[a1] Page 1, ligne 7.—Naissance...
Cochlæus prétend que Luther fut engendré par un incube. Lorsqu'il était moine, ajoute-t-il, il fut soupçonné d'avoir commerce avec le diable. Un jour, à l'évangile, à l'endroit où il est parlé d'un diable sourd et muet, forcé de quitter le corps d'un possédé, Luther tomba en criant: Non sum, non sum.—Dans un sermon au peuple, il dit que lui et le diable se connaissaient de longue date, qu'ils étaient en relations habituelles, et que lui, Luther, avait mangé plus d'un grain de sel avec Satan.—Cochlæus, Vie de Luther, préface et pages 1 et 2.—Voir le chapitre du diable dans notre second volume.
Des Espagnols, qui se trouvaient à la diète d'Augsbourg (1530), croyaient sérieusement que Luther avec sa femme devait engendrer l'Anti-Christ. Luth. Werke, t. I, p. 415.
Jules-César Vanini, Cardan et François Junctinus, trouvèrent dans les constellations qui avaient accompagné la naissance de Luther, qu'il devait être un archi-hérétique et un archi-scélérat. Tycho-Brahé et Nicolas Prücker, au contraire, déclarèrent qu'il était né sous un très heureux signe.
Plusieurs de ses ennemis le disaient sérieusement fils et disciple du diable. D'autres prétendaient qu'il était né en Bohême, parmi les Hussites. Il s'exprime ainsi dans une de ses lettres, au sujet de cette dernière assertion: «Il est un noble et célèbre comté, du nom de Mansfeld, situé dans l'évêché de Halberstadt et la principauté de Saxe. Presque tous mes seigneurs me connaissent personnellement, ainsi que mon père.—Je suis né à Eisleben, j'ai été élevé à Mansfeld, instruit à Magdebourg et à Eisenach, fait Maître et moine augustin à Erfurt, docteur à Wittemberg, et dans toute ma vie je n'ai pas approché de la Bohême plus près que Dresde.» (Ukert, Biogr. de L., t. II, p. 66.)
[a2] Page 3, ligne 24. Martin Luther...
Lotharius, lut-her, leute-herr? chef des hommes, chef du peuple?
[a3] Page 9, ligne 8.—Tentations...
«Quand j'étais jeune, il arriva qu'à Eisleben, à la Fête-Dieu, j'allais avec la procession en habit de prêtre. Tout-à-coup la vue du Saint-Sacrement, que portait le docteur Staupitz, m'effraya tellement, que je suai de tout mon corps, et crus mourir de terreur. La procession finie, je me confessai au docteur Staupitz, et lui racontai ce qui m'était arrivé. Il me répondit: «Tes pensées ne sont pas selon le Christ, Christ n'effraie point; il console.» Cette parole me remplit de joie et me fut d'une grande consolation.» (Tischreden, p. 133, verso).
«Le docteur Martin Luther racontait que, lorsqu'il était au cloître à Erfurth, il avait dit une fois au docteur Staupitz: «Ah! cher seigneur docteur, notre Seigneur-Dieu agit d'une manière si terrible avec les gens? Qui peut le servir, s'il frappe ainsi autour de soi?» A quoi il me répondit: «Mon cher, apprenez à mieux juger de Dieu; s'il n'agissait pas ainsi, comment pourrait-il dompter les têtes dures? il doit prendre garde aux grands arbres de crainte qu'ils ne montent jusqu'au ciel.» (Tischreden, page 150, verso.)
Dans sa jeunesse, lorsqu'il étudiait encore à Erfurt, Luther fut atteint d'une très grave maladie; il croyait qu'il en mourrait. Un vieux curé lui dit alors, au rapport de Matthésius: «Prenez courage, mon cher bachelier, vous ne mourrez point cette fois; Dieu fera encore de vous un grand homme qui consolera beaucoup de gens.» (Ukert, t. I, p. 318.)
Luther avait difficilement supporté les obligations qu'imposait la vie monastique. Il raconte comment, au commencement de la Réforme, il tâchait encore de lire régulièrement ses Heures sans y parvenir. «Quand je n'aurais fait autre chose que délivrer les hommes de cette tyrannie, on me devrait de la reconnaissance.» (Tischreden, page 150.)
Cette répétition constante et à heure fixe des mêmes méditations, cette matérialisation de la prière, qui pesait tant au génie impatient de Luther, Ignace de Loyola, contemporain du réformateur allemand, la mettait alors plus que jamais en honneur dans ses singuliers Exercices religieux.
«A Erfurt, Luther lut la plupart des écrits qui nous restent des anciens latins, Cicéron, Virgile, Tite-Live... A l'âge de vingt ans il fut décoré du titre de maître-ès-arts, et, d'après l'avis de ses parens, il commença à s'appliquer à la jurisprudence... Au couvent d'Erfurth, il excitait l'admiration dans les exercices publics, par la facilité avec laquelle il se tirait des labyrinthes de la dialectique... Il lisait avidement les prophètes et les apôtres, puis les livres de saint Augustin, son Explication des psaumes et son livre De l'esprit et de la lettre: il apprit presque par cœur les Traités de Gabriel Biel et de Pierre d'Ailly, évêque de Cambray; il lut assidument les écrits d'Occam, dont il préférait la logique à celle de Thomas et de Scot. Il lut beaucoup aussi les écrits de Gerson, et par-dessus tout ceux de saint Augustin.» (Vie de Luther, par Mélanchton.)
[a4] Page 20, ligne 10.—Trente cardinaux en une fois...
C'est trente et un cardinaux qui furent créés le 13 juin 1517. Le même jour, un orage renversa l'ange qui est au haut du château Saint-Ange, frappa un enfant Jésus dans une église et fit tomber les clés de la statue de saint Pierre. (Ruchat, I, 36; d'après Hotting., 19.)
[a5] Page 20, ligne 17.—Tetzel...
Il enseignait dans ses prédications que si quelqu'un avait violé la sainte Vierge, son péché lui serait pardonné en vertu des indulgences; que la croix rouge qu'il plantait dans les églises, avait autant de vertu que celle de Jésus-Christ; qu'il avait plus converti de gens par ses indulgences, que saint Pierre par ses sermons; que les Saxons n'avaient qu'à donner de l'argent, et que leurs montagnes deviendraient des mines d'argent, etc. (Luther adv. Brunsvic. Seckendorf. hist. Lutheranismi, livre I, § 16, etc.)
Comme concession indirecte, les catholiques abandonnèrent Tetzel. Miltitz écrivit à Pfeffinger, un des ministres de l'Électeur: «Les mensonges et les fraudes de Tetzel me sont assez connus; je lui en ai fait de vifs reproches, je les lui ai prouvés en présence de témoins. J'écrirai tout au pontife, et j'attendrai sa sentence. D'après une lettre d'un facteur de la banque des Fugger, chargé de tenir compte de l'argent des indulgences, je l'ai convaincu d'avoir reçu par mois quatre-vingts florins pour lui-même et dix pour son serviteur, outre ce qu'on lui payait pour se défrayer lui et les siens, et pour la nourriture de trois chevaux. Je ne compte pas là-dedans ce qu'il a volé ou dépensé inutilement. Vous voyez comment le misérable a servi la sainte Église romaine et l'archevêque de Mayence, mon très clément seigneur.» (Seckendorf, livre I, p. 62.)
[a6] Page 21, ligne 13.—Il fut saisi d'indignation...
«Lorsque j'entrepris d'écrire contre la grossière erreur des indulgences, le docteur Jérôme Schurff m'arrêta et me dit: «Voulez-vous donc écrire contre le pape? Que voulez-vous faire? on ne le souffrira pas.—Eh quoi! répondis-je; s'il fallait qu'on le souffrît?» (Tischreden, 384 verso.)
[a7] Page 21, ligne 27.—S'adressa à l'évêque de Brandebourg...
Sa lettre à l'évêque de Brandebourg est assez méticuleuse; ses paroles, pleines de soumission, sont loin d'annoncer les violences qui vont bientôt éclater. Il lui envoie ses propositions, ou plutôt ses doutes; car il ne veut rien dire ni dans un sens ni dans l'autre, jusqu'à ce que l'Église ait prononcé. Il blâme les adversaires du saint-siége. «Que ne disputent-ils aussi de la puissance, de la sagesse et de la bonté de celui qui a donné ce pouvoir à l'Église?» Il loue la douceur et l'humilité de l'évêque; il l'engage à prendre la plume et à effacer ce qu'il lui plaira, ou à brûler le tout. (Luth. Werke, IX, p. 64.)
[a8] Page 27, ligne 15.—Sermon sur l'indulgence et la grâce...
Dans les cinq premiers paragraphes, dans le sixième surtout, qui est très mystique, il expose très clairement la doctrine de saint Thomas; il prouve ensuite, par l'Écriture, contre cette doctrine, que le repentir et la conversion du pécheur peuvent seuls lui assurer le pardon de ses péchés.—§ IX. «Quand même l'Église déclarerait aujourd'hui que l'indulgence efface les péchés mieux que les œuvres de satisfaction, il vaudrait mille fois mieux, pour un chrétien, ne point acheter l'indulgence, mais plutôt faire les œuvres et souffrir les peines; car l'indulgence n'est et ne peut être qu'une dispense de bonnes œuvres et de peines salutaires.»—§ XV. «Il est meilleur et plus sûr de donner pour la construction de saint Pierre que d'acheter l'indulgence prêchée à ce sujet. Vous devez avant tout donner à votre pauvre prochain, et s'il n'y a plus personne dans votre ville qui ait besoin de votre secours, alors vous devez donner pour les églises de votre ville... Mon désir, ma prière et mon conseil sont que personne n'achète l'indulgence. Laissez les mauvais chrétiens l'acheter; que chacun marche pour soi.»—§ XVIII. «Si les âmes peuvent être tirées du purgatoire par l'efficacité de l'indulgence, je n'en sais rien, je ne le crois même pas; le plus sûr est de recourir à la prière... Laissez les docteurs scolastiques rester scolastiques; ils ne sont pas assez, tous ensemble, pour autoriser une prédication.»
Ce morceau, très court, semble moins un sermon que des notes sur lesquelles Luther devait parler. (Luth. Werke, VII, p. 1.)
[a9] Page 28, ligne 26.—Léon X...
«Autrefois, le pape était extrêmement orgueilleux, et méprisait tout le monde. Le cardinal-légat Caietano me dit à Augsbourg: «Quoi! tu crois que le pape se soucie de l'Allemagne? Le petit doigt du pape est plus puissant que tous vos princes.»—«Quand on présenta au pape mes premières propositions sur les indulgences, il dit: «C'est d'un Allemand ivre, laissez-le se dégriser, et il parlera autrement.» C'est avec ce ton de raillerie qu'il méprisait tout le monde.»
Luther ne fut point en reste avec les Italiens; il leur rendit énergiquement leur mépris. «Si ce Sylvestre ne cesse de me provoquer par ses niaiseries, je mettrai fin au jeu, et lâchant la bride à mon esprit et à ma plume, je lui montrerai qu'il y en a, en Allemagne, qui comprennent ses ruses et celles de Rome; et Dieu veuille que cela vienne bientôt! Depuis trop long-temps, les Romains, avec leurs jongleries, leurs tours et leurs détours, s'amusent de nous comme de niais et de bouffons.» (1er septembre 1518.)
«Je suis charmé que Philippe (Mélanchton) ait éprouvé par lui-même le génie des Italiens. Cette philosophie ne veut croire qu'après expérience. Pour moi, je ne pourrais plus me fier à aucun Italien, pas même au confesseur de l'Empereur. Mon Caietano m'aimait d'une telle amitié, qu'il aurait voulu verser pour moi tout le sang qui coule dans..... mes veines. Ce sont des drôles. L'Italien, quand il est bon, est très bon; mais c'est un prodige qui ressemble beaucoup à celui du cygne noir.» (21 juillet 1530.)
«Je souhaite à Sadolet de croire que Dieu est le père des hommes, même hors de l'Italie; mais les Italiens ne peuvent se mettre cela dans l'esprit.» (14 octobre 1539.)
«Les Italiens, dit Hutten, qui nous accusaient d'être impuissans à produire ce qui demande du génie, sont forcés d'admirer aujourd'hui notre Albert Durer, si bien que, pour mieux vendre leurs ouvrages, ils les marquent de son nom. (Hutten, III, 76.)
[a10] Page 29, ligne 1.—Fra Luther est un beau génie...
Bien avant 1523, le seigneur Conrad Hofmann engageait l'archevêque de Mayence à pourvoir aux affaires de la religion, de crainte qu'il ne s'élevât un grand incendie. Il répondit: «C'est une affaire de moines, ils l'arrangeront bien eux-mêmes.»
[a11] Page 32, ligne 5.—Ce prince, par intérêt pour sa nouvelle université...
L'université de Wittemberg écrivit à l'Électeur, lui demandant sa protection pour le plus illustre de ses membres. (p. 55, Seckendorf.) La célébrité croissante de Luther amenait à Wittemberg un concours immense d'étudians. Luther dit lui-même: Studium nostrum more formicarum fervet. Un auteur presque contemporain écrit: «J'ai appris de nos précepteurs que des étudians de toutes nations venaient à Wittemberg pour entendre Luther et Mélanchton; sitôt qu'ils apercevaient la ville, ils rendaient grâces à Dieu, les mains jointes; car de Wittemberg, comme autrefois de Jérusalem, est sortie la lumière de la vérité évangélique, pour se répandre de là jusqu'aux terres les plus lointaines. (Scultetus in annalibus, an 1517, p. 16, 17. Cité par Seckendorf, p. 59.)
Toutefois, la protection de l'Électeur n'était point très généreuse. «Ce que je t'ai déjà dit, mon cher Spalatin, je te le dis et te le répète encore: cherche bien à savoir si c'est l'intention du prince que cette académie s'écroule et périsse. J'aimerais fort à le savoir, pour ne pas retenir inutilement ceux que chaque jour on appelle ailleurs. Ce bruit s'est déjà tellement accrédité, que ceux de Nuremberg sollicitent pour faire venir Mélanchton, tant ils sont persuadés, que cette école est désertée. Tu sais cependant qu'on ne peut ni ne doit contraindre le prince.» (1er novembre 1524.)
Après la mort de l'Électeur, Luther envoya à Spalatin un plan pour l'organisation de l'université. (20 mai 1525.)
[a12] Page 32, ligne 7.—L'avait toujours protégé...
L'Électeur écrit lui-même à Spalatin, l'affaire de notre Martin va bien, Pfeffinger a bonne espérance. (Seckendorf, p. 53.)
Il fit dire à Luther qu'il avait obtenu du légat Caietano que celui-ci écrirait à Rome pour que l'on remît à de certains juges le soin de décider l'affaire; que jusque là il patientât, et que peut-être les censures ne viendraient point. (Seckendorf, p. 44.)
[a13] Page 32, ligne 27.—La sainte Écriture parle avec une telle majesté quelle n'a pas besoin...
Schenk avait été chargé d'acheter des reliques pour l'église collégiale de Wittemberg; mais, en 1520, la commission fut révoquée, et les reliques renvoyées en Italie pour y être vendues à quelque prix que ce fût. «Car ici, écrit Spalatin, le bas peuple les méprise, dans la ferme et très légitime persuasion qu'il suffit d'apprendre de l'Écriture à avoir foi et confiance en Dieu, et à aimer son prochain.» (Maccrée, p. 37, d'après la vie de Spalatin par Schlegel, p. 59. Seckendorf. I, p. 223.)
[a14] Page 36, ligne 13.—Le légat Caietano...
Extrait d'une relation des conférences du cardinal Caietano avec Luther.
Luther ayant déclaré que le pape n'avait de pouvoir que salvâ Scripturâ, le cardinal se moqua de ces paroles, et lui dit: «Ne sais tu pas que le pape est au-dessus des conciles? N'a-t-il pas tout récemment condamné et puni le concile de Bâle?» Luther: «Mais l'université de Paris en a appelé.» Le cardinal: «Ceux de Paris seront punis également.» Plus tard, Luther ayant cité Gerson, le cardinal lui répliqua: «Que m'importent les Gersonistes?» Sur quoi Luther lui demanda qui donc étaient les Gersonistes? «Eh! laissons cela,» dit le cardinal, et il se mit à parler d'autre chose.
Le cardinal envoya au pape la réponse de Luther par un courrier extraordinaire. Il fit aussi dire à Luther, par le docteur Wenceslas, que pourvu qu'il voulût révoquer ce qu'il avait avancé sur les indulgences, l'affaire serait tout arrangée. «Car, ajouta-t-il, l'article sur la foi nécessaire pour le saint sacrement pourrait bien se laisser interpréter et tourner.»
Pendant que Luther était à Augsbourg, il fut souvent prié de prêcher dans cette ville, mais il refusa constamment, avec civilité; il craignait que le légat ne crût qu'il le ferait pour le railler et le braver.
Luther dit en s'en retournant d'Augsbourg: «Que s'il avait quatre cents têtes, il voudrait plutôt les perdre toutes que de révoquer son article touchant la foi.»—«Personne en Allemagne, dit Hutten, ne méprise plus la mort que Luther.»
Dans la Protestation qu'il rédigea après ses conférences avec Caietano, il offrit à celui-ci d'exposer ses opinions dans un mémoire, et de les soumettre au jugement des trois universités de Bâle, de Fribourg (en Brisgaw) et de Louvain; même, si on le demandait, au jugement de l'université de Paris, «estimée de tout temps la plus chrétienne et la plus savante.»
Lettre de Luther à l'électeur de Saxe pour se défendre contre les accusations du cardinal Caietano. (19 novembre 1518.) «Une chose m'afflige vivement, c'est que le seigneur légat parle malicieusement de votre Grâce électorale comme si je me fondais sur elle en entreprenant toutes ces choses. Il y a de même des menteurs parmi nous qui avancent que c'est d'après l'exhortation et le conseil de votre Grâce que j'ai commencé à discuter la question des indulgences; et cependant il n'est personne, parmi mes plus chers amis, qui ait été instruit d'avance de mon dessein, excepté messeigneurs l'archevêque de Magdebourg et l'évêque de Brandebourg...»
[a15] Page 44, ligne 2.—Examiner l'affaire par des juges non suspects...
