CHAPITRE XXIX. ÉPOQUE DU RÈGNE DE SAINT LOUIS.

Saint Louis abolit le combat judiciaire dans les tribunaux de ses domaines, comme il paraît par l’ordonnance qu’il fit là-dessus 1 , et par les Établissements 2 .

Mais il ne l’ôta point dans les cours de ses barons 3 , excepté dans le cas d’appel de faux jugement.

On ne pouvait fausser 4 la cour de son seigneur, sans demander le combat judiciaire contre les juges qui avaient prononcé le jugement. Mais saint Louis introduisit 5 l’usage de fausser sans combattre : changement qui fut une espèce de révolution.

Il déclara 6 qu’on ne pourrait point fausser les jugements rendus dans les seigneuries de ses domaines, parce que c’était un crime de félonie. Effectivement, si c’était une espèce de crime de félonie contre le seigneur, à plus forte raison en était-ce un contre le roi. Mais il voulut que l’on pût demander amendement 7 des jugements rendus dans les cours ; non pas parce qu’ils étaient faussement ou méchamment rendus, mais parce qu’ils faisaient quelque préjudice 8 . Il voulut, au contraire, qu’on fût contraint de fausser 9 les jugements des cours des barons, si l’on voulait s’en plaindre.

On ne pouvait point, suivant les Établissements, fausser les cours du domaine du roi, comme on vient de le dire. Il fallait demander amendement devant le même tribunal ; et, en cas que le bailli ne voulût pas faire l’amendement requis, le roi permettait de faire appel à sa cour 10 , ou plutôt, en interprétant les Établissements par eux-mêmes, de lui présenter 11 une requête ou supplication.

A l’égard des cours des seigneurs, saint Louis, en permettant de les fausser, voulut que l’affaire fût portée 12 au tribunal du roi, ou du seigneur suzerain, non 13 pas pour y être décidée par le combat, mais par témoins, suivant une forme de procéder dont il donna des règles 14 .

Ainsi, soit qu’on pût fausser, comme dans les cours des seigneurs, soit qu’on ne le pût pas, comme dans les cours de ses domaines, il établit qu’on pourrait appeler sans courir le hasard d’un combat.

Défontaines 15 nous rapporte les deux premiers exemples qu’il ait vus, où l’on ait ainsi procédé sans combat judiciaire ; l’un, dans une affaire jugée à la cour de Saint-Quentin, qui était du domaine du roi ; et l’autre, dans la cour de Ponthieu, où le comte, qui était présent, opposa l’ancienne jurisprudence ; mais ces deux affaires furent jugées par droit.

On demandera peut-être pourquoi saint Louis ordonna pour les cours de ses barons une manière de procéder différente de celle qu’il établissait dans les tribunaux de ses domaines : en voici la raison. Saint Louis, statuant pour les cours de ses domaines, ne fut point gêné dans ses vues ; mais il eut des ménagements à garder avec les seigneurs qui jouissaient de cette ancienne prérogative, que les affaires n’étaient jamais tirées de leurs cours, à moins qu’on ne s’exposât au danger de les fausser. Saint Louis maintint cet usage de fausser ; mais il voulut qu’on pût fausser sans combattre : c’est-à-dire que, pour que le changement se fît moins sentir, il ôta la chose, et laissa subsister les termes.

Ceci ne fut pas universellement reçu dans les cours des seigneurs. Beaumanoir 16 dit que, de son temps, il y avait deux manières de juger : l’une suivant l’Établissement-le-roi, et l’autre suivant la pratique ancienne ; que les seigneurs avaient droit de suivre l’une ou l’autre de ces pratiques ; mais que quand, dans une affaire, on en avait choisi une, on ne pouvait plus revenir à l’autre. Il ajoute 17 que le comte de Clermont suivait la nouvelle pratique, tandis que ses vassaux se tenaient à l’ancienne ; mais qu’il pourrait, quand il voudrait rétablir l’ancienne, sans quoi il aurait moins d’autorité que ses vassaux.

Il faut savoir que la France était pour lors 18 divisée en pays du domaine du roi, et en ce qu’on appelait pays des barons, ou en baronnies ; et, pour me servir des termes des Établissements de saint Louis, en pays de l’obéissance-le-roi, et en pays hors l’obéissance-le-roi. Quand les rois faisaient des ordonnances pour les pays de leurs domaines, ils n’employaient que leur seule autorité ; mais, quand ils en faisaient qui regardaient aussi les pays de leurs barons, elles étaient faites 19 de concert avec eux, ou scellées ou souscrites d’eux ; sans cela, les barons les recevaient, ou ne les recevaient pas, suivant qu’elles leur paraissaient convenir ou non au bien de leurs seigneuries. Les arrière-vassaux étaient dans les mêmes termes avec les grands vassaux. Or, les Établissements ne furent pas donnés du consentement des seigneurs, quoiqu’ils statuassent sur des choses qui étaient pour eux d’une grande importance : mais ils ne furent reçus que par ceux qui crurent qu’il leur était avantageux de les recevoir. Robert, fils de saint Louis, les admit dans sa comté de Clermont ; et ses vassaux ne crurent pas qu’il leur convînt de les faire pratiquer chez eux.

1 En 1260. (M.)

2 Liv. I, ch. II et VII ; liv. II, ch. X et XI. (M.)

3 Comme il paraît partout dans les Établissements ; et Beaum., ch. LXI, p. 309. (M.)

4 C’est-à-dire appeler de faux jugement. (M.)

5 Établissements, liv. I, ch. VI ; et liv. II, ch. XV. (M.)

6 Ibid., liv. II, ch. XV. (M.)

7 Établissements, liv. I, ch. LXXVIII ; et liv. II, ch. XV. (M.)

8 Établissements, liv. I, ch. LXXVIII.(M.)

9 Ibid., liv. II, ch. XV. (M.)

10 Ibid., liv. I, ch. LXXVIII. (M.)

11 Ibid., liv. II, ch. XV. (M.)

12 Mais si on ne faussait pas, et qu’on voulût appeler, on n’était point reçu. Établissements, liv. II, ch. XV. Li sire en aurait le recort de sa cour, droit faisant. (M.)

13 Établissements, liv. I, ch. VI et LXVII ; et liv. II, ch. XV ; et Beaum., ch. XI, p. 58. (M.)

14 Établissements, liv. I, ch. I, II et III. (M.)

15 Ch. XXII, art. 16 et 17. (M.)

16 Ch. LXI p. 309. (M.)

17 Ibid. (M.)

18 Voyez Beaumanoir, Défontaines, et les Établissements, liv. II, ch. x, xi, xv et autres. (M.)

19 Voyez les Ordonnances du commencement de la troisième race, dans le recueil de Laurière, surtout celle de Philippe-Auguste sur la jurisdiction ecclésiastique, et celle de Louis VIII sur les Juifs ; et les chartres rapportées par M. Brussel, notamment celle de saint Louis sur le bail et le rachat des terres, et la majorité féodale des filles, tome II, liv. III, p. 35 ; et ibid., l’ordonnance de Philippe-Auguste, p. 7. (M.)

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