abrogandâ missâ privatâ. Op. lat. Lutheri, Witt., II, 245.)
«Les véritables saints, ce sont toutes les autorités, tous les serviteurs de l'Église, tous les parens, tous les enfans qui croient en Jésus-Christ, qui ne commettent point de péché, et qui accomplissent, chacun dans sa condition, les devoirs que Dieu leur impose.» (Tischreden, 134, verso.)
Luther croit peu aux légendes des saints, et déteste surtout celles des anachorètes. «... Si l'on a fait quelque excès du côté du boire ou du manger, on peut l'expier avec le jeûne et la maladie...»
«La légende de saint Christophe est une belle poésie chrétienne. Les Grecs qui étaient des gens doctes, sages et ingénieux, ont voulu montrer ce que doit être un chrétien (christoforos, qui porte le Christ). Il en est de même du chevalier saint George. La légende de sainte Catherine est contraire à toute l'histoire romaine, etc.»
[a49] Page 89, ligne 16.—Les prophètes.
«Je sue sang et eau pour donner les prophètes en langue vulgaire. Bon Dieu! quel travail! comme ces écrivains juifs ont de la peine à parler allemand. Ils ne veulent pas abandonner leur hébreu pour notre langue barbare. C'est comme si Philomèle, perdant sa gracieuse mélodie, était obligée de chanter toujours avec le coucou une même note monotone.» (14 juin 1528.)—Il dit ailleurs qu'en traduisant la Bible, il mettait souvent plusieurs semaines à chercher le sens d'un mot. (Ukert, II, p. 337.)
A Jean Frédéric, duc de Saxe, en lui envoyant sa traduction du prophète Daniel. «... Les historiens racontent avec éloge que le grand Alexandre portait toujours Homère sur lui et le mettait même la nuit sous sa tête: combien serait-il plus juste que le même honneur, ou un plus grand encore, fût rendu à Daniel par tous les rois et princes de la terre! Ils ne devraient pas le mettre sous leur tête, mais le déposer dans leur cœur, car il enseigne des choses bien plus hautes.» (février ou mars 1530.)
[a50] Page 92, ligne 10.—Psaumes...
A l'abbé Frédéric, de Nuremberg, en lui dédiant la traduction du psaume CXVIII: «... C'est mon psaume à moi, mon psaume de prédilection. Je les aime bien tous; j'aime toute l'Écriture sainte, qui est toute ma consolation et ma vie; cependant je me suis attaché particulièrement à ce psaume, et j'ai en vérité le droit de l'appeler mien. Il a aussi bien mérité de moi; il m'a sauvé de mainte grande nécessité d'où ni Empereur, ni rois, ni sages, ni saints, n'eussent pu me tirer. C'est mon ami, qui m'est plus cher que tous les honneurs, toute la puissance de la terre. Je ne le donnerais pas en échange, si l'on m'offrait tout cela.
»Mais, dira-t-on, ce psaume est commun à tous; personne n'a le droit de le dire sien. Oui, mais le Christ est bien aussi commun à tous, et pourtant le Christ est mien. Je ne suis pas jaloux de ma propriété; je voudrais la mettre en commun avec le monde entier... Et plût à Dieu que tous les hommes revendiquassent ce psaume comme étant à eux! Ce serait la querelle la plus touchante, la plus agréable à Dieu, une querelle d'union et de charité parfaite.» (Cobourg, 1er juillet 1530.)
[a51] Page 94, ligne 12.—Des Pères...
Dès le commencement de l'année 1519, il écrivait à Jérôme Düngersheim une lettre remarquable sur l'importance et l'autorité des Pères de l'Église. «L'évêque de Rome est au-dessus de tous par sa dignité. C'est à lui qu'il faut s'adresser dans les cas difficiles et dans les grandes nécessités. J'avoue cependant que je ne saurais défendre contre les Grecs cette suprématie que je lui accorde.
»Si je reconnaissais au pape le pouvoir de tout faire dans l'Église, je devrais, comme conséquence de cette doctrine, traiter d'hérétiques, Jérôme, Augustin, Athanase, Cyprien, Grégoire et tous les évêques d'Orient qui ne furent pas établis par lui ni sous lui. Le concile de Nicée ne fut pas réuni par son autorité; il n'y présida ni par lui-même, ni par un légat. Que dirai-je des décrets de ce concile? Les connaît-on bien? Sait-on lesquels d'entre eux il faut reconnaître?... C'est votre coutume à toi et à Eck, d'accepter les paroles de tout le monde, de modifier l'Écriture par les Pères, comme s'il fallait plutôt croire en eux. Pour moi, je fais tout autrement. Comme Augustin et saint Bernard, en respectant toutes les autorités, je remonte des ruisseaux jusqu'au fleuve qui leur donne naissance.»—Suivent plusieurs exemples des erreurs dans lesquelles les Pères sont tombés. Luther les critique en philologue, montrant qu'ils n'ont pas compris le texte hébreu. «De combien d'autorités Jérôme n'abuse-t-il pas contre Jovinien? Augustin contre Pélage?—Ainsi Augustin dit que ce verset de la Genèse: Faisons l'homme à notre image, est une preuve de la Trinité, mais il y a dans le texte hébreu: Je ferai l'homme, etc.—Le Maître des sentences a donné un bien funeste exemple en s'efforçant de faire accorder les paroles de tous les Pères. Il résulte de là que nous devenons la risée des hérétiques, quand nous nous présentons devant eux avec ces phrases obscures ou à double sens. Eck se fait le champion de toutes les opinions diverses et contraires. C'est là-dessus que roulera notre dispute.» (1519.)
—«J'admire toujours comment après les apôtres, Jérôme a pu mériter le nom de Docteur de l'Église, Origène celui de Maître des Églises... On ne pourrait faire un seul chrétien avec leurs livres... tant ils sont séduits par la pompe des œuvres. Augustin lui-même ne vaudrait pas davantage, si les Pélagiens ne l'avaient rudement exercé, et contraint de défendre la foi.» (26 août 1530.)
—«Celui qui a osé comparer le monachat au baptême était complètement fou; c'était plutôt une bûche qu'une bête. Eh! quoi, crois-tu donc Jérôme, lorsqu'il parle d'une manière si impie contre Dieu, lorsqu'il veut qu'immédiatement après soi-même, ce soient ses parens que l'on considère le plus? Écouteras-tu Jérôme, tant de fois dans l'erreur, tant de fois dans le péché? croiras-tu un homme enfin, plutôt que Dieu lui-même? Va donc, et crois avec Jérôme qu'il faut passer sur le corps à ses parens pour fuir au désert.» (Lettre à Severinus, moine autrichien; 6 octobre 1527.)
[a52] Page 97, ligne 19.—Les Scolastiques...
Grégoire de Rimini a convaincu les scolastiques d'une doctrine pire que celle des pélagiens... Car bien que les pélagiens pensent que l'on peut faire une bonne œuvre sans la grâce, ils n'affirment pas qu'on puisse sans la grâce obtenir le ciel. Les scolastiques parlent comme Pélage, lorsqu'ils enseignent que sans la grâce on peut faire une bonne œuvre, et non une œuvre méritoire. Mais ils enchérissent sur les pélagiens, en ajoutant que l'homme a l'inspiration de la droite raison naturelle à laquelle la volonté peut se conformer naturellement, tandis que les pélagiens avouent que l'homme est aidé par la loi de Dieu. (1519.)
[a53] Page 102, ligne 14.—Biens ecclésiastiques...
Luther écrivit au roi de Danemarck (2 décembre 1536), pour approuver la suppression de l'épiscopat, et pour engager ce prince à faire un bon usage des biens ecclésiastiques, c'est-à-dire (comme il l'écrivait le 18 juillet 1529 au margrave George de Brandebourg), à les appliquer à des fondations d'écoles et d'universités.
«L'Empereur dissimule, et cependant il prend, il dévore les évêchés, Utrecht, Liége, etc. Ceux de la noblesse devraient y prendre garde. Je me suis durement travaillé pour que les fondations ecclésiastiques et les possessions des princes abbés ne fussent point dispersées, mais conservées aux pauvres de la noblesse. Malheureusement cela n'aura pas lieu.» (Tischreden, p. 351.)
[a54] Page 104, ligne 7.—Des cardinaux et évêques...
«Maître Philippe louait devant le docteur Luther la haute intelligence et l'esprit rapide du cardinal, évêque de Saltzbourg, Mathieu Lang. Il disait qu'en 1530, il s'était trouvé six heures avec lui à Augsbourg, et qu'ils avaient causé de la religion. Le cardinal lui avait dit à la fin: «Mon cher domine Philippe, nous autres prêtres, nous n'avons encore jamais rien valu. Nous savons bien que votre doctrine est bonne; mais ignorez-vous donc que jusqu'ici on n'a jamais rien pu gagner sur les prêtres? Ce n'est pas vous qui commencerez.» «Ce cardinal était fils d'un messager d'Augsbourg. Son père était d'une bonne et ancienne famille, mais réduit à l'état de serviteur par sa pauvreté.—Ce fut le premier cardinal qu'il y ait eu en Allemagne. Appuyé par sa sœur, il se fit connaître à la cour de Maximilien, fut ensuite envoyé à Rome auprès du pape, et plus tard nommé coadjuteur de l'évêché de Salzbourg.» (Tischreden, p. 272.)
«J'ai, jusqu'ici, prié pour cet évêque, categoricè, affirmativè, positivè, de cœur, pour que Dieu voulût le convertir. J'ai essayé aussi par écrit de l'amener à la pénitence. Maintenant je prie pour lui hypotheticè et desperabundè... Celui-là n'est point frater ignorantiæ, sed malitiæ.
»Il m'a souvent écrit amicalement, et m'a fait espérer qu'il prendrait femme, comme je lui en avais donné le conseil par écrit.
»Il s'est moqué de nous jusqu'à la diète d'Augsbourg. Là, j'ai appris à le connaître. Cependant il veut encore être mon ami au point qu'il me réclame pour arbitre dans l'affaire de...» (Tischreden, p. 274.)
«A la diète d'Augsbourg, l'évêque de Saltzbourg disait: «Il y a quatre moyens pour réconcilier les deux partis: ou que nous cédions ou qu'ils cèdent; or, ni les uns ni les autres n'en veulent rien faire; ou bien encore, il faut que l'on oblige d'autorité un des partis à céder, et comme il en doit résulter un grand soulèvement, reste le quatrième moyen, savoir: qu'un parti extermine l'autre, et que le plus fort mette le plus faible dans le sac.» Voilà de beaux plans d'unité pour un évêque chrétien.» (Ibidem, p. 19.)
