CHAPITRE IV.

Drames.—Musique.—Astrologie.—Imprimerie.—Banque, etc.

Des représentations théâtrales.—Luther ne désapprouve point un maître d'école qui jouait les comédies de Térence. Il énumère les diverses utilités de la comédie. Si on s'abstenait de la comédie, parce qu'il s'agit souvent d'amour, on n'oserait non plus lire la Bible.

«—Notre cher Joachim m'a demandé mon jugement sur ces représentations d'histoires saintes, que blâment plusieurs de vos ministres. Voici, en peu de mots, mon opinion. Il a été commandé à tous les hommes de répandre et de propager le Verbe de Dieu, par tous les moyens, non pas seulement par la parole, mais par écritures, peintures, sculptures, psaumes, chansons, instrumens de musique, comme dit le psaume: Laudate eum in tympano et choro, laudate eum chordis et organo. Et Moïse dit: Ligabis ea quasi signum in manu tuâ, eruntque et movebuntur inter oculos tuos, scribesque ea in limine et ostiis domûs tuæ. Moïse veut que la parole se meuve devant les yeux, et comment cela se pourrait-il faire mieux et plus clairement que par des représentations semblables, mais graves et modestes, et non par des farces, comme autrefois sous la papauté? De tels spectacles frappent les yeux du peuple, et l'émeuvent souvent bien plus que des prédications publiques. Je sais que dans la basse Allemagne, où l'on a interdit la profession publique de l'Évangile, des drames, tirés de la Loi et de l'Évangile, en ont converti un grand nombre.» (5 avril 1543.)

De la musique.—«La musique est un des plus beaux et des plus magnifiques présens de Dieu. Satan en est l'ennemi. Par elle on repousse bien des tentations et de mauvaises pensées. Le diable ne tient pas contre.

»Quelques-uns de la noblesse, et des courtisans, pensent que mon gracieux seigneur pourrait épargner en musique trois mille florins par an; et l'on dépense, en choses inutiles, trente mille florins.

»Le duc George, le landgrave de Hesse, et l'électeur de Saxe, Jean-Frédéric, entretenaient des chanteurs et des musiciens. Aujourd'hui, c'est le duc de Bavière, l'empereur Ferdinand et l'empereur Charles.»

En 1538, 17 décembre, Luther ayant des musiciens pour hôtes, et les ayant entendus, dit avec admiration: «Si notre Seigneur nous accorde de si nobles dons dans cette vie même, qui n'est qu'ordure et misère, que sera-ce donc dans la vie éternelle? En voici un commencement.

»Chanter est le meilleur exercice[a59]. Il n'a rien à voir avec le monde... Aussi je me réjouis de ce que Dieu a refusé aux paysans (sans doute aux paysans révoltés), un don et une consolation si grande; ils n'entendent point la musique, et n'écoutent point la parole.»

Il disait un jour à un joueur de harpe: «Mon ami, joue-moi un air, comme faisait David. Je crois que, s'il revenait aujourd'hui, il serait bien étonné de trouver les gens si habiles.

»Comment se fait-il pourtant que nous ayons tant de belles choses dans le genre mondain, et que, dans le spirituel, nous n'ayons rien que de froid et de mauvais (et il répétait quelques chansons allemandes). Pour ceux qui méprisent la musique, comme font tous les rêveurs et les mystiques; je ne puis m'accorder avec eux.

»... Je demanderai au prince qu'avec cet argent il établisse une musique.» (avril 1541.)

Le 4 octobre 1530, il écrit à Ludovic Senfel, musicien de la cour de Bavière, pour lui demander de lui mettre en musique le: In pace in id ipsum. «L'amour de la musique m'a fait surmonter la crainte d'être repoussé, lorsque vous verrez un nom qui vous est sans doute odieux. Ce même amour me donne aussi l'espérance que mes lettres ne vous attireront aucun désagrément. Qui pourrait, fût-il le Turc, vous en faire un sujet de reproches?... Après la théologie, il n'y a aucun art que l'on puisse mettre à côté de la musique.»

Luther recommande à son ami Amsdorf, un peintre nommé Sébastien, et ajoute: «Je ne sais si vous aurez besoin de lui. Je désirerais cependant que ton habitation fût plus ornée et plus élégante, à cause de la chair à qui reviennent aussi quelques soins et quelques recréations, lorsqu'elles sont sans péché et sans faute.» (6 février 1542.)

Peinture [a60] .—Les pamphlets de Luther contre le pape, étaient presque toujours accompagnés de gravures symboliques.—«Quant à ces trois furies, dit-il, dans l'explication d'une de ces gravures satiriques, je n'avais autre chose dans l'esprit, lorsque j'en faisais l'application au pape, que d'exprimer l'atrocité de l'abomination papale par ces expressions les plus énergiques, les plus atroces de la langue latine; car les Latins ignorent ce que c'est que Satan ou le diable, comme l'ignorent aussi les Grecs et toutes les nations.» (8 mai 1545.)

C'était Lucas Cranach qui en avait fait les figures.—Luther écrit: «Maître Lucas est un peintre peu délicat. Il pouvait épargner le sexe féminin en considération de nos mères et de l'œuvre de Dieu. Il pouvait peindre d'autres formes plus dignes du pape, je veux dire plus diaboliques.» (3 juin 1545.)

«Je ferai tous mes efforts, si je vis, pour que le peintre Lucas substitue à cette peinture obscène une image plus honnête.» (15 juin.)

