Vénus à Gnide aime à fixer sa cour ;
Elle n’a point de plus riant séjour :
Jamais son char ne quitte l’Empyrée
Sans aborder à ce rivage heureux.
Fiers de la voir se confondre avec eux,
Les Gnidiens, à sa vue adorée,
N’éprouvent plus cette frayeur sacrée
Que fait sentir la présence des dieux :
Si d’un nuage elle marche entourée,
On reconnaît l’aimable Cythérée
Au seul parfum qu’exhalent ses cheveux.
Gnide s’élève au sein d’une contrée
Où la nature a versé ses bienfaits :
Le doux printemps l’embellit à jamais.
Une chaleur égale et tempérée
Y fait tout naître, et prévient nos souhaits.
Vous n’entendez que le bruit des fontaines
Et le concert des oiseaux amoureux :
Les bois émus semblent harmonieux :
Mille troupeaux bondissent dans les plaines :
L’esprit des fleurs, par les vents emporté,
De toutes parts embaume leurs haleines ;
L’air s’y respire avec la volupté.
Près de la ville, habite l’immortelle :
Vulcain bâtit son palais somptueux,
Pour réparer l’affront qu’à l’infidèle
Il fit jadis, en présence des dieux.
Il n’appartient qu’aux Grâces de décrire
Tous les attraits de ces lieux enchantés ;
L’or, les rubis, l’agate et le porphyre
En font le luxe, et non pas les beautés.
Dans les vergers, partout on voit éclore
Les dons brillants de Pomone et de Flore ;
Sur les rameaux la fleur succède au fruit ;
Le bouton sort du bouquet qui s’effeuille ;
Le fruit renaît sous la main qui le cueille :
Les Gnidiens que Vénus y conduit
Foulent en vain l’émail de la verdure :
Par un pouvoir, rival de la nature,
Le frais gazon soudain se reproduit.
Vénus permet à ses nymphes légères
De se mêler aux danses des bergères :
Là, quelquefois assise à leur côté,
Se dépouillant de sa grandeur suprême,
Elle contemple et partage elle-même
De ces cœurs purs l’innocente gaîté.
On voit de loin une vaste campagne
Qui fait briller les plus vives couleurs :
Le jeune amant y mène sa compagne.
Fait-elle choix de la moindre des fleurs ?
Pour son berger c’est toujours la plus belle
Il croit que Flore exprès la fit pour elle.
L’eau du Céphée y fait mille détours :
Elle y retient les belles fugitives :
Il faut payer, quand on est sur ses rives,
Le doux baiser qu’on promit aux amours.
Au seul abord de quelque nymphe agile,
Le fleuve épris est fixé dans son cours :
Le flot qui fuit trouve un flot immobile.
Se baigne-t-elle ? amant de sa beauté,
Il l’environne, il lui forme une chaîne ;
Vous le voyez, bouillant de volupté,
Qui se soulève, et l’embrasse, et l’entraîne :
La nymphe tremble, et pour la rassurer
Il la soutient sur sa liquide plaine,
Avec orgueil lentement la promène ;
Et vous diriez, près de s’en séparer,
Qu’en sons plaintifs il exhale sa peine.
Dans la campagne, un bois de myrte frais
Offre aux amants l’abri de son feuillage :
L’amour forma ces asiles discrets
Pour égarer le couple qu’il engage,
Toujours guidé vers des lieux plus secrets,
Toujours couvert d’un plus épais ombrage.
Non loin de là, des chênes sourcilleux.
De noirs sapins dont la voûte touffue
S’entr’ouvre à peine à la clarté des cieux,
Percent la terre, et cachent dans la nue
Leur vieux sommet qui se dérobe aux yeux.
D’un saint effroi l’âme y ressent l’atteinte ;
Des immortels on croit voir le séjour :
Ils ont sans doute habité cette enceinte,
Quand l’homme encor n’avait point vu le jour.
Hors de ces bois, et sur une colline,
S’élève un temple à Vénus consacré :
II fut bâti par une main divine ;
L’art l’enrichit, les Grâces l’ont paré.
Bel Adonis ! Vénus, dans ce lieu même,
A ton aspect brûla d’un nouveau feu.
Peuples, dit-elle, adorez ce que j’aime !
Dans mon empire il n’est plus d’autre dieu.
Vénus encor, lorsque deux immortelles
De la beauté lui disputaient le prix,
Y consulta ses compagnes fidèles.