[a55] Page 105, ligne 8.—Moines...
«Les seuls mendians sont divisés en sept partis ou ordres, et les mineurs à leur tour en sept espèces de mineurs. Toutes ces sectes, le très saint père les nourrit et les entretient lui-même, tant il a peur qu'elles ne viennent à s'unir.» (Lettre à la diète de Prague, 15 juillet 1522.)
[a56] Page 107, ligne 22.—Un seul coin de l'Allemagne, celui où nous sommes, fleurit encore par la culture des arts libéraux...
Luther écrivit à l'Électeur, le 20 mai 1530, pour relever son courage et le consoler des chagrins que lui causait la Réforme: «Voyez comme Dieu a fait éclater sa grâce et sa bonté dans les états de votre Altesse! n'est-ce pas là que son Évangile a le plus de ministres pieux et fidèles, ceux qui l'enseignent avec le plus de pureté, de zèle et de fruit? Vous voyez grandir autour de vous toute une jeunesse aimable, de bonnes mœurs et qui sera bientôt savante dans la sainte Écriture. Cela me ravit le cœur de voir nos jeunes enfans, garçons et petites filles, connaître mieux aujourd'hui Dieu et le Christ, avoir une foi plus pure et savoir mieux prier, qu'autrefois toutes les écoles épiscopales et les couvens les plus célèbres.
»Cette jeunesse vous a été accordée comme un signe de faveur et de miséricorde divine. Dieu vous dit en quelque sorte: Cher duc Jean, je te confie mon plus précieux trésor; sois le père de ces enfans. Je veux que tu les gouvernes, que tu les protéges; sois le jardinier de mon paradis, etc.»
Le duc ne paraît pas avoir tenu grand compte de cette recommandation, car Luther dit dans plusieurs de ses lettres qu'il y avait à Wittemberg grand nombre d'étudians qui ne vivaient guère que de pain et d'eau.
[a57] Page 112, ligne 4.—Je regrette de n'avoir pas plus de temps à donner à l'étude des poètes et des orateurs....
A Wenceslas Link de Nuremberg. «Si cela ne vous donne pas trop de peines, mon cher Wenceslas, je vous prie de faire rassembler pour moi tous les dessins, livres, cantiques, chants de Meistersanger et bouts rimés, qui auront été composés en allemand et imprimés cette année chez vous; envoyez-en autant que vous en pourrez trouver. Je désirerais vivement les avoir. Nous savons ici composer des ouvrages latins; mais pour les livres allemands, nous ne sommes que des apprentis. Toutefois, avec l'ardeur que nous y mettons, j'espère que nous réussirons bientôt de manière à vous satisfaire.» (20 mars 1536.)
[a58] Page 112, ligne 23.—Ce n'est point un seul homme qui a fait ces fables...
En 1530, Luther traduisit un choix des fables d'Ésope. Dans la préface il dit qu'il n'y a peut-être jamais eu d'homme de ce nom, et que ces fables ont vraisemblablement été recueillies de la bouche du peuple. (Luth. Werke IX, 455.)
[a59] Page 116, ligne 13.—Chanter est le meilleur exercice...
Heine, Revue des deux Mondes, 1er mars 1834: «Ce qui n'est pas moins curieux et significatif que ces écrits en prose, ce sont les poésies de Luther, ces chansons qui lui ont échappé dans le combat et dans la nécessité. On dirait une fleur qui a poussé entre les pierres, un rayon de la lune qui éclaire une mer irritée. Luther aimait la musique, il a même écrit un traité sur cet art, aussi ses chansons sont-elles très mélodieuses. Sous ce rapport, il a aussi mérité son surnom de Cygne d'Eisleben. Mais il n'était rien moins qu'un doux cygne dans certains chants où il ranime le courage des siens, et s'exalte lui-même jusqu'à la plus sauvage ardeur. Le chant avec lequel il entra à Worms, suivi de ses compagnons, était un véritable chant de guerre. La vieille cathédrale trembla à ces sons nouveaux, et les corbeaux furent effrayés dans leurs nids obscurs, à la cime des tours. Cet hymne, la Marseillaise de la réforme, a conservé jusqu'à ce jour sa puissance énergique, et peut-être entonnerons-nous bientôt dans des combats semblables ces vieilles paroles retentissantes et bardées de fer:»
Notre Dieu est une forteresse,
Une épée et une bonne armure;
Il nous délivrera de tous les dangers
Qui nous menacent à présent.
Le vieux méchant démon
Nous en veut aujourd'hui sérieusement,
Il est armé de pouvoir et de ruse,
Il n'a pas son pareil au monde.
Votre puissance ne fera rien,
Vous verrez bientôt votre perte;
L'homme de vérité combat pour nous,
Dieu lui-même l'a choisi.
Veux-tu savoir son nom?
C'est Jésus-Christ,
Le seigneur Sabaoth.
Il n'est pas d'autre Dieu que lui,
Il gardera le champ, il donnera la victoire.
Si le monde était plein de démons,
Et s'ils voulaient nous dévorer,
Ne nous mettons pas trop en peine,
Notre entreprise réussira cependant.
Le prince de ce monde,
Bien qu'il nous fasse la grimace,
Ne nous fera pas de mal.
Il est condamné,
Un seul mot le renverse.
Ils nous laisseront la parole,
Et nous ne dirons pas merci pour cela:
La parole est parmi nous
Avec son esprit et ses dons.
Qu'ils nous prennent notre corps,
Nos biens, l'honneur, nos enfans.
Laissez-les faire,
Ils ne gagneront rien à cela;
A nous restera l'empire.
[a60] Page 117, ligne 25.—Peinture...
«Le docteur parla un jour de l'habileté et du talent des peintres italiens. «Ils savent imiter la nature si parfaitement, dit-il, qu'indépendamment de la couleur et de la forme convenables, ils expriment encore les gestes et les sentimens de manière à faire croire que leurs tableaux sont choses vivantes.—La Flandre suit la trace de l'Italie. Ceux des Pays-Bas, et surtout les Flamands ont l'esprit éveillé, ils ont aussi de la facilité pour apprendre les langues étrangères. C'est un proverbe que si l'on portait un Flamand dans un sac à travers l'Italie ou la France, il n'en apprendrait pas moins la langue du pays.» (Tischreden, p. 424 verso.)
[a61] Page 122, ligne 3.—Banque...
Il dit dans son traité de Usuris: «J'appelle usuriers ceux qui prêtent à cinq et six pour cent. L'Écriture défend le prêt à intérêt; on doit prêter de l'argent comme on prête un vase à son voisin. Les lois civiles même défendent l'usure. Ce n'est pas faire acte de charité que d'échanger une chose avec quelqu'un en gagnant sur l'échange; c'est voler. Un usurier est un voleur digne de la potence. Aujourd'hui, à Leipsig, celui qui prête cent florins en reçoit au bout d'une seule année quarante pour l'intérêt de son argent.—On ne doit pas observer les promesses faites aux usuriers; ils ne peuvent être admis aux sacremens ni ensevelis en terre sainte.—Voici le dernier conseil que j'aie à donner aux usuriers; ils veulent de l'argent, de l'or; eh bien! qu'ils s'adressent à quelqu'un qui ne leur donnera pas dix ou vingt pour cent, mais cent pour dix. Celui-là a de quoi satisfaire à leur avidité; ses trésors sont inépuisables; il peut donner sans s'appauvrir (Oper. lat. Luth. Witt. t. VII, p. 419-37.)
Le docteur Henning proposait cette question à Luther: «Si j'avais amassé de l'argent, que je ne voulusse pas en disposer, et qu'un homme vînt me prier de le lui prêter; pourrais-je en bonne conscience lui répondre: Je n'ai point d'argent?—Oui, dit Luther, on peut le faire en conscience. C'est comme si on disait: Je n'ai point d'argent dont je veuille disposer... Christ, en ordonnant de donner, ne dit pas de donner à tous les prodigues et dissipateurs... Dans cette ville, il n'y a personne de plus nécessiteux que les étudians. La pauvreté y est grande à la vérité, mais la paresse encore plus... Je ne veux point ôter le pain de la bouche à ma femme et à mes enfans pour donner à ceux à qui rien ne profite (Tischred. p. 64).
[a62] Page 122, à la fin du chapitre IV.
On peut attacher à la fin de ce chapitre diverses paroles de Luther sur les papes, les rois, les princes.
«Il n'y a jamais eu de plus rusé trompeur sur la terre que le pape Clément (Clément VII)[r185]. C'est qu'il était de Florence, etc.»
«Le pape Jules, deuxième du nom, était un homme excellent pour le gouvernement et la guerre[r186]..... Lorsqu'il apprit que son armée avait été battue à Ravenne, il blasphéma Dieu dans le ciel; il lui disait: Au nom de mille diables, es-tu donc devenu si bon Français? est-ce ainsi que tu protéges ton Église? Il tourna les yeux vers la terre, et dit: Saints Suisses, priez pour nous! Et il envoya aussitôt le cardinal de Saltzbourg, Mathieu Lang, pour traiter avec l'empereur Maximilien.»
«Si j'avais été de ce temps-là, on m'aurait fait venir à Paris avec grand honneur, mais j'étais encore trop jeune et Dieu ne le voulait point, de crainte que l'on ne pensât que c'était la puissance du roi de France, etc.»[r187]
«Le pape Jules II, un homme plein d'audace et d'habileté, un vrai diable incarné, avait définitivement résolu de réformer les Franciscains[r188]. Mais ils recoururent aux rois et aux princes, les firent agir et envoyèrent au pape quatre-vingt mille couronnes. Le pape dit: Comment résister à des gens si bien cuirassés?»
