DE LA CONSIDÉRATION DE LA SITUATION MEILLEURE.

Dans la plupart des jeux folâtres, la source la plus commune de nos plaisirs vient de ce que, par de certains petits accidents, nous voyons quelqu’un dans un embarras où nous ne sommes pas, comme si quelqu’un tombe, s’il ne peut échapper, s’il ne peut suivre ; de même, dans les comédies, nous avons du plaisir de voir un homme dans une erreur où nous ne sommes pas.

Lorsque nous voyons faire une chute à quelqu’un, nous nous persuadons qu’il a plus de peur qu’il n’en doit avoir, et cela nous divertit ; de même, dans les comédies, nous prenons plaisir à voir un homme plus embarrassé qu’il ne devrait l’être. Comme lorsqu’un homme grave fait quelque chose de ridicule, ou se trouve dans une position que nous sentons n’être pas d’accord avec sa gravité, cela nous divertit : de même, dans nos comédies, quand un vieillard est trompé, nous avons du plaisir à voir que sa prudence et son expérience sont les dupes de son amour et de son avarice.

Mais lorsqu’un enfant tombe, au lieu d’en rire nous en avons pitié, parce que ce n’est pas proprement sa faute, mais celle de sa faiblesse ; de même lorsqu’un jeune homme, aveuglé par sa passion, a fait la folie d’épouser une personne qu’il aime, et en est puni par son père, nous sommes affligés de le voir devenir malheureux pour avoir suivi un penchant naturel, et avoir plié à la faiblesse de la condition humaine.

Enfin comme, lorsqu’une femme tombe, toutes les circonstances qui peuvent augmenter son embarras augmentent notre plaisir, de même, dans les comédies, nous nous divertissons de tout ce qui peut augmenter l’embarras de certains personnages.

Tous ces plaisirs sont fondés, ou sur notre malignité naturelle, ou sur l’aversion que nous donne pour de certains personnages l’intérêt que nous prenons pour d’autres.

Le grand art de la comédie consiste donc à bien ménager et cette affection et cette aversion, de façon que nous ne nous démentions pas d’un bout de la pièce à l’autre, et que nous n’ayions point du dégoût ou du regret d’avoir aimé ou haï, Car on ne peut guère souffrir qu’un caractère odieux devienne intéressant que lorsqu’il y a raison pour cela dans le caractère même, et qu’il s’agit de quelque grande action qui nous surprend, et qui peut servir au dénoûrnent de la pièce.

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