Les légats se réduisaient cependant à demander qu'on brûlât les livres de Luther. «Le pape, disaient-ils, ne veut pas souiller ses mains du sang de Luther.» (Luth. opera, II.)
[a16] Page 46, ligne 4.—Miltitz changea de ton...
En 1520, les adversaires de Luther s'étaient divisés en deux partis, représentés par Eck et Miltitz. Le premier, qui a disputé publiquement contre Luther, croit son honneur et sa réputation de théologien engagés à obtenir une rétractation formelle de Luther ou sa condamnation par le pape comme hérétique. Eck pousse aux mesures violentes. Miltitz, au contraire, qui est l'agent direct du saint-siége, voudrait concilier les choses. Il accorde tout à Luther, parle comme lui, même de la papauté, et ne lui demande que le silence.
Le 20 octobre 1520, il écrit que, si Luther s'en tient à ses promesses, il le délivrera de la bulle, qui ne doit avoir son effet que dans quatre mois. Le même jour il écrit à l'Électeur pour lui demander de l'argent afin qu'il ait de quoi envoyer à Rome pour se faire, près du pape, des patrons pour combattre les malicieuses délations et les honteux mensonges d'Eck contre Luther. Il l'invite à écrire lui-même au pontife, et à envoyer aux jeunes cardinaux, parens du pape, deux ou trois pièces d'or à son effigie et autant en argent afin de se les concilier. Enfin il le supplie de lui continuer sa pension et de lui donner à lui-même quelque chose; car ce qu'il avait reçu, on le lui a volé.
Le 14 octobre, il écrit que Luther consent à se taire si ses adversaires veulent garder le silence. Il promet que les choses n'iront pas comme l'espèrent Eck et sa faction, il engage encore l'Électeur à envoyer quarante ou cinquante florins au cardinal quatuor Sanctorum (Seckendorf, l. I, p. 99.)
Ce Miltitz était un assez bon compagnon. Dans une lettre à l'Électeur, où il réclame le paiement de sa pension, il raconte qu'étant à Stolpa, avec l'évêque de Misnie, ils buvaient joyeusement ensemble lorsque sur le soir on apporta un petit livre de Luther, contre l'official de Stolpa; l'évêque s'indigna, l'official jura; mais lui, il ne fit qu'en rire, comme fit plus tard le duc George qui s'en amusa beaucoup. (1520.) (Seckendorf, l. I, p. 98.)
Le docteur Wolffgang Reissenbach raconte que Luther et Miltitz, l'un avec trente chevaux, l'autre accompagné de quatre seulement, vinrent le 11 octobre, à Lichtenberg; qu'ils y vécurent joyeusement, son économe leur fournissant en abondance tout ce qui était nécessaire. Il ajoute qu'il avait mieux aimé se trouver absent, parce qu'il n'aime pas Miltitz qui lui a fait perdre six cents florins. (Seckendorf, l. I, p. 99.)
Miltitz finit dignement: on dit qu'un jour après de copieuses libations, il tomba dans le Rhin près de Mayence et s'y noya. Il avait alors sur lui cinq cents pièces d'or. (Seckendorf, l. I, p. 117.)
[a17] Page 46, ligne 7.—Lui avoua qu'il avait enlevé le monde à soi...
Les livres de Luther avaient en effet déjà une grande vogue. Jean Froben, célèbre imprimeur de Bâle, lui écrivit le 14 février 1519 que ses livres sont lus et approuvé, à Paris même, et jusque dans la Sorbonne; qu'il ne lui reste plus un seul exemplaire de tous ceux qu'il avait réimprimés à Bâle; qu'il sont dispersés en Italie, en Espagne et ailleurs, partout approuvés des docteurs. (Seckendorf, l. I, p. 68.)
[a18] Page 47, ligne 22.—Non content d'aller se défendre à Leipsig...
Voyage de Luther à Leipsig: «Il y avait d'abord Carlostad seul sur un chariot, et précédant tous les autres; mais une roue s'étant brisée près de l'église Saint-Paul, il tomba, et cette chute fut considérée comme un mauvais présage pour lui. Puis venait le chariot de Barnim, prince de Poméranie, qui alors étudiait à Wittemberg et portait le titre de recteur honoraire. A ses côtés étaient Luther et Mélanchton; un grand nombre d'étudians de Wittemberg accompagnaient en armes la voiture.» (19 juin 1519.) (Seckendorf, l. I, p. 92.)
Eck raconte son entrevue avec Luther (qu'il appelle Lötter, en allemand un vagabond, un pendard). «Luther vint en grande pompe à Leipsig, avec deux cents étudians de Wittemberg, quatre docteurs, trois licenciés, plusieurs maîtres et un grand nombre de ses partisans; le docteur Lang d'Erfurth, Egranus, un prédicateur de Gorlitz, un bourgeois d'Anneberg, des schismatiques de Prague et des picards (hussites), qui vantent Martin comme un grand docteur de vérité, comme l'égal de leur Jean Hussinetz. La dispute fut arrêtée pour le 20 juin; j'accordai que ceux de Leipsig ne seraient pas juges, quoiqu'ils fussent bien disposés pour moi. Par toute la ville il n'était bruit que de ma défaite, et personne n'osait me faire société. Moi, comme un vieux docteur, j'étais là pour faire tête à tous. Cependant le prince m'envoya un bon cerf et donna une biche à Carlostad, contre lequel je devais aussi disputer. La citadelle fut magnifiquement préparée pour nous servir de champ de bataille. Le lieu était gardé par soixante-seize soldats pour nous défendre en cas de besoin, contre les insultes de ceux de Wittemberg et des Bohémiens... Quand Luther entra, je vis bien qu'il ne voulait pas disputer... Il refusa de reconnaître aucune espèce de juges. Je lui proposai les commissaires du prince (le duc George), l'université de Leipsig, ou tout autre université qu'il voudrait choisir en Allemagne, ou si l'Allemagne lui semblait trop petite, en Italie, en France, en Espagne. Il refusa tout. Seulement à la fin il consentit à convenir d'un juge avec moi, et à disputer, pourvu qu'il lui fût permis de publier en allemand les actes de la conférence. Je ne pouvais accorder cela. Je ne sais maintenant quand nous commencerons..... Le sénat qui craint que ceux de Wittemberg n'exécutent leurs menaces, a, la nuit dernière, garni de soldats les maisons voisines.» (Seckendorf, l. I, p. 85-6.)
Mosellanus, professeur de langue grecque à Leipsig et qui fut chargé d'ouvrir les conférences par un discours au nom du prince, rapporte dans une lettre à Pirkheimer, qu'on avait enfin choisi pour juges des docteurs d'Erfurth et de Paris. Mosellanus est favorable à Luther. «Eck, dit-il, par ses cris, sa figure de soldat, ses regards de travers, ses gestes d'histrion, semblait un petit furieux... se vantant sans cesse, affirmant des choses fausses, niant impudemment des choses vraies...» (Seckendorf, l. I, p. 90.)
[a19] Page 47, ligne 25.—Le prince qui le protégeait...
Luther ne dut plus douter de la protection de l'Électeur, lorsque Spalatin, le confident de ce prince, traduisit en allemand et publia son livre intitulé: Consolation à tous les chrétiens. (février 1520.)
[a20] Page 48, ligne 1.—Pour qu'ils vinssent disputer avec lui...
A cette époque, Luther, encore peu arrêté dans ses idées de réforme, cherchait à s'éclairer sur ses doutes par la discussion; il demandait, il sollicitait les conférences publiques. Le 15 janvier 1520, il écrivit à l'Empereur:
«Voici bientôt trois ans que je souffre des colères sans fin, et d'outrageantes injures, que je suis exposé à mille périls et à tout ce que mes adversaires peuvent inventer de mal contre moi. En vain j'ai demandé pardon pour mes paroles, en vain j'ai offert de garder le silence, en vain j'ai proposé des conditions de paix, en vain j'ai prié que l'on voulût bien m'éclairer si j'étais dans l'erreur. L'on n'a rien écouté; l'on n'a fait qu'une chose, préparer ma ruine et celle de l'Évangile. Puisque j'ai vainement tout tenté jusqu'à présent, je veux, à l'exemple de saint Athanase, invoquer la majesté impériale; j'implore donc humblement votre Majesté, Charles, prince des rois de la terre, pour qu'elle ait pitié, non pas de moi, mais de la cause de la vérité, pour laquelle seule il vous a été donné de porter le glaive. Qu'on me laisse prouver ma doctrine; je vaincrai, ou je serai vaincu; et si je suis trouvé impie ou hérétique, je ne veux point de protection ni de miséricorde.» (Opera latina Lutheri. Wittemb., II, 42.)
Le 4 février, il écrit encore à l'archevêque de Mayence et à l'évêque de Mersebourg des lettres pleines de soumission et de respect, où il les supplie de ne pas croire les calomnies que l'on répand sur son compte; il ne demande qu'à s'instruire, qu'à éclaircir ses doutes. (Luth. opera, II, 44.)
[a21] Page 51, ligne 9.—Lorsque la bulle...
Les cicéroniens de la cour pontificale, les Sadolets, etc., avaient déployé toute leur science, toute leur littérature pour écrire la bulle de Léon X. Leur belle invocation à tous les saints contre Luther rappelle évidemment la fameuse péroraison du discours de Cicéron, De Signis, dans laquelle il adjure tous les dieux de venir témoigner contre Verrès qui a outragé leurs autels. Par malheur, les secrétaires du pape, plus préoccupés des formes oratoires de l'antiquité que de l'histoire de l'Église, ne s'étaient point aperçus qu'ils évoquaient contre Luther celui même sur lequel s'appuyait Luther: «Exsurge, tu quoque, quæsumus, Paule, qui Ecclesiam tuâ doctrinâ illustrasti. Surgit novus Porphyrius...—(Lutheri opera, II, 52.)
Léon X, en condamnant dans cette bulle les livres de Luther, lui offrait de nouveau un sauf-conduit pour se rendre à Rome, et promettait de lui payer ses frais de voyage.
Les universités de Louvain et de Cologne approuvèrent la bulle du pape, et s'attirèrent ainsi les attaques de Luther. Il les accusa d'avoir injustement condamné Occam, Pic de la Mirandole, Laurent Valla, Jean Reuchlin. Pour affaiblir, dit Cochlæus, l'autorité de ces universités, il les attaquait sans cesse dans ses livres, mettant en marge, lorsqu'il rencontrait un barbarisme ou quelque chose de mal dit: comme à Louvain, comme à Cologne, lovanialiter, colonialiter, etc. (Cochlæus, p. 22.)
A Cologne, à Mayence, et dans tous les états héréditaires de Charles V, on brûla, dès 1520, les livres de Luther. (Cochlæus, p. 25.)
[a22] Page 52, ligne 26.—Aucun d'eux plus éloquemment que lui.....
Il écrivait le 29 novembre 1521 aux Augustins de Wittemberg: «Je sens chaque jour combien il est difficile de déposer les scrupules que l'on a conservés long-temps. Oh! qu'il m'en a coûté de peine, quoique j'eusse l'Écriture de mon côté, pour me justifier par-devant moi-même de ce que seul j'osai m'élever contre le pape et le tenir pour l'Antichrist! Quelles n'ont pas été les tribulations de mon cœur! que de fois ne me suis-je pas opposé avec amertume à cet argument des papistes: «Es-tu seul sage? Tous les autres se tromperaient-ils, se seraient-ils trompés depuis si long-temps? que sera-ce si tu te trompes et que tu entraînes dans ton erreur tant d'âmes qui seront éternellement damnées? Ainsi je me débattais avec moi-même, jusqu'à ce que Jésus-Christ, par sa propre et infaillible parole, me fortifiât et dressât mon cœur contre cet argument, comme un rivage de rochers, dressé contre les flots, se rit de toutes leurs fureurs...» (Luth. Briefe, t. II, p. 107.)
[a23] Page 56, ligne 28.—Il se fondait alors sur saint Jean...
«Il faut procéder dans l'Évangile de saint Jean, d'après un tout autre point de vue que dans les autres évangélistes. L'idée de cet évangile, c'est que l'homme ne peut rien, n'a rien de soi-même, qu'il ne tient rien que de la miséricorde divine... Je le répète, et le répéterai: Celui qui veut s'élever à une pensée, à une spéculation salutaire sur Dieu, doit tout subordonner à l'humanité du Christ. Qu'il se la représente sans cesse dans son action ou dans sa passion, jusqu'à ce que son cœur s'amollisse. Alors qu'il ne s'arrête pas là, qu'il pénètre et pousse plus loin la pensée: ce n'est pas par sa volonté, mais par celle de Dieu le Père, que Jésus fait ceci et cela. C'est là qu'il commencera à goûter la douceur infinie de la volonté du père, révélée dans l'humanité du Christ.»
[a24] Page 60, ligne 5.—On s'arrachait ses pamphlets...
Le célèbre peintre Lucas Cranach faisait des gravures pour les opuscules de Luther. (Seckendorf, p. 148.)
[a25] Page 61, ligne 2.—Si quelque imprimeur apportait du soin aux ouvrages des papistes, on le tourmentait...
De même à Augsbourg. La confession d'Augsbourg fut imprimée et répandue dans toute l'Allemagne avant la fin même de la diète; la réfutation des catholiques dont l'Empereur avait ordonné l'impression, fut remise aux imprimeurs, mais ne parut pas. Aussi Luther, reprochant aux catholiques de ne pas oser la publier, appelle cette réfutation, un oiseau de nuit, un hibou, une chauve-souris (noctua et vespertilio). (Cochlæus, 202.)
[a26] Page 61, ligne 7.—Luther avait fait appel à la noblesse.
«A sa Majesté impériale et à la noblesse chrétienne de la nation allemande, le docteur Martin Luther. (1520.)
»Grâce et force de notre Seigneur Jésus... Les Romanistes ont habilement élevé autour d'eux trois murs, au moyen desquels ils se sont jusqu'ici protégés contre toute réforme, au grand préjudice de toute la chrétienté. D'abord ils prétendent que le pouvoir spirituel est au-dessus du pouvoir temporel; ensuite, qu'au pape seul il appartient d'interpréter la Bible; troisièmement, que le pape seul a droit de convoquer un concile.
»Sur ce, puisse Dieu nous être en aide et nous donner une de ces trompettes qui renversèrent jadis les murs de Jéricho, pour souffler bas ces murs de paille et de papier, mettre en lumière les ruses et les mensonges du diable, et recouvrer par pénitence et amendement la grâce de Dieu. Commençons par le premier mur.
»Premier mur... Tous les chrétiens sont de condition spirituelle, et il n'est entre eux d'autre différence que celle qui résulte de la différence de leurs fonctions, selon la parole de l'apôtre (I. Cor. xii), qui dit «que nous sommes tous un même corps, mais que chaque membre a un office particulier, par lequel il est utile aux autres.»
»Nous avons tous le même baptême, le même Évangile, la même foi, et nous sommes tous égaux comme chrétiens..... Il devrait en être du curé comme du bailli; que pendant ses fonctions il soit au-dessus des autres; déposé, qu'il redevienne ce qu'il a été, simple bourgeois. Les caractères indélébiles ne sont qu'une chimère... Le pouvoir séculier étant institué de Dieu, afin de punir les méchans et de protéger les bons, son ministère devrait s'étendre sur toute la chrétienté, sans considération de personne, pape, évêque, moine, religieuse ou autre, n'importe... Un prêtre a-t-il été tué: tout le pays est frappé d'interdit. Pourquoi n'en est-il pas de même après le meurtre d'un paysan? D'où vient une telle différence entre des chrétiens que Jésus-Christ appelle égaux? Uniquement des lois et des inventions humaines...
»Deuxième mur... Nous sommes tous prêtres. L'apôtre ne dit-il pas (I. Cor. ii): «Un homme spirituel juge toutes choses et n'est jugé par personne?» Nous avons tous un même esprit dans la foi, dit encore l'Évangile, pourquoi ne sentirions-nous pas, aussi bien que les papes qui sont souvent des mécréans, ce qui est conforme ou contraire à la foi?
»Troisième mur... Les premiers conciles ne furent pas convoqués par les papes. Celui de Nicée lui-même fut convoqué par l'empereur Constantin..... Si les ennemis surprenaient une ville, l'honneur serait à celui qui, le premier, crierait aux armes, qu'il fût bourgmestre ou non. Pourquoi n'en serait-il pas de même de celui qui ferait sentinelle contre nos ennemis de l'enfer, et, les voyant s'avancer, rassemblerait le premier les chrétiens contre eux? Faut-il pour cela qu'il soit pape...»
Voici en résumé les réformes que propose Luther: Que le pape diminue le luxe dont il est entouré, et qu'il se rapproche de la pauvreté de Jésus-Christ. Sa cour absorbe des sommes immenses. On a calculé que plus de trois cent mille florins allaient tous les ans d'Allemagne à Rome. Douze cardinaux suffiraient et ce serait au pape à les nourrir. Pourquoi les Allemands se laisseraient-ils dépouiller par les cardinaux qui envahissent toutes les riches fondations, et qui en dépensent les revenus à Rome? Les Français ne le souffrent pas.—Que l'on ne donne plus rien au pape pour être employé contre les Turcs; ce n'est qu'un leurre, un misérable prétexte, pour tirer de nous de l'argent.—Qu'on cesse de lui reconnaître le droit d'investiture. Rome attire tout à soi par les pratiques les plus impudentes. Il est en cette ville un simple courtisan qui possède vingt-deux cures, sept prieurés et quarante-quatre prébendes, etc.
Que l'autorité séculière n'envoie plus à Rome d'annates, comme on fait depuis cent ans.—Qu'il suffise, pour l'installation des évêques, qu'ils soient confirmés par les deux évêques les plus voisins, ou par leur archevêque, conformément au concile de Nicée.—«Je veux seulement, en écrivant ceci, faire réfléchir ceux qui sont disposés à aider la nation allemande à redevenir chrétienne et libre après le déplorable gouvernement du pape, ce gouvernement anti-chrétien.»
