CHAPITRE XXI. DE LA JUSTICE TERRITORIALE DES ÉGLISES.

Les églises acquirent des biens très-considérables. Nous voyons que les rois leur donnèrent de grands fiscs, c’est-à-dire de grands fiefs ; et nous trouvons d’abord les justices établies dans les domaines de ces églises. D’où aurait pris son origine un privilége si extraordinaire ? Il était dans la nature de la chose donnée ; le bien des ecclésiastiques avait ce privilége, parce qu’on ne le lui ôtait pas. On donnait un fisc à l’Église, et on lui laissait les prérogatives qu’il aurait eues, si on l’avait donné à un leude ; aussi fut-il soumis au service que l’État en aurait tiré, s’il avait été accordé au laïque, comme on l’a déjà vu.

Les églises eurent donc le droit de faire payer les compositions dans leur territoire, et d’en exiger le fredum ; et, comme ces droits emportaient nécessairement celui d’empêcher les officiers royaux d’entrer dans le territoire pour exiger ces freda, et y exercer tous actes de justice, le droit qu’eurent les ecclésiastiques de rendre la justice dans leur territoire fut appelé immunité, dans le style des formules 1 , des chartres et des capitulaires.

La loi des Ripuaires 2 défend aux affranchis des églises 3 de tenir l’assemblée où la justice se rend 4 , ailleurs que dans l’église où ils ont été affranchis. Les églises avaient donc des justices, même sur les hommes libres, et tenaient leurs plaids dès les premiers temps de la monarchie.

Je trouve dans la Vie des saints 5 , que Clovis donna à un saint personnage la puissance sur un territoire de six lieues de pays, et qu’il voulut qu’il fût libre de toute jurisdiction quelconque. Je crois bien que c’est une fausseté 6 , mais c’est une fausseté très-ancienne ; le fond de la vie et les mensonges se rapportent aux mœurs et aux lois du temps ; et ce sont ces mœurs et ces lois que l’on cherche ici 7 .

Clotaire II ordonne aux évêques ou aux grands 8 qui possèdent des terres dans des pays éloignés, de choisir dans le lieu même ceux qui doivent rendre la justice ou en recevoir les émoluments.

Le même prince 9 règle la compétence entre les juges des églises et ses officiers. Le capitulaire de Charlemagne, de l’an 802, prescrit aux évêques et aux abbés les qualités que doivent avoir leurs officiers de justice. Un autre 10 du même prince défend aux officiers royaux d’exercer aucune jurisdiction sur ceux qui cultivent les terres ecclésiastiques 11 , à moins qu’ils n’aient pris cette condition en fraude, et pour se soustraire aux charges publiques. Les évêques a , assemblés à Reims, déclarèrent que les vassaux des églises sont dans leur immunité 12 . Le capitulaire de Charlemagne, de l’an 806 13 , veut que les églises aient la justice criminelle et civile sur tous ceux qui habitent dans leur territoire. Enfin le capitulaire de Charles le Chauve distingue les jurisdictions du roi 14 , celles des seigneurs et celles des églises ; et je n’en dirai pas davantage.

1 Voyez les formules III et IV de Marculfe, liv. I. (M.)

2 Ne aliubi nisi ad ecclesiam, ubi relaxati sunt, mallum teneant, tit. LVIII, § 1. Voyez aussi le § 19, édit. de Lindembrock. (M.)

3 Tabulariis. (M.)

4 Mallum. (M.)

5 Vita sancti Germerii, episcopi Tolosani, apud Bollandianos, 16 maii. (M.)

6 C’est-à-dire une invention de celui qui a écrit la vie de saint Germer.

7 Voyez aussi la Vie de saint Melanius et celle de saint Déicole. (M.)

8 Dans le concile de Paris, de l’an 615. Episcopi vel potentes, qui in aliis possident regionibus, judices vel missos discussores de aliis provinciis non instituant, nisi de loco, qui justitiam percipiant et aliis reddant : art. 19. Voyez aussi l’article. 12. (M.)

9 Dans le concile de Paris, l’an 615, art. 5. (M.)

10 Dans la loi des Lombards, liv. II, tit. XLIV, ch. II, édit. de Lindembrock. (M.)

11 Servi aldiones, libellarii antiqui, vel alii noviter facti. Ibid. (M.)

a Cette phrase n’est pas dans A. B.

12 Lettre de l’an 858, art. 7, dans les Capitulaires, p. 108. Sicut illœ res et facultates in quibus vivunt clerici, ita et illœ sub consecratione immunitatis sunt de quibus debent militare vassalli. (M.)

13 Il est ajouté à la loi des Bavarois, art. 7 ; voyez aussi l’article 3 de l’édition de Lindembrock, p. 444. Imprimis omnium jubendum est ut habeant ecclesiœ earum justitias, et in vita illorum qui habitant in ipsis ecclesiis et post, tam in pecuniis quam et in substantiis earum. (M.)

14 De l’an 857, in synodo apud Carisiacum, art. 4, édit. de Baluze, p. 96. (M.)

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