Chapitre 15 De la punition de la couardise.

J’ai entendu autrefois un prince et très grand capitaine déclarer qu’un soldat ne pouvait être condamné à mort pour lâcheté. C’est qu’on venait justement, étant à table, de lui faire le récit du procès du seigneur de Vervins, qui fut condamné à mort pour avoir livré Boulogne.

En vérité, il est juste qu’on fasse une grande différence en entre les fautes qui nous viennent de notre faiblesse et celles qui nous viennent de notre malignité.

C’est que, en effet, avec ces dernières, nous nous sommes opposés sciemment aux règles de la raison que la nature a mises en nous, et que pour les premières, il semble que nous puissions en appeler à la nature elle-même qui nous a mis dans cet état d’imperfection et de défaillance. C’est pourquoi beaucoup de gens ont pensé qu’on ne pouvait nous reprocher que ce que nous faisons contre notre conscience : et c’est sur cette règle que se fonde en partie l’opinion de ceux qui réprouvent les punitions capitales infligées aux hérétiques et aux mécréants, et celle qui établit qu’un avocat et un juge ne puissent être incriminés de ce que, par ignorance, ils ont failli à leur charge. Mais pour la couardise, il est certain que l’attitude la plus commune est de la châtier par la honte et l’ignominie. On dit que cette règle a été instituée par le législateur Charondas, et qu’avant lui, les lois de la Grèce punissaient de mort ceux qui s’étaient enfuis lors d’une bataille ; il ordonna seulement, quant à lui, qu’ils fussent exposés trois jours durant sur la place publique, vêtus de robes de femme. Et il espérait que leur ayant fait retrouver leur courage par ce traitement honteux, ils pourraient de nouveau être utiles.

Songe plutôt à faire monter le sang au visage d’un homme qu’à le répandre.

[Tertullien, Apologétique]

Il semble aussi que les lois romaines punissaient autrefois de mort celui qui avait fui, car Ammien Marcellin dit que l’empereur Julien condamna dix soldats, qui avaient tourné le dos à une charge contre les Parthes, à être dégradés, puis à être mis à mort suivant, dit-il, les lois anciennes. Et pourtant, ailleurs, pour une faute semblable, il en condamne d’autres seulement à se tenir parmi les prisonniers et y être considérés comme de simples bagages. La sévère condamnation du peuple romain contre les soldats qui s’étaient échappés de la bataille de Cannes, et dans la même guerre, contre ceux qui accompagnèrent Cn. Fulvius dans la défaite, n’alla pas jusqu’à la mort. On peut pourtant craindre que la honte ne les désespère et les rende non seulement indifférents, mais ennemis. Du temps de nos pères, le seigneur de Franget, jadis Lieutenant de la compagnie de Monsieur le Maréchal de Chastillon, ayant été nommé Gouverneur de Fontarabie au lieu de Monsieur du Lude par Monsieur le Maréchal de Chabannes, et ayant rendu cette place aux Espagnols, fut condamné à être dégradé de noblesse, tant lui-même que sa postérité, déclaré roturier, soumis à l’impôt de la taille et il lui fut interdit de porter les armes. Cette terrible sentence fut exécutée à Lyon. Depuis ce temps-là, la même punition fut appliquée à tous les gentilshommes qui se trouvèrent dans Guise lorsque le Comte de Nassau y entra, et d’autres encore. Toutefois, dans le cas d’une ignorance ou couardise si apparente et si grossière qu’elle surpasse toutes les autres, ce serait justice de la considérer comme une preuve de méchanceté et de malignité et de la châtier comme telle.

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