Moins de pélerinages en Italie.—Laissons s'éteindre les ordres mendians. Ils ont dégénéré et ne remplissent pas le but de leurs fondateurs.—Permettre le mariage des prêtres.—Supprimer un grand nombre de fêtes, ou les faire coïncider avec les dimanches. Abolir les fêtes de patronage, si préjudiciables aux bonnes mœurs.—Supprimer des jeûnes. «Beaucoup de choses qui ont été bonnes autrefois ne le sont plus à présent.»—Éteindre la mendicité. Que chaque commune soit tenue d'avoir soin de ses pauvres.—Défendre de fonder des messes privées.—Examiner la doctrine des Bohèmes mieux qu'on n'a fait, et se joindre à eux pour résister à la cour de Rome.—Abolir les décrétales.—Supprimer les maisons de prostitution.
«Je sais encore une autre chanson sur Rome et les Romanistes; si l'oreille leur démange, je la leur chanterai aussi, et je monterai jusqu'aux derniers octaves. Me comprends-tu, Rome?» (Luth. Werke, VI, 544-568.)
[a27] Page 62, ligne 25.—Je ne voudrais pas qu'on fît servir à la cause de l'Évangile la violence et le meurtre...
Il voulait que l'Allemagne se séparât paisiblement du saint-siége: c'est en ce sens qu'il écrivit en 1520 à Charles-Quint et aux nobles allemands pour les engager à renoncer à l'obédience de Rome. «L'Empereur, disait-il, a égal pouvoir sur les clercs et sur les laïques; la différence entre ces deux états n'est qu'une fiction, puisque, par le baptême, nous devenons tous prêtres.» (Lutheri opera, II, p. 20.)
Cependant, si l'on en croit l'autorité assez suspecte, il est vrai, de Cochlæus, il aurait, dès cette époque même, prêché la guerre contre Rome.—«Que l'Empereur, les rois, les princes ceignent le glaive et frappent cette peste du monde. Il faut en finir par l'épée; il n'y a point d'autre remède. Que veulent dire ces hommes perdus, privés de sens commun: que c'est là ce que doit faire l'Antichrist. Si nous avons des potences pour les voleurs, des haches pour les brigands, des bûchers pour les hérétiques, pourquoi n'aurions-nous pas des armes pour ces maîtres de perdition, ces cardinaux, ces papes, toute cette tourbe de la Sodome romaine qui corrompt l'Église de Dieu? pourquoi ne laverions-nous pas nos mains dans leur sang?» Je ne sais de quel ouvrage de Luther Cochlæus a tiré ces paroles. (page 22.)
[a28] Page 63, ligne 19.—Hutten... pour former une ligue entre les villes et les nobles du Rhin...
Dès l'ouverture de la diète, il s'était enquis auprès de Spalatin de la conduite que l'Électeur tiendrait en cas de guerre. On avait lieu de croire qu'il soutiendrait son théologien, la gloire de son université. «Qui ignore, lui écrit Luther, que le prince Frédéric est devenu, pour la propagation de la littérature, l'exemple de tous les princes? Votre Wittemberg hébraïse et hellénise avec bonheur. Les préceptes de Minerve y gouvernent les arts mieux que jamais, la vraie théologie du Christ y triomphe.» Il écrit à Spalatin (3 octobre 1520:) «Plusieurs ont pensé que je devais demander à notre bon prince de m'obtenir un édit de l'Empereur, pour que personne ne pût me condamner sans que j'eusse été convaincu d'erreur par l'Écriture. Examine si cela est à propos.» On voit par ce qui suit que Luther croyait aussi pouvoir compter sur la sympathie des peuples de l'Italie. «Au lieu de livres, j'aimerais mieux qu'on pût multiplier les livres vivans, c'est-à-dire les prédicateurs. Je t'envoie ce qu'on m'a écrit d'Italie sur ce sujet. Si notre prince le voulait, je ne crois pas qu'il pût entreprendre d'œuvre plus digne de lui. Le petit peuple d'Italie y prenant part, notre cause en recevrait une grande force. Qui sait, Dieu peut-être les suscitera. Il nous garde notre prince, afin de faire agir la parole divine par son intermédiaire. Vois donc ce que tu pourras faire de ce côté pour la cause du Christ.»
Luther n'avait pas négligé de s'attirer l'affection des villes: nous le voyons à la fin de l'an 1520 solliciter de l'Électeur une diminution d'impôts pour celle de Kemberg. «Ce peuple, écrit-il, est misérablement épuisé par cette détestable usure..... Ce sont les prêtrises, les offices du culte, et même quelques confréries, qu'on nourrit de ces impôts sacriléges et de ces rapines impies.»
[a29] Page 64, ligne 12.—Buntschuh.—Soulier d'alliance...
Le sabot servait déjà de signe distinctif au douzième siècle. Sabatati était un nom des Vaudois. (Voy. Dufresne, Glossar. au mot Sabatati.)
[a30] Page 64, ligne 24.—Pour le décider à prendre les armes...
«L'audace des romanistes augmente, écrit-il à Hutten; car, comme ils disent, tu aboies, mais tu ne mords point.» (Opera Hutten, IV, 306.)
Un autre littérateur, Helius Eobanus Hessus, le presse de s'armer pour Luther. «Franz y sera pour nous soutenir, et tous deux, je le prédis, vous serez la foudre qui écrasera le monstre de Rome.» (Hutten op. IV, 309.)
[a31] Page 65, ligne 13.—Sauf-conduit...
«Charles, par la grâce de Dieu, etc. Révérend, cher et pieux docteur! Nous et les États du Saint-Empire, ici rassemblés, ayant résolu de nous informer de ta doctrine et des livres que tu as publiés depuis un certain temps, nous t'avons donné et t'envoyons ci-joints la garantie et le sauf-conduit de l'Empire pour venir ici et retourner ensuite en lieu de sûreté; c'est notre volonté très précise que tu te rendes auprès de nous dans les vingt et un jours que porte ledit sauf-conduit, sans craindre violence ni dommage aucun... Donné en notre ville libre de Worms, le sixième jour du mois de mars 1521, dans la seconde année de notre règne. Signé de la main de l'archichancelier.» (Luth. Werke, IX, p. 106.)
[a32] Page 68, ligne 14.—J'avais tiré un grand éclat de tout cela...
Spalatin raconte dans ses annales (p. 50) que le second jour où Luther avait comparu, l'électeur de Saxe, revenant de la maison de la ville, fit appeler Spalatin dans sa chambre et lui exprima dans quelle surprise il était: «Le docteur Martin a bien parlé devant l'Empereur et les princes et états de l'Empire, seulement il a été trop hardi.» (Marheinecke, histoire de la Réforme, I, 264.)
«Cependant Luther recevait continuellement la visite d'un grand nombre de princes, de comtes et autres personnes de distinction. Le mercredi suivant (huit jours après sa première comparution) il fut invité par l'archevêque de Trèves à se rendre chez lui. Il y vint avec plusieurs de ses amis et y trouva, outre l'archevêque, le margrave de Brandebourg, le duc George de Saxe, le grand-maître de l'ordre Teutonique, et un grand nombre d'ecclésiastiques. Le chancelier du margrave de Bade prit la parole, et l'engagea, avec beaucoup d'éloquence, à entrer dans de meilleures voies; il défendit l'autorité des conciles, et essaya d'alarmer Luther sur l'influence que son livre de la Liberté chrétienne allait avoir sur le peuple, déjà si disposé à la sédition. «Il faut aujourd'hui des lois et des établissemens humains, dit-il, nous ne sommes plus au temps où tous les fidèles n'étaient qu'un cœur et un esprit.» Il finit par menacer Luther de la colère de l'Empereur qui allait infailliblement l'accabler.—Luther, dans sa réponse, remercia les assistans de l'intérêt qu'ils prenaient à lui et des conseils qu'ils lui faisaient donner. Il dit qu'il était loin de blâmer tous les conciles, mais que celui de Constance avait condamné formellement un article de la foi chrétienne, qu'il ferait tout plutôt que de rétracter la parole de Dieu, qu'il prêchait sans cesse au peuple la soumission à l'autorité; mais qu'en matière de foi il fallait obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Cela dit, il se retira et les princes délibérèrent. Quand il fut rappelé, le chancelier de Bade répéta une partie de ce qu'il avait déjà dit et l'exhorta finalement à soumettre ses livres au jugement de Sa Majesté et de l'Empire. Luther répondit, avec modestie, qu'il ne lui convenait point de se soustraire au jugement de l'Empereur, des Électeurs et des États qu'il révérait; il voulait s'y soumettre, mais à la condition que l'examen se ferait selon le texte de l'Écriture sainte: «Car, ajouta-t-il, ce texte est si clair pour moi que je ne puis céder, à moins qu'on ne prouve, par l'Écriture même, l'erreur de mon interprétation.» Alors les princes se retirèrent pour se rendre à la maison de ville, et l'archevêque resta avec son official et Cochlæus pour renouveler ses tentatives auprès de Luther, qui avait de son côté le docteur Schurff et Nicolas Amsdorf. Tout échoua.
Néanmoins l'Empereur, à la prière de l'archevêque, prolongea de deux jours le sauf-conduit de Luther pour donner le temps d'entamer de nouvelles conférences. Il y en eut encore quatre, mais elles n'eurent pas plus de succès.» (Luth. Werke, IX. 110.)
[a33] Page 78, ligne 4.—Dans la dernière conférence...
Luther termina cette conférence en disant: «En ce qui touche la parole de Dieu et la foi, tout chrétien est juge lui-même, aussi bien que le pape, car il faut que chacun vive et meure selon cette foi. La parole de Dieu est une propriété de la commune entière. Chacun de ses membres peut l'expliquer. «Je citai à l'appui, continue Luther, le passage de saint Paul, I. Cor. xiv, où il est dit: Revelatum assidenti si fuerit, prior taceat. Ce texte prouve clairement que le maître doit suivre le disciple, si celui-ci entend mieux la parole de Dieu. Ils ne purent réfuter ce témoignage, et nous nous séparâmes.» (Luth. Werke, IX, p. 117.)
[a34] Page 89, ligne 16.—Il trouva peu de livres à Wartbourg. Il se mit à l'étude du grec et de l'hébreu...
C'est là qu'il commença sa traduction de la Bible. Plusieurs versions allemandes en avaient été déjà publiées à Nuremberg, en 1477, 1483, 1490, et à Augsbourg en 1518; mais elles n'étaient point faites pour le peuple. (Nec legi permittebantur, nec ob styli et typorum horriditatem satisfacere poterant. Seckendorf, lib. I, 204.)
Avant la fin du quinzième siècle, l'Allemagne possédait au moins douze éditions de la Bible en langue vulgaire, tandis que l'Italie n'en avait encore que deux, et la France une seule. (Jung, hist. de la Réforme à Strasbourg.)
Les adversaires de la Réforme contribuaient eux-mêmes à augmenter le nombre des Bibles en langue vulgaire. Ainsi, Jérôme Emser publia une traduction de l'Écriture pour l'opposer à celle de Luther. (Cochlæus, 50.) Celle de Luther ne parut complète qu'en 1534.
Le seul institut de Canstein à Halle, imprima, dans l'espace de cent ans, deux millions de Bibles, un million de Nouveaux Testamens et autant de Psautiers. (Ukert, t. ii, p. 339.)
«J'avais vingt ans, dit Luther lui-même, que je n'avais pas encore vu de Bible. Je croyais qu'il n'existait d'autres évangiles ni épîtres que celles des sermonaires. Enfin, je trouvai une Bible dans la bibliothèque d'Erfurt, et j'en fis souvent lecture au docteur Staupitz avec un grand étonnement...» (Tischreden, p. 255.)
»Sous la papauté, la Bible était inconnue aux gens. Carlostad commença à la lire lorsqu'il était déjà docteur depuis huit ans.» (Tischreden, p. 6, verso.)
«A la diète d'Augsbourg (1530), l'évêque de Mayence jeta un jour les yeux sur une Bible. Survint par hasard un de ses conseillers qui lui dit: «Gracieux seigneur, que fait de ce livre votre Grâce électorale?» A quoi il répondit: «Je ne sais quel livre c'est; seulement tout ce que j'y trouve est contre nous.»—Le docteur Usingen, moine augustin, qui fut mon précepteur au couvent d'Erfurt, me disait, quand il me voyait lire la Bible avec tant d'ardeur: «Ah! frère Martin, qu'est-ce que la Bible? On doit lire les anciens docteurs qui en ont sucé le miel de la vérité. La Bible est la cause de tous les troubles.» (Tischred., p. 7.)
Selneccer, contemporain de Luther, rapporte que les moines, voyant Luther très assidu à la lecture des livres saints, en murmurèrent et lui dirent que ce n'était pas en étudiant de la sorte, mais en quêtant et ramassant du pain, de la viande, du poisson, des œufs et de l'argent, qu'on se rendait utile à la communauté.—Son noviciat fut très dur; on le chargea, dans l'intérieur de la maison, des travaux les plus pénibles et les plus vils, et en dehors, de la quête avec la besace. (Almanach des protestans pour 1810, p. 43.)
«Naguère le temps n'était pas bon pour étudier; on tenait en tel honneur le païen Aristote, que celui qui eût parlé contre, eût été condamné à Cologne comme le plus grand hérétique. Encore ne l'entendaient-ils pas. Les sophistes l'avaient tant obscurci! Un moine, en prêchant la Passion, agita pendant deux heures cette question: Utrùm qualitas realiter distincta sit à substantiâ. Et il disait, pour donner un exemple: Ma tête pourrait bien passer par ce trou, mais la grosseur de ma tête n'y peut passer.» (Tischred., p. 15, verso.)
«Les moines méprisaient ceux d'entre eux qui étaient savans. Ainsi mes frères au couvent m'en voulaient d'étudier. Ils disaient: Sic tibi, sic mihi, sackum per nackum (le sac sur le cou). Ils ne faisaient aucune distinction.» (Tischred., p. 272.)
«Autrefois les premiers docteurs n'auraient pu, je ne dis pas composer, mais bien lire une oraison latine. Ils mêlaient à leur latin des mots qui n'étaient pas même allemands, mais wendes.» (Tischred., p. 15.)
Cette ignorance du clergé était générale en Europe. En 1530, un moine français disait en chaire: «On a trouvé une nouvelle langue que l'on appelle grecque; il faut s'en garantir avec soin. Cette langue enfante toutes les hérésies: Je vois dans les mains d'un grand nombre de personnes un livre écrit en cette langue; on le nomme Nouveau Testament: c'est un livre plein de ronces et de vipères. Quant à la langue hébraïque, tous ceux qui l'apprennent deviennent juifs aussitôt.» (Sismondi, Hist. de Fr., XVI, p. 364.)
[a35] Page 90, ligne 7.—Le cardinal de Mayence... Il l'appelait le pape de Mayence.
Durant la révolte des paysans, il lui écrivit pour l'engager à se marier et à séculariser ses deux archevêchés. Ce serait, lui disait-il entre autres raisons, un puissant moyen de faire cesser les troubles dans son électorat. (7 juin 1525.)
[a36] Page 90, ligne 21.—Ils en entendraient bien d'autres, si...
Après Worms, il comprit que les conférences et discussions publiques, que jusque là il avait demandées, seraient à l'avenir inutiles, et dès-lors il s'y refusa toujours. «Je ne reconnaîtrai plus, dit-il, dans son livre Contra statum ecclesiasticum, je ne reconnaîtrai plus désormais de juges, ni parmi vous, ni parmi les anges. J'ai montré déjà à Worms assez d'humilité; je serai, comme dit saint Paul, votre juge et celui des anges, et quiconque n'acceptera pas ma doctrine, ne pourra être sauvé, car ce n'est point la mienne, mais celle de Dieu, c'est pourquoi mon jugement sera celui de Dieu même.» Je cite d'après le très suspect Cochlæus (p. 48), n'ayant pas en ce moment le texte sous les yeux.
[a37] Page 104, ligne 5.—Le motif de son départ de Wartbourg, c'était le caractère alarmant que prenait la Réforme...
Avant de quitter sa retraite, il chercha plusieurs fois, par ses lettres, à empêcher les siens d'aller trop loin.—Aux habitans de Wittemberg. «... Vous attaquez les messes, les images et autres misères, tandis que vous abandonnez la foi et la charité dont vous avez tant besoin. Vous avez affligé, par vos scandales, beaucoup d'âmes pieuses, peut-être meilleures que vous. Vous avez oublié ce que l'on doit aux faibles. Si le fort court de toute sa vitesse, ne faut-il pas que le faible, laissé en arrière, succombe?
«Dieu vous a fait une grande grâce et vous a donné la Parole dans toute sa pureté. Cependant je ne vois nulle charité en vous. Vous ne supportez point ceux qui n'ont jamais entendu la Parole. Vous n'avez nul souci de nos frères et de nos sœurs de Leipsig, de Meissen et de tant d'autres pays que nous devons sauver avec nous... Vous vous êtes précipités dans cette affaire, tête baissée et sans regarder ni à droite ni à gauche. Ne comptez donc pas sur moi; je vous renierai. Vous avez commencé sans moi, il vous faudra bien finir de même...» (décembre 1521.)
[a38] Page 112, ligne 6.—Le désordre s'est mis dans son troupeau...
De retour à Wittemberg, il prêcha huit jours de suite. Ces sermons suffirent pour remettre l'ordre dans la ville.
[a39] Page 113, ligne 23.—Je ne connais point Luther...
«Exhortation charitable du docteur Martin Luther à tous les chrétiens, pour qu'ils se gardent de l'esprit de trouble et de révolte. (1524.)
»... En premier lieu, je vous prie de vouloir laisser de côté mon nom, et de ne pas vous appeler luthériens, mais chrétiens. Qu'est-ce que Luther? Ma doctrine ne vient pas de moi. Moi, je n'ai été crucifié pour personne. Saint Paul (I. Corinth. iii) ne voulait point que l'on s'appelât pauliens, ni pétriens, mais chrétiens. Comment donc me conviendrait-il, à moi, misérable sac à vermine et à ordure, de donner mon nom aux enfans du Christ? Cessez, chers amis, de prendre ces noms de parti, détruisons-les et appelons-nous chrétiens, d'après le nom de celui de qui vient notre doctrine.
