J’ai dit que Clotaire II s’était engagé à ne point ôter à Warnachaire la place de maire pendant sa vie. La révolution eut un autre effet. Avant ce temps, le maire était le maire du roi : il devint le maire du royaume ; le roi le choisissait, la nation le choisit. Protaire, avant la révolution, avait été fait maire par Théodéric 1 , et Landéric par Frédégonde 2 ; mais depuis, la nation fut en possession d’élire 3 .
Ainsi il ne faut pas confondre, comme ont fait quelques auteurs, ces maires du palais avec ceux qui avaient cette dignité avant la mort de Brunehault, les maires du roi avec les maires du royaume. On voit, par la loi des Bourguignons, que chez eux la charge de maire n’était point une des premières de l’État 4 ; elle ne fut pas non plus une des plus éminentes chez les premiers rois francs 5 .
Clotaire rassura ceux qui possédaient des charges et des fiefs ; et, après la mort de Warnachaire, ce prince ayant demandé aux seigneurs assemblés à Troyes qui ils voulaient mettre en sa place, ils s’écrièrent tous qu’ils n’éliraient point 6 ; et, lui demandant sa faveur, ils se mirent entre ses mains.
Dagobert réunit, comme son père, toute la monarchie : la nation se reposa sur lui, et ne lui donna point de maire. Ce prince se sentit en liberté ; et, rassuré d’ailleurs par ses victoires, il reprit le plan de Brunehault. Mais cela lui réussit si mal, que les leudes d’Austrasie se laissèrent battre par les Sclavons 7 , s’en retournèrent chez eux, et les marches de l’Austrasie furent en proie aux Barbares.
Il prit le parti d’offrir aux Austrasiens de céder l’Austrasie à son fils Sigebert, avec un trésor, et de mettre le gouvernement du royaume et du palais entre les mains de Cunibert, évêque de Cologne, et du duc Adalgise. Frédégaire n’entre point dans le détail des conventions qui furent faites pour lors ; mais le roi les confirma toutes par ses chartres, et d’abord l’Austrasie fut mise hors de danger 8 .
Dagobert, se sentant mourir, recommanda à Æga, sa femme Nentechilde, et son fils Clovis. Les leudes de Neustrie et de Bourgogne choisirent ce jeune prince pour leur roi 9 . Æga et Nentechilde gouvernèrent le palais 10 ; ils rendirent tous les biens que Dagobert avait pris 11 , et les plaintes cessèrent en Neustrie et en Bourgogne, comme elles avaient cessé en Austrasie.
Après la mort d’Æga, la reine Nentechilde engagea les seigneurs de Bourgogne à élire Floachatus pour leur maire 12 . Celui-ci envoya aux évêques et aux principaux seigneurs du royaume de Bourgogne des lettres, par lesquelles il leur promettait de leur conserver pour toujours, c’est-à-dire pendant leur vie, leurs honneurs et leurs dignités 13 . Il confirma sa parole par un serment. C’est ici que l’auteur du Livre des maires de la maison royale met le commencement de l’administration du royaume par des maires du palais 14 .
Frédégaire, qui était Bourguignon, est entré dans de plus grands détails sur ce qui regarde les maires de Bourgogne dans le temps de la révolution dont nous parlons 15 , que sur les maires d’Austrasie et de Neustrie ; mais les conventions qui furent faites en Bourgogne furent, par les mêmes raisons, faites en Neustrie et en Austrasie.
La nation crut qu’il était plus sûr de mettre la puissance entre les mains d’un maire qu’elle élisait, et à qui elle pouvait imposer des conditions, qu’entre celles d’un roi dont le pouvoir était héréditaire.
1 Instigante Brunichilde, Theoderico jubente, etc. Frédégaire, ch. XXVII, sur l’an 605. (M.)
2 Gesta regum Francorum, ch. XXXVI. (M.)
3 Voyez Frédégaire, Chronique, ch. LIV, sur l’an 626 ; et son continuateur anonyme, ch. CI, sur l’an 695 ; et ch. CV, sur l’an 715. Aimoin, liv. IV, ch. XV. Éginhard, Vie de Charlemagne, ch. XLVIII. Gesta regum Francorum, ch. XLV. (M.)
4 Voyez la loi des Bourguignons, in prœfat., et le second supplément de cette loi, tit. XIII. (M.)
5 Voyez Grégoire de Tours, liv. IX, ch. XXXVI. (M.)
6 Eo anno, Clotarius cum proceribus et leudibus Burgundiae Trecassinis conjungitur, cum eorurn esset sollicitas, si vellent jam, Warnachario discesso, alium in ejus honoris gradum sublimare ; sed omnes unanimiter denegantes se nequaquam velle Majorem domus eligere, regis gratiam obnixe petentes, cum rege transegere. Chron. de Frédégaire, ch. LIV, sur l’an 626. (M.)
7 Islam victoriam quam Vinidi contra Francos meruerunt, non tantum Sclavinorum fortitudo obtinuit, quantum dementatio Austrasiorum, dum se cernebant cum Dagoberto odium incurrisse, et assidue expoliarentur. Chr. de Frédégaire, ch. LXVIII, sur l’an 630. (M.)
8 Deinceps Austrasii eorum studio limitem et regnum Francorum contra Vinidos utiliter defensasse noscuntur. Chr. de Frédégaire, ch. LXXV, sur l’an 632. (M.)
9 Chronique de Frédégaire, ch. LXXIX, sur l’an 638. (M.)
10 Ibid. (M.)
11 Ibid. ch. LXXX, sur l’an 639. (M.)
12 Ibid. ch. LXXXIX, sur l’an 641. (M.)
13 Ibid. Floachatus cunctis ducibus a regno Burgundiae, seu et pontificibus, per epistolam etiam et sacramentis firmavit unicuique gradum honoris et dignitatem, seu et amicitiam perpetuo conservare (M.)
14 Deinceps a temporibus Clodocei, qui fuit filius Dagoberti inclyti regis, pater vero Theodorici, regnum Francorum decidens per majores domus coepit ordinari. De major. domus regiae. (M.)
15 A. B. dont nous parlerons.