Parce que les hommes sont méchants, la loi est obligée de les supposer meilleurs qu’ils ne sont. Ainsi la déposition de deux témoins suffit dans la punition de tous les crimes. La loi les croit, comme s’ils parlaient par la bouche de la vérité. L’on juge aussi que tout enfant, conçu pendant le mariage, est légitime ; la loi a confiance en la mère comme si elle était la pudicité même. Mais la question, contre les criminels n’est pas dans un cas forcé comme ceux-ci. Nous voyons aujourd’hui une nation 1 très-bien policée la rejeter sans inconvénient. Elle n’est donc pas nécessaire par sa nature 2 .
Tant d’habiles gens et tant de beaux génies ont écrit contre cette pratique b , que je n’ose parler après eux 3 . J’allais dire qu’elle pourrait convenir dans les gouvernements despotiques, où tout ce qui inspire la crainte entre plus dans les ressorts du gouvernement ; j’allais dire que les esclaves chez les Grecs et chez les Romains... Mais j’entends la voix de la nature qui crie contre moi.
a A. B. De la question ou torture, etc.
1 La nation anglaise. (M.)
2 Les citoyens d’Athènes ne pouvaient être mis à la question (Lysias, Orat. in Argorat.), excepté dans le crime de lèse-majesté. On donnait la question trente jours après la condamnation. (Curius Fortunatus, Rhetor, scol., liv. II.) Il n’y avait pas de question préparatoire. Quant aux Romains, la loi 3 et 4 ad leg. Juliam majest. fait voir que la naissance, la dignité, la profession de la milice garantissaient de la question, si ce n’est dans le cas de crime de lèse-majesté. Voyez les sages restrictions que les lois des Wisigoths mettaient à cette pratique. (M.)
b A. B. Ont écrit contre l’usage de la torture, que, etc. La correction est faite dans l’édition de 1751.
3 Augustin Nicolas, conseiller au parlement de Besançon, doit être cité au premier rang. Son petit livre intitulé : Si la torture est un moyen sûr à vérifier les crimes secrets, publié en 1681, est un de nos meilleurs écrits de jurisprudence criminelle. Parmi les adversaires de la torture, il faut également citer Ayrault, notre grand criminaliste.