Des écoles et universités, et des arts libéraux.
«On doit tirer des écoles des pasteurs qui édifient et soutiennent l'Église. Des écoles et des pasteurs, cela vaut mieux que des conciles, comme je l'ai dit déjà.
»J'espère que si le monde dure encore, les universités d'Erfurth et de Leipzig se relèveront et prendront des forces, pourvu qu'elles adoptent la saine théologie, à quoi elles semblent déjà disposées. Mais il faut que quelques-uns s'endorment auparavant.—Je m'étonnais d'abord qu'une université eût été fondée ici, à Wittemberg.—Erfurth est situé au mieux pour cela: là il doit y avoir une ville, quand même celle qui existe serait brûlée, ce que Dieu veuille empêcher. L'université d'Erfurth était jadis si renommée, que toutes les autres en comparaison étaient considérées comme de petites écoles. Maintenant cette gloire et cette majesté ont disparu, et l'université d'Erfurth est tout-à-fait morte.
»Autrefois, on avançait les maîtres, on les honorait; on portait devant eux des flambeaux. Je trouve qu'il n'y a jamais eu en ce monde de joie comparable à celle-là. C'était aussi une grande fête quand on faisait des docteurs. On allait à cheval autour de la ville; on s'habillait avec plus de soin, on se parait. Tout cela ne se fait plus, mais je voudrais bien que l'on fît revivre ces bonnes coutumes.
»Malheur à l'Allemagne qui néglige les écoles, qui les méprise et les laisse tomber! Malheur à l'archevêque de Mayence et d'Erfurth qui pourrait d'un mot relever les universités de ces deux villes, et qui les laisse désolées et désertes! Un seul coin de l'Allemagne, celui où nous sommes, fleurit encore, grâce à Dieu, par la pureté de la doctrine et la culture des arts libéraux[a56]. Les papistes voudront rebâtir l'étable, lorsque le loup aura mangé les brebis.—La faute en est à l'évêque de Mayence, c'est un fléau pour les écoles et pour toute l'Allemagne. Aussi en est-il déjà justement puni. Il a sur son visage une couleur de mort, comme de la boue mêlée de sang.
»C'est à Paris, en France, que se trouve la plus célèbre et la plus excellente école. Il y a une foule d'étudians, dans les vingt mille et au-delà. Les théologiens y ont à eux le lieu le plus agréable de la ville, une rue particulière fermée de portes aux deux bouts; on l'appelle la Sorbonne. Peut-être, à ce que j'imagine, tire-t-elle ce nom de ces fruits de cormiers (sorbus) qui viennent sur les bords de la mer Morte, et qui présentent au dehors une agréable apparence; ouvrez-les, ce n'est que cendres au-dedans. Telle est l'université de Paris, elle présente une grande foule, mais elle est la mère de bien des erreurs. S'ils disputent, ils crient comme des paysans ivres, en latin, en français. Enfin on frappe des pieds pour les faire taire. Ils ne font point de docteurs en théologie à moins qu'on n'étudie dix ans dans leur sophistique et futile dialectique. Le répondant doit siéger un jour entier et soutenir la dispute contre tout venant, de six heures du matin à six heures du soir.
»A Bourges en France, dans les promotions publiques de docteurs en théologie qui se font dans l'église métropolitaine, on leur donne à chacun un filet, apparemment pour qu'ils s'en servent à prendre les gens.
»Nous avons, grâce à Dieu, des universités qui ont embrassé la parole de Dieu. Il y a encore beaucoup de belles écoles particulières qui se disposent bien, telles que Zwickaw, Torgaw, Wittemberg, Gotha, Eisenach, Deventer, etc.
Extrait du traité de Luther sur l'éducation.—L'éducation domestique est insuffisante.—Il faut que les magistrats veillent à l'instruction des enfans. Établir des écoles est un de leurs principaux soins. Les fonctions publiques ne doivent même être confiées qu'aux plus doctes.—Importance de l'étude des langues. Le diable redoute cette étude, et cherche à l'éteindre. N'est-ce pas par elle que nous avons retrouvé la vraie doctrine? La première chose que Christ ait donnée à ses apôtres, c'est le don des langues.—Luther se plaint de ce que, dans les monastères, on ne sait plus le latin, à peine l'allemand.
