La force que Charlemagne avait mise dans la nation subsista assez sous Louis le Débonnaire, pour que l’État pût se maintenir dans sa grandeur, et être respecté des étrangers. Le prince avait l’esprit faible ; mais la nation était guerrière. L’autorité se perdait au dedans, sans que la puissance parût diminuer au dehors.
Charles Martel, Pepin et Charlemagne a gouvernèrent l’un après l’autre la monarchie. Le premier flatta l’avarice des gens de guerre ; les deux autres, celle du clergé ; Louis le Débonnaire mécontenta tous les deux b .
Dans la constitution française, le roi, la noblesse et le clergé avaient dans leurs mains toute la puissance de l’État. Charles Martel, Pepin et Charlemagne se joignirent quelquefois d’intérêts avec l’une des deux parties pour contenir l’autre, et presque toujours avec toutes les deux : mais Louis le Débonnaire détacha de lui l’un et l’autre de ces corps c . Il indisposa les évêques par des règlements qui leur parurent rigides, parce qu’il allait plus loin qu’ils ne voulaient aller eux-mêmes. Il y a de très-bonnes lois faites mal à propos. Les évêques, accoutumés dans ces temps-là à aller à la guerre contre les Sarrasins et les Saxons, étaient bien éloignés de l’esprit monastique 1 . D’un autre côté, ayant perdu toute sorte de confiance pour sa noblesse, il éleva des gens de néant 2 . Il la priva de ses emplois 3 , la renvoya du palais, appela des étrangers. Il s’était séparé de ces deux corps, il en fut abandonné.
a A. B. Charlemagne, son père et son aïeul, gouvernèrent, etc.
b A. B. Celle du clergé ; les enfants de Louis le Débonnaire excitèrent l’ambition de tous les deux.
c A. B. « Mais les enfants de Louis le Débonnaire détachèrent du roi l’un et l’autre de ces corps, et l’autorité du roi se trouva trop faible. »
Le chapitre finit là. Tout ce qui suit a été ajouté dans la dernière édition.
1 « Pour lors les évêques et les clercs commencèrent à quitter les ceintures et les baudriers d’or, les couteaux enrichis de pierreries qui y étaient suspendus, les habillements d’un goût exquis, les éperons, dont la richesse accablait leurs talons. Mais l’ennemi du genre humain ne souffrit point une telle dévotion, qui souleva contre elle les ecclésiastiques de tous les ordres, et se fit à elle-même la guerre. » L’Auteur incertain de la Vie de Louis le Débonnaire, dans le recueil de Duchesne, tome II, p. 298. (M.)
2 Tégan dit que ce qui se faisait très-rarement sous Charlemagne, se fit communément sous Louis. (M.)
3 Voulant contenir la noblesse, il prit pour son chambrier un certain Bénard, qui acheva de la désespérer. (M.)