CHAPITRE XIII. EFFETS QUI RÉSULTENT DU CLIMAT D’ANGLETERRE a .

Dans une nation à qui une maladie du climat affecte tellement l’âme, qu’elle pourrait porter le dégoût de toutes choses jusqu’à celui de la vie, on voit bien que le gouvernement qui conviendrait le mieux à des gens à qui tout serait insupportable, serait celui où ils ne pourraient pas se prendre à un seul de ce qui causerait leurs chagrins ; et où les lois gouvernant plutôt que les hommes, il faudrait, pour changer l’État, les renverser elles-mêmes.

Que si la même nation avait encore reçu du climat un certain caractère d’impatience qui ne lui permît pas de souffrir longtemps les mêmes choses, on voit bien que le gouvernement dont nous venons de parler serait encore le plus convenable 1 .

Ce caractère d’impatience n’est pas grand par lui-même ; mais il peut le devenir beaucoup, quand il est joint avec le courage.

Il est différent de la légèreté, qui fait que l’on entreprend sans sujet, et que l’on abandonne de même. Il approche plus de l’opiniâtreté, parce qu’il vient d’un sentiment des maux, si vif, qu’il ne s’affaiblit pas même par l’habitude de les souffrir.

Ce caractère, dans une nation libre, serait très-propre à déconcerter les projets de la tyrannie 2 , qui est toujours lente et faible dans ses commencements, comme elle est prompte et vive dans sa fin ; qui ne montre d’abord qu’une main pour secourir, et opprime ensuite avec une infinité de bras.

La servitude commence toujours par le sommeil. Mais un peuple qui n’a de repos dans aucune situation, qui se tâte sans cesse, et trouve tous les endroits douloureux, ne pourrait guère s’endormir.

La politique est une lime sourde, qui use et qui parvient lentement à sa fin. Or les hommes dont nous venons de parler ne pourraient soutenir les lenteurs, les détails, le sang-froid des négociations ; ils y réussiraient souvent moins que toute autre nation ; et ils perdraient, par leurs traités, ce qu’ils auraient obtenu par leurs armes 3 .

a A. Effets d’un certain climat.

1 L’impatience n’est guère le défaut qu’on reproche aux Anglais d’aujourd’hui.

2 Je prends ici ce mot pour le dessein de renverser le pouvoir établi, et surtout la démocratie. C’est la signification que lui donnaient les Grecs et les Romains. (M.)

3 C’était au dernier siècle la prétention des Anglais que, dans les négociations et les traités, ils étaient toujours dupes de leur simplicité. Ils se sont corrigés de cette faiblesse, si elle a jamais existé.

Share on Twitter Share on Facebook