Carlostad.—Münzer. Guerre des paysans.
«Priez pour moi, et aidez-moi à fouler aux pieds ce Satan qui s'est élevé à Wittemberg contre l'Évangile, au nom de l'Évangile: nous avons maintenant à combattre un ange devenu, comme il croit, ange de lumière. Il sera difficile de faire céder Carlostad par persuasion; mais Christ le contraindra, s'il ne cède de lui-même. Car nous sommes maîtres de la vie et de la mort, nous qui croyons au maître de la vie et de la mort.» (12 mars 1523.)
«J'ai résolu de lui interdire la chaire où il est monté témérairement sans aucune vocation, malgré Dieu et les hommes.» (19 mars.)
«J'ai fâché Carlostad, parce que j'ai cassé ses ordinations, quoique je n'aie pas condamné sa doctrine; il me déplaît cependant qu'il ne s'occupe que de cérémonies et de choses extérieures, négligeant la vraie doctrine chrétienne; c'est-à-dire la foi et la charité.... Par sa sotte manière d'enseigner, il conduisait le peuple à se croire chrétien pour des misères, pour communier sous les deux espèces, pour ne pas se confesser, pour briser des images... Il voulait s'ériger en nouveau docteur et élever ses ordonnances dans le peuple, sur la ruine de mon autorité (pressâ meâ auctoritate).» (30 mars.)
«Aujourd'hui même, j'ai pris à part Carlostad, pour le supplier de ne rien publier contre moi; qu'autrement, nous serions forcés de jouer de la corne l'un contre l'autre. Notre homme a juré par tout ce qu'il y a de plus sacré, de ne rien écrire contre moi.» (21 avril.)
«... Il faut instruire les faibles avec douceur et patience... Veux-tu, après avoir sucé le lait, couper les mamelles et empêcher les autres de se nourrir comme toi? Si les mères jetaient par terre et abandonnaient les enfans qui ne savent pas, en naissant, manger comme les hommes, que serais-tu devenu? Cher ami, si tu as sucé et grandi assez, laisse donc les autres sucer et grandir à leur tour....»
Carlostad abandonna ses fonctions de professeur et d'archidiacre à Wittemberg, mais sans abandonner le traitement, il s'en alla à Orlamunde, puis à Iéna. «Carlostad a érigé une imprimerie à Iéna... Mais l'Électeur et notre académie ont promis, conformément à l'édit impérial, de ne permettre aucune publication qui n'ait été soumise à l'examen des commissaires. On ne peut souffrir que Carlostad et les siens s'affranchissent seuls de la soumission aux princes.» (7 janvier 1524.) «Carlostad est infatigable comme d'habitude; avec ses nouvelles presses qu'il a érigées à Iéna, il a publié et publiera, m'a-t-on dit, dix-huit ouvrages.» (14 janvier 1524.)
«Laissons la tristesse avec l'inquiétude à l'esprit de Carlostad. Pour nous, soutenons le combat sans trop nous en préoccuper; c'est la cause de Dieu, c'est l'affaire de Dieu, ce sera l'œuvre de Dieu, la victoire de Dieu; il saura, sans nous, combattre et vaincre; que s'il nous juge dignes de nous prendre pour cette guerre, nous serons prêts et dévoués. J'écris ceci pour t'exhorter, toi et les autres par ton intermédiaire, à ne pas avoir peur de Satan, à ne pas laisser votre cœur se troubler. Si nous sommes injustes, ne faut-il pas que nous soyons accablés? Si nous sommes justes, il y a un Dieu juste qui fera voir notre justice comme le plein midi. Périsse ce qui périt, survive ce qui survit, ce n'est pas notre affaire.» (22 octobre 1524.)
«Nous rappellerons Carlostad au nom de l'université à l'office de la parole, qu'il doit à Wittemberg, nous le rappellerons du lieu où il n'a pas été appelé; enfin, s'il ne vient pas, nous l'accuserons auprès du prince.» (14 mars 1524.)
Luther crut devoir se transporter lui-même à Iéna[a58]. Carlostad se croyant blessé par un sermon de Luther, lui fit demander une entrevue[r52]. Elle eut lieu dans la chambre de Luther, en présence d'un grand nombre de témoins. Après de longues récriminations de part et d'autre, Carlostad dit: «Allons, docteur, prêchez toujours contre moi, je saurai ce que j'ai à faire de mon côté. Luther: Si vous avez quelque chose sur le cœur, écrivez-le hardiment. Carlost. Aussi ferai-je, et je ne craindrai personne. Luth. Oui, écrivez contre moi publiquement. Carlost. Si c'est là votre envie, j'ai de quoi vous satisfaire. Luth. Faites, je vous donnerai un florin pour gage de bataille. Carlost. Un florin? Luth. Que je sois un menteur si je ne le fais. Carlost. Eh bien! j'accepte.» A ce mot, le docteur Luther tira de sa poche un florin d'or qu'il présenta à Carlostad en disant: «Prenez et attaquez-moi, hardiment; allons, sus.» Carlostad prit le florin, le montra à tous les assistans, et dit: «Chers frères, voilà des arrhes, c'est le signe du droit que j'ai d'écrire contre le docteur Luther. Soyez-en tous témoins.» Ensuite il le mit dans sa bourse et donna la main à Luther. Celui-ci but un coup à sa santé. Carlostad lui fit raison en ajoutant: «Cher docteur, je vous prie de ne pas m'empêcher d'imprimer ce que je voudrai et de ne me persécuter en aucune façon. Je pense me nourrir de ma charrue, et vous serez à même d'éprouver ce que produit la charrue.» Luth. «Comment voudrais-je vous empêcher d'écrire contre moi? Je vous prie de le faire et je vous donne ce florin tout justement pour que vous ne m'épargniez point. Plus vous m'attaquerez violemment, plus j'en serai aise.» Ils se donnèrent encore une fois la main et se séparèrent.
Cependant comme la ville d'Orlamunde entrait trop vivement dans les opinions de Carlostad, et avait même chassé son pasteur, Luther obtint un ordre de l'Électeur pour l'en faire sortir[a59]. Carlostad lut solennellement une lettre d'adieu, aux hommes d'abord, et ensuite aux femmes; on les avait appelés au son de la cloche, et pendant la lecture tous pleuraient: «Carlostad a écrit à ceux d'Orlamunde, avec cette suscription: André Bodenstein, chassé, sans avoir été entendu ni convaincu, par Martin Luther. Tu vois que moi qui ai failli être martyr, j'en suis venu à ce point de faire des martyrs à mon tour. Egranus fait le martyr aussi, et écrit qu'il a été chassé par les papistes et par les luthériens. Tu ne saurais croire combien s'est répandu ce dogme de Carlostad sur le sacrement. *** est venu à résipiscence et demande pardon; on l'avait aussi forcé de quitter le pays; j'ai écrit pour lui, et ne sais si j'obtiendrai. Martin d'Iéna, qui avait également reçu l'ordre de partir, a fait en chaire ses adieux, tout en larmes et implorant son pardon: il a reçu pour toute réponse cinq florins, puis en faisant mendier par la ville, il a eu encore vingt-cinq gros. Tout cela tournera, je pense, au bien des prédicateurs; ce sera une épreuve pour leur vocation, qui leur apprendra en même temps à prêcher et à se conduire avec crainte.» (27 octobre 1524.)
Carlostad tourna alors vers Strasbourg, et de là vers Bâle. Ses doctrines se rapprochaient beaucoup de celles des Suisses, d'Œcolampade, de Zwingli, etc.
«Je diffère d'écrire sur l'eucharistie, jusqu'à ce que Carlostad ait répandu les poisons qu'il doit répandre, comme il me l'a promis après avoir même reçu de moi une pièce d'or.—Zwingli et Léon le juif, dans la Suisse, tiennent les mêmes opinions que Carlostad; ainsi se propage ce fléau; mais le Christ règne, s'il ne combat point.» (12 novembre 1524.)
Toutefois il crut devoir répondre aux plaintes que faisait Carlostad d'avoir été chassé par lui de la Saxe[r53]. «D'abord je puis bien dire que je n'ai jamais fait mention de Carlostad devant l'électeur de Saxe; car je n'ai, de toute ma vie, dit un mot à ce prince; je ne l'ai pas non plus entendu parler, je n'ai pas même vu sa figure, si ce n'est une fois à Worms, en présence de l'Empereur, quand je fus interrogé pour la seconde fois. Mais il est vrai que je lui ai souvent écrit par Spalatin, surtout pour l'engager à résister à l'esprit d'Alstet[6]. Mais mes paroles restèrent sans effet, au point que je me fâchais contre l'Électeur. Carlostad devait donc épargner à un tel prince les outrages qu'il lui a prodigués... Quant au duc Jean Frédéric, j'avoue que je lui ai souvent parlé de ces affaires; je lui ai signalé les attentats et l'ambition perverse de Carlostad...»
«.... Il n'y a pas à plaisanter avec Monseigneur tout le monde (Herr omnes); c'est pourquoi Dieu a constitué des autorités; car il veut qu'il y ait de l'ordre ici-bas.»
Enfin Carlostad éclata. «J'ai reçu hier une lettre de mes amis de Strasbourg au sujet de Carlostad; en voyageant de ce côté, il est allé à Bâle, et il a enfin vomi cinq livres, qui seront suivis de deux autres. J'y suis traité de double papiste, d'allié de l'Antichrist, que sais-je? (14 décembre.) Mes amis m'écrivent de Bâle, que les amis de Carlostad y ont été punis de la prison, et que peu s'en est fallu qu'on ne brûlât ses livres. Il y a été aussi lui-même, mais en cachette. Œcolampade et Pellican écrivent pour donner leur assentiment à son opinion.» (13 janvier 1525.)
