Les biens fiscaux n’auraient dû avoir d’autre destination que de servir aux dons que les rois pouvaient faire pour inviter les Francs à de nouvelles entreprises, lesquelles augmentaient d’un autre côté les biens fiscaux ; et cela était, comme j’ai dit, l’esprit de la nation ; mais les dons prirent un autre cours. Nous avons un discours de Chilpéric, petit-fils de Clovis, qui se plaignait déjà que ses biens avaient été presque tous donnés aux églises 1 . « Notre fisc est devenu pauvre, disait-il ; nos richesses ont été transportées aux églises 2 . Il n’y a plus que les évêques qui règnent ; ils sont dans la grandeur, et nous n’y sommes plus. »
Cela fit que les maires, qui n’osaient attaquer les seigneurs, dépouillèrent les églises : et une des raisons qu’allégua Pepin pour entrer en Neustrie, fut qu’il y avait été invité par les ecclésiastiques, pour arrêter les entreprises des rois, c’est-à-dire des maires, qui privaient l’Église de tous ses biens 3 .
Les maires d’Austrasie, c’est-à-dire la maison des Pepins, avaient traité l’Église avec plus de modération qu’on n’avait fait en Neustrie et en Bourgogne ; et cela est bien clair par nos chroniques, où les moines ne peuvent se lasser d’admirer la dévotion et la libéralité des Pepins 4 . Ils avaient occupé eux-mêmes les premières places de l’Église. « Un corbeau ne crève pas les yeux à un corbeau, » comme disait Chilpéric aux évêques 5 .
Pepin soumit la Neustrie et la Bourgogne ; mais ayant pris, pour détruire les maires et les rois, le prétexte de l’oppression des églises, il ne pouvait plus les dépouiller sans contredire son titre, et faire voir qu’il se jouait de la nation. Mais la conquête de deux grands royaumes, et la destruction du parti opposé, lui fournirent assez de moyens de contenter ses capitaines.
Pepin se rendit maître de la monarchie en protégeant le clergé : Charles Martel, son fils, ne put se maintenir qu’en l’opprimant. Ce prince, voyant qu’une partie des biens royaux et des biens fiscaux avait été donnée à vie ou en propriété à la noblesse, et que le clergé, recevant des mains des riches et des pauvres, avait acquis une grande partie des allodiaux mêmes, il dépouilla les églises : et les fiefs du premier partage ne subsistant plus, il forma une seconde fois des fiefs 6 . Il prit, pour lui et pour se capitaines, les biens des églises et les églises même ; et fit cesser un abus qui, à la différence des maux ordinaires, était d’autant plus facile à guérir, qu’il était extrême.
1 Dans Grégoire de Tours, liv. VI, ch. XLVI. (M.)
2 Cela fit qu’il annula les testaments faits en faveur des églises, et même les dons faits par son père : Gontran les rétablit, et fit même de nouveaux dons. Grégoire de Tours, liv. VII, ch. VII. (M.)
3 Voyez les Annales de Metz sur l’an 687. Excitor imprimis querelis sacerdotum et servorum dei, qui me sœpius adierunt ut pro sublatis injuste patrimoniis, etc. (M.)
4 Voyez les Annales de Metz. (M.)
5 Dans Grégoire de Tours. (M.)
6 Karolus, plurima juri ecclesiastico detrahens prœdia fisco sociavit, ac deinde militibus dispertivit. Ex Chronico Centulensi, lib. II. (M.)