«L'an 1532, l'astrologue Gauric raconta au margrave de Brandebourg, Joachim, que, comme on faisait à Clément VII le reproche d'être bâtard, il répondit: Et Jésus-Christ? Dès-lors le Margrave devint favorable à Luther.»[r189]
«Lorsque ceux de Bruges tenaient prisonnier l'empereur Maximilien, et voulaient lui couper la tête, ils écrivirent au sénat de Venise pour demander conseil[r190]. Les Vénitiens répondirent: Homo mortuus non facit guerram... Les Vénitiens firent faire une farce contre Maximilien. Le doge paraissait d'abord, puis venait le Français qui avait une poche au côté; il y prenait des couronnes (pièces de monnaie), et les couronnes débordaient la poche. Derrière venait l'Empereur, peint en habit gris, avec un petit cor de chasse. Il avait aussi une poche, mais quand il y mettait la main, les doigts passaient à travers.—Les Florentins en firent autant. Ils représentèrent le Français assis sur un siége percé, et.... de l'argent. L'empereur Maximilien ramassait. Mais ils ont eu depuis une bonne leçon. Le petit-fils de l'empereur Maximilien, l'empereur Charles, leur a bien appris à vivre. Dieu applique volontiers aux orgueilleux le verset que l'on chante au Magnificat: Deposuit patentes de sede.»
«L'empereur Maximilien disait[r191]: Si on mettait du sang des princes d'Autriche et de Bavière bouillir ensemble dans un pot, on le verrait en même temps sauter dehors.»
«On dit que l'empereur Maximilien partit un jour d'un éclat de rire; il en avoua la cause le lendemain[r192]. Je riais, dit-il, de voir que Dieu a confié le gouvernement spirituel à un ivrogne de prêtre, comme le pape Jules, et le gouvernement temporel à un chasseur de chamois, comme je suis.»
«Dans le château de Prague l'on voit toute la suite des portraits des rois. Ferdinand est le dernier, et il n'y a plus de place. Il en est de même dans la salle ronde du château de Wittemberg. Cela ne signifie rien de bon.
L'empereur Maximilien disait: «L'Empereur est bien le roi des rois, car les princes de l'Empire font tout ce qu'ils veulent; le roi de France est celui des ânes, les siens exécutent tout ce qu'il commande; le roi d'Angleterre est le roi des hommes, car ils lui obéissent et ils l'aiment.»
«Maximilien demandait à un de ses secrétaires comment il fallait traiter un serviteur qui le volait; et comme l'autre répondait qu'il était juste de le pendre: Nous n'en ferons rien, dit l'Empereur en lui frappant sur l'épaule, nous avons encore besoin de vos services.»
«Après l'élection de l'empereur Charles, l'électeur de Saxe demanda au seigneur Fabian de Feilitzsch, son conseiller, s'il lui plaisait qu'on eût élu empereur le roi d'Espagne[r193]. Cet homme sage répondit: «Il est bon que les corbeaux aient un vautour.»
On lisait dans un vieux livre cette prophétie: «L'empereur Charles soumettra toute l'Europe, réformera l'Église; sous lui, les ordres mendians et les sectes seront anéantis.»
«La nouvelle vint qu'Antonio de Leyva et André Doria avaient conseillé à l'Empereur d'aller en personne contre le Turc et de ne point emmener son frère; car, disaient-ils, il n'a point de bonheur[r194]. En effet, Ferdinand est trop fin et trop réfléchi; il n'agit que par conseil et délibération, jamais par impulsion divine.»—L'Empereur devient malheureux; il ne sait pas profiter de l'occasion; il perd aujourd'hui Milan.
«Le roi de France aime les femmes[r195]... Au contraire, l'Empereur passant par la France en 1544, trouva après un grand festin une belle et noble vierge dans son lit, que le roi de France y avait fait conduire. L'Empereur la renvoya honorablement chez ses parens.
»L'Empereur n'a appelé à son couronnement que des princes et seigneurs italiens et espagnols, qui ont porté devant lui les drapeaux et les armes des électeurs. J'avais touché cela dans un petit livre, mais l'Électeur en a fait acheter tous les exemplaires.
»Le roi de France dépense autant d'argent en trahison que pour ses armées. Aussi, dans sa guerre contre le pape Jules et Venise, il a dissipé vingt mille hommes avec quatre mille.
»Tant que le Français a eu des hommes de guerre allemands, il a obtenu la victoire. Ce sont en effet les meilleurs; ils se contentent de leur solde et protégent le peuple. Aussi Antonio de Leyva conseilla, en mourant, à l'Empereur de s'attacher ses soldats allemands; que s'il les perdait, ce serait fait de lui; car ils tenaient tous ensemble comme un seul homme.»
Après la défaite de François Ier à Pavie, Luther écrivait: «Que le roi de France soit de chair ou autre chose, je ne me réjouis pas de le voir vaincu et pris. Vaincu, cela se peut souffrir, mais captif, c'est une monstruosité... Peut-être l'heure du royaume de France est-elle venue, comme cet autre le disait de Troie: Venit summa dies et ineluctabile fatum..... Ce sont, à ce qu'il me semble, des signes qui annoncent le dernier jour du monde. Ces signes sont plus graves qu'on ne serait tenté de le croire... Il n'y a qu'une chose qui me fait plaisir, c'est de voir frustrés les efforts de l'Anti-Christ, qui commençait à s'appuyer sur le roi de France.» (mars 1525.)
(Février 1537). «Le roi de France est persuadé que chez nous autres luthériens, il n'y a plus ni mariage, ni autorité, ni église, ni rien de tout ce qu'on regarde comme sacré. Son envoyé, le docteur Gervais, nous l'a assuré positivement. Mais d'où vient cela? certainement de ce qu'on ne laisse pénétrer en ce pays, non plus qu'en Italie, aucun écrit des nôtres, et que le scélérat de Mayence, ainsi que ses pareils, y envoient toutes les calomnies qui se débitent contre nous.»
«Nous avons ici un Français, François Lambert, qui était il y a deux ans prédicateur apostolique, comme on les appelle parmi les mineurs, et qui vient de prendre pour femme une des nôtres: il espère mieux vivre dans le voisinage de la France (à Strasbourg)... Il gagnera sa vie à traduire en français mes ouvrages allemands.» (4 décembre 1523.)
«Les rois de France et d'Angleterre sont luthériens pour prendre, point pour donner. Ils ne cherchent point l'intérêt de Dieu, mais le leur.
»Sept universités ont approuvé le divorce du roi d'Angleterre; mais nous autres de Wittemberg et ceux de Louvain, nous avons soutenu le contraire, eu égard aux circonstances particulières, à la longue cohabitation, à l'existence d'une fille, etc.[r196]
»Quelques-uns qui avaient reçu des écrits d'Angleterre annoncèrent comment le roi s'était séparé de l'Évangile[r197]. Je suis charmé, dit Luther, que nous soyons quitte de ce blasphémateur. J'ai seulement regret de voir que Mélanchton ait adressé ses plus belles préfaces aux plus méchantes gens.
»Le duc George de Saxe disait qu'il ne forcerait personne à communier sous une espèce, mais que ceux qui voulaient le faire autrement, devaient sortir du pays[r198].
»Lorsque le duc George déclara au duc Henri de Saxe, son frère, qu'il ne lui laisserait ses états qu'à condition d'abandonner l'Évangile, il répondit: «Par la vierge Marie (c'était le mot ordinaire de sa Grâce), avant que je consente à renier mon Christ, j'irai avec ma Catherine, un petit bâton à la main, mendier par le pays[r199].» Je voudrais que l'Empereur fît pape le duc George; les évêques supporteraient sa réforme encore moins que la mienne. Il réduirait l'évêque de Mayence à quatorze chevaux, etc.
»Le duc George a sucé le sang bohémien avec le lait de sa mère, fille du roi de Bohême, Casimir[r200]. Il aurait fini par s'arranger avec l'électeur Frédéric pour frapper les évêques, les abbés, etc. Il est de sa nature ennemi du clergé. Mais les lettres et les flatteries de l'Empereur, du pape, des rois d'Angleterre et de France, l'ont tellement enflé, que, etc...
»Lorsque le duc George voyait son fils Jean à l'agonie, il le consolait en lui rappelant l'article de la justification par la foi en Christ, et l'exhortait à ne regarder que le Sauveur, sans se reposer sur ses œuvres ni sur l'invocation des saints[r201]. Alors, l'épouse du duc Jean, sœur du landgrave Philippe de Hesse, dit au duc George: «Cher seigneur et père, pourquoi ne laisse-t-on pas prêcher publiquement cette doctrine dans le pays?»—«Ma chère fille, répondit-il, on la doit enseigner seulement aux mourans, mais point aux gens en santé.» (1537.)—Ce duc Jean avait été obligé par son père de jurer une haine éternelle à la doctrine luthérienne, et il l'avait fait connaître au docteur Luther par le vieux peintre Lucas Cranach.»
Leipsig était la capitale et la résidence du duc George. Aussi les protestans, surveillés de près par le duc, n'y pouvaient faire de nombreux prosélytes, et Luther en marque souvent son dépit par sa colère contre cette ville.
«Je hais, dit-il, ceux de Leipsig comme je ne hais rien sous le soleil, tant il y a là d'orgueil, d'arrogance, de rapacité et d'usure. (15 mai 1540.)
»Je hais cette Sodome (Leipsig), sentine des usures et de tous les maux. Je n'y entrerais qu'autant qu'il le faut pour arracher Loth.» (26 octobre 1539.)
»L'électorat de Saxe est pauvre et rapporte peu. Si l'Électeur n'avait pas la Misnie, il ne pourrait entretenir quarante chevaux; mais il a des tributs de princes et seigneurs, des droits de sauf-conduit, des douanes, des rentes, etc... Sa Grâce électorale a cédé, pour de l'argent, les régales, entre autres le droit de grâce.
»L'électeur Frédéric était économe[r202]. Il savait bien remplir ses caves et ses greniers de grains et d'autres denrées. On compte neuf châteaux qu'il a fait bâtir, et cependant il lui restait toujours assez d'argent; c'est qu'il suivait le bon conseil que son fou lui avait donné. Un jour, qu'il se plaignait de manquer d'argent, le fou lui dit: Fais-toi percepteur. Il exigeait des comptes sévères de ses serviteurs. Quand il venait dans un de ses châteaux, il mangeait, buvait, se faisait donner du fourrage comme un hôte ordinaire, et payait tout comptant. Par là il ôtait à ses gens l'occasion de s'excuser, en disant: On a tant consommé de choses, quand le prince est venu!
»L'électeur Frédéric-le-Sage disait à Worms, en 1521: «Je ne trouve point d'église romaine dans ma croyance; mais une commune église chrétienne, je l'y trouve.»
«Ce même prince avait, dit Mélanchton, près de Wittemberg un cerf apprivoisé, qui, pendant bien des années, allait, au mois de septembre, dans la forêt voisine, et revenait exactement en octobre. Lorsque l'Électeur fut mort, le cerf partit et l'on ne le revit plus.