»Il est juste que les papistes portent un nom de parti, parce qu'ils ne se contentent pas de la doctrine et du nom de Jésus-Christ; ils veulent être en outre papistes. Eh bien! qu'ils appartiennent au pape qui est leur maître. Moi je ne suis ni ne veux être le maître de personne. Je tiens avec les miens pour la seule et commune doctrine du Christ qui est notre unique maître.» (Luth. Werke II, p. 4.)
[a40] Page 116, ligne 1.—Jamais, avant cette époque, un homme privé n'avait adressé à un roi des paroles si méprisantes...
En même temps qu'il traitait si rudement Henri VIII et les princes, il passait toutes les bornes dans ses attaques contre le saint-siége. Dans sa réponse aux brefs du pape Adrien, il dit en finissant: «Je suis fâché d'être obligé de donner de si bon allemand contre ce pitoyable latin de cuisine. Mais Dieu veut confondre l'Antichrist en toutes choses, il ne lui laisse plus rien, ni art, ni langue; on dirait qu'il est fou, qu'il est tombé en enfance. C'est une honte d'écrire aux Allemands en pareil latin, de présenter à des gens raisonnables une interprétation aussi maladroite et aussi absurde de l'Écriture.» (1523.)
Préface mise par Luther en tête de deux bulles par lesquelles le pape Clément II annonçait la célébration du jubilé pour 1525:
«... Le pape dit dans sa bulle qu'il veut ouvrir la porte d'or. Nous avons depuis long-temps ouvert toutes les portes en Allemagne, mais les escrocs italiens ne nous rapportent pas un liard de ce qu'ils nous ont volé par leurs indulgentiæ, dispensationes et autres inventions diaboliques. Cher pape Clément, toute ta clémence et toutes tes douceurs ne te serviront de rien ici. Nous n'achèterons plus d'indulgences. Chère porte d'or, chères bulles, retournez d'où vous venez; faites-vous payer par les Italiens. Qui vous connaît, ne vous achète plus. Nous savons, Dieu merci, que ceux qui entendent et qui croient le saint Évangile, ont à toute heure un jubilé... Bon pape, qu'avons-nous à faire de tes bulles? Épargne le plomb et le parchemin; cela est désormais d'un mauvais rapport.» (Luth. Werke, IX, p. 204.)
«Je ferais un même paquet du pape et des cardinaux, pour les jeter tous ensemble dans ce petit fossé de la mer de Toscane. Ce bain les guérirait; j'y engage ma parole et je donne Jésus-Christ pour caution.»
«Mon petit Paul, mon petit pape, mon petit ânon, allez doucement, il fait glacé: vous vous rompriez une jambe; vous vous gâteriez, et on dirait: Que diable est ceci? comme le petit papelin s'est gâté?» (1542? traduction de Bossuet, Variations, I, 45-6.)
Interprétation du monachovitule et de deux horribles monstres papalins trouvés dans le Tibre, à Rome, l'an 1496; publié à Friberg en Misnie l'an 1523, par Ph. Mélanchton et Martin Luther.—«Dans tous les temps Dieu a montré par des signes évidens sa colère ou sa miséricorde. C'est ainsi que son prophète Daniel a prédit l'arrivée de l'Antichrist, afin que tous les fidèles avertis se gardassent de ses blasphèmes et de son idolâtrie.
»Durant cette domination tyrannique, Dieu a donné beaucoup de signes, et dernièrement encore, cet horrible monstre papalin, trouvé mort dans le Tibre l'an 1496... D'abord la tête d'âne désigne le pape; car l'Église est un corps spirituel qui ne doit ni ne peut avoir de tête visible; Christ seul est le seigneur et le chef de l'Église. Le pape s'est voulu faire contre Dieu la tête visible de l'Église; cette tête d'âne attachée à un corps humain, le désigne donc évidemment. En effet, une tête d'âne convient-elle mieux au corps de l'homme que le pape à l'Église? Autant le cerveau de l'âne diffère de la raison et de l'intelligence humaine, autant la doctrine papale s'éloigne des dogmes du Christ. Dans le royaume du pape les traditions humaines font la loi: il s'est étendu, il s'est élevé par elle. S'il entendait la parole du Christ, il croulerait aussitôt.
»Ce n'est pas seulement pour les saintes Écritures qu'il a une cervelle d'âne, mais pour ce qui regarde même le droit naturel, pour les choses que doit décider la raison humaine. Les juristes impériaux disent en effet qu'un véritable canoniste est véritablement un âne.
»La main droite du monstre, semblable au pied de l'éléphant, montre qu'il écrase les craintifs et les faibles. Il blesse en effet et perd les âmes par tous ses décrets qui, sans cause ni nécessité, chargent les consciences de la terreur de mille péchés qu'ils inventent et dont on ne sait pas même les noms.
»La main gauche désigne la puissance temporelle du pape. Contre la parole de Christ, il est devenu le seigneur des rois et des princes. Aucun d'eux n'a soulevé, fait et conduit tant de guerres, aucun n'a versé autant de sang. Occupé de choses mondaines, il néglige la doctrine et abandonne l'Église.
»Le pied droit, semblable au sabot d'un bœuf, désigne les ministres de l'autorité spirituelle, qui, pour l'oppression des âmes, soutiennent et défendent ce pouvoir; c'est à savoir les docteurs pontificaux, les parleurs, les confesseurs, ces nuées de moines et de religieuses, mais surtout les théologiens scolastiques, qui tous s'en vont répandant ces intolérables lois du pontife, et tiennent ainsi les consciences captives sous le pied de l'éléphant.
»Le pied gauche, qui se termine par des ongles de griffon, signifie les ministres de la puissance civile. De même que les ongles du griffon ne lâchent point facilement ce qu'ils ont une fois pris, de même les satellites du pape ont pris aux hameçons des canons les biens de toute l'Europe, et les retiennent opiniâtrément sans qu'on les leur puisse arracher.
»Le ventre et les seins de femme désignent le corps du pape, c'est-à-dire les cardinaux, évêques, prêtres, moines, tous les sacro-saints martyrs, tous ces porcs bien engraissés du troupeau d'Épicure, qui n'ont d'autre soin que de boire, manger et jouir de voluptés de tout genre, de tout sexe; le tout en liberté, et même avec garantie de priviléges...
»Les yeux pleins d'adultère, le cœur d'avarice, ces fils de la malédiction ont abandonné le droit chemin pour suivre Balaam qui allait chercher le prix de l'iniquité.»
[a41] Page 118, ligne 9.—(Fin de l'extrait du livre contre Henri VIII.)
Cette réponse violente scandalisa, comme Luther le dit lui-même, un grand nombre de ses partisans. Le roi Christiern l'engagea même à écrire à Henri VIII, qui, disait-il, allait établir la réforme en Angleterre. La lettre de Luther est très humble: il s'excuse en disant que des témoins dignes de foi, l'ont assuré que le livre qu'il avait attaqué n'avait pas été composé par le roi d'Angleterre: il lui offre de chanter la palinodie (palinodiam cantare).—(1er septembre 1525.)
Cette lettre ne produisit aucun effet. Henri VIII avait été trop vivement blessé pour revenir. Luther en fut pour ses avances. Aussi, disait-il quelques mois après: «Ces tyrans, au cœur de femme, n'ont qu'un esprit impuissant et sordide; ils sont dignes d'être les esclaves du peuple. Mais, par la grâce de Christ, je suis assez vengé par le mépris que j'ai pour eux et pour Satan leur dieu.» (fin de décembre 1525.)
Thomas Morus, sous le nom de Guillaume Rosseus, prit, contre Luther, la défense de Henri VIII. Il attaqua surtout le langage sale et ignoble de Luther. (Cochlæus p. 60.)
[a42] Page 118, ligne 12.—Les princes sont du monde...
«Rien d'étonnant si les princes ne cherchent que leur compte dans l'Évangile, et s'ils ne sont que de nouveaux ravisseurs à la chasse des anciens. Une lumière s'est levée qui nous fait voir ce que c'est que le monde; c'est le règne de Satan.» (1524.)
[a43] Page 122, ligne 2.—Nous serons toujours en sûreté en disant que ta volonté soit faite...
Le découragement commence déjà parfois à percer dans les écrits de Luther. Cette même année 1523, au mois d'août, il écrivait aux lieutenans impériaux, présens à la diète de Nuremberg. «... Il me semble aussi qu'aux termes du mandement impérial, rendu au mois de mars, je devrais être affranchi du ban et de l'excommunication jusqu'au futur concile: autrement je ne saurais comprendre ce que veut dire la remise dont il est parlé dans ce mandement; car je consens à observer les conditions sur lesquelles elle est fondée... Au reste, il n'importe. Ma vie est peu de chose. Le monde a assez de moi, et moi de lui: que je sois sous le ban ou non, cela est indifférent. Mais du moins, ayez pitié du pauvre peuple, chers seigneurs. C'est en son nom que je vous supplie de m'écouter...» Il demande qu'on n'exécute pas sévèrement le mandement impérial relatif à la punition des membres du clergé qui se marieraient ou sortiraient de leur ordre.
[a44] Page 124, ligne 2.—Essais d'organisation...
Lorsque Luther sentit la nécessité de mettre un peu d'ordre et de régularité dans l'Église nouvelle, lorsqu'il se vit appelé chaque jour à juger des causes matrimoniales, à décider sur tous les rapports de l'Église avec les laïques, il se mit à étudier le droit canon.
«Dans cette affaire de mariage qui m'était déférée, j'ai jugé d'après les décrets mêmes du pape. Je commence à lire les réglemens des papistes et je vois qu'ils ne les suivent même pas.» (30 mars 1529.)
«Je donnerais ma main gauche pour que les papistes fussent obligés d'observer leurs canons. Ils crieraient plus fort contre eux que contre Luther.»
«Les décrétales ressemblent au monstre: jeune fille par la tête, le corps est un lion dévorant; la queue est celle du serpent; ce n'est que mensonges et tromperie. Voilà, au reste, l'image de toute la papauté.» (Tischreden, p. 277, folio et verso.)
[a45] Page 125, ligne 20.—Les réponses qu'il donne...
(11 octobre 1533.) A la commune d'Esslingen... «Il est vrai que j'ai dit que la confession était une bonne chose. De même je ne défends à personne de jeûner, de chômer, d'aller en pélerinage, etc., mais je veux que ces choses se fassent librement, à la volonté de chacun, et non comme si c'était péché mortel d'y manquer. Nous devons avoir la conscience libre en toutes choses qui ne touchent pas la foi, ni l'amour du prochain... Mais, comme il y a beaucoup de consciences captives dans les lois du pape, tu fais bien de ne pas manger de viande en présence de ces hommes encore faibles dans la foi. Cette abstinence de ta part devient une œuvre de charité, par cela qu'elle ménage la conscience de ton prochain. Du reste, ces œuvres ne sont pas commandées, les prescriptions du pape ne sont rien...»
(16 octobre 1523.) A Michel Vander Strassen, péager à Borna. (Au sujet d'un prédicateur d'Oelsnitz qui exagérait les principes de Luther): «Vous avez vu mon opinion par le livre de la confession et de la messe: j'y établis que la confession est bonne quand elle est libre et sans contrainte, et que la messe, sans être un sacrifice ni une bonne œuvre, est pourtant un témoignage de la religion et un bienfait de Dieu, etc. Le tort de votre prédicateur, c'est qu'il vole trop haut et qu'il jette les vieux souliers avant d'en avoir de neufs. Il devrait commencer par bien instruire le peuple sur la foi et la charité. Dans un an, lorsque la commune aura bien compris Jésus-Christ, il sera assez temps de toucher les points sur lesquels il prêche maintenant. A quoi bon cette précipitation avec le peuple ignorant? J'ai prêché près de trois ans à Wittemberg avant d'en venir à ces questions; et ceux-ci veulent tout finir en une heure! ces hommes si pressés nous font beaucoup de mal. Je vous prie de dire au percepteur d'Oelnitz qu'il enjoigne à son prédicateur d'agir désormais avec plus de mesure, et de commencer avant tout par bien enseigner Jésus-Christ: sinon, qu'il laisse là ses folles prédications et qu'il s'éloigne. Que surtout il cesse de défendre et de punir la confession. C'est un esprit pétulant et immodéré qui a vu de la fumée, mais qui ne sait pas où est la flamme...»
[a46] Page 129, ligne 5.—La messe...
«S'il plaît à Dieu, j'abolirai ces messes ou je tenterai autre chose. Je ne puis supporter plus long-temps les ruses et les machinations de ces trois demi-chanoines contre l'unité de notre église.» (27 novembre 1524.)
«J'ai enfin poussé nos chanoines à consentir à l'abrogation des messes.» (2 décembre 1524.)
«Ces deux mots messe et sacrement sont aussi éloignés l'un de l'autre que ténèbres et lumières, diable et Dieu... Puisse Dieu donner à tous les chrétiens un tel cœur, qu'ils aient horreur de ce mot, la messe, et qu'en l'entendant ils se signent comme ils feraient contre une abomination du diable.»
On l'interroge souvent sur le baptême des enfans nondùm ex utero egressorum. «J'ai empêché nos bonnes femmes de baptiser l'enfant avant sa naissance; elles avaient coutume de baptiser le fœtus sitôt que la tête paraissait. Pourquoi ne pas le baptiser par-dessus le ventre de sa mère, ou mieux encore, baptiser le ventre même.» (13 mars 1531.)
[a47] Page 132, ligne 23.—De ministris instituendis...
Instructions au ministre de Wittemberg:
«Renvoyer les prêtres indignes;
Abroger toutes messes et vigiles payées;
Le matin, au lieu de messe, Te Deum, lecture et exhortation;
Le soir lecture et explication;—complies après le souper;
Ne célébrer qu'une messe aux dimanches et fêtes.» (Briefe, 19 août 1523.)
En 1520, il publia un catéchisme. Mais dix ans plus tard, il en fit un autre où il ne conserva que le baptême et la communion. Plus de confession. Seulement il engage à recourir souvent à l'expérience du pasteur.
Pour soustraire les ministres à la dépendance de l'autorité civile, il voulait conserver les dîmes. «Il me semble que les décimes sont la chose la plus juste du monde. Et plût à Dieu que toutes taxes abolies, il ne subsistât que des dîmes, ou même des neuvièmes et des huitièmes. Que dis-je, les Égyptiens donnaient le cinquième, et ils vivaient pourtant. Nous, nous ne pouvons vivre avec la dîme, il y a d'autres charges qui nous écrasent.» (15 juin 1524.)
[a48] Page 132, ligne 25.—Caractère indélébile...
«On doit déposer et emprisonner les pasteurs et prédicateurs qui font scandale. L'Électeur a résolu de faire construire une prison à cet effet.»
«Le docteur parla ensuite de Jean Sturm qu'il avait souvent visité dans le château de Wittemberg, et qui s'était toujours obstiné à croire que Christ n'était mort que pour l'exemple. Il fut en conséquence conduit à Schwrinitz, et y mourut dans la tour.» (Tischred., p. 196.)
Luther disait que l'on ne devait punir de mort les anabaptistes qu'autant qu'ils étaient séditieux. (Tischred., p. 298.)
[a49] Page 135, ligne 6.—Visites annuelles...
La commission que l'Électeur, sur les exhortations de Luther, nomma en 1528 pour inspecter les écoles, se composait de Jérôme Schurff, docteur en droit, du seigneur Jean de Plaunitz, d'Asme de Haubitz et de Mélanchton.
Dans l'instruction que ces inspecteurs adressèrent ensuite aux pasteurs de l'électorat avec l'approbation de Luther, on peut remarquer le passage suivant: «Il y en a qui disent que l'on ne doit pas défendre la foi par l'épée, mais que l'on doit souffrir comme ont fait Jésus-Christ et ses apôtres. A cela il faut répondre qu'à la vérité ceux qui ne règnent pas doivent souffrir comme individus et n'ont pas droit de se défendre; mais que l'autorité est chargée de protéger ses sujets contre toute violence et injustice, que cette violence ait une cause religieuse ou une autre.» (Luth. Werke, t. IX, p. 263, verso.)
En 1527, le prince envoie à Luther les rapports de la visite des églises en lui demandant s'il fallait les imprimer. (19 août 1527.)
[a50] Page 136, ligne 1.—Luther exerçait une sorte de suprématie.
Il décide que les chanoines sont obligés de partager avec les bourgeois les charges publiques. (Lettre au conseil de Stettin, 12 janvier 1523) C'est à lui que souvent on s'adressait pour obtenir une place de ministre.
«Ne sois pas inquiet d'avoir une paroisse; il y a partout grande pénurie de fidèles pasteurs; si bien que nous sommes forcés d'ordonner et d'instituer des ministres avec un rite particulier, sans tonsure, sans onction, sans mitre, sans bâton, sans gants ni encensoir, enfin sans évêques.» (16 décembre 1530.)
Les habitans de Riga et le prince Albert de Prusse demandent à Luther de leur envoyer des ministres. (1531.)
Le roi de Suède, Gustave Ier, lui demande de même un précepteur pour son fils. (avril 1539.)
[a51] Page 136, ligne 9.—Excommunication...
«Le prince a répondu à l'université qu'il voulait hâter la visite des paroisses, afin que cela fait et les églises constituées, on puisse se servir de l'excommunication quand besoin sera.» (10 janvier 1527.)
[a52] Page 137, ligne 6.—Abolition des vœux monastiques...
«Dans son traité de vitandâ hominum doctrinâ il dit des évêques et des grands de l'Église: «Qu'ils sachent ces effrontés et impudiques qui ont sans cesse à la bouche «le christianisme, le christianisme,» qu'ils sachent que ce n'est point pour eux que j'ai écrit qu'il fallait se nourrir de viande, s'abstenir de la confession et briser les images; eux, ne sont-ils pas comme ces impurs qui souillaient le camp d'Israël? Si j'ai écrit ces choses, c'est pour délivrer la conscience captive de ces malheureux moines, qui voudraient rompre leurs vœux, et qui doutent s'ils peuvent le faire sans pécher.» (Seckendorf, lib. I, sect. 50, p. 202.)
[a53] Page 139, ligne 27.—J'ai reçu hier neuf religieuses...
«Neuf religieuses avaient été enlevées de leur couvent et amenées à Wittemberg. «Ils m'appellent ravisseur, dit Luther, oui, et bienheureux ravisseur comme Christ, qui fut aussi ravisseur en ce monde, quand par sa mort il arracha au prince de la terre ses armes et ses richesses, et qu'il l'emmena captif.» (Cochlæus, p. 73.)