Comment s’offrir aux regards de Paris ?
Déjà sur elle on répand l’ambroisie ;
Elle a caché sous l’or de ses cheveux
Cette ceinture où folâtrent les jeux ;
Son char l’emporte, elle arrive en Phrygie.
L’heureux berger balançait dans son choix ;
Mais il la voit, soudain son cœur la nomme :
II veut parler, rougit, reste sans voix,
Et de ses mains laisse échapper la pomme.
Jeune Psyché ! l’Amour, sous ces lambris,
Par tes regards fut lui-même surpris.
Quoi ! disait-il, est-ce ainsi que je blesse ?
Mes traits, mon arc, tout pèse à ma faiblesse !
Et dans l’ardeur de ses premiers soupirs,
II s’écriait au sein de sa maîtresse :
Ah ! c’est à moi de donner les plaisirs !
Ce temple auguste excite, dès l’entrée,
Un doux transport qui remplit tous les sens :
On est saisi de ces ravissements
Que les dieux seuls goûtent dans l’Empyrée.
Là, le génie enflammant ses pinceaux,
Créa partout des peintures vivantes :
On voit Vénus quittant le sein des eaux,
Les dieux ravis de ses grâces naissantes,
Son embarras né de sa nudité,
Et sa pudeur, la première beauté.
On y voit Mars fier et même terrible :
Du haut d’un char, dans sa course invincible,
Le dieu s’élance au milieu des combats ;
Dans son œil noir un feu guerrier s’allume ;
La Renommée a volé sur ses pas,
Et ses chevaux poudreux, couverts d’écume,
Ont devancé la Peur et le Trépas.
Plus loin, couché sur un lit de verdure,
A Cythérée il sourit mollement :
Ce n’est plus Mars ; on cherche vainement
Son front altier qu’adoucit la peinture ;
Avec des fleurs l’amour les a liés :
Le couple amant se regarde, soupire,
Et ne voit point, dans cet heureux délire,
L’enfant malin qui badine à ses pieds.
Des lieux secrets offrent une autre scène :
Vous y voyez les noces de Vulcain.
L’Olympe assiste à ce bizarre hymen ;
Du dieu rêveur vous remarquez la gêne :
Vénus, par grâce, abandonne une main
Qui semble fuir de la main qui l’entraîne :
Sur cet époux son regard porte à peine,
Et vers l’Amour se détourne soudain.
On voit Junon, dans une autre peinture,
De leur hymen former les tristes nœuds.
La coupe en main, Vénus devant les dieux
Donne sa foi ; le ciel rit du parjure ;
Vulcain l’écoute avec un front joyeux.
Au lit d’hymen l’époux veut la conduire :
Elle résiste ; et si l’œil qui l’admire
Se méprenait à l’éclat de ses traits,
On croirait voir la fille de Cérés
Que va ravir le dieu du sombre empire.
Il la saisit ; les dieux suivent leurs pas :
Vénus en pleurs s’agite dans ses bras ;
Sa robe tombe ; elle est à demi nue :
De sa pudeur il sauve l’embarras.
Plus attentif à couvrir tant d’appas.
Qu’impatient de jouir de leur vue.
Au fond du temple il paraît sans témoin ;
L’épouse touche au fatal sacrifice :
Dans ses rideaux il l’enferme avec soin :
Chaque déesse en rit avec malice.
On voit les dieux qui vont gémir au loin ;
Mais ce moment pour Mars est un supplice.
Vénus créa, dans ce temple enchanté,
Des jeux sacrés, et le culte qu’elle aime :
Toujours présente, elle en est elle-même
Et le pontife et la divinité.
De toutes parts on lui rend, dans les villes,
Un culte impur qui blesse la pudeur :
Il est un temple où des beautés faciles
Vont s’enrichir des fruits du déshonneur :
Il est un temple où l’épouse adultère
A son amant s’abandonne une fois,
Et va jeter au fond du sanctuaire
L’or criminel dont il paya son choix.
Ailleurs encore, on voit des courtisanes
A ses autels porter leurs dons profanes,
Plus honorés que ceux de la vertu ;
On voit enfin, sous l’habit de prêtresse,
Des hommes vils, offrir à la déesse
Le vain regret de leur sexe perdu.
Les Gnidiens rendent à l’immortelle
Des honneurs purs, qu’elle change en plaisirs.
Pour sacrifice, on offre des soupirs,
Et pour hommage, un cœur tendre et fidèle.