«Carlostad avait résolu d'aller nicher à Schweindorf; mais le comte d'Henneberg le lui a interdit par lettres expresses au conseil de ville. Je voudrais bien qu'on en fît autant pour Strauss...» (10 avril 1525.)
Luther parut charmé de voir Carlostad se déclarer: «Le diable s'est tu, écrit-il, jusqu'à ce que je l'eusse gagné avec un florin qui, grâce à Dieu, a été bien placé, et je ne m'en repens pas.» Il écrivit alors divers pamphlets d'une verve admirable Contre les prophètes célestes [r54]. «On ne craint rien, comme si le diable dormait; tandis qu'il tourne autour, comme un lion cruel. Mais j'espère que, moi vivant, il n'y aura point de péril. Tant que je vivrai, je combattrai, serve ce que pourra.» Chacun ne cherche que ce qui plaît à la raison. Ainsi les Ariens, les Pélagiens... Ainsi sous la papauté, c'était une proposition bien sonnante que le libre arbitre pût quelque chose pour la grâce. La doctrine de la foi et de la bonne conscience importe plus que celle des bonnes œuvres; car, si les œuvres manquent, la foi restant, il y a encore espoir de secours. On doit employer les moyens spirituels pour engager les vrais chrétiens à reconnaître leurs péchés. «Mais pour les hommes grossiers, pour Monsieur tout le monde (Herr omnes), on doit le pousser corporellement et grossièrement à travailler et faire sa besogne, de sorte que bon gré mal gré, il soit pieux extérieurement sous la loi et sous le glaive, comme on tient les bêtes sauvages en cages et enchaînées.
»L'esprit des nouveaux prophètes veut être le plus haut esprit, un esprit qui aurait mangé le Saint-Esprit avec les plumes et avec tout le reste... Bible, disent-ils, oui, bibel, bubel, babel... Eh! bien! puisque le mauvais esprit est si obstiné dans son sens, je ne veux pas lui céder plus que je ne l'ai fait auparavant. Je parlerai des images, d'abord selon la loi de Moïse, et je dirai que Moïse ne défend que les images de Dieu... Contentons-nous donc de prier les princes de supprimer les images, et ôtons-les de nos cœurs.»
Plus loin Luther s'étonne ironiquement de ce que les modernes iconoclastes ne poussent pas leur zèle pieux jusqu'à se défaire aussi de leur argent et de tout objet précieux qui porte des empreintes d'images[r55]. «Pour aider la faiblesse de ces saintes gens et les délivrer de ce qui les souille, il faudrait des gaillards qui n'eussent pas grand'chose dans le gousset. La voix céleste, à ce qu'il paraît, n'est pas assez forte pour les engager à tout jeter d'eux-mêmes. Il faudrait un peu de violence.»
«... Lorsqu'à Orlamunde je traitai des images avec les disciples de Carlostad, et que j'eus montré par le texte, que dans tous les passages de Moïse qu'ils me citaient il n'était parlé que des idoles des païens, il en sortit un d'entre eux, qui se croyait sans doute le plus habile, et qui me dit: «Écoute! Je puis bien te tutoyer, si tu es chrétien.» Je lui répondis: «Appelle-moi toujours comme tu voudras.» Mais je remarquai qu'il m'aurait plus volontiers encore frappé; il était si plein de l'esprit de Carlostad, que les autres ne pouvaient le faire taire. «Si tu ne veux pas suivre Moïse, continua-t-il, il faut au moins que tu souffres l'Évangile; mais tu as jeté l'Évangile sous la table, et il faut qu'il soit tiré de là; non, il n'y peut pas rester.»—«Que dit donc l'Évangile?» lui répliquai-je.—«Jésus dit dans l'Évangile (ce fut sa réponse), je ne sais pas où cela se trouve, mais mes frères le savent bien, que la fiancée doit ôter sa chemise dans la nuit des noces. Donc il faut ôter et briser toutes les images, afin de devenir purs et libres de la créature.» Hæc ille.
»Que devais-je faire, me trouvant parmi de telles gens? Ce fut du moins pour moi l'occasion d'apprendre que briser les images c'était, d'après l'Évangile, ôter la chemise à la fiancée dans la nuit des noces. Ces paroles et ce mot de l'Évangile jeté sous la table, il les avait entendus de son maître; sans doute Carlostad m'avait accusé de jeter l'Évangile, pour dire qu'il était venu le relever. Cet orgueil est cause de tous ses malheurs; voilà ce qui l'a poussé de la lumière dans les ténèbres...»
«... Nous sommes alègres et pleins de courage, et nous combattons contre des esprits mélancoliques, timides, abattus, qui ont peur du bruit d'une feuille sans avoir peur de Dieu; c'est l'ordinaire des impies (psaume XXV). Leur passion, c'est de régenter Dieu, et sa parole et ses œuvres. Ils ne seraient pas si hardis si Dieu n'était invisible, intangible. Si c'était un homme visible et présent, il les ferait fuir avec un brin de paille.
»Celui que Dieu pousse à parler, le fait librement et publiquement sans s'inquiéter s'il est seul, et si quelqu'un se met de son parti. Ainsi fit Jérémie, et je puis me vanter d'avoir moi-même fait ainsi[7]. C'est donc sans aucun doute le diable, cet esprit détourné et homicide, qui se glisse par derrière, et qui s'excuse ensuite, disant que d'abord il n'avait pas été assez fort dans la foi. Non, l'esprit de Dieu ne s'excuse point ainsi. Je te connais bien, mon diable...
«... Si tu leur demandes (aux partisans de Carlostad) comment on arrive à cet esprit sublime, ils ne te renvoient point à l'Évangile, mais à leurs rêves, aux espaces imaginaires. «Pose-toi dans l'ennui, disent-ils, comme moi je m'y suis posé, et tu l'apprendras de même; la voix céleste se fera entendre, et Dieu te parlera en personne.» Si ensuite tu insistes et demandes ce que c'est que cet ennui, ils en savent autant que le docteur Carlostad sait le grec et l'hébreu... Ne reconnais-tu pas ici le diable, l'ennemi de l'ordre divin? Le vois-tu comme il ouvre une large bouche, criant: Esprit, esprit, esprit; et tout en criant cela il détruit ponts, chemins, échelles; en un mot, toute voie par laquelle l'esprit peut pénétrer en toi: à savoir, l'ordre extérieur établi de Dieu dans le saint baptême, dans les signes et dans sa propre parole? Ils veulent que tu apprennes à monter les nues, chevaucher le vent, et ils ne te disent ni comment, ni quand, ni où, ni quoi; tu dois, comme eux, l'apprendre par toi-même.»
«Martin Luther, indigne ecclésiaste et évangéliste à Wittemberg, à tous les chrétiens de Strasbourg, les tout aimables amis de Dieu: Je supporterais volontiers les emportemens de Carlostad dans l'affaire des images. Moi-même j'ai fait, par mes écrits, plus de mal aux images qu'il ne fera jamais par toutes ses violences et ses fureurs. Mais ce qui est intolérable, c'est que l'on excite et que l'on pousse les gens à tout cela, comme si c'était obligatoire, et qu'à moins de briser les images, on ne pût être chrétien. Sans doute, les œuvres ne font pas le chrétien; ces choses extérieures telles que les images et le sabbat, sont laissées libres dans le Nouveau Testament, de même que toutes les autres cérémonies de la loi. Saint Paul dit: «Nous savons que les idoles ne sont rien dans le monde.» Si elles ne sont rien, pourquoi donc, à ce sujet, enchaîner et torturer la conscience des chrétiens? Si elles ne sont rien, qu'elles tombent ou qu'elles soient debout, il n'importe.»
Il passe à un sujet plus élevé, à la question de la présence réelle, question supérieure du symbolisme chrétien dont celle des images est le côté inférieur. C'est principalement en ce point que Luther se trouvait opposé à la réforme suisse, et que Carlostad s'y rattachait, quelque éloigné qu'il en fût par la hardiesse de ses opinions politiques.
«J'avoue que si Carlostad ou quelque autre eût pu me montrer, il y a cinq ans, que dans le saint sacrement il n'y a que du pain et du vin, il m'aurait rendu un grand service[r56]. J'ai eu des tentations bien fortes alors, je me suis tordu, j'ai lutté; j'aurais été bien heureux de me tirer de là. Je voyais bien que je pouvais ainsi porter au papisme le coup le plus terrible... Il y en a bien eu deux encore qui m'ont écrit sur ce point, et de plus habiles gens que le docteur Carlostad, et qui ne torturaient pas comme lui les paroles d'après leur caprice. Mais je suis enchaîné, je ne puis en sortir, le texte est trop puissant, rien ne peut l'arracher de mon esprit.
»Aujourd'hui même, s'il arrivait que quelqu'un pût me prouver, par des raisons solides, qu'il n'y a là que du pain et du vin, on n'aurait pas besoin de m'attaquer si furieusement. Je ne suis malheureusement que trop porté à cette interprétation toutes les fois que je sens en moi mon Adam. Mais ce que le docteur Carlostad imagine et débite sur ce sujet me touche si peu, qu'au contraire j'en suis plutôt confirmé dans mon opinion; et si je ne l'avais déjà pensé, de telles billevesées prises hors de l'Écriture, et comme en l'air, suffiraient pour me faire croire que son opinion n'est pas la bonne.»