[a54] Page 140, ligne 3.—J'ai pitié d'elles... qui meurent en foule de cette maudite et incestueuse chasteté...
«Anne Craswytzinne échappée de ses liens, à Leusselitz, est venue habiter avec nous. Elle a épousé Jean Scheydewind, et me charge de te saluer doucement en son nom, et avec elle trois autres, Barbe Rockenberg, Catherine Taubenheim, Marguerite Hirstorf.» (11 janvier 1525.)
A Spalatin. «Si tu ne le sais pas encore, tous les prêtres d'ici ne se contentent pas de mener une conduite sacrilége; ce sont des cœurs endurcis, des contempteurs de Dieu et des hommes, qui passent presque toutes les nuits avec des prostituées... J'ai dit hautement que, si dans leur impiété, nous devons les tolérer, il est du devoir du magistrat de s'opposer à leurs débauches ou de les contraindre au mariage... Tu craignais dernièrement qu'on ne pût accuser l'Électeur de favoriser ouvertement les prêtres mariés.» (2 janvier 1523.)
(27 mars 1525.) A Wolfgang Reissenbach, précepteur à Lichtenberg. «... Mon cher, ne volons pas plus haut, et ne prétendons pas mieux faire qu'Abraham, David, Isaïe, saint Pierre, saint Paul, et tous les patriarches, prophètes et apôtres, ainsi que tant de saints martyrs et évêques qui tous ont reconnu sans honte qu'ils étaient des hommes créés par Dieu, et qui, fidèles à sa parole, ne sont pas restés seuls. Qui a honte du mariage, a honte d'être homme. Nous ne pouvons nous faire autres que Dieu n'a voulu que nous soyons. Enfans d'Adam, nous devons à notre tour laisser des enfans.—O folie! nous voyons tous les jours quelle peine il en coûte pour rester chaste dans le mariage même, et nous rejetons encore le mariage! Nous tentons Dieu outre mesure, par nos vœux insensés, et nous préparons la voie à Satan...»
[a55] Page 146, ligne 3.—Cette époque de la vie de Luther (1521-1528) fut prodigieusement affairée...
A Frédéric de Nuremberg. «Si j'ai tant différé à te féliciter sur ton mariage, tu peux croire que j'en ai eu juste raison, avec les distractions d'une santé si variable, tant de livres à publier, de lettres à écrire, de sujets à traiter, de devoirs envers mes amis, et en nombre incroyable et infini, accablé d'un orage et d'un déluge d'affaires..... Le 17 janvier, à souper et à la hâte. Tu pardonneras à ma loquacité, peut-être aussi au souper, bien que je ne sois pas ivre.» (1525.)
Au milieu de toutes ces affaires, il entretenait correspondance avec Christiern II.
A Spalatin. «Les porteurs sont rares, sans quoi je t'aurais envoyé depuis long-temps les tristes lettres du roi Christiern, aujourd'hui le plus malheureux des hommes, et ne vivant plus que pour Christ.» (27 mars 1526.)
A Mélanchton. «Rien de nouveau, si ce n'est une lettre du roi de Suède Christiern qu'il nous adresse à tous les deux avec une petite coupe d'argent; il nous demande de ne pas croire ceux qui le représenteraient comme un déserteur de l'Évangile.» (novembre 1540.)
Il lui fallait encore veiller, par toute l'Allemagne, sur les intérêts des réformés. La commune réformée de Miltenberg (en Franconie) était opprimée par les officiers de l'électeur de Mayence. Toute correspondance avec cette ville avait été interrompue. Luther adressa aux habitans une lettre de consolation qu'il fit imprimer pour qu'elle pût leur parvenir. Il en avertit l'Électeur, et lui demanda «si ses officiers n'abusaient pas de son nom.» (14 février 1524.)
En 1528, une religieuse de Freyberg s'adresse à lui pour qu'il l'enlève de son couvent, et la conduise en Saxe. (29 juin 1528.)—«Occupatissimus scribo visitator, lector, prædicator, scriptor, auditor, actor, cursor, procurator, et quid non?» (29 octobre 1528.)
[a56] Page 146, ligne 26.—Son ancien ami Carlostad...
Carlostad était chanoine et archidiacre dans l'église collégiale de tous les saints; il en était doyen lorsque Luther fut reçu docteur en 1512. (Seckendorf, liv. I, 72.)
[a57] Page 147, ligne 5.—Derrière Carlostad on entrevoyait Münzer...
Lettre du docteur Martin Luther aux chrétiens d'Anvers «...... Nous avions cru, tant que dura le règne du pape, que les esprits de bruit et de vacarme, qui se font souvent entendre la nuit, étaient des âmes d'hommes qui, après la mort, revenaient et rôdaient pour expier leurs péchés. Cette erreur, Dieu merci, a été découverte par l'Évangile, et l'on sait à présent que ce ne sont pas des âmes d'hommes, mais rien autre que des diables malicieux qui trompaient les gens par de fausses réponses. Ce sont eux qui ont mis dans le monde tant d'idolâtrie.
»Le diable voyant que ce genre de vacarme ne peut continuer, il lui faut du nouveau; il se met à faire rage dans ses membres, je veux dire dans les impies, à travers lesquels il se fait jour par toute sorte de vanités chimériques et de doctrines extravagantes. Celui-ci ne veut plus de baptême, celui-là nie la vertu de l'eucharistie; un troisième met encore un monde entre celui-ci et le jugement dernier; d'autres enseignent que Jésus-Christ n'est pas Dieu; les uns disent ceci, les autres cela, et il y a presque autant de sectes et de croyances que de têtes.
»Il faut que j'en cite un pour exemple, car j'ai bien à faire avec ces sortes d'esprits. Il n'est personne qui ne prétende être plus savant que Luther; c'est contre moi qu'ils veulent tous gagner leurs éperons. Et plût au ciel qu'ils fussent ce qu'ils pensent être, et que moi je ne fusse rien! Celui-là donc m'assurait entre autres choses qu'il était envoyé vers moi par le Dieu qui a créé le ciel et la terre; il en disait des choses magnifiques, mais le manant perçait toujours.
»Enfin il m'ordonna de lui lire les livres de Moïse. Je lui demandai un signe qui confirmât cet ordre. C'est, dit-il, écrit dans l'Évangile de saint Jean. Alors j'en eus assez et je lui dis de revenir une autre fois, que nous n'aurions pas le temps de lire pour cette fois les livres de Moïse...
»Il m'en faut bien entendre dans une année, de ces pauvres gens. Le diable ne peut pas m'approcher de plus près. Jusqu'ici le monde avait été plein de ces esprits bruyans sans corps, qui se donnaient pour des âmes d'hommes; maintenant ils ont des corps et se donnent tous pour des anges vivans...
»Quand le pape régnait, on n'entendait point parler de troubles; le Fort (le diable) était en paix dans sa forteresse; mais à présent qu'un plus fort est venu qui prévaut contre lui et qui le chasse, comme dit l'Évangile, il tempête et sort avec fureur et fracas.
»Chers amis, il est venu aussi parmi vous un de ces esprits de vacarme qui ont chair et sang. Il veut vous égarer dans les inventions de son orgueil; gardez-vous de lui.
»D'abord il dit que tout homme a le Saint-Esprit. Secondement, que le Saint-Esprit n'est autre chose que notre raison et notre intelligence. Troisièmement, que tout homme a la foi. Quatrièmement, qu'il n'y a pas d'enfer; que du moins la chair seule sera damnée. Cinquièmement, que toute âme aura la vie éternelle. Sixièmement, que la simple nature nous enseigne de faire au prochain ce que nous voulons qu'on nous fasse; c'est là, disent-ils, la foi. Septièmement, que la loi n'est pas violée par la concupiscence, tant que nous ne consentons pas au plaisir. Huitièmement, que celui qui n'a pas le Saint-Esprit, est aussi sans péché, car il n'a pas de raison.
»Tout cela ce sont des propositions audacieuses, de vains jeux de la fantaisie; si l'on excepte la septième, les autres ne méritent pas de réponse......
»Il nous suffit de savoir que Dieu ne veut pas que nous péchions. Pour la manière dont il permet, ou veut qu'il y ait du péché, nous ne devons pas toucher cette question. Le serviteur ne doit point savoir le secret du maître, mais seulement ce qu'il ordonne. Combien moins une pauvre créature doit-elle vouloir scruter et approfondir la majesté et le mystère de son Dieu?...
»Nous avons assez à faire pendant toute notre vie, de connaître la loi de Dieu et d'apprendre son fils Jésus-Christ...» 1525. (Luth. Werke, tome II, p. 61, sqq.)
[a58] Page 151, ligne 11.—Luther crut devoir se transporter à Iéna...
Carlostad, dans une dispute, cita Luther au jugement dernier.—«Comme nous étions à l'hôtellerie, et que nous parlions de ces affaires, après s'être engagé à défendre sa doctrine à fond, soudain il se détourna, fit claquer ses doigts, et dit: «Je me moque de vous.» Or, s'il ne m'estime pas davantage, qui d'entre nous estimera-t-il? ou pourquoi perdrai-je mon temps à le prêcher? Je pense toujours qu'il me regarde comme l'un des plus savans de Wittemberg; et cependant, il me dit au nez: «Je me moque de vous.» Comment, après cela, peut-on croire encore à sa sincérité, lorsqu'il prétend vouloir se laisser instruire?»
Carlostad avait abandonné ses fonctions de professeur et d'archidiacre à Wittemberg (tout en gardant son traitement) pour aller à Orlamünde, sans autorisation ni de l'Électeur ni de l'Université. Ce fut une des causes du mécontentement qui éclata contre lui. L'Université lui ayant écrit pour le rappeler dans son sein, il lui fit répondre par ses partisans d'une manière insolente.
Luther fut envoyé par l'Électeur et l'Université à Orlamünde pour y prêcher contre les doctrines de Carlostad et tout ramener à l'ordre; mais il fut très mal reçu par le peuple.
Carlostad s'habillait à Orlamünde plus simplement que les autres pasteurs. Il ne souffrait pas qu'on l'appelât docteur; il se faisait appeler frère André, voisin André. Il se soumettait à la juridiction du juge de la petite ville, pour être entièrement comme les autres bourgeois. (Luth. Werke, t. II, p. 18-22.)
[a59] Page 152, ligne 21.—Luther obtint un ordre pour le faire sortir...
«Quant au reproche que Carlostad me fait de l'avoir chassé, je ne me chagrinerais pas trop si ce reproche était fondé; mais, Dieu aidant, je crois bien que je puis m'en justifier. Dans tous les cas, je suis fort aise qu'il ne soit plus dans notre pays, et je voudrais bien qu'il ne fût pas non plus chez vous...
»Se fondant sur l'un de ses écrits, il m'aurait presque persuadé de ne pas confondre l'esprit qui l'anime avec l'esprit séditieux et homicide d'Altstet (résidence de Münzer); mais lorsque, sur l'ordre de mon prince, je me rendis à Orlamünde, parmi les bons chrétiens de Carlostad, je n'éprouvai que trop bien quelle semence il avait semée. Je remerciai Dieu de ne pas être lapidé ni couvert de boue, car il y en avait qui me disaient, par forme de bénédiction: «Va-t'en, au nom de mille diables, et casse-toi le cou avant que tu ne sois sorti de la ville.» Malgré cela, ils se sont arrangés et parés bien proprement dans le petit livre qu'ils ont publié. Si l'âne avait des cornes, c'est-à-dire si j'étais prince de Saxe, Carlostad ne serait pas chassé, à moins que l'on ne m'en priât bien fort.—Je lui conseillerais de ne pas dédaigner la bonté des princes.» (Lettre aux Strasbourgeois. Luther, Werke, t. II, p. 58.)
Carlostad, au dire de plusieurs témoins, avait à son service un chapelain qui faisait le rôle de l'esprit dans les apparitions et révélations surnaturelles par lesquelles son maître en imposait au peuple. (Luth. Briefe, édit. 1826, II vol. p. 625.)
«Carlostad était fort téméraire; il a osé disputer même à Rome dans le principal collége, in domo Sapientiæ. Il est revenu en Allemagne tout magnifique et avec de beaux habits. C'est par pure jalousie qu'il s'est fait ensuite paysan: il allait tête nue et ne voulait pas qu'on l'appelât docteur, mais voisin...
»Carlostad condamnait les grades et promotions dans les universités. Il dit un jour: «Je sais que je fais mal en élevant ces deux hommes au grade de docteur, seulement à cause des deux florins; mais je jure bien de n'en plus faire d'autre.» Il dit ces paroles dans l'église du château à Wittemberg, et je l'en repris fortement. (Tischreden, p. 416.)
»Dans la dispute de Leipzig, Carlostad insista pour parler avant moi. Il me laissa à combattre les propositions d'Eck sur la primauté du pape et sur Jean Huss... C'est un pauvre disputeur; il a une tête dure et opiniâtre.... Il avait pourtant une très joyeuse Marie.
»Ces troubles scandaleux font bien du tort à l'Évangile. Un espion français me disait expressément que son roi était informé de tout cela, qu'il avait appris que nous ne respections plus ni la religion ni l'autorité politique, pas même le mariage, et qu'il en allait chez nous comme chez les bêtes. (Tischreden, p. 417-422.)
Mort de Carlostad.—«Je voudrais savoir si Carlostad est mort repentant. Un ami, qui m'écrit de Bâle pour m'annoncer sa mort, ajoute une histoire singulière: il assure qu'un spectre erre autour de son tombeau et dans sa maison même, où il cause un grand trouble en jetant des pierres et des gravois. Mais la loi athénienne défend de médire des morts; c'est pourquoi je n'ajouterai rien.» (16 février 1542.)
«Carlostad est mort tué par le diable. On m'écrit que, pendant qu'il prêchait, il lui apparut, à lui et à beaucoup d'autres, un homme d'une haute stature qui entra dans le temple, et se mit à une place vide auprès d'un bourgeois, puis sortit et alla à la maison de Carlostad; que là il prit son fils, qu'il trouva seul, et l'enleva comme pour le briser contre terre, mais le laissa sans lui faire de mal, et lui ordonna de dire à son père qu'il reviendrait dans trois jours pour l'emporter. Carlostad serait mort le troisième jour. On ajoute qu'après le sermon il alla trouver le bourgeois, et lui demanda quel était cet homme? Le bourgeois répondit qu'il n'avait rien vu. Je crois qu'il aura été ainsi saisi de terreurs soudaines, et que nulle autre peste ne l'aura tué que la peur de la mort; car il avait toujours eu pour la mort une horreur misérable.» (7 avril 1542.)
[a60] Page 164, ligne 11.—Les paysans se soulevèrent d'abord...
Une circonstance importante de la guerre des paysans, c'est qu'elle éclata pendant que les troupes de l'Empire étaient en Italie. Autrement les soulèvemens eussent été plus vite comprimés. Les paysans du comte Sigismond de Lupffen, en Hégovie (1524), commencèrent la révolte à cause des charges qui pesaient sur eux; ils le déclarèrent à Guillaume de Furstemberg, envoyé pour les réduire; ils ne s'étaient point soulevés pour la cause du luthéranisme. Les premiers à les imiter furent les paysans de Kempten, qui prirent pour prétexte la sévérité de leur abbé; ils pénétrèrent dans les villes et châteaux de l'abbé, brisant toutes les images, tous les ornemens des temples. L'abbé pris par eux fut conduit à Kempten, où il fut contraint à vendre pour trente-deux mille écus d'or tous ses anciens droits. D'autres vinrent se joindre à eux, et ils se trouvèrent, près d'Ulm, au nombre de quatorze mille. Ceux de Leipheim et Guntzberg étaient pour eux, ainsi que les paysans des environs d'Augsbourg. Ces deux petites villes, assiégées par la ligue de Souabe, se rendirent; l'une fut abandonnée pour le pillage aux fantassins, l'autre aux cavaliers. Les paysans vaincus se relevèrent, et cette fois ne dévastèrent plus seulement les monastères, mais les maisons des nobles. Un comte de Montfort s'interposa avec les députés de Ravensberg et d'Uberlingen. Un grand nombre de paysans n'en furent pas moins mis en croix, décapités, etc.
Ce premier soulèvement semblait assoupi, lorsque Münzer fit révolter les paysans de Thuringe.
Le pieux, l'érudit, le pacifique Mélanchton montra combien les demandes des paysans s'accordaient avec la parole de Dieu et la justice; il exhorta les princes à la clémence. Luther frappa sur l'un et l'autre parti. (Voir le texte.)
Les paysans de la Thuringe, du Palatinat, des diocèses de Mayence, d'Halberstadt, et ceux de l'Odenwald, se réunirent dans la Forêt-Noire, sous la conduite de l'aubergiste Metzler, de Ballenberg. Ils s'emparèrent de Mergentheim, et forcèrent plusieurs comtes, barons et chevaliers, de se réunir à eux. Les sujets des comtes de Hohenlohe, déjà révoltés, vinrent les joindre. Les comtes de Hohenlohe ayant reçu des paysans des lettres de sûreté, scellées avec une pièce d'argent à l'effigie du comte Palatin, une conférence eut lieu, et les comtes promirent pour cent et un an d'observer les douze articles. En signe de joie les paysans tirèrent deux mille coups de fusils. Plusieurs nobles se joignirent volontairement aux paysans; d'autres y furent contraints par la force. La ville de Landau entra dans leur ligue. En même temps les paysans des environs d'Heilbronn se soulevèrent, et après quelques courses, se joignirent à la première troupe. Plusieurs villes les appelèrent et leur ouvrirent les portes.
Le traité fait par les paysans avec le vicaire de l'électeur de Mayence, fut signé de Goetz de Berlichingen et de George Metzler, de Ballenberg. Les paysans envoyèrent huit de leurs chefs prendre le serment de tous les habitans du diocèse de Mayence. Le clergé de ce diocèse dut leur payer en quatorze jours quinze mille florins d'or. Les paysans du Rhingaw, opprimés par l'abbé d'Erbach, se soulevèrent vers la même époque. Le vicaire de l'électeur de Mayence ayant souscrit à leurs demandes, ce tumulte s'apaisa.
