Tout est perdu lorsque la profession lucrative des traitants parvient encore par ses richesses à être une profession honorée. Cela peut être bon dans les États despotiques, où souvent leur emploi est une partie des fonctions des gouverneurs eux-mêmes. Cela n’est pas bon dans la république ; et une chose pareille détruisit la république romaine. Cela n’est pas meilleur dans la monarchie ; rien n’est plus contraire à l’esprit de ce gouvernement. Un dégoût saisit tous les autres états ; l’honneur y perd toute sa considération, les moyens lents et naturels de se distinguer ne touchent plus, et le gouvernement est frappé dans son principe.
On vit bien, dans les temps passés, des fortunes scandaleuses ; c’était une des calamités des guerres de cinquante ans : mais pour lors, ces richesses furent regardées comme ridicules, et nous les admirons 1 .
Il y a un lot pour chaque profession. Le lot de ceux qui lèvent les tributs est les richesses, et les récompenses de ces richesses sont les richesses mêmes. La gloire et l’honneur sont pour cette noblesse qui ne connaît, qui ne voit, qui ne sent de vrai bien que l’honneur et la gloire. Le respect et la considération sont pour ces ministres et ces magistrats qui, ne trouvant que le travail après le travail, veillent nuit et jour pour le bonheur de l’empire.
1 Ces réflexions ne furent pas du goût des traitants. Ils s’en plaignirent à l’apparition de l’Esprit des lois. On en peut juger par ce passage d’une lettre écrite en 1749 par Montesquieu à son ami le chevalier d’Aydies :
« Mon cher chevalier, pourquoi les gens d’affaires se croient-ils attaqués ? J’ai dit que les chevaliers, à Rome, qui faisaient beaucoup mieux leurs affaires que vous autres chevaliers ne faites ici les vôtres, avaient perdu cette république, et je ne l’ai pas dit, mais je l’ai démontré. Pourquoi prennent-ils là-dedans une part que je ne leur donne pas. »
N’en déplaise à Montesquieu, les traitants se sentaient touchés et ils n’avaient pas tort.