NOTE SUR L’OUVRAGE INÉDIT DE MONTESQUIEU INTITULÉ SUR LES FINANCES DE L’ESPAGNE 1 .

Plusieurs manuscrits de Montesquieu ont passé en Angleterre ; nous croyons qu’il ne serait pas impossible d’en retrouver la trace ; mais il en est aussi qui sont restés en France.

Aimé Martin, possesseur d’un d’eux, en laissa faire l’analyse.

Ce manuscrit formait un cahier de quarante-quatre pages, composé de cinq mémoires : l’un d’eux résume les autres ; il est écrit avec plus de soin, et intitulé : Sur les finances de l’Espagne. Une note en marge indique que ce travail, entrepris vingt ans avant l’Esprit des Lois, a été abandonné 2 .

Ce n’est qu’une ébauche et voici en quels termes elle débute :

« Il existe deux genres de richesse : la richesse réelle, la richesse de fiction ; la première tient à la terre, à l’industrie, à la production ; elle se détruit et se renouvelle sans cesse ; la seconde, celle de l’argent, ne se détruit pas ; et, comme chaque jour elle augmente dans sa représentation, elle va sans cesse en se détériorant dans sa valeur réelle. Lors de la découverte des Indes, l’Espagne fut trouvée riche, parce que l’or et l’argent étaient rares, que ces métaux avaient été dénaturés, altérés, cachés, lors des invasions du nord, et parce que la petite quantité d’espèces métalliques qui existaient servait à faire des échanges contre des marchandises.

« L’Espagne, se trouvant tout à coup en possession d’une plus grande quantité d’or et d’argent, a été un moment riche ; mais la multiplication du numéraire a fait hausser le prix des objets d’échange, et la production d’argent a suivi à peine ce renchérissement. Mais la main-d’œuvre a augmenté dans la même proportion ; le prix de transport de ces métaux précieux a doublé, triplé, quadruplé ; et pareille quantité d’or et d’argent a bientôt coûté, pour l’extraction, le travail et le transport, deux, trois, quatre fois plus qu’au début de la possession, et a représenté dans les échanges une valeur graduellement décroissante, à mesure que le numéraire métallique se multipliait. »

Là, revient cette distinction de la richesse réelle qui vient de la production et de la richesse de fiction, celle de l’argent qui n’est qu’une image, qu’une convention, mais qui n’est pas une utilité directe. Or, cette valeur en quelque sorte nominale, les banques que les Hollandais établirent lui firent une sérieuse concurrence, puisque le crédit représentait aussi bien des valeurs de production que le numéraire.

Montesquieu même essaye d’estimer en chiffres la détérioration croissante du numéraire par les causes énoncées précédemment ; et il trouve que le renchérissement des valeurs réelles et les frais plus grands d’exploitation ont abaissé de 100 à 60, puis à 40, puis à 30, etc., le prix des métaux venus du Mexique et du Pérou.

Et puis l’Espagne était trop éloignée des Indes ! Dans les rapports où se trouvaient ces deux empires, l’Amérique qui produisait, était le principal, et l’Espagne qui consommait,était un État accessoire ; dans l’ordre des choses, c’est l’Espagne qui aurait dû être une colonie de l’Amérique.

A la suite de considérations assez étendues sur ce même sujet, Montesquieu a placé quelques aphorismes.

« Il n’est pas bon que la richesse d’un prince lui vienne immédiatement et par voie accidentelle ; elle doit lui arriver par la voie des impôts, qui doivent toujours être l’expression de l’aisance des sujets. »

Montesquieu finit par comparer le sol producteur de la France avec le sol consommateur de l’Espagne, et termine ainsi : « Jouissons donc de notre terre et de notre soleil, nos richesses en seront plus solides, parce qu’une abondance toujours nouvelle viendra satisfaire des besoins toujours nouveaux. »

Montesquieu s’attachait aussi à déterminer quelle était l’importance de la production totale, en numéraire, qu’on avait obtenue du nouveau monde depuis l’époque où les mines entrèrent en rapport.

1 Extrait d’un discours prononcé, le 2 décembre 1817, par M. G. Brunet, président de l’Académie de Bordeaux.

2 Voyez la note 1 au chapitre XXII, livre XXI, de l’Esprit des Lois. Le manuscrit d’Aimé Martin parait être l’original ou la copie de l’imprimé dont parle Walckenaer.

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