Voici en substance les demandes des paysans du Rhingaw.—Les ministres seront élus. Ils vivront de la trentième partie du vin et du blé que la communauté lèvera sur chacun; s'il en reste quelque chose, on le gardera pour les pauvres et pour les dépenses de la communauté.—Égalité des charges pour tous, à moins que l'on ne prouve, par des actes authentiques, les priviléges et exemptions auxquels on prétend.—Point d'impôt pour celui qui vendra le vin de sa vigne; le revendeur seul paiera.—Point d'excommunication dans les causes séculières.—La servitude sera abolie.—On refusera logement aux juifs à cause de leurs indignes usures; le juge ne fera aucune exécution à raison d'usures, mais recherchera quel était le capital.
Que le commerce de bois de construction soit libre comme il l'a toujours été, et que ceux de Mayence n'y mettent point obstacle.—Personne ne sera plus reçu dans les monastères; tous auront permission d'en sortir.—Le seigneur ne pourra plus intervenir, même indirectement, dans les procès.—Le magistrat du lieu veillera sur tous les besoins des veuves, des orphelins et des pupilles.—Les pâturages, les rivières seront libres, ainsi que la chasse, en respectant toutefois les priviléges du magistrat et du prince.—Le juge sera soumis aux mêmes charges que les autres citoyens nobles ou non nobles.—On ne jugera point selon le droit canonique dans les causes séculières, mais selon la coutume du lieu.—Que personne ne revendique la propriété des forêts.—Si la Communauté du Rhingaw arrête quelques autres articles, ils devront être acceptés de ceux d'Erbach. (Gnodalius, apud Schardt, rerum germanic. script. vol. II, p. 142-3.)
L'insurrection avait fait de grands progrès en Alsace; le duc Antoine de Lorraine, défenseur ardent de l'Église, rassembla un corps de troupes, formé principalement des débris de la bataille de Pavie, et tomba sur les paysans le 18 mai 1525, près de Lupfenstein. Il les défit, brûla le bourg de Lupfenstein avec tous ses habitans, prit Saverne, où un grand nombre de paysans s'étaient retirés, et battit, quelques jours après, un troisième corps d'insurgés près de Scherweiler. Plusieurs historiens portent au-delà de trente mille le nombre des paysans qui périrent en ces trois rencontres. Trois cents prisonniers furent décapités. (D. Calmet, histoire de la Lorraine, I, p. 495 et suiv.; Rottinger, hist. de la Suisse, p. 28, II; Sleidan, p. 115.)
Le général George de Frundsberg, qui s'était distingué à la bataille de Pavie et que l'archiduc Ferdinand rappela en Allemagne pour terminer la guerre, n'imita point les cruautés des autres chefs. Les paysans étaient retranchés près de Kempten. Sûr de les accabler par la supériorité de ses forces, il évita l'effusion du sang. Il contint l'impatience de son collègue George de Waldbourg, et fit secrètement exhorter les paysans à se disperser dans les forêts et les montagnes. Ils le crurent, et ce fut leur salut. (Wachsmuth, p. 137.)
Une chanson franconienne faite après la guerre des paysans, avait pour devise:
«Gare à toi, paysan, mon cheval te renverse.»
C'était la contre-partie du chant de guerre des Dithmarsen, après qu'ils eurent défait la garde noire:
«Gare à toi, cavalier, voilà le paysan.»
Les paysans soulevés avaient en général adopté pour signe une croix blanche. Certains corps avaient des bannières sur lesquelles était représentée la roue de la fortune[12]. D'autres avaient des sceaux sur lesquels on voyait un soc de charrue avec un fléau, un rateau ou une fourche, et un sabot placés en croix. (Gropp, chronique de Wurtzbourg, I, 97. Wachsmuth, p. 36.)
Il parut en 1525 un violent pamphlet anonyme intitulé: «A l'assemblée de tous les paysans.» Ce pamphlet, publié dans l'Allemagne méridionale, porte sur le titre une roue de la fortune, avec cette inscription en vers allemands:
«Le moment est venu pour la roue de fortune,
»Dieu sait d'avance qui gardera le haut.»
«Paysans,
»Bons chrétiens.»
«Romanistes,
»Sophistes.»
Plus bas:
«Qui nous fait tant suer?
»L'avarice des seigneurs.»
Et à la fin:
«Tourne, tourne, tourne,
»Bon gré, mal gré, tu dois tourner.»
(Strobel, Mémoires sur la littérature du seizième siècle, II, p. 44.—Wachsmuth, p. 55.)
Les paysans s'étaient vantés que leur conseil général durerait cent et un an.—Après la prise de Weinsberg, ils décidèrent dans ce conseil de ne plus accorder la vie à aucun prince, comte, baron, noble, chevalier, prêtre, ou moine, «en un mot à aucun des hommes qui vivent dans l'oisiveté.» En effet, ils massacrèrent tous les nobles faits prisonniers, pour venger, disaient-ils, la mort de leurs frères de Souabe... Parmi ces nobles, tués par les paysans, se trouvait le mari d'une fille naturelle de l'empereur Maximilien; ils la conduisirent elle-même à Heilbronn dans un tombereau à fumier. Ils détruisirent un grand nombre de couvens; dans la seule Franconie deux cent quatre-vingt-treize monastères ou châteaux furent dévastés.
Lorsqu'ils pillaient un château ou un monastère, ils ne manquaient jamais de courir d'abord au cellier pour y boire le vin, puis ils se partageaient entre eux les ornemens d'église et les habits pontificaux. (Haarer [Petrus Crinitus], apud Freher, III, 242-6.)—Au monastère d'Erbach, dans le Rhingaw, il y avait une immense cuve contenant quatre-vingt-quatre grands muids de vin. Elle était pleine quand les paysans arrivèrent; ils n'en laissèrent pas un tiers. (Cochlæus, p. 108.)
Ils forçaient les seigneurs de leur envoyer leurs paysans. Le conseil-commun, leur écrivaient-ils, a décidé que vous réuniriez votre peuple et que vous nous enverriez les hommes, après les avoir armés. Si vous ne le faites, tenez pour certain que vous serez très incertain de votre vie et de vos biens.—(Haarer, apud Freher, t. III, p. 247.)
Les femmes prirent part à la guerre des paysans. Du côté de Heilbronn, elles marchaient réunies sous une bannière. (Jæger, Histoire de Heilbronn, II, p. 34.)
»Quand les paysans menèrent le comte de Lœwenstein par Weinsberg, il fut respectueusement salué d'un passant. Un vieux paysan qui le vit, s'avança aussitôt avec sa hallebarde, et dit au passant: «Pourquoi t'inclines-tu? Je vaux autant que lui.» (Jæger, Histoire de Heilbronn, II, p. 32.)—Les paysans s'amusaient à faire ôter les chapeaux aux nobles devant eux.
Les paysans de l'évêché de Wurzbourg, conduits par un homme de tête, nommé Jacques Kohl, demandèrent que les châteaux fussent démolis et qu'aucun noble ne pût avoir de cheval de guerre. Ils voulaient que les nobles n'eussent d'autre droit que le droit commun. (Stumpf, Faits mémorables de l'histoire de la Franconie, t. II, 44. Wachsmuth, p. 58, 72.)
«Lorsque Münzer était à Zwickau, il vint trouver une belle fille, et lui dit qu'il était envoyé vers elle par une voix divine pour dormir avec elle; sans cela il ne pouvait enseigner la parole de Dieu. La fille l'avoua en confession sur son lit de mort. (Tischred., p. 292.)
»Münzer établissait des degrés dans l'état du chrétien, 1o le dégrossissement (entgrobung) pour celui qui se dégageait des péchés les plus grossiers, la gourmandise, l'ivrognerie, l'amour des femmes; 2o l'état d'étude, lorsqu'on pensait à une autre vie et qu'on travaillait à s'améliorer; 3o la contemplation, c'est-à-dire les méditations sur les péchés et sur la grâce; 4o l'ennui, c'est-à-dire l'état où la crainte de la loi nous rend ennemis de nous-mêmes et nous inspire le regret d'avoir péché; 5o Suspensionem gratiæ, le profond abandon, la profonde incrédulité, et le désespoir tel que celui de Judas; ou au contraire, l'abandon de la foi en Dieu, lorsque l'on se met à sa disposition, et qu'on le laisse faire.... Il m'écrivit une fois à moi et à Mélanchton: «J'aime assez que vous autres de Wittemberg, vous attaquiez ainsi le pape, mais vos prostitutions que vous appelez mariages, ne me plaisent guère.» Il enseignait qu'un homme ne doit point coucher avec sa femme à moins d'être préalablement assuré par une révélation divine qu'il engendrera un enfant saint; sans cela, c'était commettre un adultère avec sa femme. (Tischreden, p. 292-3.)
Münzer était très instruit dans les lettres sacrées.—Il avait reçu sa doctrine, disait-il, par des révélations divines, et il n'enseignait rien au peuple, il n'ordonnait rien qui ne vînt de Dieu même. Il avait été chassé de Prague et de plusieurs autres villes. Fixé à Alstædt en Saxe, il déclama contre le pape, et ce qui était plus dangereux, contre Luther même.—L'Écriture, disait-il, promet que Dieu accordera ce qui lui est demandé; or, il ne peut refuser un signe à celui qui cherche la vraie connaissance. Cette recherche est agréable à Dieu, et nul doute qu'il ne déclare sa volonté par quelque signe certain. Il ajoutait que Dieu lui ferait entendre à lui-même sa parole, ainsi qu'il avait fait pour Abraham, et que si Dieu refusait de communiquer avec lui comme il avait communiqué avec les patriarches, il lancerait des traits contre lui (?), tela in se ipsum conjecturum. Il disait que Dieu manifestait sa volonté par les songes. (Gnodalius, ap. rer. germ. scrip. II, p. 151.)
Pendant que Münzer exhortait les paysans, avant le combat de Frankenhausen, un arc-en-ciel parut au-dessus d'eux. Comme les paysans avaient cet emblème sur leur bannière, ils se crurent dès-lors assurés de la victoire. (Hist. de Münzer par Mélanchton, Luth. Werke, t. II, p. 405.)
[a61] Page 170, ligne 27.—Luther ne pouvait garder le silence...
Dès l'année 1524, il avait exhorté l'électeur Frédéric et le duc Jean à prendre des mesures vigoureuses contre les paysans en révolte.
«... Jésus-Christ et ses apôtres n'ont point renversé les temples ni brisé les images. Ils ont gagné les esprits par la parole de Dieu, et les images, les temples sont tombés d'eux-mêmes. Imitons leur exemple. Songeons à détacher les esprits des couvens et de la superstition. Qu'ensuite les autorités fassent des couvens et des images délaissés, ce que bon leur semblera. Que nous importe que les bois et les pierres subsistent, si les esprits sont affranchis? ... Ces violences peuvent être bonnes pour des ambitieux qui veulent se faire un nom, jamais pour ceux qui recherchent le salut des âmes...» (21 août 1524.)
[a62] Page 171, ligne 7.—Exhortation à la paix...
«Exhortation sincère du docteur M. Luther à tous les chrétiens pour qu'ils se gardent de l'esprit de rébellion. 1524.—L'homme du peuple, tenté hors de toute mesure, et écrasé de charges intolérables, ne veut ni ne peut plus supporter cela, et il a de bonnes raisons pour frapper du fléau et de la massue, comme Jean de la pioche menace de faire... Je suis charmé de voir que les tyrans craignent. Quant à moi, menace ou craigne qui voudra, etc.
»C'est l'autorité séculière et les nobles qui devraient mettre la main à l'œuvre (à l'œuvre de réforme); ce qui se fait par les puissances régulières ne peut être pris pour sédition.»
Après avoir dit qu'il fallait une insurrection spirituelle et non temporelle: «Eh bien! répands, aide à répandre le saint Évangile; enseigne, écris, prêche que tout établissement humain n'est rien; dissuade tout le monde de se faire prêtre papiste, moine, religieuse; à tous ceux qui sont là-dedans, conseille-leur d'en sortir; cesse de donner de l'argent pour les bulles, les cierges, les cloches, les tableaux, les églises; dis-leur que la vie chrétienne consiste dans la foi et la charité. Continuons deux ans de la sorte, et tu verras ce que seront devenus pape, évêques, cardinaux, prêtraille, moines, religieuses, cloches, tours d'églises, messes, vigiles, soutanes, chapes, tonsures, règles, statuts, et toute cette vermine, tout ce bourdonnement du règne papal. Tout aura disparu comme fumée.»
Après avoir recommandé la douceur et la patience envers les faibles d'esprit qu'on veut éclairer, Luther continue: «Si ton frère avait le cou cruellement serré d'une corde, et que, venant à son secours, tu tirasses la corde avec violence ou que tu y portasses précipitamment ton couteau, n'étranglerais-tu pas, ne blesserais-tu pas ton frère? Tu lui ferais plus de mal que la corde et l'ennemi qui l'aurait lié. Si tu veux le secourir, attaque l'ennemi; la corde, tu la toucheras avec précaution jusqu'à ce qu'elle soit ôtée. C'est ainsi qu'il faut t'y prendre. Ne ménage pas les fourbes et les tyrans endurcis, porte-leur des coups terribles, puisqu'ils ne veulent point écouter; mais les simples qu'ils ont cruellement garrottés des liens de leur fausse doctrine, tu les traiteras tout autrement, tu les délieras peu-à-peu, tu leur diras la raison et la cause de tout, et tu les affranchiras ainsi avec le temps... Tu ne peux être assez dur envers les loups, assez doux envers les faibles brebis.»
[a63] Page 200, ligne 6.—On s'étonne de la dureté avec laquelle Luther parle de leur défaite...
A Jean Rühel, beau-frère de Luther.—«C'est chose lamentable qu'on en finisse ainsi avec ces pauvres gens (les paysans). Mais comment faire? Dieu veut qu'il se répande une terreur dans le peuple. Autrement, Satan ferait pis que ne font maintenant les princes. Il faut bien préférer le moindre mal au plus grand...» (23 mai 1525.)
«... Ce qui me porte surtout à écrire si violemment contre les paysans, c'est que je suis révolté de les voir entraîner les timides de force, et précipiter ainsi des innocens dans les châtimens de Dieu.» (30 mai 1525.)
[a64] Page 201, ligne 12.—Luther intercéda... et obtint... qu'il pût s'établir à Kemberg...
Carlostad, après avoir obtenu la permission de rester à Kemberg, ne s'y tint pas tranquille, comme il l'avait promis. Il fit imprimer et répandre clandestinement, sans nom d'auteur, différens écrits contre Luther, et s'adressa en même temps au chancelier Brück pour se plaindre des torts que son ancien adversaire aurait eus envers lui. Luther, en ayant été instruit, écrivit au chancelier pour lui exposer ce qui s'était passé entre lui et Carlostad, et ce qu'il pensait de ce dernier (24 sept. 1528.) «... En vérité, dit-il, je ne sais que répondre à de pareils griefs. Au moindre mal, au moindre désagrément qui lui arrive, il faut que Luther en soit la cause..... Par compassion, j'avais bien voulu qu'il vînt m'exposer ses scrupules, et j'avais tâché d'y répondre à son contentement: il m'en faisait des remercîmens, et cependant j'ai vu depuis, par une de ses lettres à Schwenkfeld, qu'il se raillait de ma bonne volonté et de ma compassion. Depuis ce temps mon cœur s'est détourné de lui...
»Si on ne le surveille de plus près, pour l'empêcher de faire imprimer ces écrits anonymes (qu'on sait bien être de lui), qui croira à la longue que ce soit sans le consentement de notre gracieux seigneur, et à notre insu, que Carlostad séjourne parmi nous? D'un autre côté, s'il sortait de l'électorat, il exciterait probablement des troubles, et l'on ne manquerait pas d'en rendre responsable notre seigneur qui aurait pu les prévenir en retenant sous sa main cet homme dangereux. Le souvenir de Münzer me fait peur... Mon avis serait donc qu'on lui fît strictement observer le silence qu'il a juré de garder, et qu'on ne le laissât point sortir du pays jusqu'à nouvelle décision. Des paroles sévères suffiront, j'en suis sûr, car il est facile de lui imposer par un ton ferme et décidé. Quant à moi, je me trouve bien puni de l'avoir fait revenir parmi nous, et d'avoir si imprudemment convié Satan à ma table.»
[a65] Page 203, ligne 8.—Luther exprime l'espoir que tout pourra encore bien tourner pour Carlostad...
«Hier, nous avons baptisé un fils de Carlostad, ou plutôt nous avons rebaptisé le baptême. Qui aurait cru, l'année dernière, que ceux qui appelaient le baptême un bain de chien, le demanderaient aujourd'hui à leurs anciens ennemis?» (février 1526.) Mais son retour n'était point sincère. «Il vit avec nous, nous espérions le ramener dans la bonne voie, mais le misérable s'endurcit de jour en jour. Toutefois la crainte lui ferme la bouche.» (28 novembre 1527.) Quelques mois plus tard il écrit à un de ses amis: «Cette vipère de Carlostad, que je tiens dans mon sein, remue et s'agite, mais n'ose sortir. Plût à Dieu que tes fanatiques l'eussent parmi eux et que j'en fusse délivré.» (28 juillet 1528.)
«Carlostad est absent depuis quelques semaines, on pense qu'il est allé retrouver les siens et chercher son nid. Qu'il aille, puisqu'il n'est point de bons procédés qui puissent le ramener.» (27 octobre 1527.) Carlostad ne put supporter long-temps la protection hautaine et menaçante de Luther; il s'enfuit aux Pays-Bas.
«Carlostad s'est arrêté en Frise joyeux et triomphant. Il a appelé sa femme à lui par une lettre de gloriole et de félicitations.» (6 mai 1529.)
Luther pria le chancelier de l'Électeur, Christian Bayer, de faire accorder à Carlostad un sauf-conduit: «La femme de Carlostad m'a prié instamment de m'employer auprès de mon gracieux seigneur pour obtenir un sauf-conduit à son mari qui désirerait revenir parmi nous. Quoique j'aie peu de confiance dans le succès de cette demande, je n'ai pu cependant lui refuser mon appui.» (18 juillet 1529.)
