A Rome 1 , il était permis à un citoyen d’en accuser un autre. Cela était établi selon l’esprit de la république, où chaque citoyen doit avoir pour le bien public un zèle sans bornes ; où chaque citoyen est censé tenir tous les droits de la patrie dans ses mains 2 . On suivit, sous les empereurs, les maximes de la république ; et d’abord on vit paraître un genre d’hommes funestes, une troupe de délateurs. Quiconque avait bien des vices et bien des talents, une âme bien basse et un esprit ambitieux, cherchait un criminel dont la condamnation pût plaire au prince ; c’était la voie pour aller aux honneurs et à la fortune 3 , chose que nous ne voyons point parmi nous.
Nous avons aujourd’hui une loi admirable : c’est celle qui veut que le prince, établi pour faire exécuter les lois, prépose un officier dans chaque tribunal 4 : pour poursuivre, en son nom, tous les crimes : de sorte que la fonction des délateurs est inconnue parmi nous ; et, si ce vengeur public était soupçonné d’abuser de son ministère, on l’obligerait de nommer son dénonciateur 5 .
Dans les lois de Platon 6 , ceux qui négligent d’avertir les magistrats, ou de leur donner du secours, doivent être punis. Cela ne conviendrait point aujourd’hui. La partie publique veille pour les citoyens ; elle agit, et ils sont tranquilles 7 .
1 Et dans bien d’autres cités. (M.)
2 « Le droit d’accuser ouvre une issue aux humeurs qui naissent dans une ville contre chaque citoyen. » Machiavel, Discours sur Tile-Live, liv. I, chap. VII.
3 Voyez, dans Tacite, les récompenses accordées à ces délateurs. Ann., liv. IV, c. XXX. (M.)
4 Le procureur général et le procureur du roi.
5 V. Benjamin Constant, Comment. sur Filangieri, IIIe partie, chap. I.
6 Liv. IX. (M.)
7 L’accusation remise aux mains des citoyens suppose une société toute différente de la nôtre. Nous n’avons pas le loisir des citoyens d’Athènes ou de Rome, et il est douteux qu’on courût les hasards d’une poursuite si on n’y avait point un intérêt particulier et souvent peu avouable. Si l’esprit de la république veut que chaque citoyen ait pour le bien public un zèle sans bornes, la nature du cœur humain, plus infaillible dans son action que l’esprit du gouvernement civil, exige que chaque homme ait un zèle de préférence et sans bornes pour l’intérêt de ses passions. Ainsi l’institution de la liberté des accusations, au lieu de favoriser le bien public, excite et favorise d’abord l’intérêt des passions particulières. (SERVAN.)
Cependant l’exemple de l’Angleterre prouve que, dans un pays libre, on peut permettre certaines accusations publiques, ne fût-ce que pour prévenir la faiblesse ou la connivence du pouvoir. Sur ce point, il y a peut-être quelque chose à prendre des anciens.