»En 1525, l'électeur Jean de Saxe me demanda s'il devait accorder aux paysans leurs douze articles[r203]. Je le détournai entièrement d'en approuver un seul.
»Le duc Jean disait en 1525, en apprenant la révolte des paysans: «Si le Seigneur veut que je reste prince, que sa volonté soit faite, mais je puis aussi être un autre homme.»
Luther blâme la patience de ce prince, qui avait appris des moines, ses confesseurs, à supporter la désobéissance de ses gens.
Il disait à Luther: «Mon fils, le duc Ernest, m'a écrit une lettre latine pour me demander à courir un cerf. Je veux qu'il étudie; il sera toujours à même d'apprendre à laisser pendre deux jambes sur un cheval.»
«Le même prince avait toujours pour sa garde six nobles jeunes garçons, qui restaient dans sa chambre et qui lui lisaient la Bible six heures par jour. Sa Grâce électorale s'endormait quelquefois, mais il n'en citait pas moins à son réveil quelques belles paroles qu'il avait remarquées et retenues.—Pendant la prédication il tenait près de lui des écrivains, et lui-même de sa propre main recueillait les paroles de la bouche du prédicateur.
»Lorsque Ferdinand fut élu roi des Romains à Cologne, le jeune duc Jean-Frédéric y fut envoyé pour protester de la part de son seigneur et père. Dès qu'il eut exécuté ses ordres, il repartit au grand galop, et comme il avait à peine passé la porte, on envoya des gens pour courir après lui et le prendre. (1531.)
»On dit que l'Empereur a fait entendre, après avoir lu notre Confession et apologie, qu'il voulait que l'on enseignât et que l'on prêchât dans le même sens par tout le monde[r204]. Le duc George aurait dit aussi qu'il savait très bien qu'il y avait beaucoup d'abus à réformer dans l'Église, mais qu'il ne voulait pas de cette réforme, quand elle venait d'un moine défroqué.
»La dernière fois que l'électeur Jean alla à la chasse, tout le gibier lui échappait. Les bêtes ne voulaient plus le reconnaître pour maître, c'était un présage de sa mort. (1532.)
»Le duc Jean-Frédéric, qui a été si bien pillé et dépouillé par ceux de la noblesse, a appris à ses dépens à les connaître.
»L'électeur Jean-Frédéric est naturellement colère, mais il sait à merveille dompter son courroux.—Il aime à bâtir et à boire; il est vrai qu'un si grand corps doit tenir plus qu'un petit.—Il donne par an mille florins pour l'université; pour le pasteur, deux cents, avec soixante boisseaux de froment; de plus soixante florins à cause des leçons publiques.» Il envoya une fois cinq cents florins à Luther sur les fonds d'une abbaye pour marier quelque pauvre religieuse.
»Quoique le docteur Jonas l'y engageât, Luther refusa de demander à l'Électeur une nouvelle visitation des églises[r205]. «Il a soixante-dix conseillers qui crient à le rendre sourd. Ils lui disent: Quel bon conseil peut donner le scribe? contentons-nous de prier Dieu qu'il dirige le cœur du prince.»
Du landgrave Philippe de Hesse.—«Le Landgrave est un pieux, intelligent et joyeux seigneur; il maintient une bonne paix dans sa terre, qui n'est que pierres et forêts; de sorte que les gens y peuvent voyager et commercer sans crainte... Le Landgrave est un guerrier, un Arminius, petit de sa personne, mais, etc. Il consulte et suit aisément les bons conseils; la résolution une fois prise, il exécute promptement.—L'Empereur lui a offert, pour lui faire quitter l'Évangile, la possession paisible du comté de Katzenellenbogen, et le duc George l'aurait fait à ce prix son héritier... Il a une tête hessoise; il ne peut se reposer, il faut qu'il ait quelque chose à faire... C'était une grande audace de vouloir, en 1528, envahir les possessions des évêques; et ç'a été un acte plus grand d'avoir rétabli le duc de Wurtemberg et chassé le roi Ferdinand de ce pays. Moi et Mélanchton, nous fûmes appelés à cette occasion à Weimar, et nous employâmes toute notre rhétorique à empêcher sa Grâce de rompre la paix de l'Empire... Il en devint tout rouge et s'emporta. Cependant c'est une âme tout-à-fait loyale.
»Dans le colloque de Marbourg, en 1529, sa Grâce vint avec un petit habit, de sorte que personne ne l'aurait reconnu pour le Landgrave; et cependant, il était occupé de grandes pensées. Il consulta Mélanchton, et lui dit: «Cher maître Philippe, dois-je souffrir que l'évêque de Mayence me chasse par violence mes prédicateurs évangéliques?» Philippe répondit: «Si la juridiction du lieu appartient à l'évêque de Mayence, votre Grâce ne peut l'empêcher.» Permis à vous de conseiller, répondit le Landgrave, mais je n'agirai pas moins.»
»A la diète d'Augsbourg, en 1530, le landgrave dit publiquement aux évêques: «Faites la paix, nous vous le demandons. Si vous ne la faites point et qu'il me faille descendre de mes montagnes, j'en saisirai au moins un ou deux.»
»Dieu a jeté le Landgrave au milieu de l'Empire. Il a autour de lui quatre électeurs et le duc de Brunswick; et il les fait tous trembler. C'est que le commun peuple lui est attaché. Avant de rétablir le duc de Wurtemberg, il était allé en France, et le roi de France lui avait prêté beaucoup d'argent pour la guerre.
»Si le Landgrave s'enflamme une fois...! C'est ce qui nous est arrivé, à moi et à maître Philippe, lorsque nous le détournions humblement et faiblement de la guerre; «Qu'arrivera-t-il si je souffre vos conseils et si je n'agis point?»—C'est un miracle de Dieu. Le Landgrave est un prince peu puissant, cependant on le redoute; c'est un héros. Il a renvoyé les évêques au chœur... Les Saxons et ceux de la Hesse, lorsqu'ils sont en selle, sont de vrais cavaliers. Les cavaliers des hautes terres (du midi de l'Allemagne) ne sont que des danseurs. Dieu nous conserve le Landgrave..... Dieu nous préserve de la guerre! les gens de guerre sont des diables incarnés. Je ne parle pas seulement des Espagnols, mais aussi des Allemands.
»Après la diète de Francfort, en 1539, environ neuf mille soldats d'élite furent rassemblés autour de Brême et de Lunebourg pour être employés contre les états protestans[r206]. Mais l'électeur de Saxe et le landgrave de Hesse leur firent parler par le chevalier Bernard de Mila, leur donnèrent de l'argent comptant et les attirèrent à eux. Ensuite mourut subitement le duc George, etc.»
«Le landgrave de Hesse et de Thuringe, Louis-le-Fameux, était un seigneur dur et colérique. Il était tenu prisonnier par l'évêque de Hall, il sauta par une fenêtre du haut du château et du rocher dans la Sals, nagea, s'aida d'un tronc d'arbre et échappa. Il sévissait toujours cruellement contre ses sujets. Sa femme s'avisa de lui servir de la viande un vendredi saint, et comme il n'en voulait pas manger; elle lui dit: «Cher seigneur, vous craignez ce péché, lorsque vous en faites tous les jours de plus grands et de plus horribles.» Mais elle fut obligée de s'enfuir et de quitter ses enfans. Au moment de son départ, à minuit, elle baisa son enfant qui était encore au berceau, le bénit, et, dans un transport d'amour maternel, elle le mordit à la joue[8]. Accompagnée d'une jeune fille, elle descendit par une corde du château de Wartbourg, tout le long du précipice. Son maître-d'hôtel l'attendait avec un chariot, et la conduisit secrètement à Francfort-sur-le-Mein.—Quand ce landgrave mourut, on l'affubla d'un habit de moine, ce qui faisait beaucoup rire tous ses chevaliers.
«En Italie, les hôpitaux sont bien pourvus, bien bâtis[r207]. On y donne une bonne nourriture; il y a des serviteurs attentifs et de savans médecins. Les lits et les habits sont très propres; l'intérieur des bâtimens orné de belles peintures. Aussitôt qu'un malade y est amené, on lui ôte ses habits en présence d'un notaire qui en dresse une note et une description exacte pour qu'ils lui soient bien gardés. On le revêt d'un sarreau blanc, on le met dans un lit bien fait et dans des draps blancs; on ne tarde pas à lui amener deux médecins, et les serviteurs viennent lui apporter à manger et à boire dans des verres bien propres, qu'ils touchent du bout du doigt. Il vient aussi des dames et matrones honorables qui se voilent pendant quelques jours pour servir les pauvres, de sorte qu'on ne sait point qui elles sont, et elles retournent ensuite chez elles.—J'ai vu aussi à Florence que les hôpitaux étaient servis avec tous ces soins; de même les maisons des enfans-trouvés, où les petits enfans sont nourris au mieux, élevés, enseignés et instruits. Ils les ornent tous d'un costume uniforme, et en prennent le plus grand soin.
»Je ne manque point de drap, mais je ne puis me décider à me faire faire des culottes[r208]. Les miennes ont été raccommodées quatre fois, et le seront encore. Les tailleurs ne font rien de bon et prennent trop cher. Cela va bien mieux en Italie; les tailleurs ont une corporation particulière qui ne fait que des culottes.
»En Espagne, pour les couches de l'impératrice, trente hommes se sont fouettés jusqu'au sang, afin de lui obtenir un heureux enfantement, deux même en sont morts, et cependant la mère ni le fœtus n'ont pu être délivrés. Qu'a-t-on fait de plus chez les païens? (14 août 1539.)
»En Italie et en France, les curés sont généralement des ânes[r209]. Si on leur demande: Quot sunt sacramenta? ils répondent: Tres.—Quæ? Réponse: Le goupillon, l'encensoir et la croix.
»En France, il y a eu tant de superstition, que les serfs et serviteurs voulaient pour la plupart se faire moines[r210]. Il fallut que le roi défendît la moinerie. La France est abîmée dans la superstition. Les Italiens de même sont ou superstitieux ou épicuriens. C'est un propos commun en Italie, quand ils vont à l'église de dire: Allons au préjugé populaire.
