CHAPITRE V. COMMENT LES MAIRES OBTINRENT LE COMMANDEMENT DES ARMÉES.

Pendant que les rois commandèrent les armées, la nation ne pensa point à se choisir un chef. Clovis et ses quatre fils furent à la tête des Français, et les menèrent de victoire en victoire. Thibault, fils de Théodebert, prince jeune, faible et malade, fut le premier des rois qui resta dans son palais 1 . Il refusa de faire une expédition en Italie contre Narsès, et il eut le chagrin de voir les Francs se choisir deux chefs qui les y menèrent 2 . Des quatre enfants de Clotaire Ier, Gontran fut celui qui négligea le plus de commander les armées 3  ; d’autres rois suivirent cet exemple : et pour remettre sans péril le commandement en d’autres mains, ils le donnèrent à plusieurs chefs ou ducs 4 .

On en vit naître des inconvénients sans nombre : il n’y eut plus de discipline, on ne sut plus obéir ; les armées ne furent plus funestes qu’à leur propre pays ; elles étaient chargées de dépouilles avant d’arriver chez les ennemis. On trouve dans Grégoire de Tours une vive peinture de tous ces maux 5 . « Comment pourrons-nous obtenir la victoire, disait Gontran 6 , nous qui ne conservons pas ce que nos pères ont acquis ? Notre nation n’est plus la même... » Chose singulière ! elle était dans la décadence dès le temps des petits-fils de Clovis.

Il était donc naturel qu’on en vînt à faire un duc unique ; un duc qui eût de l’autorité sur cette multitude infinie de seigneurs et de leudes qui ne connaissaient plus leurs engagements ; un duc qui rétablît la discipline militaire, et qui menât contre l’ennemi une nation qui ne savait plus faire la guerre qu’à elle-même. On donna la puissance aux maires du palais.

La première fonction des maires du palais fut le gouvernement économique des maisons royales. Ils eurent, concurremment avec d’autres officiers, le gouvernement politique des fiefs ; et, à la fin, ils en disposèrent seuls 7 . Ils eurent aussi l’administration des affaires de la guerre et le commandement des armées ; et ces deux fonctions se trouvèrent nécessairement liées avec les deux autres. Dans ces temps-là, il était plus difficile d’assembler les armées que de les commander : et quel autre que celui qui disposait des grâces, pouvait avoir cette autorité ? Dans cette nation indépendante et guerrière, il fallait plutôt inviter que contraindre ; il fallait donner ou faire espérer les fiefs qui vaquaient par la mort du possesseur, récompenser sans cesse, faire craindre les préférences : celui qui avait la surintendance du palais devait donc être le général de l’armée.

1 L’an 552. (M.)

2 Leutheris vero et Butilinus, tametsi id regi ipsorum minime placebat, belli cum eis societatem inierunt. Agathias, liv. I. Grégoire de Tours, liv. IV, ch. IX. (M.)

3 Gontran ne fit pas même l’expédition contre Gondovalde, qui se disait fils de Clotaire, et demandait sa part du royaume. (M.)

4 Quelquefois au nombre de vingt. Voyez Grégoire de Tours, liv. V, ch. XXVII ; liv. VIII, ch. XVIII et XXX ; liv. X, ch. III. Dagobert, qui n’avait point de maire en Bourgogne, eut la même politique, et envoya contre les Gascons dix ducs et plusieurs comtes qui n’avaient point de ducs sur eux. Chronique de Frédégaire, ch. LXXVIII, sur l’an 636. (M.)

5 Grégoire de Tours, liv. VIII, ch. XXX ; et liv. X, ch. III. (M.)

6 Ibid. liv. VIII, ch. XXX. (M.)

7 Voyez le second supplément à la loi des Bourguignons, titre XIII, et Grégoire de Tours, liv. IX, ch. XXXVI. (M.)

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