Il avait écrit déjà dans le pamphlet Contre les prophètes célestes. «Carlostad dit ne pouvoir raisonnablement concevoir que le corps de Jésus-Christ se réduise dans un si petit espace. Mais, si on consulte la raison, on ne croira plus aucun mystère...» Luther ajoute à la page suivante cette bouffonnerie incroyablement audacieuse: «Tu penses apparemment que l'ivrogne Christ ayant trop bu à souper, a étourdi ses disciples de paroles superflues.»
Cette violente polémique de Luther contre Carlostad était chaque jour aigrie par les symptômes effrayans de bouleversement général qui menaçait l'Allemagne. Les doctrines du hardi théologien répondaient aux vœux, aux pensées dont les masses populaires étaient préoccupées, en Souabe, en Thuringe, en Alsace, dans tout l'occident de l'Empire. Le bas peuple, les paysans, endormis depuis si long-temps sous le poids de l'oppression féodale, entendirent les savans et les princes parler de liberté, d'affranchissement, et s'appliquèrent ce qu'on ne disait pas pour eux[8]. La réclamation des pauvres paysans de la Souabe, dans sa barbarie naïve, restera comme un monument de modération courageuse. Peu-à-peu l'éternelle haine du pauvre contre le riche se réveilla, moins aveugle toutefois que dans la jacquerie, mais cherchant déjà une forme systématique, qu'elle ne devait atteindre qu'au temps des niveleurs anglais. Elle se compliqua de tous les germes de démocratie religieuse qu'on avait cru étouffés au moyen-âge. Des Lollardistes, des Béghards, une foule de visionnaires apocalyptiques se remuèrent. Le mot de ralliement devint plus tard la nécessité d'un second baptême; dès le principe, le but fut une guerre terrible contre l'ordre établi, contre toute espèce d'ordre; guerre contre la propriété, c'était un vol fait au pauvre, guerre contre la science, elle rompait l'égalité naturelle, elle tentait Dieu qui révélait tout à ses saints; les livres, les tableaux étaient des inventions du diable.
Les paysans se soulevèrent d'abord dans la Forêt-Noire, puis autour d'Heilbronn, de Francfort, dans le pays de Bade et Spire[a60]. De là, l'incendie gagna l'Alsace, et nulle part il n'eut un caractère plus terrible. Nous le retrouvons encore dans le Palatinat, la Hesse, la Bavière. En Souabe, le chef principal des insurgés était un des petits nobles de la vallée du Necker, le célèbre Goetz de Berlichingen, Goetz à la main de fer, qui assurait n'être devenu leur général que malgré lui et par force.
«Doléance et demande amiable de toute la réunion des paysans, avec leurs prières chrétiennes. Le tout exposé très brièvement en douze articles principaux. Au lecteur chrétien, paix et grâce divine par le Christ!
»Il y a aujourd'hui beaucoup d'anti-chrétiens qui prennent occasion de la réunion des paysans pour blasphémer l'Évangile, disant: que ce sont là les fruits du nouvel Évangile, que personne n'obéisse plus, que chacun se soulève et se cabre, qu'on s'assemble et s'attroupe avec grande violence; qu'on veuille réformer, chasser les autorités ecclésiastiques et séculières, peut-être même les égorger. A ces jugemens pervers et impies, répondent les articles suivans.
»D'abord ils détournent l'opprobre dont on veut couvrir la parole de Dieu; ensuite ils disculpent chrétiennement les paysans du reproche de désobéissance et de révolte.
»L'Évangile n'est pas une cause de soulèvement ou de trouble; c'est une parole qui annonce le Christ, le Messie qui nous était promis; cette parole et la vie qu'elle enseigne ne sont qu'amour, paix, patience et union. Sachez aussi que tous ceux qui croient en ce Christ seront unis dans l'amour, la paix et la patience. Puis donc que les articles des paysans, comme on le verra plus clairement ensuite, ne sont pas dirigés à une autre intention que d'entendre l'Évangile, et de vivre en s'y conformant, comment les anti-chrétiens peuvent-ils nommer l'Évangile une cause de trouble et de désobéissance. Si les anti-chrétiens et les ennemis de l'Évangile se dressent contre de telles demandes, ce n'est pas l'Évangile qui en est la cause, c'est le diable, le mortel ennemi de l'Évangile, lequel, par l'incrédulité, a éveillé dans les siens l'espoir d'opprimer et d'effacer la parole de Dieu qui n'est que paix, amour et union.
»Il résulte clairement de là que les paysans qui, dans leurs articles, demandent un tel Évangile pour leur doctrine et pour leur vie, ne peuvent être appelés désobéissans ni révoltés. Si Dieu nous appelle et nous presse de vivre selon sa parole, s'il veut nous écouter, qui blâmera la volonté de Dieu, qui pourra s'attaquer à son jugement, et lutter contre ce qu'il lui plaît de faire? Il a bien entendu les enfans d'Israël qui criaient à lui, il les a délivrés de la main de Pharaon. Ne peut-il pas encore aujourd'hui sauver les siens? Oui, il les sauvera, et bientôt! Lis donc les articles suivans, lecteur chrétien; lis-les avec soin, et juge.»
Suivent les articles[r57]:
«I. En premier lieu, c'est notre humble demande et prière à nous tous, c'est notre volonté unanime, que désormais nous ayons le pouvoir et le droit d'élire et choisir nous-mêmes un pasteur; que nous ayons aussi le pouvoir de le déposer s'il se conduit comme il ne convient point. Le même pasteur choisi par nous, doit nous prêcher clairement le saint Évangile, dans sa pureté, sans aucune addition de précepte ou de commandement humain. Car en nous annonçant toujours la véritable foi, on nous donne occasion de prier Dieu, de lui demander sa grâce, de former en nous cette même véritable foi et de l'y affermir. Si la grâce divine ne se forme point en nous, nous restons toujours chair et sang, et alors nous ne sommes rien de bon. On voit clairement dans l'Écriture que nous ne pouvons arriver à Dieu que par la véritable foi, et parvenir à la béatitude que par sa miséricorde. Il nous faut donc nécessairement un tel guide et pasteur, ainsi qu'il est institué dans l'Écriture.
»II. Puisque la dîme légitime est établie dans l'Ancien Testament (que le Nouveau a confirmé en tout), nous voulons payer la dîme légitime du grain, toutefois de la manière convenable... Nous sommes désormais dans la volonté que les prud'hommes établis par une commune reçoivent et rassemblent cette dîme; qu'ils fournissent au pasteur élu par toute une commune de quoi l'entretenir lui et les siens suffisamment et convenablement, après que la commune en aura connu, et ce qui restera, on doit en user pour soulager les pauvres qui se trouvent dans le même village. S'il restait encore quelque chose, on doit le réserver pour les frais de guerre, d'escorte et autres choses semblables, afin de délivrer les pauvres gens de l'impôt établi jusqu'ici pour le paiement de ces frais. S'il est arrivé, d'un autre côté, qu'un ou plusieurs villages aient, dans le besoin, vendu leur dîme, ceux qui l'ont achetée, n'auront rien à redouter de nous, nous nous arrangerons avec eux selon les circonstances, afin de les indemniser au fur et à mesure que nous pourrons. Mais quant à ceux qui, au lieu d'avoir acquis la dîme d'un village par achat, se la sont appropriée de leur propre chef, eux ou leurs ancêtres, nous ne leur devons rien et nous ne leur donnerons rien. Cette dîme sera employée comme il est dit ci-dessus. Pour ce qui est de la petite dîme et de la dîme du sang (du bétail), nous ne l'acquitterons en aucune façon, car Dieu le Seigneur a créé les animaux pour être librement à l'usage de l'homme. Nous estimons cette dîme une dîme illégitime, inventée par les hommes; c'est pourquoi nous cesserons de la payer.»
Dans leur IIIe article, les paysans déclarent ne plus vouloir être traités comme la propriété de leurs seigneurs, «car Jésus-Christ, par son sang précieux, les a rachetés tous sans exception, le pâtre à l'égal de l'Empereur.» Ils veulent être libres, mais seulement selon l'Écriture, c'est-à-dire sans licence aucune et en reconnaissant l'autorité, car l'Évangile leur enseigne à être humbles et à obéir aux puissances «en toutes choses convenables et chrétiennes.»
«IV. Il est contraire à la justice et à la charité, disent-ils, que les pauvres gens n'aient aucun droit au gibier, aux oiseaux et aux poissons des eaux courantes; de même: qu'ils soient obligés de souffrir, sans rien dire, l'énorme dommage que font à leurs champs les bêtes des forêts; car, lorsque Dieu créa l'homme, il lui donna pouvoir sur tous les animaux indistinctement.»—Ils ajoutent qu'ils auront, conformément à l'Évangile, des égards pour ceux d'entre les seigneurs qui pourront prouver, par des titres, qu'ils ont acheté leur droit de pêche, mais que pour les autres ce droit cessera sans indemnité.
»V. Les bois et forêts anciennement communaux, qui auront passé en les mains de tiers, autrement que par suite d'une vente équitable, doivent revenir à leur propriétaire originaire, qui est la commune. Chaque habitant doit avoir le droit d'y prendre le bois qui lui sera nécessaire, au jugement des prud'hommes.
»VI. Ils demandent un allégement dans les services qui leur sont imposés, et qui deviennent de jour en jour plus accablans. Ils veulent servir «comme leurs pères, selon la parole de Dieu.»
»VII. Que le seigneur ne demande pas au paysan de faire gratuitement plus de services qu'il n'est dit dans leur pacte mutuel (vereinigung).
