CHAPITRE XXXIV. CONTINUATION DU MÊME SUJET.

Quand les fiefs étaient amovibles ou à vie, ils n’appartenaient guère qu’aux lois politiques ; c’est pour cela que, dans les lois civiles de ces temps-là, il est fait si peu de mention des lois des fiefs. Mais lorsqu’ils devinrent héréditaires, qu’ils purent se donner, se vendre, se léguer, ils appartinrent et aux lois politiques et aux lois civiles. Le fief, considéré comme une obligation au service militaire, tenait au droit politique : considéré comme un genre de bien qui était dans le commerce, il tenait au droit civil. Cela donna naissance aux lois civiles sur les fiefs.

Les fiefs étant devenus héréditaires, les lois concernant l’ordre des successions durent être relatives à la perpétuité des fiefs. Ainsi s’établit, malgré la disposition du droit romain et de la loi salique 1 , cette règle du droit français : Propres ne remontent point 2 . Il fallait que le fief fût servi ; mais un aïeul, un grand-oncle, auraient été de mauvais vassaux à donner au seigneur : aussi cette règle n’eut-elle d’abord lieu que pour les fiefs, comme nous l’apprenons de Boutillier 3 .

Les fiefs étant devenus héréditaires, les seigneurs, qui devaient veiller à ce que le fief fût servi, exigèrent que les filles qui devaient succéder au fief 4 , et, je crois, quelquefois les mâles, ne pussent se marier sans leur consentement ; de sorte que les contrats de mariage devinrent pour les nobles une disposition féodale et une disposition civile. Dans un acte pareil, fait sous les yeux du seigneur, on fit des dispositions pour la succession future, dans la vue que le fief pût être servi par les héritiers : aussi les seuls nobles eurent-ils d’abord la liberté de disposer des successions futures par contrat de mariage, comme l’ont remarqué Boyer 5 et Aufrerius 6 .

Il est inutile de dire que le retrait lignager, fondé sur l’ancien droit des parents, qui est un mystère de notre ancienne jurisprudence française, que je n’ai pas le temps de développer, ne put avoir lieu à l’égard des fiefs, que lorsqu’ils devinrent perpétuels.

Italiam, Italiam 7 ... Je finis le traité des fiefs où la plupart des auteurs l’ont commencé 8 .

1 Au titre des aleux. (M.)

2 Liv. IV, De feudis, tit. LIX. (M.)

3 Somme rurale, liv. I, tit. LXXVI, p. 417. (M.)

4 Suivant une ordonnance de S. Louis, de l’an 1246, pour constater les coutumes d’Anjou et du Maine, ceux qui auront le bail d’une fille héritière d’un fief, donneront assurance au seigneur qu’elle ne sera mariée que de son consentement. (M.)

5 [Boyer ou Boerius, jurisconsulte français du XVIe siècle.] Décis. 155, nº 8 ; et 204 nº 38. (M.)

6 [Aufrérius a commenté le style du parlement de Toulouse.] In Capel. Thol., décision 453. (M.)

7 Énéide, liv. III, vers 523. (M.)

8 Lorsque Montesquieu proclama hautement ce précepte, passé maintenant à l’état d’axiome, qu’il faut éclairer l’histoire par les lois, et les lois par l’histoire, il ouvrit un nouvel horizon à la science. Quand il dit en achevant son ouvrage : Je finis le traité des fiefs où la plupart des auteurs l’ont commencé, il donne le premier exemple de l’application et de l’opportunité de sa doctrine. En faisant cette remarque, Montesquieu ne se bornait pas à une question de chronologie. Il savait que ces matières n’avaient jamais été traitées par aucun jurisconsulte avec la méthode historique qu’il venait d’adopter, et il voulait fixer la date de cette heureuse innovation. Personne n’osera lui en contester le droit. (SCLOPIS.)

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