Luther professait pour Albert Dürer une grande admiration. Lorsqu'il apprit sa mort, il écrivit: «Il est douloureux sans doute de l'avoir perdu. Rejouissons-nous cependant de ce que Christ, par une fin si heureuse, l'a tiré de cette terre de misères et de troubles, qui, peut-être bientôt, sera déchirée par des troubles plus grands encore. Dieu n'a pas voulu que celui qui était né pour un siècle heureux, vît de si tristes choses; qu'il repose en paix avec ses pères.» (avril 1528.)

De l'astronomie et de l'astrologie.—«Il est vrai que les astrologues peuvent prédire l'avenir aux impies, et leur annoncer la mort qui les attend, car le diable sait les pensées des impies, et il les a en sa puissance.»

On fit mention d'un nouvel astronome, qui voulait prouver que c'est la terre qui tourne, et non point le firmament, le soleil et la lune; il en est de même, disait-il, pour les habitans de la terre que pour ceux qui sont dans un chariot ou dans un vaisseau, et qui croient voir le rivage ou les arbres fuir derrière eux[4]. «Ainsi va le monde aujourd'hui; quiconque veut être habile, ne doit pas se contenter de ce que font et savent les autres. Le sot veut changer tout l'art de l'astronomie; mais, comme le dit la sainte Écriture, Josué commanda au soleil de s'arrêter, et non à la terre.»

«Les astrologues ont tort d'attribuer aux étoiles la mauvaise influence qui appartient en effet aux comètes.

»Maître Philippe tient fort à cela, mais il n'a jamais pu me persuader. Il prétend que l'art est réel, mais qu'il n'y a point de maître qui s'y entende.»

Comme on montrait un horoscope au docteur Luther, il dit: «C'est une belle et agréable imagination, et qui plaît à la raison. On va bien régulièrement d'une ligne à l'autre... Il en est de l'astrologie comme de l'art des sophistes, de decem prædicamentis realiter distinctis; tout est faux et artificiel; mais dans cette œuvre vaine et fictive, il y a un admirable ensemble; dans tant de siècles et parmi tant de sectes, thomistes, albertistes, scotistes, ils sont restés fidèles aux mêmes règles.

»La science, qui a pour objet la matière, est incertaine. Car la matière est sans forme, et dépourvue de qualités et propriétés. Or, l'astrologie a pour objet la matière, etc.

»Ils avaient dit qu'il y aurait un déluge en 1524, et la chose n'arriva qu'en 1525, époque du soulèvement des paysans. Déjà le bourgmestre Hendorf avait fait monter au haut de sa maison un quart de bière pour y attendre le déluge.»

Maître Philippe disait que l'empereur Charles devait vivre jusqu'à quatre-vingt-quatre ans; le docteur Luther répondit: «Le monde ne durera pas si long-temps. Ézéchiel y est contraire. Si nous chassons le Turc, la prophétie de Daniel est accomplie, et certainement le jour du jugement est à la porte.»

Une grande étoile rouge, qui avait paru dans le ciel, et qui forma ensuite une croix en 1516, reparut plus tard; «mais alors, dit Luther, la croix parut brisée; car l'Évangile était obscurci par les sectes et les révoltes. Je ne trouve rien de certain dans de tels signes; ce sont communément des signes diaboliques et trompeurs. Nous en avons vu beaucoup ces quinze dernières années.»

Imprimerie.—«L'imprimerie est le dernier et suprême don, le summum et postremum donum, par lequel Dieu avance les choses de l'Évangile. C'est la dernière flamme qui luit avant l'extinction du monde. Grâce à Dieu, elle est venue à la fin. Sancti patres dormientes desiderârunt videre hunc diem revelati Evangelii.»

Comme on lui montrait un écrit des Fugger, orné de lettres d'une forme bizarre, que personne ne pouvait le lire, il dit: «C'est une invention d'hommes habiles et prévoyans. Mais c'est la marque d'une époque bien corrompue. Nous lisons que Jules César employait de pareilles lettres. On dit que l'Empereur, se défiant de ses secrétaires, les fait écrire, dans les affaires les plus importantes, de deux manières qui se contredisent; et ils ne savent point auxquels des deux écrits il doit mettre son sceau.»

Banque [a61] .—«Un cardinal, évêque de Brixen, étant mort fort riche à Rome, on ne trouva point d'argent chez lui, mais seulement un petit billet dans sa manche. Le pape Jules II se douta bien que c'était une lettre de change; il envoya sur-le-champ chercher le facteur des Fugger, à Rome, et lui demanda s'il ne connaissait point cet écrit? Oui, répondit-il, c'est la reconnaissance de ce que Fugger et compagnie doivent au cardinal; cela fait trois cent mille florins. Le pape demanda s'il pouvait lui payer tout cet argent. A toute heure, répondit l'autre. Le pape fit venir ensuite les cardinaux de France et d'Angleterre, et leur demanda si leurs rois pourraient trouver en une heure trois tonnes d'or? Ils répondirent que non. Eh bien! dit-il, un bourgeois d'Augsbourg peut le faire.

»Fugger devant un jour donner au conseil d'Augsbourg l'estimation de ses biens, il répondit qu'il ne savait pas ce qu'il avait, car son argent était dans tout le monde, en Turquie, en Grèce, à Alexandrie, en France, en Portugal, en Angleterre, en Pologne, etc., mais qu'il pouvait bien donner l'estimation de ce qu'il avait à Augsbourg.»[a62]

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