»VIII. Beaucoup de terres sont grevées d'un cens trop élevé. Que les seigneurs acceptent l'arbitrage d'hommes irréprochables, et qu'ils diminuent le cens selon l'équité, «afin que le paysan ne travaille pas en vain, car tout ouvrier a droit à son salaire.»
»IX. La justice se rend avec partialité. On établit sans cesse de nouvelles dispositions sur les peines. Qu'on ne favorise personne et qu'on s'en tienne aux anciens réglemens.
»X. Que les champs et prairies distraits des biens de la commune, autrement que par une vente équitable, retournent à la commune.
»XI. Les droits de décès sont révoltants et ouvertement opposés à la volonté de Dieu, «car c'est une spoliation des veuves et des orphelins.» Qu'ils soient entièrement et à jamais abolis.
»XII. ... S'il se trouvait qu'un ou plusieurs des articles qui précèdent, fût en opposition avec l'Écriture (ce que nous ne pensons pas), nous y renonçons d'avance. Si, au contraire, l'Écriture nous en indiquait encore d'autres sur l'oppression du prochain, nous les réservons et y adhérons également dès à présent. Que la paix de Jésus-Christ soit avec tous. Amen.»
Luther ne pouvait garder le silence dans cette grande crise[a61]. Les seigneurs l'accusaient d'être le premier auteur des troubles. Les paysans se recommandaient de son nom, et l'invoquaient pour arbitre. Il ne refusa pas ce rôle dangereux. Dans sa réponse à leurs douze articles, il se porte pour juge entre le prince et le peuple. Nulle part peut-être il ne s'est élevé plus haut.
Exhortation à la paix, en réponse aux douze articles des paysans de la Souabe, et aussi contre l'esprit de meurtre et de brigandage des autres paysans ameutés [r58] [a62] .—«Les paysans actuellement rassemblés dans la Souabe, viennent de dresser et de faire répandre, par la voie de l'impression, douze articles qui renferment leurs griefs contre l'autorité. Ce que j'approuve le plus dans cet écrit, c'est qu'au douzième article ils se déclarent prêts à accepter toute instruction évangélique meilleure que la leur au sujet de leurs doléances.
»En effet, si ce sont là leurs véritables intentions (et comme ils ont fait leur déclaration à la face des hommes, sans craindre la lumière, il ne me convient pas de l'interpréter autrement), il y a encore à espérer une bonne fin à toutes ces agitations.
»Et moi qui suis aussi du nombre de ceux qui font de l'Écriture sainte leur étude sur cette terre, moi auquel ils s'adressent nommément (s'en rapportant à moi dans un de leurs imprimés), je me sens singulièrement enhardi par cette déclaration de leur part à produire aussi mon sentiment au grand jour sur la matière en question, conformément aux préceptes de la charité, qui doit unir tous les hommes. En quoi faisant, je m'affranchirai et devant Dieu et devant les hommes du reproche d'avoir contribué au mal par mon silence; au cas où ceci finirait d'une manière funeste.
»Peut-être aussi n'ont-ils fait cette déclaration que pour en imposer, et sans doute il y en a parmi eux d'assez méchans pour cela, car il est impossible qu'en une telle multitude, tous soient bons chrétiens; il est plutôt vraisemblable que beaucoup d'entre eux font servir la bonne volonté des autres aux desseins pervers qui leur sont propres. Eh bien! s'il y a imposture dans cette déclaration, j'annonce aux imposteurs qu'ils ne réussiront pas; et que, s'ils réussissaient, ce serait à leur dam, à leur perte éternelle.
»L'affaire dans laquelle nous sommes engagés est grande et périlleuse; elle touche et le royaume de Dieu et celui de ce monde. En effet, s'il arrivait que cette révolte se propageât et prît le dessus; l'un et l'autre y périraient, et le gouvernement séculier et la parole de Dieu, et il s'ensuivrait une éternelle dévastation de toute la terre allemande. Il est donc urgent, dans de si graves circonstances, que nous donnions sur toutes choses notre avis librement, et sans égard aux personnes. En même temps il n'est pas moins nécessaire que nous devenions enfin attentifs et obéissans, que nous cessions de boucher nos oreilles et nos cœurs, ce qui, jusqu'ici, a laissé prendre à la colère de Dieu son plein mouvement, son branle le plus terrible (seinen vollen gang und schwang). Tant de signes effrayans qui, dans ces derniers temps, ont apparu au ciel et sur la terre, annoncent de grandes calamités et des changemens inouïs à l'Allemagne. Nous nous en inquiétons peu, pour notre malheur; mais Dieu n'en poursuivra pas moins le cours de ses châtimens, jusqu'à ce qu'il ait enfin fait mollir nos têtes de fer.
»Première Partie.—Aux princes et seigneurs.—D'abord nous ne pouvons remercier personne sur la terre de tout ce désordre et de ce soulèvement, si ce n'est vous, princes et seigneurs, vous surtout aveugles évêques, prêtres et moines insensés, qui, aujourd'hui encore, endurcis dans votre perversité, ne cessez de crier contre le saint Évangile, quoique vous sachiez qu'il est juste et bon et que vous ne pouvez rien dire contre. En même temps, comme autorités séculières, vous êtes les bourreaux et les sangsues des pauvres gens, vous immolez tout à votre luxe et à votre orgueil effrénés; jusqu'à ce que le peuple ne veuille ni ne puisse vous endurer davantage. Vous avez déjà le glaive à la gorge, et vous vous croyez encore si fermes en selle qu'on ne puisse vous renverser. Vous vous casserez le col avec cette sécurité impie. Je vous avais exhorté maintefois à vous garder de ce verset (psaume CIV): Effundit contemptum super principes: il verse le mépris sur les princes. Vous faites tous vos efforts pour que ces paroles s'accomplissent sur vous, vous voulez que la massue déjà levée tombe et vous écrase; les avis, les conseils seraient superflus.
»Les signes de la colère de Dieu qui apparaissent sur la terre et au ciel, s'adressent à vous pourtant. C'est vous, ce sont vos crimes que Dieu veut punir. Si ces paysans qui vous attaquent maintenant ne sont pas les ministres de sa volonté, d'autres le seront. Vous les battriez, que vous n'en seriez pas moins vaincus. Dieu en susciterait d'autres; il veut vous frapper et il vous frappera.
»Vous comblez la mesure de vos iniquités en imputant cette calamité à l'Évangile et à ma doctrine. Calomniez toujours. Vous ne voulez pas savoir ce que j'ai enseigné et ce qu'est l'Évangile; il en est un autre à la porte qui va vous l'apprendre, si vous ne vous amendez. Ne me suis-je pas employé de tout temps avec zèle et ardeur à recommander au peuple l'obéissance à l'autorité, à la vôtre même, si tyrannique, si intolérable qu'elle fût? qui plus que moi a combattu la sédition? Aussi les prophètes de meurtre me haïssent-ils autant que vous. Vous persécutiez mon Évangile par tous les moyens qui étaient en vous, pendant que cet Évangile faisait prier le peuple pour vous et qu'il aidait à soutenir votre autorité chancelante.
»En vérité, si je voulais me venger, je n'aurais maintenant qu'à rire dans ma barbe et regarder les paysans à l'œuvre; je pourrais même faire cause commune avec eux et envenimer la plaie. Dieu me préserve de pareilles pensées! C'est pourquoi, chers seigneurs, amis ou ennemis, ne méprisez pas mon loyal secours, quoique je ne sois qu'un pauvre homme; ne méprisez pas non plus cette sédition, je vous supplie: non pas que je veuille dire par là qu'ils soient trop forts contre vous; ce n'est pas eux que je voudrais vous faire craindre, c'est Dieu, c'est le Seigneur irrité. Si Celui-là veut vous punir (vous ne l'avez que trop mérité), il vous punira; et s'il n'y avait pas assez de paysans, il changerait les pierres en paysans; un seul des leurs en égorgerait cent des vôtres: tous tant que vous êtes, ni vos cuirasses ni votre force ne vous sauveraient.
»S'il est encore un conseil à vous donner, chers seigneurs, au nom de Dieu reculez un peu devant la colère que vous voyez déchaînée. On craint et on évite l'homme ivre. Mettez un terme à vos exactions, faites trève à cette âpre tyrannie; traitez les paysans comme l'homme sensé traite les gens ivres ou en démence. N'engagez pas de lutte avec eux, vous ne pouvez savoir comment cela finira. Employez d'abord la douceur, de peur qu'une faible étincelle, gagnant tout autour, n'aille allumer, par toute l'Allemagne, un incendie que rien n'éteindrait. Vous ne perdrez rien par la douceur, et quand même vous y perdriez quelque peu, la paix vous en dédommagerait au centuple. Dans la guerre, vous pouvez vous engloutir et vous perdre, corps et biens. Les paysans ont dressé douze articles dont quelques-uns contiennent des demandes si équitables, qu'elles vous déshonorent devant Dieu et les hommes, et qu'elles réalisent le psaume CVIII, car elles couvrent les princes de mépris.
»Moi, j'aurais bien d'autres articles et de plus importans peut-être à dresser contre vous, sur le gouvernement de l'Allemagne, ainsi que je l'ai fait dans mon livre A la noblesse allemande. Mais mes paroles ont été pour vous comme le vent en l'air, et c'est pour cela qu'il vous faut maintenant essuyer toutes ces réclamations d'intérêts particuliers.
»Quant aux premiers articles, vous ne pouvez leur refuser la libre élection de leurs pasteurs. Ils veulent qu'on leur prêche l'Évangile. L'autorité ne peut ni ne doit y mettre d'empêchement, elle doit même permettre à chacun d'enseigner et de croire ce qui bon lui semblera, que ce soit Évangile ou mensonge. C'est assez qu'elle défende de prêcher le trouble et la révolte.