»Lorsque je vis Rome, je tombai à genoux, levai les mains au ciel et dis[r211]: Salut, sainte Rome, sanctifiée par les saints martyrs et par leur sang qui y a été versé...; mais elle est maintenant déchirée, und der teufel hat den papst, seinen dreck, darauss geschissen.—Cent ans avant Jésus-Christ, Rome avait quatre millions de citoyens; peu après, neuf millions; certes, cela devait faire un peuple, si toutefois la chose est vraie.—A Venise, trois cent mille feux; à Erfurt, dix-huit mille murs à feu (murs mitoyens); à Nuremberg, à peine la moitié.—Rome n'est plus qu'une charogne et un tas de cendres..... Les maisons sont aujourd'hui où étaient les toits de l'ancienne Rome; telle est l'épaisseur des décombres, qu'il y en a la hauteur de deux lances de landsknecht[9]. Rien n'y est à louer que le consistoire et la cour de Rote, où les affaires sont instruites et jugées avec beaucoup de justice.
Le docteur Staupitz avait entendu dire à Rome, en 1511, que d'après une vieille prophétie, un ermite s'élèverait sous le pape Léon X, et attaquerait la papauté; or, les augustins s'appellent aussi ermites.
»Je ne voudrais pas, pour cent mille florins, ne pas avoir vu Rome; je me serais toujours inquiété si je ne faisais pas injustice au pape.»—Il répète trois fois ces paroles.
«Il y avait en Italie un ordre particulier, qui s'appelait les Frères de l'ignorance [r212]. Ils devaient jurer de ne rien savoir et de ne vouloir rien apprendre. Tous les moines méritent le même nom.»
Un soir, à la table de Luther, il se trouvait un vieux prêtre qui racontait beaucoup de choses de Rome[r213]. Il y était allé quatre fois et y avait officié pendant deux ans. Quand on lui demanda pourquoi il y était allé si souvent, il répondit: «La première fois j'y cherchais un filou, la seconde je le trouvais, la troisième je l'emportais avec moi, et la quatrième je l'y rapportais et le plaçais derrière l'autel de Saint-Pierre.»
«Christoff Gross, qui avait été long-temps à Rome, trabant du pape, parla beaucoup des pays par où l'on va vers la Terre-Sainte, de l'Aragon et de la Biscaye[r214]. Ils ont pour signe du baptême une petite cicatrice au nez, juste sous les yeux.»
«Les Écossais sont la nation la plus fière; beaucoup se sont réfugiés en Allemagne, à Erfurth et à Wurtzbourg; ils n'admettent personne comme moine dans leurs couvens. Les Écossais sont méprisés des autres nations, comme les Samaritains par les Juifs.»
«Les Anglais ont été chassés de France après leur défaite à Montlhéri, entre Paris et Orléans[10].—Ils ne laissent personne à Calais, à moins qu'il ne parle anglais dans tant d'heures.»
«La peste règne toujours en Angleterre[r215].—L'Angleterre est un morceau de l'Allemagne.—Les langues danoise et anglaise sont du saxon, c'est-à-dire du véritable allemand, tandis que la langue de l'Allemagne supérieure n'est point la vraie langue allemande.—La Souabe et la Bavière sont hospitalières; au contraire la Saxe.—Luther préfère le dialecte de la Hesse à tous les autres de l'Allemagne, parce que les Hessois accentuent les mots comme s'ils chantaient.»
Diversité des langues.—«Supériorité de l'allemande: elle fait sentir que les Allemands sont gens plus simples et plus vrais. Au contraire, c'est un proverbe: les Français écrivent autrement qu'ils ne parlent, et parlent autrement qu'ils ne pensent.—L'allemand se rapporte au grec. Le latin est sec, il n'a pas de lettres doubles.—Finesse des Saxons et bas Allemands; ils sont pires que les Italiens, quand ils adoptent les idées de l'Italie.—Les habitations et l'aspect des pays changent ordinairement dans l'espace d'un siècle. Il y a peu d'années que la Hesse, la Franconie, la Westphalie, n'étaient qu'un désert. Au contraire, autour de Halle, d'Halberstadt, et chez nous, on fait jusqu'à trois milles sans trouver rien que bruyères, tandis qu'autrefois il y avait des terres cultivées. Dieu aura ôté la fertilité au pays, pour punir les habitans.»
«Nous sommes de bons compagnons, nous autres Allemands, nous buvons, nous mangeons, nous cassons nos vitres, nous perdons en une soirée cent, mille florins ou plus, et nous oublions le Turc qui, en trente jours, peut être avec sa cavalerie légère à Wittemberg.»
«En France, chacun a son verre à table.—Les Français se préservent de l'air; s'ils suent, ils se couvrent, s'approchent du feu, se mettent au lit; sans cela ils auraient la fièvre. Deux personnes dansent à la fois, les autres regardent; au contraire en Allemagne.—Les prêtres d'Italie et de France ne savent pas même leur langue.»
«Dans mon voyage sur le Rhin, je voulus dire la messe, mais un prêtre me dit[r216]: «Vous ne le pouvez: nous suivons ici le rit ambroisien.»
»George Fœgeler, chancelier du margrave, disait que dans la Bavière il y avait plus de cent vingt-cinq cures vacantes, parce qu'on ne pouvait trouver aucun ecclésiastique[r217].
»Dans la Bohême, il y a environ trois cents cures vacantes, de même chez le duc George.
»La Thuringe avait autrefois un sol très fertile en grain, surtout autour d'Erfurt; mais maintenant elle est frappée de malédiction[r218]. Le blé y est plus cher qu'à Wittemberg. C'est ce que j'ai vu, il y a un an, lorsque j'étais à Smalkald; ils n'avaient qu'un mauvais pain noir... Ils ont de telles vendanges qu'on pourrait donner la pinte pour trois liards; si elles étaient moitié moins bonnes, ils seraient très riches; mais maintenant ils donnent le vin pour le tonneau.
»L'électorat de Saxe a eu douze couvens de moines déchaux, mineurs, cinq de prêcheurs, moines de saint Paul et carmélites, et quatre d'augustins[r219]. Voilà seulement pour les moines mendians qui, aujourd'hui se dissipent d'eux-mêmes.—Alors, un Anglais qui se trouvait à table chez le docteur, se mit à dire qu'en Angleterre, il n'y avait guère de milles carrés d'Allemagne, où l'on ne trouvât trente-deux cloîtres de moines mendians.
»Le vieil électeur de Brandebourg, Joachim, disait une fois au duc de Saxe Frédéric[r220]: Comment pouvez-vous, vous autres princes de Saxe, frapper de la monnaie si forte? Nous y avons gagné trois tonnes d'or (en renvoyant une monnaie inférieure dans la Saxe).
La princesse de A. (Anhalt), venant à Wittemberg, se rendit chez Luther, et insista vivement pour discuter avec lui, quoiqu'il fût malade et que ce fût à une heure indue. Il s'excusa en lui disant: «Noble dame, je suis rarement bien portant dans toute l'année; je souffre presque toujours ou du corps ou de l'esprit.» Elle lui répondit: «Je le sais, mais nous, nous ne pouvons pas non plus vivre tous dans la piété.» Le docteur lui dit alors: «Vous autres de la noblesse, cependant, vous devriez tous être pieux et irréprochables, car vous êtes peu, vous formez un cercle étroit. Nous, gens du commun et des basses classes, nous nous corrompons par la multitude; nous sommes en grand nombre, il n'est donc pas étonnant qu'il y ait si peu de gens pieux parmi nous. C'est chez vous, personnes nobles et illustres, que nous devrions trouver des exemples de piété, d'honnêteté, etc.» Et il continua de lui parler sur ce ton. (Tischreden, p. 341, verso.)
Luther avait dans sa maison et à sa table un Hongrois, nommé Mathias de Vai. De retour en Hongrie, il y prêcha, et fut accusé par un prédicateur papiste devant le moine George, frère du Vayvode, alors gouverneur et régent à Bude. Le moine George fit apporter deux tonneaux de poudre sur le marché, et dit: «Si l'un de vous deux prêche la bonne doctrine, asseyez-vous dessus, j'y mettrai le feu; nous verrons lequel des deux restera vivant.» Le papiste refusa, Mathias s'élança sur un des tonneaux. Le papiste et les siens furent condamnés à payer quatre cents florins de Hongrie, et à entretenir pendant un certain temps deux cents hommes d'armes. Mathias eut la permission de prêcher l'Évangile. (Tischr., p. 13.)
Un seigneur hongrois, nommé Jean Huniade, se trouvant à Torgau, comme ambassadeur du roi Ferdinand auprès de l'électeur Jean-Frédéric, pria celui-ci de faire venir Luther pour qu'il pût le voir et lui parler. Luther y vint; à table, l'ambassadeur dit qu'en Hongrie les prêtres donnaient la communion tantôt sous une, tantôt sous deux espèces, et qu'ils prétendaient que la chose était indifférente. «Révérend père, ajouta-t-il, en s'adressant à Luther, me permettez-vous de vous demander ce que vous pensez de ces prêtres?» Le docteur répondit qu'il les regardait comme de méprisables hypocrites, «Car, dit-il, s'ils étaient bien convaincus que la communion sous deux espèces est d'institution divine, ils ne pourraient continuer de la donner sous une seule.»
Luther cacha le dépit que la question de l'ambassadeur lui avait causé, et quelque temps après, il se tourna vers lui, en disant: «Seigneur, j'ai répondu à ce que votre Grâce me demandait. Me permettra-t-elle de lui faire une question à mon tour?» L'ambassadeur le lui permettant, il continua: «Je suis étonné que vos pareils, les conseillers des rois et des princes, qui savent bien que la doctrine de l'Évangile est la véritable, ne laissent pas de la persécuter de toutes leurs forces. Me pourriez-vous dire d'où cela vient?» A ces mots, André Pflug, l'un des convives, voyant l'embarras du seigneur hongrois, interrompit Luther et parla vivement d'autre chose, de sorte que le seigneur fut dispensé de répondre. (Tischr., p. 148.)
Le chapitre des Propos de table où se trouve réuni tout ce que Luther a dit sur les Turcs, est fort curieux comme peinture des alarmes qu'éprouvaient alors toutes les familles chrétiennes. Chaque mouvement des barbares est marqué par un cri de terreur. C'est la même scène que celle de Goetz de Berlichingen, où le chevalier ne pouvant agir, se fait rendre compte par les siens du combat qui a lieu dans la plaine, et qu'ils contemplent du haut d'une tour; c'est la même anxiété d'un péril toujours croissant, et qu'on est dans l'impuissance d'éviter ou de combattre.
«Le Turc ira à Rome, et je n'en suis pas trop fâché, car il est écrit dans le prophète Daniel, etc.[r221] Une fois le Turc à Rome, le Jugement dernier n'est pas loin.
