CHAPITRE XXII. QUE LES JUSTICES ÉTAIENT ÉTABLIES AVANT LA FIN DE LA SECONDE RACE.

On a dit que ce fut dans le désordre de la seconde race que les vassaux s’attribuèrent la justice dans leurs fiscs : on a mieux aimé faire une proposition générale que de l’examiner : il a été plus facile de dire que les vassaux ne possédaient pas, que de découvrir comment ils possédaient. Mais les justices ne doivent point leur origine aux usurpations ; et les dérivent du premier établissement, et non pas de sa corruption.

« Celui qui tue un homme libre, est-il dit dans la loi des Bavarois 1 , paiera la composition à ses parents, s’il en a ; et s’il n’en a point, il la paiera au duc, ou à celui à qui il s’était recommandé pendant sa vie. » On sait ce que c’était que se recommander pour un bénéfice.

« Celui à qui on a enlevé son esclave, dit la loi des Allemands 2 , ira au prince auquel est soumis le ravisseur, afin qu’il en puisse obtenir la composition. »

« Si un centenier, est-il dit dans le décret de Childebert 3 , trouve un voleur dans une autre centaine que la sienne, ou dans les limites de nos fidèles, et qu’il ne l’en chasse pas, il représentera le voleur, ou se purgera par serment. » Il y avait donc de la différence entre le territoire des centeniers et celui des fidèles.

Ce décret de Childebert explique la constitution de Clotaire 4 de la même année, qui, donnée dans le même cas et sur le même fait, ne diffère que dans les termes ; la constitution appellant in truste ce que le décret appelle in terminis fidelium nostrorum. MM. Bignon et du Cange 5 , qui ont cru que in truste signifiait domaine d’un autre roi, n’ont pas bien rencontré a .

Dans une constitution 6 de Pepin, roi d’Italie, faite tant pour les Francs que pour les Lombards, ce prince, après avoir imposé des peines aux comtes et autres officiers royaux qui prévariquent dans l’exercice de la justice, ou qui diffèrent de la rendre, ordonne que 7 s’il arrive qu’un Franc ou un Lombard ayant un fief ne veuille pas rendre la justice, le juge dans le district duquel il sera, suspendra l’exercice de son fief ; et que, dans cet intervalle, lui ou son envoyé rendront la justice.

Un capitulaire de Charlemagne 8 prouve que les rois ne levaient point partout les freda b . Un autre 9 du même prince nous fait voir les règles féodales et la cour féodale déjà établies. Un autre de Louis le Débonnaire veut que, lorsque celui qui a un fief ne rend pas la justice 10 , ou empêche qu’on ne la rende, on vive à discrétion dans sa maison jusqu’à ce que la justice soit rendue. Je citerai encore deux capitulaires de Charles le Chauve, l’un de l’an 861 11 , où l’on voit des jurisdictions particulières établies, des juges et des officiers sous eux ; l’autre 12 de l’an 864, où il fait la distinction de ses propres seigneuries d’avec celles des particuliers.

On n’a point de concessions originaires des fiefs, parce qu’ils furent établis par le partage qu’on sait avoir été fait entre les vainqueurs. On ne peut donc pas prouver par des contrats originaires, que les justices, dans les commencements, aient été attachées aux fiefs. Mais si, dans les formules des confirmations, ou des translations à perpétuité de ces fiefs, on trouve, comme on a dit, que la justice y était établie, il fallait bien que ce droit de justice fût de la nature du fief, et une de ses principales prérogatives.

Nous avons un plus grand nombre de monuments qui établissent la justice patrimoniale des églises dans leur territoire, que nous n’en avons pour prouver celle des bénéfices ou fiefs des leudes ou fidèles, par deux raisons. La première, que la plupart des monuments qui nous restent ont été conservés ou recueillis par les moines pour l’utilité de leurs monastères. La seconde, que le patrimoine des églises ayant été formé par des concessions particulières, et une espèce de dérogation à l’ordre établi, il fallait des chartres pour cela ; au lieu que les concessions faites aux leudes étant des conséquences de l’ordre politique, on n’avait pas besoin d’avoir, et encore moins de conserver une chartre particulière. Souvent même les rois se contentaient de faire une simple tradition par le sceptre, comme il paraît par la vie de saint Maur.