»Les autres articles, qui touchent l'état matériel des paysans, droits de décès, augmentation des services, etc., sont également justes. Car l'autorité n'est point instituée pour son propre intérêt ni pour faire servir les sujets à l'assouvissement de ses caprices et de ses mauvaises passions, mais bien pour l'intérêt du peuple. Or, on ne peut supporter si long-temps vos criantes exactions. A quoi servirait-il au paysan de voir son champ rapporter autant de florins que d'herbes et de grains de blé, si son seigneur le dépouillait dans la même mesure, et dissipait, comme paille, l'argent qu'il en aurait tiré, l'employant en habits, châteaux et bombances? Ce qu'il faudrait faire avant tout, ce serait de couper court à tout ce luxe et de boucher les trous par où l'argent s'en va, de façon qu'il en restât quelque peu dans la poche du paysan.
»Deuxième Partie.—Aux Paysans.—Jusqu'ici chers amis, vous n'avez vu qu'une chose: j'ai reconnu que les princes et seigneurs qui défendent de prêcher l'Évangile, et qui chargent les peuples de fardeaux intolérables, ont bien mérité que Dieu les précipitât du siége, car ils pèchent contre Dieu et les hommes, ils sont sans excuse. Néanmoins c'est à vous de conduire votre entreprise avec conscience et justice. Si vous avez de la conscience, Dieu vous assistera: quand même vous succomberiez pour le moment, vous triompheriez à la fin; ceux de vous qui périraient dans le combat, seraient sauvés. Mais si vous avez la justice et la conscience contre vous, vous succomberez, et quand même vous ne succomberiez pas, quand même vous tueriez tous les princes, votre corps et votre âme n'en seraient pas moins éternellement perdus. Il n'y a donc pas à plaisanter ici. Il y va de votre corps et de votre vie à jamais. Ce qu'il vous faut considérer, ce n'est pas votre force et le tort de vos adversaires, il faut voir surtout si ce que vous faites est selon la justice et la conscience.
»N'en croyez donc pas, je vous prie, les prophètes de meurtre que Satan a suscités parmi vous, et qui viennent de lui, quoiqu'ils invoquent le saint nom de l'Évangile. Ils me haïront à cause du conseil que je vous donne, ils m'appelleront hypocrite, mais cela ne me touche point. Ce que je désire, c'est de sauver de la colère de Dieu les bonnes et honnêtes gens qui sont parmi vous; je ne craindrai pas les autres, qu'ils me méprisent ou non. J'en connais Un qui est plus fort qu'eux tous, et celui-là m'enseigne par le psaume III de faire ce que je fais. Les cent mille ne me font pas peur....
»Vous invoquez le nom de Dieu et vous prétendez agir d'après sa parole; n'oubliez donc pas avant tout que Dieu punit celui qui invoque son nom en vain. Craignez sa colère. Qu'êtes-vous, et qu'est-ce que le monde? Oubliez-vous qu'il est le Dieu tout-puissant et terrible, le Dieu du déluge, celui qui a foudroyé Sodome? Or il est facile de voir que vous ne faites pas honneur à son nom. Dieu ne dit-il pas: Qui prend l'épée périra par l'épée? Et saint Paul: Que toute âme soit soumise à l'autorité en tout respect et honneur? Comment pouvez-vous, après ces enseignemens, prétendre encore que vous agissez d'après l'Évangile? Prenez-y garde, un jugement terrible vous attend.
»Mais, dites-vous, l'autorité est mauvaise, intolérable, elle ne veut pas nous laisser l'Évangile, elle nous accable de charges hors de toute mesure, elle nous perd de corps et d'âme. A cela je réponds que la méchanceté et l'injustice de l'autorité n'excusent pas la révolte, car il ne convient pas à tout homme de punir les méchans. En outre le droit naturel dit que nul ne doit être juge en sa propre cause, ni se venger lui-même, car le proverbe dit vrai: Frapper qui frappe, ne vaut. Le droit divin nous enseigne même chose: La vengeance m'appartient, dit le Seigneur, c'est moi qui veux juger. Votre entreprise est donc contraire non-seulement au droit, selon la Bible et l'Évangile, mais aussi au droit naturel et à la simple équité. Vous ne pouvez y persister à moins de prouver que vous y êtes appelés par un nouveau commandement de Dieu, tout particulier et confirmé par des miracles.
»Vous voyez la paille dans l'œil de l'autorité, mais vous ne voyez pas la poutre qui est dans le vôtre. L'autorité est injuste en ce qu'elle interdit l'Évangile et qu'elle vous accable de charges; mais combien êtes-vous plus injustes, vous qui, non contens d'interdire la parole de Dieu, la foulez aux pieds, vous qui vous arrogez le pouvoir réservé à Dieu seul? D'un autre côté, qui est le plus grand voleur (je vous en fais juge) de celui qui prend une partie ou de celui qui prend le tout? Or l'autorité vous prend injustement votre bien, mais vous lui prenez à elle non-seulement le bien, mais aussi le corps et la vie. Vous assurez bien, il est vrai, que vous lui laisserez quelque chose; qui vous en croira? Vous lui avez pris le pouvoir; qui prend le tout ne craint pas de prendre aussi la partie; quand le loup mange la brebis, il en mange bien aussi les oreilles.
»Et comment ne voyez-vous donc pas, mes amis, que si votre doctrine était vraie, il n'y aurait plus sur la terre ni autorité, ni ordre, ni justice d'aucune espèce? Chacun serait son juge à soi; l'on ne verrait que meurtre, désolation et brigandage.
»Que feriez-vous, si dans votre troupe, chacun voulait également être indépendant, se faire justice, se venger lui-même? Le souffririez-vous? Ne diriez-vous pas que c'est aux supérieurs de juger?
»Telle est la loi que doivent observer même les païens, les Turcs et les juifs, s'il doit y avoir ordre et paix sur la terre. Loin d'être chrétiens, vous êtes donc pires que les païens et les Turcs. Que dira Jésus-Christ en voyant son nom ainsi profané par vous?
»Chers amis, je crains fort que Satan n'ait envoyé parmi vous des prophètes de meurtre qui convoitent l'empire de ce monde et qui pensent y arriver par vous, sans s'inquiéter des périls et temporels et spirituels, dans lesquels ils vous précipitent.
»Mais passons maintenant au droit évangélique. Celui-ci ne lie pas les païens comme le droit dont nous venons de parler. Jésus-Christ, dont vous tirez le nom des chrétiens, ne dit-il pas (saint Mathieu, V): Ne résistez pas à celui qui vous fait du mal; si quelqu'un te frappe à la joue droite, présente aussi l'autre... L'entendez-vous, Chrétiens rassemblés? Comment faites-vous rimer votre conduite avec ce précepte? Si vous ne savez pas souffrir, comme le demande notre Seigneur, dépouillez vite son nom, vous n'en êtes pas dignes; ou il va tout-à-l'heure vous l'arracher lui-même.
»(Suivent d'autres versets de l'Évangile sur la douceur chrétienne). Souffrir, souffrir, la croix, la croix, voilà la loi qu'enseigne le Christ, il n'y en a point d'autres...
»Eh! mes amis; si vous faites de telles choses, quand donc en viendrez-vous à cet autre précepte qui vous commande d'aimer vos ennemis et de leur faire du bien?... Oh! plût à Dieu que la plupart d'entre nous fussent avant tout de bons et pieux païens qui observassent la loi naturelle!
»Pour vous montrer jusqu'où vos prophètes vous ont égarés, je n'ai qu'à vous rappeler quelques exemples qui mettent en lumière la loi de l'Évangile. Regardez Jésus-Christ et saint Pierre dans le jardin de Gézémaneh. Saint Pierre ne croyait-il pas faire une bonne action en défendant son maître et seigneur, contre ceux qui venaient pour le livrer aux bourreaux? Et cependant vous savez que Jésus-Christ le réprimanda comme un meurtrier pour avoir résisté l'épée à la main.
»Autre exemple: Jésus-Christ lui-même attaché à la croix, que fait-il? Ne prie-t-il pas pour ses persécuteurs, ne dit-il pas: O mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font! Et Jésus-Christ ne fut-il pas cependant glorifié après avoir souffert, son royaume n'a-t-il pas prévalu et triomphé? De même Dieu vous aiderait, si vous saviez souffrir comme il le demande.
»Pour prendre un exemple dans le temps même où nous vivons, comment s'est-il fait que ni l'Empereur ni le pape n'aient pu rien contre moi? plus ils ont fait d'efforts pour arrêter et détruire l'Évangile, plus celui-ci a gagné et pris force? Je n'ai point tiré l'épée, je n'ai point fait de révolte; j'ai toujours prêché l'obéissance à l'autorité, même à celle qui me persécutait; je m'en reposais toujours sur Dieu, je remettais tout entre ses mains. C'est pour cela, qu'en dépit du pape et des tyrans, il m'a non-seulement conservé la vie, ce qui déjà était un miracle, mais il a aussi de plus en plus avancé et répandu mon Évangile. Et voilà que maintenant, pensant servir l'Évangile, vous vous jetez en travers. En vérité, vous lui portez le coup le plus terrible dans l'esprit des hommes, vous l'écrasez pour ainsi dire par vos perverses et folles entreprises.