»Le Christ a sauvé nos âmes; il faudra qu'il sauve aussi nos corps; car le Turc va donner un bon coup à l'Allemagne[r222]. Je pense souvent à tous les maux qui vont suivre, et il m'en vient la sueur... La femme du docteur s'écria: Dieu nous préserve des Turcs! Non, reprit-il, il faut bien qu'ils viennent et qu'ils nous secouent comme il faut.
»Qui m'eût dit que je verrais en face l'un de l'autre les deux empereurs, les rois du Midi et du Septentrion[r223]?... Oh! priez, car nos gens de guerre sont trop présomptueux, ils comptent trop sur leur force et sur leur nombre. Cela ne peut pas bien finir. Et il ajoutait: Les chevaux allemands sont plus forts que ceux des Turcs; ils peuvent les renverser; ceux-ci sont plus légers, mais plus petits.
»Je ne compte point sur nos murs, ni sur nos arquebuses, mais sur le Pater noster [r224]. C'est là ce qui battra les Turcs; le décalogue n'y suffit pas.»
Luther dit qu'après avoir depuis long-temps désiré de connaître l'Alcoran, il en trouva enfin une mauvaise version latine de 1300, et qu'il la traduisit en allemand, afin de mieux faire connaître l'imposture de Mahomet[r225]. Dans son «Instruction tirée de l'Alcoran,» il prouve que ce n'est point Mahomet qui est l'Anti-Christ (car l'imposture, dit-il, est trop visible en celui-ci), mais plutôt le pape avec son hypocrisie.—«Il y a trois ans qu'un moine du pays des Maures vint ici. Nous disputâmes avec lui par l'intermédiaire d'un interprète, et comme il fut confondu en tous points par la Parole de Dieu, il dit à la fin: «C'est là une bonne croyance.»
Les juifs, à titre de juifs et d'usuriers, étaient fort mal avec Luther.
«Nous ne devons pas souffrir les juifs parmi nous. On ne doit ni boire ni manger avec eux.—Cependant, dit quelqu'un, il est écrit que les juifs seront convertis avant le Jugement...—Et il est écrit aussi, dit la femme de Luther, qu'il n'y aura qu'une bergerie et un berger.—Oui, chère Catherine, dit le docteur. Mais cela s'est déjà accompli, lorsque les païens ont embrassé l'Évangile.» (Tischr., p. 431.)
«Si j'étais à la place des seigneurs de **, je ferais venir ensemble tous les juifs, et je leur demanderais pourquoi ils appellent Christ un fils de p..., et sainte Marie une coureuse. S'ils parvenaient à le prouver, je leur donnerais cent florins; sinon je leur arracherais la langue.» (Tischr., p. 431, verso.)
[a63] Page 127, ligne 24.—Je ne puis nier que je ne sois violent...
Érasme disait: «Luther est insatiable d'injures et de violences; c'est comme Oreste furieux.» (Erasm., Epist. non sobria Luther.)
[a64] Page 142, ligne 9.—Le droit impérial ne tient plus qu'à un fil...
Cependant Luther le préférait encore au droit saxon.
«Le docteur Luther parlant de la grande barbarie et dureté du droit saxon, disait que les choses iraient au mieux si le droit impérial était suivi dans tout l'Empire. Mais l'opinion s'est établie à la cour, que le changement ne pouvait se faire sans grande confusion et grande dévastation.» (Tischreden, page 412.)
[a65] Page 143, ligne 17.—Je te le conseille, juriste, laisse dormir le vieux dogue...
Dans son avant-dernière lettre à Mélanchton (6 février 1546), il dit en parlant des légistes: «O sycophantes, ô sophistes, ô peste du genre humain!... Je t'écris en colère, mais je ne sais si, de sang froid, je pourrais mieux dire.»
[a66] Page 143, ligne 24.—Juristes pieux...
Il souhaite qu'on améliore leur condition.
«Les docteurs en droit gagnent trop peu et sont obligés de se faire procureurs. En Italie, on donne à un juriste quatre cents ducats ou plus par an; en Allemagne, ils n'en ont que cent. On devrait leur assurer des pensions honorables, ainsi qu'aux bons et pieux pasteurs et prédicateurs. Faute de cela, ils sont obligés pour nourrir leurs femmes et leurs enfans, de s'occuper de l'agriculture et des soins domestiques.» (Tischreden, page 414.)
[a67] Page 143.—Fin du chapitre.
Au comte Albrecht de Mansfeld, au sujet d'une affaire de mariage: «Les paysans, les gens grossiers qui ne recherchent que la liberté de la chair, les légistes qui décident toujours contre la foi, m'ont rendu si las, que j'ai rejeté décidément le fardeau des affaires de mariages, et que j'ai dit à plusieurs de faire, au nom de tous les diables, ce qu'il leur plaira: Sinite mortuos sepelire mortuos. Le monde veut le pape! qu'il l'ait, s'il n'en peut être autrement. Tous les légistes tiennent pour lui. Je ne sais vraiment si, moi mort, ils auront le courage d'adjuger, à mes enfans, le nom de Luther et mes guenilles! Ils jugent toujours d'après le droit papal. A qui la faute? A vous autres seigneurs, qui les rendez trop fiers, qui les soutenez dans tout ce qui leur plaît de décider, qui opprimez les pauvres théologiens, quelque raison qu'ils puissent avoir...» (5 octobre 1536.)
«Il faudrait dans un pays deux cents pasteurs contre un juriste. Nous devrions, en attendant, changer en pasteurs les juristes et les médecins. Vous verrez que cela viendra.» (Tischreden, page 4, verso.)
[a68] Page 151, fin du chapitre.
Discussion confidentielle entre Mélanchton et Luther. (1536.)
Mélanchton trouve probable l'opinion de saint Augustin, qui soutient «que nous sommes justifiés par la foi, par la rénovation,» et qui, sous le mot de rénovation, comprend tous les dons et les vertus que nous tenons de Dieu[11]. «Quelle est votre opinion? demanda-t-il à Luther. Tenez-vous, avec saint Augustin, que les hommes sont justifiés par la rénovation, ou bien par imputation divine?»—Luther répond: «Par la pure miséricorde de Dieu.»—Mélanchton propose de dire que l'homme est justifié principaliter par la foi, et minùs principaliter par les œuvres, en sorte que la foi rachète l'imperfection de celles-ci.—Luther. «La miséricorde de Dieu est seule la vraie justification. La justification par les œuvres n'est qu'extérieure; elle ne peut nous délivrer ni du péché ni de la mort.»—Mélanchton. Je vous demande ce qui justifie saint Paul et le rend agréable à Dieu, après sa régénération par l'eau et l'esprit?—Luther. «C'est uniquement cette régénération même. Il est devenu juste et agréable à Dieu par la foi, et par la foi il reste tel à jamais.»—Mélanchton. Est-il justifié par la seule miséricorde, ou bien l'est-il principalement par la miséricorde, et moins principalement par ses vertus et ses œuvres?—Luther. «Non pas. Ses vertus et ses œuvres ne sont bonnes et pures que parce qu'elles sont de saint Paul, c'est-à-dire d'un juste. Une œuvre plaît ou déplaît, est bonne ou mauvaise, à cause de la personne qui la fait.»—Mélanchton. Mais vous enseignez vous-même que les bonnes œuvres sont nécessaires, et saint Paul qui croit, et qui en même temps fait les œuvres, est agréable à Dieu pour cela. S'il faisait autrement il lui déplairait.—Luther. «Les œuvres sont nécessaires, il est vrai, mais c'est par une nécessité sans contrainte, et toute autre que celle de la Loi. Il faut que le soleil luise, c'est une nécessité également; cependant ce n'est pas par suite d'une loi qu'il luit, mais bien par nature, par une qualité inhérente et qui ne peut être changée: il est créé pour luire. De même le juste, après la régénération, fait les œuvres, non pour obéir à quelque loi ou contrainte, car il ne lui est pas donné de loi, mais par une nécessité immuable.—Ce que vous dites de saint Paul, qui, sans les œuvres, ne plairait pas à Dieu, est obscur et inexact, car il est impossible qu'un croyant, c'est-à-dire un juste, ne fasse ce qui est bien.»—Mélanchton. Sadolet nous accuse de nous contredire en enseignant que la foi seule justifie, et en admettant néanmoins que les bonnes œuvres sont nécessaires.—Luther. «C'est que les faux frères et les hypocrites, faisant semblant de croire, on leur demande les œuvres pour confondre leur fourberie...»—Mélanchton. Vous dites que saint Paul est justifié par la seule miséricorde de Dieu. A cela je réplique que si l'obéissance ne venait s'ajouter à la miséricorde divine, il ne serait point sauvé, conformément à la parole (I. Cor. IX): «Malheur à moi, si je ne prêchais pas l'Évangile!»—Luther. «Il n'est besoin de rien ajouter à la foi; si elle est véritable, elle est à elle seule efficace toujours et en tout point. Ce que les œuvres valent, elles ne le valent que par la puissance et la gloire de la foi, qui est, comme le soleil, resplendissante et rayonnante par nécessité de nature.»—Mélanchton. Dans saint Augustin, les œuvres sont incluses en ces mots: Solâ fide.—Luther. «Quoi qu'il en soit, saint Augustin fait assez voir qu'il est des nôtres, quand il dit: «Je suis effrayé, il est vrai, mais je ne désespère pas, car je me souviens des plaies du Seigneur.» Et ailleurs, dans ses Confessions: «Malheur aux hommes, quelque bonne et louable que leur vie puisse être, s'ils ne sollicitent la miséricorde de Dieu...»—Mélanchton. Est-elle vraie, cette parole: «La justice est nécessaire au salut?»—Luther. «Non pas dans ce sens, que les œuvres produisent le salut, mais qu'elles sont les compagnes inséparables de la foi qui justifie. C'est tout de même qu'il faudra que je sois là en personne lorsque je serai sauvé.»
«J'en serai aussi,» dit l'autre qu'on menait pour être pendu, et qui voyait les gens courir à toutes jambes vers le gibet... La foi qui nous est donnée de Dieu régénère l'homme incessamment et lui fait faire des œuvres nouvelles, mais ce ne sont pas les œuvres nouvelles qui font que l'homme est régénéré... Les œuvres n'ont pas de justice par elles-mêmes aux yeux de Dieu, quoiqu'elles ornent et glorifient accidentellement l'homme qui les fait... En somme, les croyans sont une création nouvelle, un arbre nouveau. Toutes ces manières de dire usitées dans la Loi, telles que: «Le croyant doit faire de bonnes œuvres, ne nous conviennent donc plus. On ne dit pas: Le soleil doit luire, un bon arbre doit porter de bons fruits, trois et sept doivent faire dix. Le soleil luit par sa nature, sans qu'on le lui commande; le bon arbre porte de même ses bons fruits; trois et sept ont de tout temps fait dix; il n'est pas besoin de le commander pour l'avenir.