Luther intitula l'un de ses écrits contre Carlostad: «De la noble et gracieuse dame, dite l'habile intelligence du docteur Carlostad sur le point de l'Eucharistie.» (Luth. Werke, t. II, p. 46.)
[a66] Page 204, ligne 14.—Contre les princes...
«Bons princes et seigneurs, vous êtes trop pressés de me voir mourir, moi qui ne suis qu'un pauvre homme; vous croyez qu'après cela vous aurez vaincu. Mais si vous aviez des oreilles pour entendre, je vous dirais d'étranges choses: c'est que si Luther ne vivait, aucun de vous ne serait sûr de sa vie et de ses biens. Sa mort serait pour vous tous une calamité. Continuez toutefois joyeusement; tuez, brûlez; pour moi je ne cèderai point, si Dieu le permet. Voilà qui je suis; cependant, je vous en supplie, soyez assez bons, quand vous m'aurez tué, pour ne pas me ressusciter et me tuer une seconde fois... Je n'ai pas affaire, je le vois, à des hommes raisonnables; toutes les bêtes de l'Allemagne sont lâchées contre moi, comme des loups ou des porcs qui me doivent mettre en lambeaux.... J'ai voulu vous avertir, mais cet avis vous sera certainement inutile; Dieu vous a frappés d'aveuglement.» (passage de Luther, cité par Cochlæus, p. 87.)
[a67] Page 207, ligne 7.—Bucer... dissimula quelque temps ses opinions aux yeux de Luther...
Le 25 mai 1524, Luther écrivait à Capiton: «Il y a des gens qui s'obstinent à affirmer que je condamne votre manière d'agir, à toi et à Bucer... Sans doute ces vains bruits sont nés de cette lettre que je t'adressai, que l'on a depuis tant de fois imprimée, et qu'on vient même de traduire en allemand. C'est ce qui me détourne presque d'écrire des lettres, quand je vois qu'on me les enlève ainsi malgré moi pour la presse, tandis qu'il y a beaucoup de choses qu'on peut et qu'on doit s'écrire entre amis, mais que l'on ne veut voir répandre dans le public.»
Le 14 octobre 1539, il écrit à Bucer: «Tu salueras respectueusement pour moi J. Sturm et J. Calvin, dont j'ai lu les livres avec un singulier plaisir.»
[a68] Page 208, ligne 6.—Zwingli, Œcolampade...
«Œcolampade et Zwingli ont dit: «Nous restons en paix avec Luther, parce qu'il est le premier par qui Dieu ait donné l'Évangile; mais après sa mort, nous ferons valoir de nouveau nos opinions.» Ils ne savaient pas qu'ils dureraient moins que Luther.»
«Luther disait qu'on devait se contenter de mépriser ce misérable Campanus et ne point écrire contre lui. Alors Mélanchton se mit à dire que son avis était qu'on devait le pendre, et qu'il en avait écrit à son maître l'Électeur.
«Campanus croit savoir plus de grec que Luther et que Pomer. Le chrétien est, selon lui, un homme parfait et infaillible; il fait de l'homme une bûche, comme les stoïciens. Si nous ne sentions aucun combat en nous, je ne voudrais pas donner un liard de toutes les prédications et des sacremens.» (Tischreden, p. 283.)
Zwingli ose dire: «Nous voulons dans trois ans avoir dans notre parti la France, l'Espagne et l'Angleterre.—*** introduit ses livres sous notre nom de Suisse en France, de sorte que plusieurs villes en sont infectées... J'ai plus d'espérance dans ceux de Strasbourg.»
«Œcolampade était d'abord un brave homme; mais il a pris ensuite de l'amertume et de l'aigreur. Zwingli a été un homme gai et aimable, et pourtant il est devenu triste et sombre.» (Tischreden, p. 283.)
«Après avoir entendu Zwingli à la conférence de Marbourg, je l'ai jugé un homme excellent, ainsi qu'Œcolampade... J'ai été très affligé de te voir publier le livre de Zwingli au roi très chrétien, avec force louanges pour ce livre, tandis que tu savais qu'il contenait beaucoup de choses qui ne me déplaisent pas seulement à moi, mais à tous les gens pieux. Non que j'envie l'honneur qu'on rend à Zwingli, dont la mort m'a causé tant de douleur, mais parce qu'aucune considération ne doit porter préjudice à la pureté de la doctrine.» (14 mai 1538.)
[a69] Page 208, ligne 10.—Je connais assez l'iniquité de Bucer...
«Maître Bucer se croyait autrefois bien savant; il ne l'a jamais été, car il écrit dans un livre que tous les peuples ont une seule religion et sont ainsi sauvés. Certes, cela s'appelle extravaguer.» (Tischreden, p. 184.)
«On apporta au docteur Luther un grand livre qu'avait écrit un Français nommé Guillaume Postellus, sur l'Unité dans le Monde. Il s'y donnait beaucoup de peine pour prouver les articles de la foi par la raison et la nature, afin de pouvoir convertir les Turcs et les juifs et amener tous les hommes à une même foi. Le docteur dit à ce sujet: «C'est prendre trop pour un morceau. On a déjà écrit de pareils livres sur la théologie naturelle. Il en est advenu à cet auteur selon le proverbe: Les Français ont peu de cervelle. Il viendra encore des visionnaires qui entreprendront d'accorder tous les genres d'idolâtrie avec une apparence de foi et de l'excuser ainsi.» (Tischreden, 68, verso.)
Bucer essaya plusieurs fois de se rapprocher de Luther. «Je puis bien pour ce qui me regarde user de patience avec vous, lui écrivit Luther, et croire que vous ne pouvez revenir si brusquement; mais j'ai dans le pays de grandes multitudes d'hommes (comme vous l'avez vu à Smalkalde) que je ne tiens pas tous dans la main. Nous ne pouvons souffrir, en aucune manière, que vous prétendiez n'avoir point erré, ou que vous disiez que nous ne nous sommes point entendus. Le meilleur pour vous serait ou d'avouer franchement, ou de garder le silence en enseignant désormais la bonne doctrine. Il y en a de notre côté qui ne peuvent souffrir vos détours, comme Amsdorf, Osiander, et encore d'autres.» (1532.)
Il y eut après la révolte des anabaptistes, 1535, de nouvelles tentatives pour réunir les églises réformées de Suisse, d'Alsace et de Saxe dans une même confession. Luther écrit à Capiton (Kœpstein), ami de Bucer et ministre de Strasbourg: «Ma Catherine te remercie de l'anneau d'or que tu lui as envoyé. Je ne l'ai jamais vue plus fâchée que quand elle s'est aperçue qu'on le lui avait volé, ou qu'elle l'avait perdu par négligence, ce que je ne puis croire, quoiqu'elle le répète sans cesse. Je lui avais persuadé que ce don lui était envoyé comme un heureux gage de la concorde future de votre église avec la nôtre: la pauvre femme est tout affligée.» (9 juillet 1537.)
[a70] Page 211, ligne 15.—Je ne puis t'accuser d'entêtement...
«J'ai quelque chose qui défendra ma cause, lors même que le monde entier extravaguerait contre moi: c'est ce qu'Érasme appelle mon entêtement à affirmer (pervicacia asserendi).» (1er octobre 1523.)
[a71] Page 213, ligne 9.—De libero arbitrio...
«Tu dis moins, mais tu accordes plus au libre arbitre que tous les autres; car tu ne définis point le libre arbitre, et pourtant tu lui donnes tout. J'accepterais plus volontiers ce que nous disent sur ce point les sophistes et leur maître Pierre Lombard, pour qui le libre arbitre n'est que la faculté de discerner et de choisir le bien, si l'on est soutenu par la grâce, le mal, si la grâce nous manque. Pierre Lombard croit avec Augustin que le libre arbitre, s'il n'a rien qui le dirige, ne peut que conduire l'homme à sa chute, qu'il n'a de force que pour le péché. Aussi Augustin, dans son second livre contre Julien, l'appelle le serf arbitre, plutôt que le libre arbitre. (De servo arbitrio, p. 477, verso.)
[a72] Page 213, ligne 11.—Il reconnut que la véritable question venait d'être posée... Il hésita quelque temps à répondre...
«On ne saurait croire combien j'ai de dégoût pour ce traité du Libre arbitre; je n'en ai encore lu que quelques pages... C'est un grand ennui que de répondre à un si savant livre d'un si savant personnage.» (1er novembre 1524.)
Cependant il ne pouvait laisser passer ce livre sans réponse. «J'ai tué, dit-il quelque part, par mon silence, Eck, Emser, Cochlæus.» Mais avec Érasme, il n'en pouvait être ainsi: son immense réputation rendait une réfutation nécessaire. Luther se mit bientôt à l'œuvre: «Je suis tout entier dans Érasme et le libre arbitre, et je ferai en sorte de ne pas lui laisser un seul mot de juste, comme il est vrai qu'il n'en a pas dit un seul.» (28 septembre 1525.)
[a73] Page 214, ligne 7.—Il n'y a plus ni Dieu ni Christ...
«Si Dieu a la prescience, si Satan est le prince du monde, si le péché originel nous a perdus, si les juifs, cherchant la justice, sont tombés dans l'injustice, tandis que les Gentils, cherchant l'injustice, ont trouvé la justice (gratis et insperato), si le Christ nous a rachetés par son sang, il n'y a point de libre arbitre ni pour l'homme, ni pour l'ange. Autrement le Christ est superflu, ou bien il faut admettre qu'il n'a racheté que la partie la plus vile de l'homme. (De servo arbitrio, p. 525, verso.)
[a74] Page 215, ligne 20.—Plus Luther se débat...
Poussé par la contradiction, Luther arrive à soutenir les propositions suivantes: La grâce est donnée gratuitement aux plus indignes, aux moins méritans; on ne peut l'obtenir par des études, des œuvres, des efforts petits ou grands; elle n'est pas même accordée au zèle ardent du meilleur, du plus vertueux des hommes, qui cherche et suit la justice. (De servo arbitrio, p. 520.)
[a75] Page 216, ligne 1.—Jusqu'à son dernier jour, le nom d'Érasme, etc...
«Ce que tu m'écris d'Érasme, qu'il écume contre moi, je le sais, et je l'ai bien vu par ses lettres... C'est un homme très léger, qui se rit de toutes les religions, comme son Lucien, et qui n'écrit rien de sérieux, si ce n'est par vengeance et pour nuire.» (28 mai 1529.)
«Érasme se montre digne de lui-même, en poursuivant ainsi le nom luthérien, qui fait sa sûreté. Que ne s'en va-t-il chez ses Hollandais, ses Français, ses Italiens, ses Anglais, etc.?... Il veut par ces flatteries se préparer un logement, mais il n'en trouvera pas et tombera à terre entre deux selles. Si les luthériens l'avaient haï comme les siens le haïssent, ce ne serait qu'au péril de ses jours qu'il vivrait à Bâle. Mais que le Christ juge cet athée, ce Lucien, cet Épicure.» (7 mars 1529.)
Cette lettre se rapporte probablement à la publication suivante: Contrà quosdam qui se falso jactant Evangelicos, epistola Desid. Erasmi Rot. jàm recens edita et scholiis illustrata. Ad Vulturium Neocomum dat. Frib. 1529. in-8o.
[a76] Page 216, ligne 9.—Ces détours, et la conduite équivoque d'Érasme, n'allaient point à l'énergie de Luther.
«Je te vois, mon cher Érasme, te plaindre dans tes écrits, de ce tumulte, et regretter la paix, la concorde, que nous avons perdues. Cesse de te plaindre, de chercher des remèdes. Ce tumulte, c'est par la volonté de Dieu qu'il s'est élevé et qu'il dure encore; il ne cessera pas avant que tous les adversaires de la parole de Dieu soient devenus comme la boue de nos carrefours.» (De servo arbitrio, p. 465.)
[a77] Page 219, ligne 3.—Mariage de Luther...
Luther, en prêchant le mariage des prêtres, ne songeait qu'à mettre fin au honteux démenti qu'ils donnaient chaque jour à leur vœu de chasteté; il ne s'avisait point alors qu'un prêtre marié pût préférer sa famille selon la chair à celle que Dieu et l'Église lui ont donnée. Mais lui-même ne put toujours se soustraire à ces sentimens égoïstes du père de famille; il lui échappe parfois des paroles qui forment un fâcheux contraste avec la charité et le dévouement, tels que les prêtres catholiques les ont compris et souvent pratiqués. «Il suffit, dit-il dans une instruction à un pasteur, que le peuple communie trois ou quatre fois par an, et publiquement. La communion donnée séparément aux particuliers deviendrait un poids trop lourd pour les ministres, surtout en temps de peste. Il ne faut point d'ailleurs rendre ainsi l'Église, avec ses sacremens, l'esclave de chacun, surtout de ceux qui la méprisent et veulent cependant qu'à tout événement l'Église soit prête pour eux, eux qui ne font jamais rien pour elle.» (26 novembre 1539.)
Cependant il se conduisait lui-même d'après d'autres maximes. Il montra dans les circonstances graves une charité héroïque.
«Ma maison devient un hôpital. Tous étant frappés d'effroi, j'ai reçu chez moi le pasteur (dont la femme venait de mourir) et toute sa famille.» (4 novembre 1527.)
«Le docteur Luther parlait de la mort du docteur Sébald et de sa femme, qu'il avait visités et touchés dans leur maladie. «Ils sont morts, disait-il, de chagrin et d'inquiétude plutôt que de la peste.» Il retira leurs enfans dans sa maison; et comme on lui faisait entendre qu'il tentait Dieu: «Ah! dit-il, j'ai eu de bons maîtres qui m'ont appris ce que c'était que tenter Dieu.»
La peste étant dans deux maisons, on voulait séquestrer un diacre qui y était entré. Luther ne le voulut pas, par confiance en Dieu et de crainte d'effrayer. (décembre 1538. Tischreden, p. 356.)
[a78] Page 220, ligne 8.—Préoccupé de soins matériels...
A Spalatin. «Tout pauvre que je suis, je t'aurais renvoyé cette belle orange d'or que tu avais donnée à ma femme, si je n'avais craint de t'offenser.
»Saluta tuam conjugem suavissimè; verùm et id tum facias cùm in thoro suavissimis amplexibus et osculis Catharinam tenueris, ac sic cogitaveris: En hunc hominem, optimam creaturulam Dei mei, donavit mihi Christus meus; sit illi laus et gloria!» (6 décembre 1525.)
«Salutabis tuum Dictative multis basiis, vice mea et Johannelli mei, qui hodie didicit flexis poplitibus solus in omnem angulum cacare, imo cacavit verè in omnem angulum miro negotio.—Salutat te mea Ketha et orare pro se rogat, puerpera propediem futura; Christus assit.» (19 octobre 1527.)—«Filiolam aliam habeo in utero.» (8 avril 1528.)—«Mon petit Jean est gai et fort; c'est un petit homme vorace et bibace.» (mai 1527.)—«Salue pour moi ce gros mari de Melchior, à qui je souhaite une femme soumise, qui, le jour, le mène sept fois par les cheveux autour de la place publique, et la nuit, l'étourdisse trois fois de paroles conjugales, comme il le mérite.» (10 février 1525.)
«Nous buvons d'excellent vin de la cave du prince, et nous deviendrions de parfaits évangéliques, si l'Évangile nous engraissait de même.» (8 mars 1523.)
Lettre à J. Agricola (dont la femme allait accoucher).—«Tu donneras une pièce d'or au nouveau-né, et une autre à l'accouchée, pour qu'elle boive du vin et qu'elle ait du lait. Si j'avais été présent, j'eusse servi de compère. De la région des oiseaux, 1521.»
Les lettres de cette époque se terminent d'ordinaire par quelques-uns de ces mots: Mea costa, dominus meus, imperatrix mea Ketha te salutat. Ma chère côte, mon maître, mon impératrice, Ketha te salue.
«Ketha, mon seigneur, était dans son nouveau royaume, à Zeilsdorf (petit bien que possédait Luther), quand tes lettres sont arrivées.»
Il écrit à Spalatin: «Mon Ève demande tes prières pour que Dieu lui conserve ses deux enfans, et lui accorde d'en concevoir et d'en enfanter heureusement un troisième.» (15 mai 1528.)
Cochlæus appelle la femme de Luther: dignum ollæ operculum (page 73).
Luther prie Nicolas Amsdorf d'être parrain de sa fille Magdalena (5 mai 1529): «Digne seigneur! le Père de toute grâce nous a accordé, à moi et à ma bonne Catherine, une chère petite enfant. Dans cette circonstance, qui nous rend si joyeux, nous vous prions de remplir un office chrétien, et d'être le père spirituel de notre pauvre petite païenne, pour la faire entrer dans la sainte communauté des chrétiens, par le divin sacrement du baptême. Que Dieu soit avec vous!»
Luther eut trois fils, Jean, Martin, Paul, et trois filles, Élisabeth, Madeleine, Marguerite. Les deux premières de ses filles moururent jeunes, l'une à l'âge de huit mois, l'autre à treize ans. On lisait sur le tombeau de la première: Hic dormit Elisabetha, filiola Lutheri.
La descendance mâle de Luther s'éteignit en 1759. (Ukert, I, p. 92.)
Il y a dans l'église de Kieritzsch (village saxon), un portrait de la femme de Luther en plâtre, portant l'inscription suivante: Catarina Lutheri gebohrne von Bohrau, 1540. Ce portrait avait appartenu à Luther. (Ukert, I, 364.)
[a79] Page 220, ligne 11.—Cette période d'atonie...
Il s'indigne à son tour contre les prédicateurs trop véhémens. «Si N***, écrit-il à Hausmann, ne peut se modérer, je le ferai chasser par le prince.
»Je vous avais déjà prié, dit-il au même prédicateur, de prêcher paisiblement la parole de Dieu, en vous abstenant de personnalités et de tout ce qui peut troubler le peuple sans aucun fruit... Vous parlez trop froidement du sacrement et restez trop long-temps sans communier.» (10 février 1528.)