»Je vous dis tout ceci, chers amis, pour vous montrer combien vous profanez le nom du Christ et de sa sainte loi. Quelque justes que puissent être vos demandes, il ne convient pas au chrétien de combattre ni d'employer la violence: nous devons souffrir l'injustice, telle est notre loi (I. Corinth. VI). Je vous le répète donc, agissez en cette occurrence comme vous voudrez, mais laissez là le nom du Christ, et n'en faites pas honteusement le prétexte et le manteau de votre conduite impie. Je ne le permettrai pas, je ne le tolèrerai pas, je vous arracherai ce nom par tous les efforts dont je suis capable, jusqu'à la dernière goutte de mon sang...
»Non que je veuille par là justifier l'autorité: ses torts sont immenses, je l'avoue; mais ce que je veux, c'est que, s'il faut malheureusement (Dieu veuille nous l'épargner!), s'il faut, dis-je, que vous en veniez aux mains, on n'appelle chrétiens ni l'un ni l'autre parti. Ce sera une guerre de païens et point autre, car les chrétiens ne combattent pas avec les épées ni les arquebuses, mais avec la croix et la patience, de même que leur général Jésus-Christ ne manie pas l'épée, mais se laisse attacher à la croix. Leur triomphe ne consiste pas dans la domination et le pouvoir, mais dans la soumission et l'humilité. Les armes de notre chevalerie n'ont pas d'efficacité corporelle, leur force est dans le Très-Haut.
»Intitulez-vous donc: gens qui veulent suivre la nature et ne pas supporter le mal; voilà le nom qui vous convient; si vous ne le prenez pas, mais que vous persistiez à garder et prononcer sans cesse celui du Christ, je ne pourrai que vous regarder comme mes ennemis et comme ceux de l'Évangile, à l'égal du pape et de l'Empereur. Or, sachez que dans ce cas, je suis décidé à m'en remettre entièrement à Dieu, et à l'implorer pour qu'il vous éclaire, qu'il soit contre vous et vous fasse échouer.
»J'y risquerai ma tête, comme j'ai fait contre le pape et l'Empereur, car je vois clairement que le diable n'ayant pu venir à bout de moi par eux, veut m'exterminer et me dévorer par les prophètes de meurtre qui sont parmi vous. Eh bien, qu'il me dévore: un tel morceau ne sera pas de facile digestion.
»Toutefois, chers amis, je vous supplie humblement et comme un ami qui veut votre bien, d'y bien penser avant d'aller plus loin, et de me dispenser de combattre et de prier contre vous, quoique je ne sois moi-même qu'un pauvre pécheur; je sais pourtant que dans ce cas j'aurais tellement raison, que Dieu écouterait immanquablement mes prières. Il nous a enseigné lui-même, dans le saint Pater noster, à demander que son nom soit sanctifié sur la terre comme au ciel. Il est impossible que vous ayez, de votre côté, la même confiance en Dieu, car l'Écriture et votre conscience vous condamnent et vous disent que vous agissez en païens, en ennemis de l'Évangile. Si vous étiez chrétiens, vous n'agiriez pas du poing et de l'épée; vous diriez, Délivre-nous du mal, et, Que ta volonté soit faite (suivent des versets qui expriment cette pensée). Mais vous voulez être vous-mêmes votre Dieu et votre Sauveur; le vrai Dieu, le vrai Sauveur vous abandonne donc. Les demandes que vous avez dressées ne sont pas contraires au droit naturel et à l'équité, par leur teneur même, mais par la violence avec laquelle vous les voulez arracher à l'autorité. Aussi celui qui les a dressées n'est pas un homme pieux et sincère; il a cité grand nombre de chapitres de l'Écriture, sans écrire les versets mêmes, afin de rendre votre entreprise spécieuse, de vous séduire et de vous jeter dans les périls. Quand on lit les chapitres qu'il a désignés, on n'y voit pas grand'chose sur votre entreprise, on y trouve plutôt le contraire, à savoir, que l'on doit vivre et agir chrétiennement. Ce sera, je pense, un prophète séditieux qui aura voulu attaquer l'Évangile par vous; Dieu veuille lui résister et vous garder de lui.
»En premier lieu, vous vous glorifiez, dans votre préface, de ne demander qu'à vivre selon l'Évangile. Mais n'avouez-vous pas vous-mêmes que vous êtes en révolte? Et comment, je vous le demande, avez-vous l'audace de colorer une pareille conduite du saint nom de l'Évangile?
»Vous citez en exemple les enfans d'Israël. Vous dites que Dieu entendit les cris qu'ils poussaient vers lui, et qu'il les délivra. Pourquoi donc ne suivez-vous pas cet exemple dont vous vous glorifiez? Invoquez Dieu, comme ils ont fait, et attendez qu'il vous envoie aussi un Moïse qui prouve sa mission par des miracles. Les enfans d'Israël ne s'ameutèrent point contre Pharaon; ils ne s'aidèrent point eux-mêmes comme vous avez dessein de faire. Cet exemple vous est donc directement contraire, et vous damne au lieu de vous sauver.
»Il n'est pas vrai non plus que vos articles, comme vous l'annoncez dans votre préface, enseignent l'Évangile et lui soient conformes. Y en a-t-il un seul sur les douze, qui renferme quelque point de doctrine évangélique? N'ont-ils pas tous uniquement pour objet d'affranchir vos personnes et vos biens? Ne traitent-ils pas tous de choses temporelles? Vous, vous convoitez le pouvoir et les biens de la terre, vous ne voulez souffrir aucun tort; l'Évangile, au contraire, n'a nul souci de ces choses, et place la vie extérieure dans la souffrance, l'injustice, la croix, la patience et le mépris de la vie, comme de toute affaire de ce monde.
»Il faut donc ou que vous abandonniez votre entreprise, et que vous consentiez à souffrir les torts, si vous voulez porter le nom de chrétiens; ou bien, si vous persistez dans vos résolutions, il faut que vous dépouilliez ce nom et que vous en preniez un autre. Choisissez, point de milieu.
»Vous dites que l'on empêche l'Évangile de parvenir jusqu'à vous: je vous réponds qu'il n'y a aucune puissance ni sur la terre ni au ciel qui puisse faire cela. Une doctrine publique marche libre sous le ciel, elle n'est liée à aucun endroit, aussi peu que l'étoile qui, traversant les airs, annonçait aux sages de l'Orient la naissance de Jésus-Christ... Si l'on interdit l'Évangile dans la ville ou le village où vous êtes, suivez-le ailleurs où on le prêche... Jésus-Christ a dit (saint Matthieu, X): «S'ils vous chassent d'une ville, fuyez dans une autre.» Il ne dit point: «S'ils veulent vous chasser d'une ville, restez-y, attroupez-vous contre les seigneurs, au nom de l'Évangile, et rendez-vous maîtres de la ville.» Qu'est-ce donc que ces chrétiens qui, au nom de l'Évangile, se font brigands, voleurs? Osent-ils bien se dire évangéliques?
»Réponse au Ier article.—Si l'autorité ne veut pas de bon gré entretenir le pasteur qui convient à la commune, il faut, dit Luther, que celle-ci le fasse à ses propres frais. Si l'autorité ne veut pas tolérer ce pasteur, que les fidèles le suivent dans une autre commune.
»Réponse à l'article II.—Vous voulez disposer d'une dîme qui n'est pas à vous: ce serait une spoliation, un brigandage. Si vous voulez faire du bien, faites-le du vôtre et non de ce qui est à autrui. Dieu dit par Isaïe: «Je déteste l'offrande qui vient du vol.»
»Réponse à l'article III.—Vous voulez appliquer à la chair la liberté chrétienne enseignée par l'Évangile. Abraham et les autres patriarches, ainsi que les prophètes, n'ont-ils pas aussi eu des serfs? Lisez saint Paul, l'empire de ce monde ne peut subsister sans l'inégalité des personnes.
»Aux huit derniers articles.—Quant à vos articles sur le gibier, le bois, les services, le cens, etc., je les renvoie aux hommes de loi; il ne me convient pas d'en juger, mais je vous répète que le chrétien est un martyr, et qu'il n'a nul souci de toutes ces choses; cessez donc de parler du droit chrétien, et dites plutôt que c'est le droit humain, le droit naturel que vous revendiquez, car le droit chrétien vous commande de souffrir en ces choses, et de ne vous plaindre qu'à Dieu.
»Chers amis, voilà l'instruction que j'ai à vous donner en réponse à la demande que vous m'avez faite. Dieu veuille que vous soyez fidèles à votre promesse, de vous laisser guider selon l'Écriture. Ne criez pas tous d'abord: Luther est un flatteur des princes, il parle contre l'Évangile. Mais lisez auparavant, et voyez si tout ce que je dis n'est pas fondé sur la parole de Dieu.
»Exhortation aux deux partis.—Puis donc, mes amis, que ni les uns ni les autres, vous ne défendez une chose chrétienne, mais que les deux partis agissent également contre Dieu, renoncez, je vous supplie, à la violence. Autrement vous couvrirez toute l'Allemagne d'un carnage horrible, et cela n'aura pas de fin. Car comme vous êtes également dans l'injustice, vous vous perdrez mutuellement, et Dieu frappera un méchant par l'autre.
»Vous, seigneurs, vous avez contre vous l'Écriture et l'histoire, qui vous enseignent que la tyrannie a toujours été punie. Vous êtes vous-mêmes des tyrans et des bourreaux, vous interdisez l'Évangile. Vous n'avez donc nul espoir d'échapper au sort qui jusqu'ici a frappé vos pareils. Voyez tous ces empires des Assyriens, des Perses, des Grecs, des Romains, ils ont tous péri par le glaive, après avoir commencé par le glaive. Dieu voulait prouver que c'est lui qui est juge de la terre, et que nulle injustice ne reste impunie.
