Charlemagne songea à tenir le pouvoir de la noblesse dans ses limites, et à empêcher l’oppression du clergé et des hommes libres. Il mit un tel tempérament dans les ordres de l’État, qu’ils furent contrebalancés, et qu’il resta le maître. Tout fut uni par la force de son génie. Il mena continuellement la noblesse d’expédition en expédition ; il ne lui laissa pas le temps de former des desseins, et l’occupa tout entière à suivre les siens. L’empire se maintint par la grandeur du chef : le prince était grand, l’homme l’était davantage. Les rois ses enfants furent ses premiers sujets, les instruments de son pouvoir, et les modèles de l’obéissance. Il fit d’admirables règlements ; il fit plus, il les fit exécuter. Son génie se répandit sur toutes les parties de l’empire. On voit, dans les lois de ce prince, un esprit de prévoyance qui comprend tout, et une certaine force qui entraîne tout. Les prétextes 2 pour éluder les devoirs sont ôtés ; les négligences corrigées, les abus réformés ou prévenus. Il savait punir ; il savait encore mieux pardonner. Vaste dans ses desseins, simple dans l’exécution, personne n’eut à un plus haut degré l’art de faire les plus grandes choses avec facilité, et les difficiles avec promptitude. Il parcourait sans cesse son vaste empire, portant la main partout où il allait tomber. Les affaires renaissaient de toutes parts, il les finissait de toutes parts. Jamais prince ne sut mieux braver les dangers ; jamais prince ne les sut mieux éviter. Il se joua de tous les périls, et particulièrement de ceux qu’éprouvent presque toujours les grands conquérants : je veux dire les conspirations. Ce prince prodigieux était extrêmement modéré ; son caractère était doux, ses manières simples ; il aimait à vivre avec les gens de sa cour. Il fut peut-être trop sensible au plaisir des femmes ; mais un prince qui gouverna toujours par lui-même, et qui passa sa vie dans les travaux, peut mériter plus d’excuses. Il mit une règle admirable dans sa dépense : il fit valoir ses domaines avec sagesse, avec attention, avec économie ; un père de famille pourrait apprendre 3 dans ses lois à gouverner sa maison. On voit dans ses Capitulaires la source pure et sacrée d’où il tira ses richesses. Je ne dirai plus qu’un mot : il ordonnait qu’on vendît les œufs des basses-cours de ses domaines, et les herbes inutiles de ses jardins 4 ; et il avait distribué à ses peuples toutes les richesses des Lombards, et les immenses trésors de ces Huns qui avaient dépouillé l’univers.
1 Les premières éditions écrivent Charle-Magne.
2 Voyez son capitulaire III de l’an 811, p. 486, art. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8 ; et le capitulaire I de l’an 812 ; p. 490, art. 1 ; et le capitulaire de la même année, p. 494, art. 9 et 11 ; et autres. (M.)
3 Voyez le capitulaire de Villis, de l’an 800 ; son capitulaire II de l’an 813, art. 6 et 19 ; et le liv. V des Capitulaires, art. 303. (M.)
4 Capitulaire de Villis, art. 39. Voyez tout ce capitulaire qui est un chef-d’œuvre de prudence, de bonne administration et d’économie. (M.)