«Pour moi, si j'ai jamais des enfans, et que ma fortune me le permette, je veux qu'ils deviennent habiles dans les langues et dans l'histoire; qu'ils apprennent même la musique et les mathématiques.» Suit un éloge des poètes et des historiens.
Qu'on envoie au moins les enfans une heure ou deux par jour à l'école; qu'ils emploient le reste à soigner la maison et à apprendre quelque métier.
Il doit aussi y avoir des écoles pour les filles.—On devrait fonder des bibliothèques publiques. D'abord des livres de théologie, latins, grecs, hébreux, allemands, puis des livres pour apprendre la langue, tels que les orateurs, les poètes, peu importe qu'ils soient chrétiens ou païens; les livres qui traitent des arts libéraux et des arts mécaniques; les livres de jurisprudence et de médecine; les annales, les chroniques, les histoires, dans la langue où elles ont été écrites, doivent tenir la première place dans une bibliothèque, etc.»
Des langues.—«Les Grecs, comparés aux Hébreux, ont bien de bonnes et agréables paroles, mais n'ont point de sentences. La langue hébraïque est la plus riche; elle ne mendie point, comme le grec, le latin et l'allemand. Elle n'a pas besoin de recourir aux mots composés.
»Les Hébreux boivent à la source, les Grecs au ruisseau, les Latins au bourbier.»
«J'ai peu d'usage de la langue latine, élevé, comme je le fus, dans la barbarie des doctrines scolastiques.» (12 novembre 1544.)
«Je ne suis point de dialecte particulier en allemand. J'emploie la langue commune, de manière à être entendu dans la haute et dans la basse Allemagne. Je parle d'après la chancellerie de Saxe, que tous suivent, en Allemagne, dans leurs actes publics, rois, princes, villes impériales. Aussi, est-ce le langage le plus commun. L'empereur Maximilien et l'électeur Frédéric de Saxe ont ainsi ramené les dialectes allemands à une langue certaine. La langue des Marches est encore plus douce que celle de Saxe.»
De la grammaire.—«Autre chose est la grammaire, autre chose est la langue hébraïque. La langue hébraïque, puis la grammaire positive, a péri en grande partie chez les Juifs; elle est tombée avec la chose même, et avec l'intelligence, comme dit Isaïe (XXIX). Il ne faut donc rien accorder aux rabbins dans les choses sacrées; ils torturent et violentent les étymologies et les constructions, parce qu'ils veulent forcer la chose par les mots, soumettre la chose aux mots, tandis que ce sont les choses qui doivent commander.
»On voit de semblables débats entre les Cicéroniens et les autres Latinistes. Pour moi, je ne suis ni latin, ni grammairien, encore moins cicéronien; cependant, j'approuve ceux qui aiment mieux prétendre à ce dernier nom. De même, dans la littérature sacrée, j'aimerais à être simplement mosaïque, davidique ou isaïque, s'il se pouvait, plutôt qu'un Hébreu kumique, ou semblable à tout autre rabbin.» (1537.)
«Je regrette de n'avoir pas plus de temps à donner à l'étude des poètes et des rhéteurs[a57]: j'avais acheté un Homère pour devenir Grec.» (29 mars 1523.)
«Si je devais écrire sur la dialectique, j'exprimerais tout en allemand; je rejetterais tous ces mots étrangers: propositio, syllogismus, enthymema, exemplum...
»Ceux qui introduisent de nouveaux mots, doivent aussi introduire de nouvelles choses, comme Scot avec sa réalité, son hiccité; comme les anabaptistes et les prédicateurs de troubles, avec leurs besprengung, entgrobung, gelassenheit. Qu'on se garde donc de tous ceux qui s'étudient à trouver des mots nouveaux et inusités.»
Luther citait la fable de la cour du lion, et disait, «qu'après la Bible, il ne connaissait pas de meilleur livre que les Fables d'Ésope et les écrits de Caton; de même que Donat lui semblait le meilleur grammairien. Ce n'est point un seul homme qui a fait ces fables; beaucoup de grands esprits y ont travaillé à chaque époque du monde[a58].»
Des savans.—«Avant peu d'années, on manquera entièrement de savans. On aurait beau creuser pour en déterrer, rien ne servira; on pèche trop contre Dieu.»
A un ami: «Ne te laisse pas aller à la crainte que l'Allemagne ne devienne plus barbare qu'elle ne l'a jamais été, par la chute des lettres que causerait notre théologie.» (29 mars 1523.)