»Vous, paysans, vous avez de même contre vous l'Écriture et l'expérience. Jamais la révolte n'a eu une bonne fin, et Dieu a sévèrement pourvu à ce que cette parole ne fût pas trompeuse: Qui prend l'épée périra par l'épée. Quand même vous vaincriez tous les nobles, vainqueurs des nobles, vous vous déchireriez entre vous comme les bêtes féroces. L'esprit ne régnant pas sur vous, mais seulement la chair et le sang, Dieu ne tarderait pas à envoyer un mauvais esprit, un esprit destructeur, comme il fit à Sichem et à son roi....
»Ce qui me pénètre de douleur et de pitié (et plût au ciel que la chose pût être rachetée de ma vie!) ce sont deux malheurs irréparables qui vont fondre sur l'un et l'autre parti. D'abord, comme vous combattez tous pour l'injustice, il est immanquable que ceux qui périront dans la lutte seront éternellement perdus corps et âme; car ils mourront dans leurs péchés, sans repentir, sans secours de la grâce. L'autre malheur c'est que l'Allemagne sera dévastée; un tel carnage une fois commencé, il ne cessera pas avant que tout soit détruit. Le combat s'engage aisément, mais il n'est pas en notre pouvoir de l'arrêter. Insensés, que vous ont-ils donc fait, ces enfans, ces femmes, ces vieillards, que vous entraînez dans votre perte, pour que vous remplissiez le pays de sang, de brigandage, pour que vous fassiez tant de veuves et d'orphelins?
»Oh! Satan se réjouit! Dieu est dans son courroux le plus terrible, et il menace de le lâcher contre nous. Prenez-y garde, chers amis, il y va des uns comme des autres. A quoi vous servira-t-il de vous damner éternellement et de gaîté de cœur, et de laisser après vous un pays ensanglanté et désert?
»C'est pourquoi mon conseil serait de choisir quelques comtes et seigneurs parmi la noblesse, de choisir également quelques conseillers dans les villes, et de les laisser accorder les affaires à l'amiable. Vous, seigneurs, si vous m'écoutez, vous renoncerez à cet orgueil outrageant qu'il vous faudrait bien dépouiller à la fin; vous adoucirez votre tyrannie, de sorte que le pauvre homme puisse avoir aussi un peu d'aise. Vous, paysans, vous cèderez de votre côté, et vous abandonnerez quelques-uns de vos articles qui vont trop loin. De cette manière, les affaires n'auront pas été traitées selon l'Évangile, mais du moins accordées conformément au droit humain.
»Si vous ne suiviez pas un semblable conseil (ce qu'à Dieu ne plaise), je ne pourrai vous empêcher d'en venir aux mains. Mais je serai innocent de la perte de vos âmes, de votre sang, de votre bien. C'est sur vous que pèseront vos péchés. Je vous l'ai déjà dit, ce n'est pas un combat de chrétiens contre chrétiens, mais de tyrans, d'oppresseurs, contre des brigands, des profanateurs du nom de l'Évangile. Ceux qui périront seront éternellement damnés. Pour moi, je prierai Dieu avec les miens, afin qu'il vous réconcilie et vous empêche d'en venir où vous voulez. Néanmoins je ne puis vous cacher que les signes terribles qui se sont fait voir dans ces derniers temps, attristent mon âme et me font craindre que la colère de Dieu ne soit trop allumée, et qu'il ne dise comme dans Jérémie: Quand même Noé, Job et Daniel, se placeraient devant ce peuple, je n'aurais pas d'entrailles pour lui. Dieu veuille que vous craigniez sa colère et que vous vous amendiez, afin que la calamité soit au moins différée! Tels sont les conseils que je vous donne en chrétien et en frère, ma conscience m'en est témoin, Dieu fasse qu'ils portent fruit. Amen.»
Le caractère biographique de cet ouvrage et les proportions dans lesquelles nous devons le resserrer, ne nous permettent pas d'entrer dans l'histoire de cette Jacquerie allemande (voyez toutefois nos Additions et Éclaircissemens). Nous nous contenterons ici de rapporter la sanguinaire proclamation du docteur Thomas Münzer, chef des paysans de Thuringe[r59]; elle forme un singulier contraste avec le ton de modération et de douceur qu'on a pu remarquer dans les Douze articles que nous avons donnés plus haut:
«La vraie crainte de Dieu avant tout.
«Chers frères, jusqu'à quand dormirez-vous? Désobéirez-vous toujours à la volonté de Dieu, parce que, bornés comme vous êtes, vous vous croyez abandonnés? Que de fois vous ai-je répété mes enseignemens! Dieu ne peut se révéler plus long-temps. Il faut que vous teniez ferme. Sinon, le sacrifice, les douleurs, tout aura été en vain. Vous recommencerez alors à souffrir, je vous le prédis. Il faut ou souffrir pour la cause de Dieu, ou devenir le martyr du diable.
»Tenez donc ferme, résistez à la peur et à la paresse, cessez de flatter les rêveurs dévoyés du chemin, et les scélérats impies. Levez-vous, et combattez le combat du Seigneur. Le temps presse. Faites respecter à vos frères le témoignage de Dieu; autrement, tous périront. L'Allemagne, la France, l'Italie sont tout entières soulevées; le Maître veut jouer son jeu, l'heure des méchans est venue.
»A Fulde quatre églises de l'évêché ont été saccagées, la semaine sainte; les paysans de Klégen en Hégau, et ceux de la Forêt-Noire, se sont levés au nombre de trois cent mille. Leur masse grossit chaque jour. Toute ma crainte, c'est que ces insensés ne donnent dans un pacte trompeur, dont ils ne prévoient pas les suites désastreuses. Vous ne seriez que trois, mais confians en Dieu, cherchant son honneur et sa gloire, que cent mille ennemis ne vous feraient pas peur.
»Sus, sus, sus! (dran, dran, dran!) il est temps, les méchans tremblent. Soyez sans pitié, quand même Esaü vous donnerait de belles paroles (Genèse, XXXIII); n'écoutez pas les gémissemens des impies; ils vous supplieront bien tendrement, ils pleureront comme les enfans; n'en soyez pas touchés; Dieu défendit à Moïse de l'être (Deut. VII), et il nous a révélé la même défense. Soulevez les villes et les villages, surtout les mineurs des montagnes...
»Sus, sus, sus! (dran, dran, dran!) pendant que le feu chauffe; que le glaive tiède de sang n'ait pas le temps de refroidir. Forgez Nemrod sur l'enclume, pink pank, tuez tout dans la tour; tant que ceux-là vivront, vous ne serez jamais délivrés de la crainte des hommes. On ne peut vous parler de Dieu, tant qu'ils règnent sur vous.
»Sus, sus, sus! (dran, dran, dran!) pendant qu'il fait jour; Dieu vous précède; suivez. Toute cette histoire est décrite et expliquée dans saint Mathieu, chapitre XXIV. N'ayez donc peur. Dieu est avec vous, comme il est dit, chapitre II, paragraphe 2. Dieu vous dit de ne rien craindre. N'ayez peur du nombre. Ce n'est pas votre combat, c'est celui du Seigneur, ce n'est pas vous qui combattez. Soyez hardis, et vous éprouverez la puissance du secours d'en haut. Amen. Donné à Mülhausen, en 1525. Thomas Munzer, serviteur de Dieu contre les impies.»
Dans une lettre à l'électeur Frédéric et au duc Jean, Luther se compare à Münzer... «Moi, je ne suis qu'un pauvre homme; j'ai commencé mon entreprise avec crainte et tremblement; ainsi fit saint Paul (il l'avoue lui-même, Cor. I, 3-6), lui qui, cependant pouvait se glorifier d'entendre une voix céleste. Moi je n'entends pas de telles voix, et je ne suis pas soutenu de l'Esprit. Avec quels humbles ménagemens n'ai-je pas attaqué le pape! quels n'ont pas été mes combats contre moi-même! quelles supplications n'ai-je pas faites à Dieu! mon premier écrit en fait foi. Cependant j'ai fait avec ce pauvre esprit ce que n'a pas encore osé ce terrible esprit croque-monde (weltfressergeist)[9]. J'ai disputé à Leipzig, entouré du peuple le plus hostile. J'ai comparu à Augsbourg devant mon plus grand ennemi. J'ai tenu à Worms devant César et tout l'Empire, quoique je susse bien que mon sauf-conduit était rompu et que l'astuce et la trahison m'attendaient.
»Quelque faible et pauvre que je fusse alors, mon cœur me disait pourtant qu'il fallait entrer dans Worms, dussé-je y trouver autant de diables que de tuiles sur les toits... Il m'a fallu, dans mon coin, disputer sans relâche, que ce fût contre un, contre deux, contre trois, n'importe, de quelque façon qu'on le demandât. Faible et pauvre d'esprit, j'ai dû pourtant rester à moi-même, comme la fleur des champs; je ne pouvais choisir ni l'adversaire, ni le temps, ni le lieu, ni le mode, ni la mesure de l'attaque; j'ai dû me tenir prêt à répondre à tout le monde, comme l'enseigne l'apôtre (saint Pierre, Ep. I, 3-15).
»Et cet esprit qui est élevé au-dessus de nous autant que le soleil l'est au-dessus de la terre, cet esprit qui nous regarde à peine comme des insectes et des vermisseaux, il lui faut une assemblée toute composée de gens favorables et sûrs desquels il n'ait rien à craindre, et il refuse de répondre à deux ou trois tenans qui l'interrogeraient à part... C'est que nous n'avons de force que celle que Jésus-Christ nous donne; s'il nous livre à nous-mêmes, le bruit d'une feuille peut nous faire trembler; s'il nous soutient, notre esprit sent bien en soi la puissance et la gloire du Seigneur... Je suis forcé de me vanter moi-même, quelque folie qu'il y ait en cela; saint Paul y fut bien contraint aussi (Cor. II, 11-16); je m'en abstiendrais volontiers, si je le pouvais en présence de ces esprits de mensonge.»
