CHAPITRE XXXVI. DE LA PARTIE PUBLIQUE.

Comme, par les lois saliques et ripuaires, et par les autres lois des peuples barbares, les peines des crimes étaient pécuniaires, il n’y avait point pour lors, comme aujourd’hui parmi nous, de partie publique qui fût chargée de la poursuite des crimes. En effet, tout se réduisait en réparations de dommages ; toute poursuite était, en quelque façon, civile, et chaque particulier pouvait la faire. D’un autre côté, le droit romain avait des formes populaires pour la poursuite des crimes, qui ne pouvaient s’accorder avec le ministère d’une partie publique.

L’usage des combats judiciaires ne répugnait pas moins à cette idée ; car, qui aurait voulu être la partie publique, et se faire champion de tous contre tous ?

Je trouve, dans un recueil de formules que M. Muratori a insérées dans les lois des Lombards, qu’il y avait dans la seconde race, un avoué de la partie publique 1 . Mais si on lit le recueil entier de ces formules, on verra qu’il y avait une différence totale entre ces officiers, et ce que nous appelons aujourd’hui la partie publique, nos procureurs généraux, nos procureurs du roi ou des seigneurs. Les premiers étaient plutôt les agents du public pour la manutention politique et domestique, que pour la manutention civile. En effet, on ne voit point dans ces formules qu’ils fussent chargés de la poursuite des crimes et des affaires qui concernaient les mineurs, les églises, ou l’état des personnes.

J’ai dit que l’établissement d’une partie publique répugnait à l’usage du combat judiciaire. Je trouve pourtant dans une de ces formules un avoué de la partie publique qui a la liberté de combattre. M. Muratori l’a mise à la suite de la constitution de Henri I 2 pour laquelle elle a été faite. Il est dit dans cette constitution, que « si quelqu’un tue son père, son frère, son neveu, ou quelque autre de ses parents, il perdra leur succession, qui passera aux autres parents, et que la sienne propre appartiendra au fisc ». Or, c’est pour la poursuite de cette succession dévolue au fisc, que l’avoué de la partie publique, qui en soutenait les droits, avait la liberté de combattre : ce cas rentrait dans la règle générale.

Nous voyons dans ces formules l’avoué de la partie publique agir contre celui qui avait pris un voleur 3 , et ne l’avait pas mené au comte ; contre celui 4 qui avait fait un soulèvement ou une assemblée contre le comte ; contre celui 5 qui avait sauvé la vie à un homme que le comte lui avait donné pour le faire mourir ; contre l’avoué des églises 6 , à qui le comte avait ordonné de lui présenter un voleur, et qui n’avait point obéi ; contre celui 7 qui avait révélé le secret du roi aux étrangers ; contre celui 8 qui, à main armée, avait poursuivi l’envoyé de l’empereur ; contre celui 9 qui avait méprisé les lettres de l’empereur, et il était poursuivi par l’avoué de l’empereur, ou par l’empereur lui-même ; contre celui 10 qui n’avait pas voulu recevoir la monnaie du prince ; enfin, cet avoué demandait les choses que la loi adjugeait au fisc 11 .

Mais dans la poursuite des crimes on ne voit point d’avoué de la partie publique ; même quand on emploie les duels 12  ; même quand il s’agit d’incendie 13  ; même lorsque le juge est tué 14 sur son tribunal ; même lorsqu’il s’agit de l’état des personnes 15 , de la liberté et de la servitude 16 .

Ces formules sont faites, non-seulement pour les lois des Lombards, mais pour les capitulaires ajoutés : ainsi il ne faut pas douter que, sur cette matière, elles ne nous donnent la pratique de la seconde race.

Il est clair que ces avoués de la partie publique durent s’éteindre avec la seconde race, comme les envoyés du roi dans les provinces 17  ; par la raison qu’il n’y eut plus de loi générale, ni de fisc général ; et par la raison qu’il n’y eut plus de comte dans les provinces pour tenir les plaids ; et par conséquent plus de ces sortes d’officiers, dont la principale fonction était de maintenir l’autorité du comte a .

L’usage des combats, devenu plus fréquent dans la troisième race, ne permit pas d’établir une partie publique. Aussi Boutillier, dans sa Somme rurale, parlant des officiers de justice, ne cite-t-il que les baillis, hommes féodaux et sergents. Voyez les Établissements 18 , et Beaumanoir 19 sur la manière dont on faisait les poursuites dans ces temps-là b .

Je trouve dans les lois 20 de Jacques II, roi de Majorque, une création de l’emploi de procureur du roi 21 , avec les fonctions qu’ont aujourd’hui les nôtres. Il est visible qu’ils ne vinrent qu’après que la forme judiciaire eut changé parmi nous.

1 Advocatus de parte publica. (M.)

2 Voyez cette constitution et cette formule dans le second volume des Historiens d’Italie, p. 175. (M.)

3 Recueil de Muratori, p. 104, sur la loi 88 de Charlemagne, liv. I, tit. XXVI, § 78. (M.)

4 Autre formule, ibid., p. 87. (M.)

5 Ibid., p. 104. (M.)

6 Ibid., p 95. (M.) Refus de livrer un voleur, réfugié au pied des autels.

7 Ibid., p. 88. (M.)

8 Ibid., p. 98. (M.)

9 Ibid.. p. 132. (M.)

10 Formule, p. 132. (M.) Crime excusable, car c’était la fausse monnaie du prince qu’on refusait.

11 Ibid., p. 137. (M.)

12 Ibid., p. 147. (M.)

13 Ibid. (M.)

14 Ibid., p. 168. (M.)

15 Ibid., p. 134. (M.)

16 Ibid.. p. 107. (M.)

17 Sup. XXVIII, IX.

a Ce paragraphe n’est point dans A. B.

18 Liv. I, ch. I ; et liv. II, ch. XI et XIII. (M.)

19 Ch. I, et ch. XXI. (M.)

b Cette dernière phrase n’est pas dans A. B.

20 Voyez ces lois dans les Vies des Saints du mois de juin, tome III, p. 26. (M.)

21 Qui continue nostram sacram curiam sequi teneatur, instituatur qui facta et causas in ipsa curia promoveat atque prosequatur. (M.)

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