Mais la troisième formule 15 de Marculfe nous prouve assez que le privilège d’immunité, et par conséquent celui de la justice, étaient communs aux ecclésiastiques et aux séculiers, puisqu’elle est faite pour les uns et pour les autres. Il en est de même de la constitution de Clotaire II 16 .

1 Tit. III, ch. XIII, édit. de Lindembrock. (M.)

2 Tit. LXXXV. (M.)

3 De l’an 595. art. 11 et 12, édit. des capitul. de Baluze, p. 19. Pari conditione convenit ut si una centena in alia centena vestigium secuta fuerit et invenerit, vel in quibuscumque fidelium nostrorum terminis vestigium miserit, et ipsum in aliam centenam minime expellere poluerit, aut convictus reddat latronem, etc. (M.)

4 Si vestigius comprobatur latronis, tamen prœsentia nihil longe muletando ; aut si persequens latronem suum comprehenderit, integram sibi compositionem accipiat. Quod si in truste invenitur, medietatem compositionis trustis adquirat, et capitale exigat a latrone, art. 2 et 3. (M.)

5 Voyez le glossaire (de Du Cange), au mot trustis. (M.)

a A. B. ajoutent : « Mais pour finir tout d’un coup, la seconde race n’était ni dans le désordre ni sur sa fin, du temps de Charlemagne ; sous son règne on ne faisait point d’usurpation. Si de son temps les justices patrimoniales étaient établies, le système si commode que l’on propose tombe de lui-même.

6 Insérée dans la loi des Lombards, liv. II, tit. LII, § 14. C’est le capitulaire de l’an 793, dans Baluze, p. 544, art. 10. (M.)

7 Et si forsitan Francus aut Longobardus habens beneficium justitiam facere noluerit, ille judex in cujus ministerio fuerit, contradicat illi beneficium suum, interim, dum ipse aut missus ejus justitiam faciat. Voyez encore la même loi des Lombards, liv. II, tit. LII, § 2, qui se rapporte au capitulaire de Charlemagne de l’an 779, art. 21. (M.)

8 Le troisième de l’an 812, art. 10. (M.)

b A. B. ajoutent : Une autre 13 du même prince rappelle plusieurs articles de la loi salique, bourguignonne et romaine, pour que chacun 14 de ses fidèles rende la justice en conformité.

13 Le second de l’an 813. Édition de Baluze, p. 506.

14 Ut unus quisque fidelis justitias ita faceret. Ibid.

9 Le second capitulaire de l’an 813, art. 14 et 20, page 509. (M.)

10 Capitulare quintum anni 819, art. 23, édition de Baluze, p. 617. Ut ubicumque missi, aut episcopum, aut abbatem, aut alium quemlibet honore prœditum invenerint, qui justitiam facere noluit vel prohibuit, de ipsius rebus vivant quandiu in eo loco justitias facere debent. (M.)

11 Edictum in Carisiaco, dans Baluze, tome II, p. 152. Unusquisque advocatus pro omnibus de sua advocatione... in convenientia ut cum ministerialibus de sua advocatione quos invenerit contra hunc bannum nostrum fecisse... castiget. (M.)

12 Edictum Pistense, art. 18, édit. de Baluze, tome II, p. 181. Si in fiscum nostrum, vel inquamenmque immunitatem, aut alicujus potentis potestatem vel proprietatem confugerit, etc. (M.)

15 Liv. I. Maximum regni nostri augere credimus monimentum, si beneficia opportuna locis ecclesiarum, aut cui volueris dicere, benevola deliberatione concedimus. (M.)

16 Je l’ai citée dans le chapitre précédent : Episcopi vel potentes, etc. (M.) Sup. page 477, note 7. La dernière phrase : Il en est de même, etc., n’est pas dans A. B.

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