Anciennement en France il n’y avait point de condamnation de dépens en cour laie 1 . La partie qui succombait était assez punie par des condamnations d’amende envers le seigneur et ses pairs. La manière de procéder par le combat judiciaire faisait que, dans les crimes, la partie qui succombait, et qui perdait la vie et les biens, était punie autant qu’elle pouvait l’être ; et, dans les autres cas du combat judiciaire, il y avait des amendes quelquefois fixes, quelquefois dépendantes de la volonté du seigneur, qui faisaient assez craindre les événements des procès. Il en était de même dans les affaires qui ne se décidaient que par le combat. Comme c’était le seigneur qui avait les profits principaux, c’était lui aussi qui faisait les principales dépenses, soit pour assembler ses pairs, soit pour les mettre en état de procéder au jugement. D’ailleurs, les affaires finissant sur le lieu même, et toujours presque sur le champ, et sans ce nombre infini d’écritures qu’on vit depuis, il n’était pas nécessaire de donner des dépens aux parties.
C’est l’usage des appels qui doit naturellement introduire celui de donner des dépens. Aussi Défontaines 2 dit-il que, lorsqu’on appelait par loi écrite, c’est-à-dire, quand on suivait les nouvelles lois de saint Louis, on donnait des dépens ; mais que, dans l’usage ordinaire, qui ne permettait point d’appeler sans fausser, il n’y en avait point ; on n’obtenait qu’une amende, et la possession d’an et jour de la chose contestée, si l’affaire était renvoyée au seigneur.
Mais, lorsque de nouvelles facilités d’appeler augmentèrent le nombre des appels 3 ; que, par le fréquent usage de ces appels d’un tribunal à un autre, les parties furent sans cesse transportées hors du lieu de leur séjour ; quand l’art nouveau de la procédure multiplia et éternisa les procès ; lorsque la science d’éluder les demandes les plus justes se fut raffinée ; quand un plaideur sut fuir, uniquement pour se faire suivre ; lorsque la demande fut ruineuse, et la défense tranquille ; que les raisons se perdirent dans des volumes de paroles et d’écrits ; que tout fut plein de suppôts de justice qui ne devaient point rendre la justice ; que la mauvaise foi trouva des conseils, là où elle ne trouva pas des appuis ; il fallut bien arrêter les plaideurs par la crainte des dépens. Ils durent les payer pour la décision, et pour les moyens qu’ils avaient employés pour l’éluder. Charles le Bel fit là-dessus une ordonnance générale 4 .
1 Défont., dans son Conseil, ch. XXII, art. 3 et 8 ; et Beaum., ch. XXXIII Établissements, liv. I, ch. XC. (M.)
2 Ch. XXII, art. 8. (M.)
3 A présent que l’on est si enclin à appeler, dit Boutillier, Somme rurale. liv. I, tit. III, Ed. de Paris, 1621, p. 16. (M.)
4 En 1324. (M.)