PRONONCÉ LE 24 JANVIER 1728.
MONSIEUR,
MESSIEURS,
En m’accordant la place de M. de Sacy, vous avez moins appris au public ce que je suis que ce que je dois être.
Vous n’avez pas voulu me comparer à lui, mais me le donner pour modèle 1 .
Fait pour la société, il était aimable, il y était utile : il mettait la douceur dans les manières, et la sévérité dans les mœurs.
Il joignait à un beau génie une âme plus belle encore : les qualités de l’esprit n’étaient chez lui que dans le second ordre ; elles ornaient le mérite, mais ne le faisaient pas.
Il écrivait pour instruire ; et, en instruisant, il se faisait toujours aimer. Tout respire dans ses ouvrages la candeur et la probité ; le bon naturel s’y fait sentir : le grand homme ne s’y montre jamais qu’avec l’honnête homme.
Il suivait la vertu par un penchant naturel, et il s’y attachait encore par ses réflexions. Il jugeait qu’ayant écrit sur la morale, il devait être plus difficile qu’un autre sur ses devoirs ; qu’il n’y avait point pour lui de dispenses, puisqu’il avait donné les règles ; qu’il serait ridicule qu’il n’eût pas la force de faire des choses dont il avait cru tous les hommes capables ; qu’il abandonnât ses propres maximes, et que dans chaque action il eût en même temps à rougir de ce qu’il aurait fait et de ce qu’il aurait dit.
Avec quelle noblesse n’exerçait-il pas sa profession 2 ? Tous ceux qui avaient besoin de lui devenaient ses amis. Il ne trouvait presque pour récompense, à la fin de chaque jour, que quelques bonnes actions de plus. Toujours moins riche, et toujours plus désintéressé, il n’a presque laissé à ses enfants que l’honneur d’avoir eu un si illustre père.
Vous aimez, messieurs, les hommes vertueux ; vous ne faites grâce au plus beau génie d’aucune qualité du cœur ; et vous regardez les talents sans la vertu comme des présents funestes, uniquement propres à donner de la force, ou un plus grand jour, à nos vices.
Et par là vous êtes bien dignes de ces grands protecteurs 3 [protectecteurs]qui vous ont confié leur gloire, qui ont voulu aller à la postérité, mais qui ont voulu y aller avec vous.
Bien des orateurs et les poëtes les ont célébrés : mais il n’y a que vous qui ayez été établis pour leur rendre, pour ainsi dire, un culte réglé.
Pleins de zèle et d’admiration pour ces grands hommes, vous les rappelez sans cesse à notre mémoire. Effet surprenant de l’art ? vos chants sont continuels, et ils nous paraissent toujours nouveaux.
Vous nous étonnez toujours quand vous célébrez ce grand ministre 4 qui tira du chaos les règles de la monarchie ; qui apprit à la France le secret de ses forces, à l’Espagne celui de sa faiblesse, ôta à l’Allemagne ses chaînes, lui en donna de nouvelles, brisa tour à tour toutes les puissances, et destina, pour ainsi dire, Louis-le-Grand aux grandes choses qu’il fit depuis.
Vous ne vous ressemblez jamais dans les éloges que vous faites de ce chancelier 5 qui n’abusa ni de la confiance des rois, ni de la confiance des peuples, et qui, dans l’exercice de la magistrature, fut sans passion, comme les lois qui absolvent et qui punissent sans aimer ni haïr.
Mais l’on aime surtout à vous voir travailler à l’envi au portrait de Louis-le-Grand, ce portrait toujours commencé et jamais fini, tous les jours plus avancé et tous les jours plus difficile.
Nous concevons à peine le règne merveilleux que vous chantez. Quand vous nous faites voir les sciences partout encouragées, les arts protégés, les belles-lettres cultivées, nous croyons vous entendre parler d’un règne paisible et tranquille. Quand vous chantez les guerres et les victoires, il semble que vous nous racontiez l’histoire de quelque peuple sorti du nord pour changer la face de la terre. Ici nous voyons le roi, là le héros. C’est ainsi qu’un fleuve majestueux va se changer en un torrent qui renverse tout ce qui s’oppose à son passage : c’est ainsi que le ciel parait au laboureur pur et serein, tandis que dans la contrée voisine il se couvre de feux, d’éclairs et de tonnerres.
Vous m’avez, messieurs, associé à vos travaux ; vous m’avez élevé jusqu’à vous, et je vous rends grâces de ce qu’il m’est permis de vous connaitre mieux, et de vous admirer de plus près.
Je vous rends grâces de ce que vous m’avez donné un droit particulier d’écrire la vie et les actions de notre jeune monarque. Puisse-t-il aimer à entendre les éloges que l’on donne aux princes pacifiques ! Que le pouvoir immense que Dieu a mis entre ses mains soit le gage du bonheur de tous ? Que toute la terre repose sous son trône ! Qu’il soit le roi d’une nation, et le protecteur de toutes les autres ! Que tous les peuples l’aiment, que ses sujets l’adorent, et qu’il n’y ait pas un seul homme dans l’univers qui s’afflige de son bonheur, et craigne ses prospérités ! Périssent enfin ces jalousies fatales qui rendent les hommes ennemis des hommes ! Que le sang humain, ce sang qui souille toujours la terre, soit épargné, et que, pour parvenir à ce grand objet, ce ministre 6 nécessaire au monde, ce ministre tel que le peuple français aurait pu le demander au ciel, ne cesse de donner ces conseils qui vont au cœur du prince, toujours prêt à faire le bien qu’on lui propose, ou à réparer le mal qu’il n’a point fait, et que le temps a produit !
Louis nous a fait voir que, comme les peuples sont soumis aux lois, les princes le sont à leur parole sacrée ; que les grands rois, qui ne sauraient être liés par une autre puissance, le sont invinciblement par les chaînes qu’ils se sont faites, comme le Dieu qu’ils représentent, qui est toujours indépendant, et toujours fidèle dans ses promesses.
Que de vertus nous présage une foi si religieusement gardée ! Ce sera le destin de la France, qu’après avoir été agitée sous les Valois, affermie sous Henri, agrandie sous son successeur, victorieuse ou indomptable sous Louis-le-Grand, elle sera entièrement heureuse sous le règne de celui qui ne sera point forcé à vaincre et qui mettra toute sa gloire à gouverner.
1 Mathieu Marais, nous a laissé un portrait de M. de Sacy, qui pour être moins académique n’en est peut être que plus vrai. Il écrit au président Bouhier, le 2 novembre 1727. « Vous allez être occupé à une élection à l’Académie, M. de Sacy est mort ; sa traduction de Pline (le jeune) est excellente ; mais ce qu’il a produit de son fonds n’est pas si bon, et son traité de l’Amitié fut terriblement critiqué dans le Journal des Savants, lorsqu’il parût ; et on m’a dit qu’il s’en est vengé dans un discours sur la mort du président Cousin, auteur du journal. M. Despréaux ne pouvait souffrir cette amitié toute paienne, et où il n’y a pas un mot de christianisme. A l’égard de ses Mémoires et factums, il s’en faut bien que tout soit égal ; le médiocre est bien proche du bon, et la précision n’était pas son amie. » Marais, Mémoires, t. III, p. 401.
2 M. de Sacy était avocat au Parlement.
3 Le cardinal de Richelieu et le chancelier Séguier.
4 Richelieu. (M.)
5 Séguier. (M.)
6 Le cardinal de Fleury. (M.)