Immédiatement après la défaite des paysans, Mélanchton publia une petite histoire de Münzer[r60]. Il est inutile de dire que ce récit est singulièrement défavorable aux vaincus. L'auteur assure que Münzer, réfugié à Frankenhausen, se cacha dans un lit, et fit le malade, mais un cavalier le trouva, et son portefeuille le fit reconnaître...
«Quand on lui serra les menottes, il poussa des cris; à cette occasion le duc Georges s'avisa de lui dire: «Tu souffres, Thomas, mais ils ont souffert davantage aujourd'hui, les pauvres gens qu'on a tués, et c'est toi qui les avais poussés là.» «Ils ne l'ont pas voulu autrement,» répondit Thomas, en éclatant de rire, comme s'il eût été possédé du diable...»
Münzer avoua dans son interrogatoire qu'il songeait depuis long-temps à réformer la chrétienté, et que le soulèvement des paysans de la Souabe lui avait paru une occasion favorable.
«Il se montra très pusillanime au dernier moment. Il était tellement égaré, qu'il ne put réciter seul le Credo. Le duc Henri de Brunswick le lui dit et il le répéta.—Il avoua aussi publiquement qu'il avait eu tort; quant aux princes, il les exhorta à être moins durs envers les pauvres gens, et à lire les livres des Rois, disant que s'ils suivaient ses conseils ils n'auraient plus de semblables dangers à craindre. Après ce discours il fut décapité. Sa tête fut attachée à une pique, et resta exposée pour l'exemple.»
Il écrivit avant de mourir aux habitans de Mülhausen, pour leur recommander sa femme et les prier de ne point se venger sur elle. «Avant de quitter la terre, disait-il, il croyait devoir les exhorter instamment à renoncer à la révolte et à éviter toute nouvelle effusion de sang.»
De quelques atroces violences que se soient souillés Münzer et les paysans, on s'étonne de la dureté avec laquelle Luther parle de leur défaite[a63]. Il ne leur pardonne pas d'avoir compromis le nom de la Réforme... «O misérables esprits de troubles, où sont maintenant ces paroles par lesquelles vous excitiez et ameutiez les pauvres gens? Quand vous disiez qu'ils étaient le peuple de Dieu, que Dieu combattait pour eux, qu'un seul d'entre eux abattrait cent ennemis, qu'avec un chapeau ils en tueraient cinq de chaque coup, et que les pierres des arquebuses, au lieu de frapper devant, tourneraient contre ceux qui les auraient tirées? Où est maintenant Münzer avec cette manche dans laquelle il se faisait fort d'arrêter tout ce qu'on lancerait contre son peuple? Quel est maintenant ce Dieu qui pendant près d'une année a prophétisé par la bouche de Münzer?»
«Je crois que tous les paysans doivent périr plutôt que les princes et les magistrats, parce que les paysans prennent l'épée sans autorité divine... Nulle miséricorde, nulle tolérance n'est due aux paysans, mais l'indignation de Dieu et des hommes.» (30 mai 1525.)—«Les paysans, dit-il ailleurs, sont dans le ban de Dieu et de l'Empereur. On peut les traiter comme des chiens enragés.»—Dans une lettre du 21 juin, il énumère les horribles massacres qu'en ont faits les nobles, sans donner le moindre signe d'intérêt ou de pitié.
Luther montra plus de générosité à l'égard de son ennemi Carlostad. Celui-ci courait alors le plus grand danger. Il avait peine à se justifier d'avoir enseigné des doctrines analogues à celles de Münzer. Il revint à Wittemberg, s'humilia auprès de Luther. Celui-ci intercéda en sa faveur et obtint de l'Électeur que Carlostad pût, selon son désir, s'établir comme laboureur à Kemberg[a64].
«Le pauvre homme me fait beaucoup de peine, et votre Grâce sait qu'on doit être clément envers les malheureux, surtout quand ils sont innocens.» (12 septembre 1525.)
Le 22 novembre 1526, il écrit encore: «... Le docteur Carlostad m'a vivement prié d'intercéder auprès de votre Grâce pour qu'il lui fût accordé d'habiter la ville de Kemberg; la malice des paysans lui rend pénible le séjour d'un village. Or, comme il s'est tenu tranquille jusqu'à présent, et que d'ailleurs le prévôt de Kemberg le pourrait bien surveiller, je prie humblement votre Grâce électorale de lui accorder sa demande, quoique votre Grâce ait déjà fait beaucoup pour lui et qu'elle se soit même attiré à son sujet des soupçons et des calomnies. Mais Dieu vous le rendra d'autant plus abondamment. C'est à lui de songer au salut de son âme, cela le regarde: pour ce qui est du corps et de la subsistance, nous devons le bien traiter.»
«A tous les chers chrétiens qui le présent écrit verront, grâce et paix de Dieu notre père et de notre Seigneur Jésus-Christ. Le docteur Martin Luther[r61]. Le docteur Andréas Carlostad vient de m'envoyer un petit livre par lequel il se disculpe d'avoir été l'un des chefs des rebelles, et il me prie instamment de faire imprimer cet écrit pour sauver l'honneur de son nom et peut-être même sa vie qui se trouve en péril, par suite de la précipitation avec laquelle on jugerait les accusés. En effet le bruit court que l'on va procéder rapidement contre beaucoup de pauvres gens, et par pure colère exécuter les innocens avec les coupables, sans les avoir entendus ni convaincus; et je crains bien que les lâches tyrans, qui, auparavant, tremblaient au bruit d'une feuille, ne s'enhardissent maintenant à assouvir leur mauvais vouloir, jusqu'à ce que, au jour marqué, Dieu les jette bas, à leur tour.
»Or, quoique le docteur Carlostad soit mon plus grand ennemi dans des questions de doctrine, et qu'il n'y ait pas de réconciliation à espérer entre nous sur ces points, la confiance avec laquelle il s'adresse à moi dans ses alarmes, plutôt qu'à ses anciens amis qui l'animaient autrefois contre moi, cette confiance ne sera point trompée, et je lui rendrai volontiers ce service, ainsi que d'autres s'il y a lieu.»
Luther exprime l'espoir, que, par la grâce de Dieu, tout pourra encore bien tourner pour Carlostad, et qu'il finira par renoncer à ses erreurs touchant le sacrement[a65]. En même temps il se défend contre ceux qui croiraient qu'en faisant cette démarche, il cède en quoi que ce soit sur les points de doctrine. Quant à ceux qui l'accuseraient d'un excès de crédulité, il leur répond: «Qu'il ne lui convient ni à lui ni à personne de juger le cœur d'autrui. La charité n'est pas soupçonneuse, dit saint Paul, et ailleurs: La charité croit et confie tout.»
«Voici donc mon opinion: tant que le docteur Carlostad s'offre à se faire juger selon le droit, et à souffrir ce qui est juste au cas où il serait convaincu d'avoir pris part à la rébellion, je dois ajouter foi à son livre et à son dire, quoique moi-même auparavant je fusse disposé à le croire animé, lui et les siens, d'un esprit séditieux. Mais à présent je dois aider à ce qu'il obtienne l'enquête qu'il désire.»
Dans ce qui suit, Luther attribue, en grande partie, ce qui est arrivé à la violence avec laquelle les princes et les évêques se sont opposés à l'introduction religieuse. «De là parmi le peuple cette fureur qui naturellement ne cessera point avant que les tyrans ne soient dans la boue; car les choses ne peuvent durer quand un maître ne sait qu'inspirer la crainte, au lieu de se faire aimer.
»Non, laissons plutôt notre prêtraille et nos hobereaux, fermer l'oreille aux avertissemens; qu'ils aillent, qu'ils aillent, qu'ils continuent d'accuser l'Évangile du mal qu'ils ont mérité, qu'ils disent toujours: Je m'en moque. Tout-à-l'heure il en viendra un Autre qui leur répondra: «Je veux que dans quelque temps il ne reste sous le ciel ni prince ni évêque[a66].» Laissez-les donc faire; ils ne tarderont pas à trouver ce qu'ils cherchent depuis si long-temps; la chose est en train. Dieu veuille encore qu'ils se convertissent à temps! Amen.
»Je prie en conséquence les nobles et les évêques et tout le monde, de laisser se défendre le docteur Carlostad qui assure si solennellement pouvoir se justifier de toute rébellion, de peur que Dieu ne soit tenté davantage, et que la colère du peuple ne devienne plus violente et plus juste... Il n'a jamais menti Celui qui a promis d'entendre les cris des opprimés, et ce n'est non plus la puissance qui lui manque pour punir. Que Dieu nous accorde sa grâce. Amen.» (1525.)
«L'Allemagne est perdue, j'en ai peur[r62]. Il faut bien qu'elle périsse puisque les princes ne veulent employer que l'épée. Ah! ils croient qu'on peut ainsi arracher, poil à poil, la barbe du bon Dieu; il le leur rendra sur la face.» (1526.)
«L'esprit de ces tyrans est impuissant, lâche, étranger à toute pensée honnête. Ils sont dignes d'être les esclaves du peuple. Mais par la grâce de Christ, je suis assez vengé par le mépris que j'ai pour eux et pour Satan, leur dieu.» (Fin de décembre 1525.)