Deux sortes de gens étaient tenus au service militaire : les leudes vassaux ou arrière-vassaux, qui y étaient obligés en conséquence de leur fief ; et les hommes libres, Francs, Romains et Gaulois, qui servaient sous le comte, et étaient menés par lui et ses officiers.
On appelait hommes libres ceux qui, d’un côté, n’avaient point de bénéfices ou fiefs, et qui, de l’autre, n’étaient point soumis à la servitude de la glèbe ; les terres qu’ils possédaient étaient ce qu’on appelait des terres allodiales.
Les comtes assemblaient les hommes libres, et les menaient à la guerre 1 : ils avaient sous eux des officiers qu’ils appelaient vicaires 2 ; et, comme tous les hommes libres étaient divisés en centaines, qui formaient ce que l’on appelait un bourg, les comtes avaient encore sous eux des officiers qu’on appelait centeniers, qui menaient les hommes libres du bourg, ou leurs centaines, à la guerre 3 .
Cette division par centaines est postérieure à l’établissement des Francs dans les Gaules. Elle fut faite par Clotaire et Childebert, dans la vue d’obliger chaque district à répondre des vols qui s’y feraient : on voit cela dans les décrets de ces princes 4 . Une pareille police s’observe encore aujourd’hui en Angleterre.
Comme les comtes menaient les hommes libres à la guerre, les leudes y menaient aussi leurs vassaux ou arrière-vassaux ; et les évêques, abbés, ou leurs avoués 5 y menaient les leurs 6 .
Les évêques étaient assez embarrassés : ils ne convenaient pas bien eux-mêmes de leurs faits 7 . Ils demandèrent à Charlemagne de ne plus les obliger d’aller à la guerre ; et, quand ils l’eurent obtenu, ils se plaignirent de ce qu’on leur faisait perdre la considération publique : et ce prince fut obligé de justifier là-dessus ses intentions. Quoi qu’il en soit, dans les temps où ils n’allèrent plus à la guerre, je ne vois pas que leurs vassaux y aient été menés par les comtes ; on voit au contraire que les rois ou les évêques choisissaient un des fidèles pour les y conduire 8 .
Dans un capitulaire de Louis le Débonnaire 9 , le roi distingue trois sortes de vassaux : ceux du roi, ceux des évêques, ceux du comte. Les vassaux d’un leude 10 ou seigneur n’étaient menés à la guerre par le comte, que lorsque quelque emploi dans la maison du roi empêchait ces leudes de les mener eux-mêmes.
Mais qui est-ce qui menait les leudes à la guerre ? On ne peut douter que ce ne fût le roi, qui était toujours à la tête de ses fidèles. C’est pour cela que, dans les capitulaires, on voit toujours une opposition entre les vassaux du roi et ceux des évêques 11 . Nos rois, courageux, fiers et magnanimes, n’étaient point dans l’armée pour se mettre à la tète de cette milice ecclésiastique ; ce n’était point ces gens-là qu’ils choisissaient pour vaincre ou mourir avec eux.
Mais ces leudes menaient de même leurs vassaux et arrière-vassaux ; et cela paraît bien par ce capitulaire 12 , où Charlemagne ordonne que tout homme libre qui aura quatre manoirs, soit dans sa propriété, soit dans le bénéfice de quelqu’un, aille contre l’ennemi, ou suive son seigneur. Il est visible que Charlemagne veut dire que celui qui n’avait qu’une terre en propre entrait dans la milice du comte, et que celui qui tenait un bénéfice du seigneur partait avec lui.
Cependant M. l’abbé Dubos 13 prétend que, quand il est parlé dans les Capitulaires des hommes qui dépendaient d’un seigneur particulier, il n’est question que des serfs : et il se fonde sur la loi des Wisigoths, et la pratique de ce peuple. Il vaudrait mieux se fonder sur les Capitulaires mêmes. Celui que je viens de citer dit formellement le contraire. Le traité entre Charles le Chauve et ses frères parle de même a des hommes libres, qui peuvent prendre à leur choix un seigneur ou le roi ; et cette disposition est conforme à beaucoup d’autres.
On peut donc dire qu’il y avait trois sortes de milices celle des leudes ou fidèles du roi, qui avaient eux-mêmes sous leur dépendance d’autres fidèles ; celle des évêques ou autres ecclésiastiques, et de leurs vassaux ; et enfin celle du comte, qui menait les hommes libres.
Je ne dis point que les vassaux ne pussent être soumis au comte, comme ceux qui ont un commandement particulier dépendent de celui qui a un commandement plus général.
On voit même que le comte et les envoyés du roi pouvaient leur faire payer le ban, c’est-à-dire une amende, lorsqu’ils n’avaient pas rempli les engagements de leur fief.
De même, si les vassaux du roi faisaient des rapines 14 , ils étaient soumis à la correction du comte, s’ils n’aimaient mieux se soumettre à celle du roi.
1 Voyez le capitulaire de Charlemagne, de l’an 812, art. 3 et 4, édit. de Baluze, tome I, p. 491, et l’édit de Pistes, de l’an 864, art. 26, tome II, p. 186. (M.)
2 Et habebat unusquisque comes vicarios et centenarios secum. Liv. II des Capitulaires, art. 28. (M.)
3 On les appelait compagenses. (M.)
4 Donnés vers l’an 595, art. 1. Voyez les Capitulaires, édit. de Baluze, p. 20. Ces règlements furent sans doute faits de concert. (M.)
5 Advocati. (M.)
6 Capitulaire de Charlemagne, de l’an 812, art. 1 et 5, édit. de Baluze, tome I, p. 490. (M.)
7 Voyez le capitulaire de l’an 803, donné à Worms, édit. de Baluze, p. 408 et 410. (M.)
8 Capitulaire de Worms, de l’an 803, édition de Baluze, p. 409 ; et le concile de l’an 845, sous Charles le Chauve, in Verno palatio, édit. de Baluze, tome II, p. 17, art. 8. (M.)
9 Capitulare quintum, anni 819, art. 27, édition de Baluze, p. 618. (M.)
10 De vassis dominicis qui adhuc intra casam serviunt, et tamen beneficia habere noscuntur, statutum est ut quicumque ex eis cum domino imperatore domi remanserint, vassallos suos casatos secum non retineant ; sed cum comite, cujus pagenses sunt, ire permittant. Capitulaire XI, de l’an 812, art. 7, édit. de Baluze, tome I, page 494. (M.)
11 Capitulaire 1 de l’an 812, art. 5. De hominibus nostris, et episcoporum et abbatum qui vel beneficia, vel talia propria habent, etc. Édit. de Baluze, tome I, page 490. (M.)
12 De l’an 812, ch. I, édit. de Baluze, p. 490. Ut omnis homo liber qui quatuor mansos vestitos de proprio suo, sive de alicujus beneficio, habet, ipse se praeparet, et ipse in hostem pergat, sive cum seniore suo. (M.)
13 Tome III, liv. VI, ch. IV, p. 299, Établissement de la monarchie française. (M.)
a A. B. parle même, etc.
14 Capitul. de l’an 882, art. 11, apud Vernis palatium, édit. de Baluze, tome II, p. 17. (M.)