CHAPITRE XI. DES OPÉRATIONS QUE LES ROMAINS FIRENT SUR LES MONNAIES.

Quelques coups d’autorité que l’on ait faits de nos jours en France sur les monnaies dans deux ministères consécutifs, les Romains en firent de plus grands, non pas dans le temps de cette république corrompue, ni dans celui de cette république qui n’était qu’une anarchie ; mais lorsque, dans la force de son institution, par sa sagesse comme par son courage, après avoir vaincu les villes d’Italie, elle disputait l’empire aux Carthaginois.

Et je suis bien aise d’approfondir un peu cette matière, afin qu’on ne fasse pas un exemple de ce qui n’en est point un.

Dans la première guerre punique 1 , l’as, qui devait être de douze onces de cuivre, n’en pesa plus que deux ; et dans la seconde, il ne fut plus que d’une. Ce retranchement répond à ce que nous appelons aujourd’hui augmentation des monnaies. Oter d’un écu de six livres la moitié de l’argent pour en faire deux, ou le faire valoir douze livres, c’est précisément la même chose.

Il ne nous reste point de monument de la manière dont les Romains firent leur opération dans la première guerre punique ; mais ce qu’ils firent dans la seconde nous marque une sagesse admirable. La république ne se trouvait point en état d’acquitter ses dettes ; l’as pesait deux onces de cuivre ; et le denier, valant dix as, valait vingt onces de cuivre. La république fit des as d’une once de cuivre 2  ; elle gagna la moitié sur ses créanciers 3  ; elle paya un denier avec ces dix onces de cuivre. Cette opération donna une grande secousse à l’État ; il fallait la donner la moindre qu’il était possible ; elle contenait une injustice, il fallait qu’elle fût la moindre qu’il était possible. Elle avait pour objet la libération de la république envers ses citoyens, il ne fallait pas qu’elle eût celui de la libération des citoyens entre eux. Cela fit faire une seconde opération ; et l’on ordonna que le denier, qui n’avait été jusque-là que de dix as, en contiendrait seize. Il résulta de cette double opération que, pendant que les créanciers de la république perdaient la moitié 4 , ceux des particuliers ne perdaient qu’un cinquième 5  ; les marchandises n’augmentaient que d’un cinquième ; le changement réel dans la monnaie n’était que d’un cinquième : on voit les autres conséquences.

Les Romains se conduisirent donc mieux que nous, qui, dans nos opérations, avons enveloppé et les fortunes publiques et les fortunes particulières. Ce n’est pas tout : on va voir qu’ils les firent a dans des circonstances plus favorables que nous.

1 Pline, Hist. nat., liv. XXXIII, art. 13. (M.)

2 Pline, Hist. nat., liv. XXXIII, art. 13. (M.)

3 C’est-à-dire elle fit faillite de cinquante pour cent.

4 Ils recevaient dix onces de cuivre pour vingt. (M.)

5 Ils recevaient seize onces de cuivre pour vingt. (M.)

a A. B. Ce n’est pas tout ; ils les firent, etc.

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