«Il nous est arrivé de Kœnigsberg un prédicateur qui veut faire je ne sais quelles lois sur les cloches, les cierges, et autres choses semblables... Il n'est pas bon de prêcher trop souvent, j'apprends que chaque dimanche on fait trois sermons à Kœnigsberg. Qu'est-il besoin? deux suffiraient; et pour toute la semaine, ce serait assez de deux ou trois. Lorsqu'on prêche chaque jour, on monte en chaire sans avoir médité son sujet, et l'on dit tout ce qui vient à la bouche; s'il ne vient rien de bon, on dit des platitudes et des injures.—Plaise à Dieu de modérer les langues et les esprits de nos prédicateurs. Ce prédicateur de Kœnigsberg est trop véhément, il a toujours des paroles sombres, tragiques, et des plaintes amères pour les moindres choses.» (16 juillet 1528.)
«Si je voulais devenir riche, je n'aurais qu'à ne plus prêcher, je n'aurais qu'à me faire bateleur; je trouverais plus de gens qui voudraient me voir pour de l'argent, que je n'ai d'auditeurs aujourd'hui.» (Tischr., p. 186.)
[a80] Page 220, ligne 19.—Honorons le mariage...
Le 25 mai 1524, il écrivait déjà à Capiton et Bucer: «J'aime fort ces mariages que vous faites de prêtres, de moines et de nonnes; j'aime cet appel des maris contre l'évêque de Satan, j'aime les choix qu'on a faits pour les paroisses. Que dirai-je, je n'ai rien appris de vous dont je n'aie une joie extrême. Poursuivez seulement et avancez en prospérité... Je dirai plus, on a dans ces dernières années, fait assez de concessions aux faibles. D'ailleurs, puisqu'ils s'endurcissent de jour en jour, il faut agir et parler en toute liberté. Je vais enfin songer moi-même à rejeter le froc, que j'ai gardé jusqu'à présent pour le soutien des faibles et en dérision du pape.» (25 mai 1524.)
[a81] Page 222, ligne 6.—Je n'ai point voulu refuser de donner à mon père l'espoir d'une postérité...
«L'affaire des paysans a rendu courage aux papistes et fait tort à la cause de l'Évangile; il nous faut, nous aussi, porter plus haut la tête. C'est dans ce but que pour ne plus attester l'Évangile de paroles seulement, mais par mes actions, je viens d'épouser une nonne. Mes ennemis triomphaient, ils criaient: Io! io! J'ai voulu leur prouver que je n'étais pas encore disposé à faire retraite, quoique vieux et faible. Et je ferai d'autres choses encore, je l'espère, qui troubleront leur joie et appuieront mes paroles.» (16 août 1525.)
Le docteur Eck publia un recueil intitulé: Epithalamia festiva in Lutherum, Hessum (Urbanum Regium) et id genus nuptiatorum. On y trouve entre autres pièces une hymne de dix-neuf strophes, intitulée: Hymnus paranymphorum, et commençant par ces mots: Io! io! io! io! gaudeamus cum jubilo, etc.; une Additio dithyrambica ad epithalamium Mart. Lutheri, dans le même mètre; un Epithalamium Mart. Lutheri en hexamètres commençant ainsi: Dic mihi, musa, novum, etc. Hasemberg fit sur le même sujet une satire intitulée: Ludus ludentem Luderum ludens.
Luther y répondit par différentes pièces dont le recueil fut imprimé sous le titre: La fable du lion et de l'âne.
Luther était à peine marié, que ses ennemis répandirent le bruit que sa femme venait d'accoucher. Érasme accueillit ce bruit avec empressement et se hâta d'en faire part à ses correspondans; mais il se vit obligé plus tard de le démentir. (Ukert, I, 189-192.)
[a82] Page 225, ligne 6.—Tous les jours les dettes nous enveloppent davantage...
En 1527, il fut obligé de mettre en gage trois gobelets pour cinquante florins et d'en vendre un pour douze florins. Son revenu ordinaire ne s'éleva jamais au-dessus de deux cents florins de Misnie par an.—Les libraires lui avaient offert une somme annuelle de quatre cents florins, mais il ne put se résoudre à les accepter.—Malgré le peu d'aisance dont il jouissait, sa libéralité était extrême. Il donnait aux pauvres les présens de baptême destinés à ses enfans. Un pauvre étudiant lui demandant un jour quelque peu d'argent, il pria sa femme de lui en donner; mais celle-ci répondit qu'il n'y en avait plus dans la maison. Luther prit alors un vase d'argent et le remit à l'étudiant pour qu'il le vendît à un orfèvre. (Ukert, II, p. 7.)
«Je lui aurais volontiers donné de quoi faire sa route, si je n'étais accablé par la multitude des pauvres, qui, outre ceux de notre ville, accourent ici comme en un lieu célèbre.» (avril 1539.)
«Je t'en supplie, mon cher Justus, par grâce, arrache du trésorier cet argent qu'il est si difficile d'avoir et que le prince a promis à G. Scharf... Tu donneras, s'il le faut, une quittance en mon nom.» (11 mai 1540.)
«Luther se promenant un jour avec le docteur Jonas et quelques autres amis, fit l'aumône à des pauvres qui passaient. Le docteur Jonas l'imita, en disant: «Qui sait si Dieu me le rendra?» Luther lui répondit: «Vous oubliez que Dieu vous l'a donné.» Le mot de Jonas indique fortement l'inutilité des œuvres qui résultait de la doctrine de Luther. (Tischr. 144, verso.)
«Le docteur Pommer apporta un jour au docteur Luther cent florins dont un seigneur lui faisait présent, mais il ne voulut point les accepter; il en donna la moitié à Philippe et voulut rendre l'autre au docteur Pommer qui n'en voulut pas.» (Tischr., p. 59.)
«Je n'ai jamais demandé un liard à mon gracieux seigneur.» (Tischr., p. 53-60.)
[a83] Page 226, ligne 14.—Je ne leur demande rien pour mon travail...
«Un commerce légitime est béni de Dieu, comme lorsque l'on tire un liard de vingt; mais un gain impie sera maudit. Ainsi l'imprimeur *** a gagné beaucoup sur les livres que je lui ai fait imprimer; avec un liard il en gagnait deux.... L'imprimeur Jean Grunenberger me disait consciencieusement: Seigneur docteur, cela rapporte beaucoup trop; je ne puis avoir assez d'exemplaires. C'était un homme craignant Dieu, aussi a-t-il été béni de notre Seigneur.» (Tischr. p. 62, verso.)
«Tu sais, mon cher Amsdorf, que je ne puis suffire à nos presses, et voilà que tout le monde me demande de cette pâture; il y a ici, près de six cents imprimeurs.» (11 avril 1525.)
[a84] Page 238, ligne 17.—Pourquoi m'irriterai-je contre les papistes? tout ce qu'ils me font est de bonne guerre...
Ils cherchaient cependant, à ce qu'il semble, à se défaire de lui par le poison.
(Janvier et février 1525.) Luther parle dans deux lettres différentes, de juifs polonais, qui auraient été envoyés à Wittemberg pour l'empoisonner (Judæi qui mihi venenum paravere), moyennant le prix de 2000 ducats. Comme ils ne dénoncèrent personne dans leur interrogatoire, on allait les mettre à la torture, mais Luther ne le souffrit point, et il s'employa même à les faire mettre en liberté, quoiqu'il n'eût aucun doute sur le nom de l'instigateur.
«Ils ont promis de l'or à ceux qui me tueraient, c'est ainsi qu'aujourd'hui combat, règne et triomphe le saint-siége apostolique, le régulateur de la foi, la mère des églises.» (Cochlæus, p. 25.)
Un Italien de Sienne mangea avec le docteur Martin Luther, causa beaucoup avec lui, et resta à Wittemberg quelques semaines, peut-être pour savoir comment les choses s'y passaient. (Tischr. p. 416.)
Des tentatives d'un autre genre eurent aussi lieu.
«Mathieu Lang, évêque de Salzbourg, m'a recherché d'une manière si singulière, que sans l'assistance particulière de notre Seigneur, j'eusse été pris. En 1525, il m'envoya par un docteur vingt florins d'or, et les fit donner à ma Catherine, mais je n'en voulus rien prendre. C'est avec l'argent que cet évêque a pris tous les juristes, de sorte qu'ils disent ensuite: Ah! c'est un seigneur qui pense bien. Lui cependant, se tient tranquille et rit en tapinois. Une fois il envoya à un curé qui prêchait l'Évangile, une pièce de Damas, pour qu'il se rétractât, et il dit ensuite: Est-il possible que ces luthériens soient de si grands fripons, qu'ils fassent tout pour de l'argent?» (Tischreden, p. 274, verso.)
Mélanchton, qui ne rompit jamais avec les lettrés de la cour pontificale, fut pendant quelque temps soupçonné d'avoir reçu des offres.
Un jour, on apporta une lettre de Sadolet à Sturmius, dans laquelle il flattait Mélanchton. Luther disait: «Si Philippe voulait s'arranger avec eux, il deviendrait aisément cardinal, et n'en garderait pas moins sa femme et ses enfans.
»Sadolet, qui a été quinze ans au service du pape, est un homme plein d'esprit et de science; il a écrit à maître Philippe Mélanchton le plus amicalement du monde, à la manière de ces Italiens, peut-être dans l'espoir de l'attirer à eux, au moyen d'un cardinalat. Il l'a fait sans doute par l'ordre du pape, car ces messieurs sont inquiets; ils ne savent comment s'y prendre.—Le même Sadolet n'a aucune intelligence de l'Écriture, comme on le voit dans son commentaire sur le psaume 51. Les papistes n'y entendent plus rien, ils ne sont plus capables de gouverner une seule église; ils se tiennent fiers et raides dans le gouvernement et crient: Les décisions des Pères ne comportent point de doute.»
[a85] Page 239, ligne 6.—Persécution...
«Aux chrétiens de la Hollande, du Brabant et de la Flandre (à l'occasion du supplice de deux moines augustins, qui avaient été brûlés à Bruxelles).
«... Oh! que ces deux hommes ont péri misérablement! Mais de quelle gloire ils jouiront auprès du Seigneur! c'est peu de chose d'être outragé et tué par le monde pour ceux qui savent que leur sang est précieux, et que leur mort est chère à Dieu, comme disent les psaumes (116, 15). Qu'est-ce que le monde comparé à Dieu?... Quelle joie, quelles délices les anges auront-ils ressenties, en voyant ces deux âmes! Dieu soit loué et béni dans l'éternité, de nous avoir permis, à nous aussi, de voir et entendre de vrais saints, de vrais martyrs, nous qui jusqu'ici avons adoré tant de faux saints! Vos frères d'Allemagne n'ont pas encore été dignes de consommer un si glorieux sacrifice, quoique beaucoup d'entre eux n'aient pas été sans persécutions. C'est pourquoi, chers amis, soyez allègres et joyeux dans le Christ, et tous, rendons-lui grâce des signes et miracles qu'il a commencé d'opérer parmi nous. Il vient de relever notre courage par de nouveaux exemples d'une vie digne de lui. Il est temps que le royaume de Dieu s'établisse, non plus seulement en paroles, mais en actions et en réalité...» (juillet 1523.)
«La noble dame Argula de Staufen, soutient sur cette terre un grand combat; elle est pleine de l'esprit, de la parole et de la science du Christ. Elle a envahi de ses écrits l'académie d'Ingolstad, parce qu'on y avait forcé un jeune homme, nommé Arsacius, à une honteuse révocation. Son mari, qui est lui-même un tyran, et qui a maintenant perdu une charge à cause d'elle, hésite sur ce qu'il doit faire. Elle, elle est au milieu de tous ces périls avec une foi forte, mais, ainsi qu'elle me l'écrit elle-même, non pas sans que son cœur s'effraie. Elle est l'instrument précieux du Christ; je te la recommande, afin que le Christ confonde par ce vase infirme les puissans et ceux qui se glorifient dans leur sagesse.» (1524.)
A Spalatin. «Je t'envoie les lettres de notre chère Argula, afin que tu voies ce que cette femme pieuse endure de travaux et de souffrances.» (11 novembre 1528.)
La traduction de la Bible par Luther, donna à tous envie de disputer; on vit jusqu'à des femmes provoquer les théologiens, et déclarer que tous les docteurs n'étaient que des ignorans. Il y en eut qui voulurent monter en chaire, et enseigner dans les églises. Luther n'avait-il pas déclaré que par le baptême tous devenaient prêtres, évêques, papes, etc.? (Cochlæus, p. 51.)
[a86] Page 239, ligne 9.—On nous laisse périr de faim...
Un jour qu'il était question, à la table de Luther, du peu de générosité que l'on montrait à l'égard des prédicateurs, il dit: «Le monde n'est pas digne de leur rien donner de bon cœur; il veut avoir des gueux et des criards impudens, tels que le frère Mathieu. Ce frère, à force de mendier, avait obtenu de l'électeur la promesse qu'on lui achèterait une fourrure. Comme le trésorier du prince n'en faisait rien, le prédicateur dit en plein sermon, devant l'électeur: «Où est donc ma fourrure?» L'ordre fut renouvelé au trésorier, mais celui-ci différant encore de l'exécuter, le prédicateur parla de nouveau de sa fourrure, dans un autre sermon où l'électeur était présent. «Je n'ai pas encore vu ma fourrure,» dit-il, et c'est ainsi qu'il obtint à la fin ce qu'il désirait.» (Tischreden, p. 189, verso.)
Du reste, Luther se plaint lui-même du misérable état dans lequel se trouvent les ministres: «On refuse de les payer, dit-il, et ceux qui jadis prodiguaient des milliers de florins à chacun des fourbes sans nombre qui les abusaient, ne veulent pas aujourd'hui en donner cent pour un prêtre.» (1er mars 1531.)
«On a commencé à établir ici (à Wittemberg), un consistoire pour les causes matrimoniales, et pour forcer les paysans à observer quelque discipline et à payer les rentes aux pasteurs, chose qu'il faudra peut-être faire aussi à l'égard de quelques-uns de la noblesse et de la magistrature.» (12 janvier 1541.)
[a87] Page 239, ligne 22.—Apparitions...
«Joachim m'écrit qu'il est né à Bamberg un enfant à tête de lion, qui est mort promptement: qu'il a aussi apparu des croix au-dessus de la ville, mais que le bruit qui s'en répandait a été étouffé par les prêtres.» (22 janvier 1525.)
1525. «Les princes meurent en grand nombre cette année; c'est là peut-être ce qu'annonçaient tant de signes.» (6 septembre 1525.)
NOTES
[1]Nous avons suivi pour les œuvres allemandes l'édition de Wittemberg, en 12 vol. in-folio, 1539-1559; pour les œuvres latines, celle de Wittemberg, en 7 vol. in-folio, 1545-1558, quelquefois celle d'Iéna, 1600-1612, en 4 vol. in-folio; pour les Tischreden, l'édition de Francfort, 1568, in-folio. On trouvera à la fin du second volume des renvois qui permettent de vérifier chaque passage.
Quant aux citations tirées des Lettres, elles ont été exactement datées dans le texte. La date rend tout renvoi superflu; elle suffit pour faire retrouver aisément ces passages dans l'excellente édition de M. De Wette, 5 vol. in-8o; Berlin, 1825. Indépendamment des œuvres de Luther, nous avons mis à profit quelques autres ouvrages: Ukert, Seckendorf, Mareineke, etc.
[2]Il est curieux de rapprocher de ces paroles de Luther le passage si différent des Confessions de Rousseau:
«Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra; je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement: Voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus... Et puis, qu'un seul dise, s'il l'ose: Je fus meilleur que cet homme-là.»
[3]Voyez dans nos Éclaircissemens le dialogue des voleurs, composé par Hutten, dans le but de réunir les nobles et les bourgeois contre les prêtres.
[4]Il se trouvait à la diète, outre l'Empereur, six électeurs, un archiduc, deux landgraves, cinq margraves, vingt-sept ducs et un grand nombre de comtes, d'archevêques, d'évêques, etc.; en tout deux cent-six personnes[r28].
[5]Cette désignation des dignitaires de l'Église, fait penser aux oiseaux merveilleux de Rabelais, les papegots, évêgots, etc.
[6]C'était la résidence de Münzer, chef de la révolte des paysans, dont nous parlerons plus bas.
[7]«L'esprit de ces prophètes s'est toujours chevaleresquement enfui, et voilà qu'il se glorifie comme un esprit magnanime et chevaleresque.—Mais moi, j'ai paru à Leipzig pour y disputer devant le peuple le plus dangereux. Je me suis présenté à Augsbourg, sans sauf-conduit, devant mes plus grands ennemis; à Worms, devant César et tout l'Empire, quoique je susse bien que le sauf-conduit était brisé. Mon esprit est resté libre comme une fleur des champs...» (1524.)
[8]Les paysans n'avaient pas attendu la Réforme pour s'insurger; des révoltes avaient eu lieu dès 1491, dès 1502. Les villes libres avaient imité cet exemple: Erfurth en 1509, Spire en 1512, et Worms en 1513. Les troubles avaient recommencé en 1524; mais, cette fois par les nobles. Franz de Sickingen, leur chef, crut le moment venu de se jeter sur les biens des princes ecclésiastiques; il osa mettre le siége devant Trèves. Il était, dit-on, dirigé par les célèbres réformateurs Œcolampade et Bucer, et par Hutten, alors au service de l'archevêque de Mayence. Le duc de Bavière, le palatin, le landgrave de Hesse, vinrent délivrer Trèves; ils voulaient attaquer Mayence, en punition de la connivence présumée de l'archevêque avec Sickingen. Celui-ci périt; Hutten fut proscrit, et dès-lors sans asile, mais toujours écrivant, toujours violent et colérique; il mourut peu après de misère.
[9]Münzer se refusait à toute controverse privée ou tenue devant une assemblée qui ne lui fût pas favorable.
[10]Les érudits du seizième siècle traduisaient ordinairement en grec leur nom propre. Ainsi Kuhhorn (corne de vache) avait changé son nom en celui de Bucer, Hauschein (lumière domestique) se fit appeler Œcolampade, Didier (de desiderium, désir) Érasme, Schwarz-Erde (terre noire) Mélanchton, etc. Luther et Zwingli, les deux réformateurs populaires, gardent seuls le nom qu'ils ont reçu, dans la langue vulgaire.
Hoc scio pro certo, quod, si cum stercore certo,
Vinco vel vincor, semper ego maculor.
[12]Des témoignages précis font voir que ce n'étaient pas des roues de charrue comme symboles de l'agriculture.
FIN DU TOME DEUXIÈME.