Le passage suivant est plus exprès encore. «Je pense qu'il n'y a point de qualité qui s'appelle foi ou amour, comme le disent les rêveurs et les sophistes, mais je reporte cela entièrement au Christ, et je dis mea formalis justitia (la justice certaine, permanente, parfaite, dans laquelle il n'y a ni manque, ni défaut; celle qui est comme elle doit être devant Dieu), cette justice c'est le Christ, mon seigneur. (Tischr., p. 133.)
Ce passage est un de ceux qui font le plus fortement sentir le rapport intime de la doctrine de Luther avec le système d'identification absolue. On conçoit que la philosophie allemande ait abouti à Schelling et à Hegel.
[a69] Page 152.
Les papistes se moquaient beaucoup des quatre nouveaux Évangiles. Celui de Luther, qui condamne les œuvres; celui de Kuntius, qui rebaptise les adultes; celui d'Othon de Brunfels, qui ne regarde l'Écriture que comme un pur récit cabalistique, surda sine spiritu narratio; enfin, celui des mystiques (Cochlæus, p. 165.) Ils auraient pu y joindre celui du docteur Paulus Ricius, médecin juif, qui fit paraître, pendant la diète de Ratisbonne, un petit livre où Moïse et saint Paul montraient, dans un dialogue, comment toutes les opinions religieuses qui excitaient tant de disputes pouvaient être conciliées.
[a70] Page 155, ligne 6.—J'ai vu dans l'air un petit nuage de feu... Dieu est irrité...
«La comète me donne à penser que quelque malheur menace l'Empereur et Ferdinand. Elle a tourné sa queue d'abord vers le nord, puis vers le sud, désignant ainsi les deux frères. (oct. 1531.)
[a71] Page 156, ligne 24.—Michel Stiefel croit être le septième ange...
«Michel Stiefel, avec sa septième trompette, nous prophétise le jour du jugement pour cette année, vers la Toussaint.» (26 août 1533.)
[a72] Page 162, fin du chapitre.
Il se moque de l'importance donnée aux cérémonies extérieures dans une lettre à George Duchholzer, ecclésiastique de Berlin, qui lui avait demandé son avis sur la réforme récemment introduite dans le Brandebourg: «..... Pour ce qui est de la chasuble, des processions et autres choses extérieures que votre prince ne veut pas abolir, voici mon conseil: S'il vous accorde de prêcher l'Évangile de Jésus-Christ purement et sans additions humaines, d'administrer le baptême et la communion tels que Christ les a institués, de supprimer l'adoration des saints et les messes des morts, de renoncer à bénir l'eau, le sel et les herbes, de ne plus porter les saints-sacremens dans les processions, enfin s'il n'y fait chanter que des cantiques purs de toute doctrine humaine: faites les cérémonies qu'il demande, à la garde de Dieu, portez une croix d'or ou d'argent, une chape, une chasuble de velours, de soie, de toile et tout ce que vous voudrez. Si votre seigneur ne se contente pas d'une seule chape ou chasuble, mettez-en trois, comme le grand prêtre Aaron qui mettait trois robes l'une sur l'autre, toutes belles et magnifiques. Si sa Grâce électorale n'a pas assez d'une seule procession que vous ferez avec chant et tintamarre, faites-la sept fois, comme Josué et les enfans d'Israël allèrent sept fois autour de Jéricho en criant et sonnant des trompettes. Et pour peu que cela amuse sa Grâce électorale, elle n'a qu'à ouvrir elle-même la marche, et danser devant les autres, au son des harpes, des timbales et des sonnettes, comme fit David devant l'arche du Seigneur à Jérusalem; je ne m'y oppose point. Ces choses, quand l'abus ne s'y mêle point, n'ajoutent, n'ôtent rien à l'Évangile. Mais il faut se garder d'en faire des nécessités, des chaînes pour la conscience. Si seulement je pouvais en venir là avec le pape et ses adhérens, ah! que je remercierais Dieu! Vraiment, si le pape me cédait ce point, il pourrait me dire de porter je ne sais quoi, que je le porterais pour lui faire plaisir..... Pardonnez-moi, mon cher ami, de vous répondre si brièvement aujourd'hui; j'ai la tête si faible, qu'il m'en coûte d'écrire...» (4 décembre 1539.)
[a73] Page 177, ligne 18.—Elle tomba raide...
«Une servante avait eu, pendant bien des années un invisible esprit familier qui s'asseyait près d'elle au foyer, où elle lui avait fait une petite place, s'entretenant avec lui pendant les longues nuits d'hiver. Un jour la servante pria Heinzchen (elle nommait ainsi l'esprit) de se laisser voir dans sa véritable forme. Mais Heinzchen refusa de le faire. Enfin, après de longues instances, il y consentit, et dit à la servante de descendre dans la cave, où il se montrerait. La servante prit un flambeau, descendit dans le caveau, et là, dans un tonneau ouvert, elle vit un enfant mort qui flottait au milieu de son sang. Or, longues années auparavant, la servante avait mis secrètement un enfant au monde, l'avait égorgé, et l'avait caché dans un tonneau.» (Tischreden, page 222, trad. d'Henri Heine. Voy. son bel article sur Luther, Revue des deux Mondes, 1er mars 1834.)
[a74] Page 182, ligne 15.—Ils saisissaient la tête...
«L'ennemi de tout bien et de toute santé (le diable), chevauche quelquefois à travers ma tête, de manière à me rendre incapable de lire ou d'écrire la moindre des choses.» (28 mars 1532.)
[a75] Page 183, ligne 9.—Le diable n'est pas, à la vérité, un docteur qui a pris ses grades...
«C'est une chose merveilleuse, dit Bossuet, de voir combien sérieusement et vivement il décrit son réveil, comme en sursaut, au milieu de la nuit, l'apparition manifeste du diable pour disputer contre lui. La frayeur dont il fut saisi, sa sueur, son tremblement et son horrible battement de cœur dans cette dispute; les pressans argumens du démon qui ne laisse aucun repos à l'esprit; le son de sa puissante voix; ses manières de disputer accablantes, où la question et la réponse se font sentir à la fois. Je sentis alors, dit-il, comment il arrive si souvent qu'on meure subitement vers le matin: c'est que le diable peut tuer et étrangler les hommes, et sans tout cela, les mettre si fort à l'étroit par ses disputes, qu'il y a de quoi en mourir, comme je l'ai plusieurs fois expérimenté.» (De abrogandâ missâ privatâ, t. VII, 222, trad. de Bossuet. Variations, II, p. 203.)
[a76] Page 201, ligne 8.—Après avoir prêché à Smalkalde...
Il écrivit à sa femme sur cette maladie: «... J'ai été comme mort; je t'avais déjà recommandée, toi et nos enfans, à Dieu et à notre Seigneur, dans la pensée que je ne vous reverrais plus; j'étais bien ému en pensant à vous; je me voyais déjà dans la tombe. Les prières et les larmes de gens pieux qui m'aiment, ont trouvé grâce devant Dieu. Cette nuit a tué mon mal, me voilà comme rené...» (27 février 1537.)
Luther éprouva une rechute dangereuse à Wittemberg. Obligé de rester à Gotha, il se croyait près de la mort. Il dicta à Bugenhagen, qui était avec lui, sa dernière volonté. Il déclara qu'il avait combattu la papauté selon sa conscience, et demanda pardon à Mélanchton, à Jonas et à Cruciger des offenses qu'il pouvait leur avoir faites. (Ukert, t. I, p. 325.)
[a77] Page 202, ligne 2.—Ma véritable maladie...
Luther fut atteint de bonne heure de la pierre; cette maladie le faisait cruellement souffrir. Il fut opéré le 27 février 1537.
«Je commence à entrer en convalescence, avec la grâce de Dieu, je rapprends à boire et à manger, quoique mes jambes, mes genoux, mes os tremblent, et que je me porte à peine. (21 mars 1537.)
»Je ne suis, même sans parler des maladies et de la vieillesse, qu'un cadavre engourdi et froid.» (6 décembre 1537.)
[a78] Page 215, ligne 10.—Les comtes de Mansfeld...
Il avait essayé en vain de réconcilier les comtes de Mansfeld. «Si l'on veut, dit-il, faire entrer dans une maison un arbre coupé, il ne faut pas le prendre par la tête; toutes les branches l'arrêteraient à la porte. Il faut le prendre par la racine, et les branches plieront pour entrer. (Tischreden, p. 355.)
[a79] Page 222.—A la fin du chapitre.
Nous réunissons ici plusieurs particularités relatives à Luther.
Érasme dit de lui: «On loue unanimement les mœurs de cet homme; c'est un grand témoignage que ses ennemis même n'y trouvent pas matière à la calomnie.» (Ukert, t. II, page 5.)
Luther aimait les plaisirs simples: il faisait souvent de la musique avec ses commensaux et jouait aux quilles avec eux.—Mélanchton dit de lui: «Quiconque l'aura connu et fréquenté familièrement, avouera que c'était un excellent homme, doux et aimable en société, nullement opiniâtre ni ami de la dispute. Joignez à cela la gravité qui convenait à son caractère.—S'il montrait de la dureté en combattant les ennemis de la vraie doctrine, ce n'était point malignité de nature, mais ardeur et passion pour la vérité.» (Ukert, t. II, p. 12.)
«Bien qu'il ne fût ni d'une petite stature ni d'une complexion faible, il était d'une extrême tempérance dans le boire et le manger. Je l'ai vu étant en pleine santé, passer quatre jours entiers sans prendre aucun aliment, et souvent se contenter, dans une journée entière, d'un peu de pain et d'un hareng pour toute nourriture.» (Vie de Luther, par Mélanchton.)
Mélanchton dit dans ses Œuvres posthumes: «Je l'ai souvent trouvé, moi-même, pleurant à chaudes larmes, et priant Dieu ardemment pour le salut de l'Église. Il consacrait, chaque jour, quelque temps à dire des psaumes et à invoquer Dieu de toute la ferveur de son âme.» (Ukert, t. II, p. 7.)