Partout, à Gnide, on adore une belle ;
Comme Vénus elle est fille des cieux :
A son amante on adresse des vœux.
Et c’est Vénus qui les reçoit pour elle.
D’heureux amants, remplis de leur ardeur,
Vont embrasser l’autel de la Constance ;
Ceux qu’une ingrate accable de rigueur
Y vont chercher la flatteuse Espérance.
Loin les cœurs froids qui n’ont jamais aimé !
Le sanctuaire à leurs vœux est fermé.
Ces malheureux conjurent l’immortelle
De leur ouvrir la source des plaisirs,
De les sauver de cette paix cruelle
Que laisse en eux l’absence des désirs.
Vénus inspire aux bergères de Gnide
La modestie et sa grâce timide,
Qui, sous le voile, ajoute à la beauté ;
Mais leur front pur, où la candeur réside,
Ne rougit point d’un aveu mérité.
Dans ces beaux lieux, le cœur fixe lui-même
L’instant charmant de se rendre à ses feux :
Il est si doux de céder quand on aime !
Mais, sans aimer... est-ce faire un heureux ?
L’Amour choisit les traits dont il nous blesse.
Les uns, trempés dans les eaux du Léthé,
Sont pour l’amant que fuit une maîtresse :
Armés de feux, d’autres volent sans cesse
Sur deux cœurs neufs et pleins de volupté ;
Il a laissé ces traits faits pour la guerre,
Qui déchiraient Ariane et sa sœur,
Et dont ses bras s’armaient dans sa fureur.
Comme le ciel s’arme de son tonnerre.
Quand l’art d’aimer est donné par l’Amour,
Vénus y joint l’art séduisant de plaire.
A son autel les filles, chaque jour,
Vont adresser leur naïve prière.
L’une disait, avec un doux souris :
Reine des cœurs ! renferme dans mon âme.
Pour quelque temps, le secret de ma flamme,
Et mes aveux en auront plus de prix.
L’autre disait : Divinité suprême !
Tu sais qu’Hylas ne m’intéresse plus :
Ne me rends point les feux que j’ai perdus ;
Fuis seulement, fais que Myrtile m’aime.
Aucun plaisir ne saurait me charmer,
Disait une autre ; en secret je soupire :
J’aime peut-être !... Ah ! si je puis aimer,
Le jeune Atys a pu seul me séduire.
A Gnide, alors il était deux enfants
Simples, naïfs, d’une candeur si pure,
Qu’ils paraissaient, après quinze printemps,
Sortir encor des mains de la nature.
Se regarder, se serrer dans leurs bras
Satisfaisait leur paisible innocence :
Heureux par elle, ils ne soupçonnaient pas
Qu’il fût au monde une autre jouissance !
Mais une abeille, aux lèvres du berger
Fit une plaie ; et pour le soulager,
Philis pressa, de sa bouche vermeille,
L’endroit blessé par le dard de l’abeille.
Qu’arrive-t-il ? Un tourment plus fâcheux,
Depuis ce jour, les a surpris tous deux :
Daphnis s’émeut dès que Philis le touche ;
Il ne fait plus que songer au baiser :
Toute la nuit, soupirant sur sa couche,
Il se désole et ne peut reposer.
Daphnis enfin consulta la déesse,
Pour obtenir un remède à ses feux :
Vénus lui dit le moyen d’être heureux,
Et le berger l’apprit à sa maîtresse.
Dans les beaux jours, une aimable jeunesse
Près de Vénus va réciter des vers ;
Et ces amants, dans leurs tendres concerts,
Chantent sa gloire en chantant leur faiblesse.
Dirai-je, amis, tout ce qui m’a charmé ?
J’étais à Gnide au printemps de mon âge ;
J’y vis Thémire, aussitôt je l’aimai ;
Je la revis, et l’aimai davantage.
Je suis à Gnide, et j’y passe mes jours,
Le luth en main, soupirant mes amours.
Thémire et moi, guidés du même zèle,
Nous entrerons dans le temple, et jamais
On n’y verra de couple aussi fidèle ;
Et nous irons visiter le palais,
Et je croirai que Thémire est chez elle ;
Et je veux joindre aux roses de son sein
Quelques bouquets cueillis au champ voisin ;
Et si je puis l’égarer au bocage,
Dont les détours trompent l’œil incertain
Mais, paix ! l’Amour, maître de mon destin,
Me punirait d’en dire davantage.