Luther dit de lui-même: «Si j'étais aussi éloquent et aussi riche en paroles qu'Érasme, aussi bon helléniste que Joachim Camérarius, aussi savant en hébreu que Forscherius, et aussi un peu plus jeune, ah! quels travaux je ferais!» (Tischreden, p. 447.)
«Le licencié Amsdorf est naturellement théologien. Les docteur Creuziger et Jonas le sont par art et réflexion. Mais moi et le docteur Pomer, nous donnons peu de prise dans la dispute.» (Tischreden, p. 425.)
A Antoine Unruche, juge à Torgau «... Je vous remercie de tout mon cœur, cher Antoine, d'avoir pris en main la cause de Marguerite Dorst, et de n'avoir pas souffert que ces insolens hobereaux enlevassent à la pauvre femme le peu qu'elle a. Vous savez que le docteur Martin n'est pas seulement théologien et défenseur de la foi, mais aussi le soutien du droit des pauvres gens qui viennent de tous côtés lui demander ses conseils et son intercession auprès des autorités. Il sert volontiers les pauvres, comme vous faites vous-même, vous et ceux qui vous ressemblent. Tous les juges devraient être comme vous. Vous êtes pieux, vous craignez Dieu, vous aimez sa parole; aussi Jésus-Christ ne vous oubliera-t-il pas...» (12 juin 1538.)
Luther écrit à sa femme au sujet d'un vieux domestique qui allait quitter sa maison: «Il faut congédier notre vieux Jean honorablement; tu sais qu'il nous a toujours servis loyalement, avec zèle, et comme il convenait à un serviteur chrétien. Combien n'avons-nous pas donné à des vauriens, à des étudians ingrats, qui ont fait un mauvais usage de notre argent? Il ne faut donc pas lésiner, dans cette occasion, à l'égard d'un si honnête serviteur, chez lequel notre argent sera placé d'une manière agréable à Dieu. Je sais bien que nous ne sommes pas riches; je lui donnerais volontiers dix florins si je les avais; en tous cas, ne lui en donne pas moins de cinq, car il n'est pas habillé. Ce que tu pourras faire de plus, fais-le, je t'en prie. Il est vrai que la caisse de la ville devrait bien aussi lui donner quelque chose, parce qu'il a fait toutes sortes de services dans l'église; qu'ils agissent comme ils voudront. Vois de quelle manière tu pourras avoir cet argent. Nous avons un gobelet d'argent à mettre en gage. Dieu ne nous abandonnera pas, j'en suis sûr. Adieu.» (17 février 1532.)
«Le prince m'a donné un anneau d'or; mais afin que je visse bien que je n'étais pas né pour porter de l'or, l'anneau est aussitôt tombé de mon doigt (car il est un peu trop large). J'ai dit: Tu n'es qu'un ver de terre, et non un homme. Il fallait donner cet or à Faber, à Eckius; pour toi, du plomb, une corde au cou te conviendraient davantage.» (15 septembre 1530.)
L'Électeur, établissant une contribution pour la guerre des Turcs, en avait fait exempter Luther. Il lui répondit qu'il acceptait cette faveur pour ses deux maisons, dont l'une (l'ancien couvent) lui coûtait beaucoup d'entretien sans rien rapporter, et dont l'autre n'était pas payée encore. «Mais, continue-t-il, je prie votre Grâce électorale, en toute soumission, de permettre que je contribue pour mes autres biens. J'ai encore un jardin estimé à cinq cents florins, une terre à quatre-vingt-dix, et un petit jardin qui en vaut vingt. J'aimerais bien à faire comme les autres, à combattre le Turc de mes liards, à ne pas être exclu de l'armée qui doit nous sauver. Il y en a déjà assez qui ne donnent pas volontiers; je ne voudrais pas faire des envieux. Il vaut mieux qu'on ne puisse se plaindre, et que l'on dise: Le docteur Martin est aussi obligé de payer.» (26 mars 1542.)
A l'électeur Jean. «Grâce et paix en Jésus-Christ. Sérénissime seigneur! j'ai long-temps différé de remercier votre Grâce des habits qu'elle a bien voulu m'envoyer; je le fais par la présente de tout mon cœur. Cependant je prie humblement votre Grâce de ne pas en croire ceux qui me présentent comme dans le dénûment. Je ne suis déjà que trop riche selon ma conscience; il ne me convient pas, à moi, prédicateur, d'être dans l'abondance, je ne le souhaite ni ne le demande.—Les faveurs répétées de votre Grâce commencent vraiment à m'effrayer. Je n'aimerais pas à être de ceux à qui Jésus-Christ dit: Malheur à vous, riches, parce que vous avez déjà reçu votre consolation! Je ne voudrais pas non plus être à charge à votre Grâce, dont la bourse doit s'ouvrir sans cesse pour tant d'objets importans. C'était donc déjà trop de l'étoffe brune qu'elle m'a envoyée; mais, pour ne pas être ingrat, je veux aussi porter en son honneur l'habit noir, quoique trop précieux pour moi; si ce n'était un présent de votre Grâce électorale, je n'aurais jamais voulu porter un pareil habit.
»Je supplie en conséquence votre Grâce de vouloir bien dorénavant attendre que je prenne la liberté de demander quelque chose. Autrement cette prévenance de sa part m'ôterait le courage d'intercéder auprès d'elle pour d'autres qui sont bien plus dignes de sa faveur. Jésus-Christ récompensera votre âme généreuse: c'est la prière que je fais de tout mon cœur. Amen.» (17 août 1529.)
Jean-le-Constant avait fait présent à Luther de l'ancien couvent des Augustins à Wittemberg.—L'électeur Auguste le racheta de ses héritiers, en 1564, pour le donner à l'université. (Ukert, t. I, p. 347.)
Lieux habités par Luther et objets qu'on a conservés de lui.—La maison dans laquelle Luther naquit n'existe plus; elle fut brûlée en 1689.—A la Wartbourg, on montre encore sur le mur une tache d'encre que Luther aurait faite en jetant son écritoire à la tête du diable.—On a conservé aussi la cellule qu'il occupait au couvent de Wittemberg, avec différens meubles qui lui appartenaient. Les murs de cette cellule sont couverts de noms de visiteurs. On remarque celui de Pierre-le-Grand écrit sur la porte.—A Cobourg, l'on voit la chambre qu'il habitait pendant la diète d'Augsbourg (1530).
Luther portait au doigt une bague d'or, émaillée, sur laquelle on voyait une petite tête de mort avec ces mots: Mori sæpe cogita; autour du chaton était écrit: O mors, ero mors tua. Cette bague est conservée à Dresde, ainsi qu'une médaille en argent dorée, que la femme de Luther portait au cou. Dans cette médaille, un serpent se dresse sur les corps des Israélites, avec ces mots: Serpens exaltatus typus Christi crucifixi. Le revers présente Jésus-Christ sur la croix avec cette légende: Christus mortuus est pro peccatis nostris. D'un côté on lit encore: D. Mart. Luter Caterinæ suæ dono. D. H. F.; et de l'autre: Quæ nata est anno 1499, 29 januarii.
Il avait lui-même un cachet dont il a donné la description dans une lettre à Lazare Spengler: «Grâce et paix en Jésus-Christ.—Cher seigneur et ami! vous me dites que je vous ferais plaisir en vous expliquant le sens de ce qu'on voit sur mon sceau. Je vais donc vous indiquer ce que j'ai voulu y faire graver, comme symbole de ma théologie. D'abord, il y a une croix noire avec un cœur au milieu. Cette croix doit me rappeler que la foi au Crucifié nous sauve: qui croit en lui de toute son âme est justifié. Cette croix est noire pour indiquer la mortification, la douleur par laquelle le chrétien doit passer. Le cœur néanmoins conserve sa couleur naturelle; car la croix n'altère pas la nature, elle ne tue pas, elle vivifie. Justus fide vivit, sed fide crucifixi. Le cœur est placé au milieu d'une rose blanche, qui indique que la foi donne la consolation, la joie et la paix; la rose est blanche et non rouge, parce que ce n'est point la joie et la paix du monde, mais celle des esprits: le blanc est la couleur des esprits, et de tous les anges. La rose est dans un champ d'azur, pour montrer que cette joie dans l'esprit et dans la foi est un commencement de la joie céleste qui nous attend; celle-ci y est déjà comprise, elle existe déjà en espoir, mais le moment de la consommation n'est pas encore venu. Dans ce champ vous voyez aussi un cercle d'or. Il indique que la félicité dans le ciel durera éternellement, et qu'elle est supérieure à toute autre joie, à tout autre bien, comme l'or est le plus précieux des métaux.—Que Jésus-Christ, notre seigneur, soit avec vous jusque dans la vie éternelle. Amen. De mon désert de Cobourg, 8 juillet 1530.»
A Altenbourg, l'on a conservé long-temps un verre de table dans lequel Luther avait bu la dernière fois qu'il visita son ami Spalatin. (Ukert, t. I, page 245 et suiv.)
NOTES
[1] L'un des interrogés dit que le roi en avait cinq. D'après une autre relation, le nombre en serait monté à la fin jusqu'à dix-sept.
[2] Ceci se rapporte à l'interprétation du mot: né, geboren.
[3] C'est aussi ce que dit Montaigne dans ses Essais.
[4] Sans doute Copernic qui termina vers 1530 son livre De orbium cœlestium revolutionibus, imprimé, en 1543, à Nuremberg, avec une dédicace au pape Paul III. Dès 1540, une lettre de son disciple Rheticus fit connaître le nouveau système.
[5] Voyez la belle ballade anglaise sur le martyre de Barleycorn.
[6] Il semble qu'on retrouve ces tristes pensées dans le beau portrait de Luther mort, qui se trouve dans la collection du libraire Zimmer à Heidelberg; ce portrait exprime aussi la continuation d'un long effort.
[7] Nom d'un village près duquel Luther possédait une petite terre.
[8] Luther appelle Louis ce landgrave, qui s'appelait effectivement Albert-le-Dénaturé, et vivait en 1288. Sa femme, Marguerite était fille de l'empereur Frédéric II; son fils est Frédéric I, dit le Mordu.
[9] Voyez le Voyage de Montaigne.
[10] Il est inutile de relever les erreurs grossières dont fourmille ce chapitre.
[11] Mélanchton fait remarquer que saint Augustin n'exprime pas cette opinion dans ses écrits de controverse.